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 Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]

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Tullio Fazzio

Tullio Fazzio

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MessageSujet: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeMer 14 Déc - 17:50

Je n'ai plus quinze ans
Tu n'as plus quinze ans
Après tout qu'est ce que ça peut faire?

- Non Virginie, arrête ça tout de suite ! C’est du massacre !

La voix de Tullio avait retentit dans tout le restaurant, vide à cette heure trop matinale de la journée. Le premier service n’était que dans deux heures, et de toute façon le jeune homme n’y assisterait pas. Il travaillait ce soir et comptait bien rentrer dormir chez lui avant de devoir revenir « Au Bon Français », au moins quelques heures. On comprenait d’ailleurs plus facilement la raison de son énervement quand on savait qu’il était là depuis la veille au soir, fin d’après midi, et que toute la nuit il l’avait passée à ranger une commande de vin arrivée le jour même. Puis ce matin, il avait pris sur lui d’accorder du temps à cette jolie blonde qui le regardait à présent d’un air blessé. Alors oui, plus de quinze heures d’affilées à rester éveillé et concentré sur son travail, c’était un peu beaucoup lui demander, tout de même. Sauf qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. C’était lui qui avait voulu expédier la commande pour éviter au vin de devoir rester dans des boites humides, pour lui permettre de respirer dans la magnifique cave du plus grand restaurant français de la ville. C’était aussi lui qui avait insisté pour s’occuper de Virginie avant le service. La jeune femme, dont le chignon était parfaitement tiré et le tailleur impeccablement ajusté, sortait de l’école et ça se voyait. Elle avait entendu parler de Tullio Fazzio et de ses dons remarquables en œnologie et avait donc décidé de se faire engager dans son restaurant. Choix judicieux puisqu’un établissement français qui se contente d’un seul sommelier, c’est délicat et presque imprudent.

Le patron avait donc vu cette opportunité d’un œil ébloui par l’argent que lui rapporterait ce soudain prestige supplémentaire. Maintenant, le midi aussi les clients pourraient savourer un vin adapté dans les meilleures conditions du monde. Même résolution au problème des vacances de Tullio, qui n’avait d’ailleurs jamais pu en prendre depuis qu’il était employé dans ce restaurant, son patron évoquant toujours un client important qui tombait le mauvais jour et qu’il fallait traiter avec respect ... Tullio en venait à détester tous ces grands qui se pointaient au mauvais moment, l’empêchant de se reposer et l’obligeant parfois à revenir travailler en journée alors qu’il avait enfin trouvé le sommeil. Pour servir un Genovese exigeant ou un Mariani tout aussi prestigieux. Alors oui Viginie c’était une lumière au bout du tunnel. Elle était française de naissance mais avait fait ses études en Italie, même si le propriétaire de l’établissement avait décidé de mettre en avant ses origines du pays vinicole. Prudent tout de même, malgré son diplôme, il lui avait demandé d’effectuer son premier service avec Tullio et ce dernier avait pu relever ... de nombreux défauts. La technique était parfaite, pour quelqu’un qui sortait d’apprentissage le contraire eut été étonnant. Elle décantait à merveille, servait avec agilité et prestance mais ses connaissances étaient encore ridicules, et du domaine de l’amateurisme. Il lui avait donc demandé de l’aider à ranger la cave, et si dans l’énumération des cépages et des caractéristiques elle ne s’en était pas trop mal sortie, Tullio avait vite déchanté.

Elle n’avait aucun nez, aucun odorat. Quand il avait voulu fêter leur travail par une petite dégustation, un parcours de santé qu’il ne jugeait même pas comme une épreuve et qui pour lui semblait être un simple amusement, Virginie s’était liquéfiée. Elle avait été incapable de reconnaitre, à l’aveugle, les différents vins que Tullio avait ouverts, qui étaient pourtant caractéristiques. Et il était primordial qu’elle puisse y arriver pour déceler si un vin a besoin d’aération, s’il ne devait surtout pas être décanter, s’il était bouchonné, s’il était tourné ... Bref, un sommelier travaillait avant tout avec son nez et il était juste impensable qu’elle ruine la réputation du restaurant par cette profonde lacune. Tullio lui avait donc imposé des cours express une bonne partie de la nuit et là, à dix heures passées, il en avait marre. Elle refaisait le même genre d’exercices depuis des heures, des reconnaissances pourtant simples, et le nombre de ses erreurs de diminuait pas malgré toute la patience dont le jeune homme avait fait preuve envers elle. Là, il en avait marre. Il lui avait demandé de rentrer, prévenant le patron qu’elle ne pourrait pas travailler en autonomie tant que ce problème ne serait pas réglé. Ce qui lui posait un obstacle financier, mais sur ce point précis Tullio lui avait gentiment rappelé la question de sa réputation et le différent s’était subitement effacé. C’est donc avec l’impression de devoir former une étudiante que Tullio avait délacé son catogan, rangeant son tablier en baillant tout ce qu’il pouvait et quitté le restaurant pour quelques heures seulement. Il aurait bien aimé pouvoir se reposer aujourd’hui mais manifestement, le travail l’enchainerait toujours à ses obligations. Arrivant même à lui faire perdre le sang froid, envers Virginie, qu’il maintenait pourtant avec tout le monde. La faute peut être à l’influence de son crétin de frère ...

Chassant ces idées de son crâne, Tullio arriva chez lui dans un petit appartement cossu et lumineux du quartier huppé de la Rosa. Il n’avait pu se l’offrir que récemment, grâce à son excellent salaire qu’il avait fait monter en montrant à son patron les offres que lui faisait la concurrence, et à une offre d’un propriétaire qui voulait partir rapidement. Il y était étonnamment bien, même si c’était tout récent, et le calme qui régnait alentour lui permettait d’ouvrir la porte fenêtre de sa terrasse sans souffrir du dérangement. Deuxième étage seulement, mais la hauteur des murs lui offrait une vue tout à fait respectable. Mais aujourd’hui, Tullio ne profita en rien de cet environnement si propice au bonheur et s’affala sur le lit, dans sa chambre, fermant instantanément les yeux ...

Pour se réveiller quatre heures plus tard sous l’appel tyrannique de son réveil, en ayant l’impression de n’avoir pas fermé l’œil. C’est en grognant et en se trainant par terre qu’il alla manger quelque chose, se posant devant la télé et ses imbécilités jusqu’à ce qu’il se réveille suffisamment pour aller prendre une douche. Et évidemment, c’est le moment que choisit un crétin congénital pour sonner à sa porte. Plusieurs fois. Avec insistance. Maugréant sur le respect du voisinage, Tullio arrêta de faire comme s’il était absent et sortit, se séchant rapidement et enfilant un jean pour se précipiter sur la porte histoire de faire cesser ces tintements irritants qui n’en finissaient pas. Penser à changer de sonnette, à l’occasion. Il ne fit pas attention aux appels manqués sur son portable, ni au nom qui s’y affichait. Il aurait dû car quand il ouvrir la porte, le jeune homme torse nu dont les cheveux dégoulinaient encore se retrouva face à son ...

- Isaia.

C’était une constatation froide et dénuée de plaisir. Il ne s’attendait vraiment pas à le voir là, maintenant, dans cet état. Beaucoup de choses avaient changé depuis leurs retrouvailles -quoique pas tellement à part quelques messages et coups de fils- , mais était-ce une raison pour se pointer ici comme ça ? Et puis surtout Tullio n’était pas vraiment prêt à le recevoir, là. Il lui aurait fallu du temps, une invitation, quelque chose. Même si au final, cela n’aurait pas fondamentalement changé la nature du problème : son frère était chez lui, enfin encore sur le seuil mais sans doute pas pour longtemps, et il ne savait absolument pas comment réagir face à ça. Le noir dans sa tête, et son air surpris et légèrement hébété devait compléter le tableau de son incompréhension. Qu’est ce qu’un être humain normal aurait fait en cette situation ? Il n’en avait aucune idée, et même en le sachant Tullio savait bien qu’il aurait du mal à imiter bêtement des réactions qu’on pensait idéales ou adaptées. Pas pour lui, pas pour Isaia. Et si ce n’était plus le conflit ouvert entre eux il restait trop de choses, et surtout ... trop peu de contact.

Etait-ce une fatalité que de se confronter à lui ?

Nous avons laissé
Nos jeux de passé
Pour jouer à la tendre guerre
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Isaia Fazzio

Isaia Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeJeu 15 Déc - 14:15


Et puis d'abord, qu'est-ce qu'il en pouvait, lui ?

Bon sang, c'était vraiment des coups à vous donner des envies de suicides. Chaque fois que tout marchait bien, il y avait toujours quelque chose - ou quelqu'un, dans ce cas précis - pour tout foutre en l'air. "Tu passes plus de temps avec ton piano qu'avec moi", elle avait dit. Eh bien... Grande nouvelle... Il était prof de piano ! Alors ça voulait dire que oui, c'était assez logique qu'il y passe du temps. Autant lui demander de quitter son boulot tout de suite, sinon...

Mais non. Elle s'était plainte. Encore et encore. Que blablabla, et même quand il rentrait chez lui, il ne lui passait pas de coup de fil, et qu'il fallait toujours que ce soit elle qui l'appelle, et que c'était usant à la fin. Isaia avait eu envie de lui dire que ce n'était pas la peine qu'elle se donne cette peine, parce que de toute façon, recevoir des coups de fils le matin à 6h pour qu'il se réveille, à 10h pendant la pause goûter pour savoir si ça allait, à 13h pour savoir ce qu'il avait mangé, à 16h pour savoir comment se passait sa journée, à 18h pour savoir s'il avait enfin fini, et à 20h pour savoir s'il était bien rentré chez lui - eh bien, ça ne correspondait pas exactement à l'idée qu'il se faisait d'une relation saine. Mais allez faire entendre ça à une fille qui s'appliquait à le traquer avec autant de passion qu'un stalker professionnel...

Au début, pourtant, il n'avait pas cru qu'elle serait de ce genre là. Elle était belle, elle était drôle, gentille, elle avait des jambes et une poitrine à damner un saint, et puis bon, même si elle faisait des fautes d'orthographe, elle n'était pas vraiment conne. Et elle avait commencé à lui faire du gringue, surtout, et il se sentait un peu seul, alors il avait accepté. Pensant que ce ne serait pas le genre de fille à pouvoir lui faire du tort.

Erreur fatale ! Ça faisait deux mois maintenant qu'ils étaient ensemble, et Isaia avait finalement compris que c'était le maximum décent qu'ils pouvaient atteindre, tous les deux. Alors il l'avait convoquée, profitant d'un jour de congé. Dans un bar. Chez lui, il aurait eu peur d'être incapable de la faire dégager par la suite, et chez elle, il aurait eu peur d'être assommé et séquestré. Un bar, inconnu des deux, un endroit neutre... Il pensait vraiment avoir trouvé un bon coin. Mais voilà, quand il lui avait annoncé la couleur, elle s'était mise à pleurer d'une façon qui faisait vraiment penser à une alarme à incendie qui se déclenche. Tous les regards de la pièce, tous, s'étaient tournés vers eux, et d'accord, d'habitude, Isaia aimait bien être le centre de l'attention - non, en fait, il adorait ça - mais là, ce n'était pas le genre d'attention qu'il souhaitait.

Les gens avaient commencé à murmurer dans leur coin, et Isaia savait pertinemment qu'ils se disaient "oh, quel monstre, faire pleurer une jeune fille". Et elle était jolie, c'était ça le drame. Si elle avait été moche, ça aurait été vers lui que se seraient tournées toutes les compassions. Mais non. Que la vie était dure parfois !

Bref, ça s'était horriblement mal passé, et pour couronner le tout, il avait dû payer toutes les consommations, et elle avait commandé des tas de milkshakes onéreux pour faire passer le choc de la révélation. Isaia commençait à penser que son but, dans la vie, c'était avant tout de lui soutirer son énergie vitale et son argent, et qu'il avait bien fait de mettre les voiles avant que la situation ne devienne trop critique.

Mais la journée l'avait épuisé - s'il n'y avait eu que ça, ça aurait pu passer, mais sa mère l'avait appelé pour lui dire que leur vieux chien Mistral était mort, après seize ans de loyal compagnonnage. Et, mine de rien, plus que la rupture, ça lui avait foutu un sacré coup sur le moral. Les bons animaux ne meurent pas comme ça, sans qu'on ait même le temps de leur faire des derniers adieux, c'était trop injuste.

Alors pour se détendre un peu et oublier la journée de merde, il s'était arrêté par un bar, avait commandé une tequila paf, puis le serveur lui avait recommandé un Martini rouge, et de fil en aiguille, il avait bu de plus en plus, et il s'était retrouvé dans la rue, complètement rond, incapable de lire l'heure sur sa montre, ne sachant même plus différencier sa droite de sa gauche, et repassant dans le Windows Media Player de sa tête tous les mauvais moments de la journée en boucle. Avec l'alarme à incendie et la voix éplorée de sa mère inclues dans le pack, et sans aucun moyen de couper le son - un délice.

Et qu'est-ce qu'il faisait, maintenant ? Rentrer chez lui ? Pour retrouver la solitude de son appartement, où la lessive propre attendait toujours en boule sur son lit qu'il la repasse et qu'il la range dans le placard, où la vaisselle attendait d'être faite, et où le frigo était désespérément vite...? Il n'avait pas envie. Il voulait... parler à quelqu'un. Sauf que personne ne tendait l'oreille à un mec comme lui, parce que tout le monde s'imaginait qu'il n'avait jamais de problèmes.

Mais il en avait bon sang! Plus que sa rupture, son chien Mistral qui mourait subitement, ça, c'était un problème ! Et à qui il pourrait en parler sans avoir l'air d'un imbécile qui aimait trop son toutou ? Qui pourrait comprendre sa tristesse à sa juste mesure ? Qui d'autre savait seulement à quel point le labrador noir, avec sa tâche blanche sur le poitrail, avait été une brave bête pendant toute sa longue vie, avait survécu comme un warrior à trois AVC en trois ans, pour finir par mourir dignement, comme un vétéran, en atteignant ses presque dix-sept ans ?

Une minute. Il y avait quelqu'un... Bien sûr qu'il y avait quelqu'un ! Quelqu'un qui connaissait le chien, quelqu'un qui savait parfaitement qu'il avait été une brave bête pendant toutes ses années, quelqu'un qui avait vécu avec lui, depuis l'âge de neuf ou dix ans ! La réponse était même tellement évidente qu'il n'en revenait pas de n'y avoir pas pensé plus tôt. Bon à sa décharge, son cerveau était bien imbibé, et ça ne faisait pas depuis si longtemps que ça qu'il était revenu en état de grâce aux yeux de son frère Tullio, pas assez en tout cas pour pouvoir songer à lui en premier recours.

Bon ok, état de grâce. Le mot était fort. En vérité, il avait échangé quelques sms, quelques coups de téléphone, où la crainte du silence gêné se faisait sentir à chaque fin de phrase, mais à tout prendre, ces contacts s'étaient fait plutôt rares. Ou disons, pas aussi fréquents qu'il l'aurait voulu. Bien sûr, quand il était sorti du restaurant ce soir-là, il s'imaginait déjà commencer des parties de CoD ou de Counter Strike dès le lendemain, mettre une branlée à son frère - ou se faire mettre une branlée, ça ne l'aurait pas tant dérangé que ça, même - et rire, et que l'ambiance soit agréable.

Sauf qu'en fait, il s'était déjà passé quelques semaines avant que Tullio ne lui envoie un message - et Isaia n'avait pas pu le joindre avant, vu que Tullio ne lui avait pas laissé de quoi entrer en contact avec lui - et durant ces semaines, une sorte de timidité était tombée sur lui, et établir un simple contact avec lui n'avait pas été facile. Mais au moins, il avait fait de son mieux pour que ses efforts au restaurant ne tombent pas dans le néant, il avait répondu, il avait forcé son frère à répondre, et ils avaient... communiqué - oui, on pouvait probablement appeler ça comme ça. Communiquer.

Isaia en avait été tellement content qu'il en avait un peu parlé à sa mère (en omettant certains détails du style "ça faisait des années qu'il me faisait la gueule alors j'étais content", pour que l'histoire sonne simplement comme deux frères qui ne se sont pas vus depuis longtemps, malgré l'affection qu'ils ont l'un pour l'autre), et sa mère avait été tellement contente aussi, de son côté, qu'elle lui avait donné l'adresse de Tullio. Sympa. Pas sûr que le frangin eut été réellement très content s'il l'avait su, par contre, aussi Isaia avait bien pris soin de le lui cacher ; l'autre aurait peut-être été capable de déménager s'il l'avait su en possession d'une information aussi importante...

Sauf que là, il était bourré, et il voulait lui parler. A lui. Et à personne d'autre. Pour lui dire que leur chien Mistral était mort, et que s'il était sincère dans sa volonté de se réconcilier, il avait plutôt intérêt à le laisser rentrer pour qu'ils en discutent. Mais quelque part au fond de sa tête embrumée, une voix lui rappela qu'on ne s'invitait pas chez les gens sans avoir appelé au préalable, et il composa le numéro de Tullio sur son téléphone. Qui ne répondit pas. Il eut beau l'appeler dix fois, pas de réponse. Probablement que son frère ne tenait pas à l'avoir au téléphone... Il devait certainement se dire que c'était déjà pas mal de l'avoir dans son répertoire.

Sauf qu'Isaia n'aurait pas été Isaia s'il abandonnait la partie pour si peu - même bourré. Il envoya un message, et pendant qu'il le tapait sur son iPhone, sans qu'il y pense, ses pas avaient déjà pris le chemin de l'appart de Tullio. Il était passé une fois dans le coin, et avait repéré l'endroit, sans oser aller frapper à la porte de son grand frère, cela dit. Mais cette fois, l'alcool n'allait pas laisser de telles inhibitions retenir sa main.

Son doigt erra un moment devant ses yeux avant de finir par s'appuyer de toute sa force sur sa sonnerie. Quelque part, il lui sembla qu'elle ne résonnait pas assez fort. Il recommença. Le temps était vaguement distendu - quelques secondes, ou quelques siècles plus tard, il ne savait pas trop, la porte s'ouvrit, et quelqu'un se tenait devant lui.

Une minute. Pas un simple "quelqu'un". C'était son frère, rien de moins.

Sauf que voilà, généralement, quand on voyait son frère sur le pas de sa porte en simple jean et avec les cheveux mouillés, même bourré, on n'était PAS censé penser qu'il était joliment foutu. Du fond de son cerveau embrumé et ralenti, Isaia se sentit stupéfait d'avoir ne serait-ce que pensé une telle chose. Depuis quand il se disait "ooh, bien foutu" devant un corps de mec, lui l'indécrottable Don Juan ? A plus forte raison devant celui de son frère !

Bon. La réponse était évidente : il fallait mettre ça sur le compte de l'alcool. Et la marche à suivre était claire : plus de mélange martini/vodka/tequila, ça s'imposait.

"Isaia."

Sa voix semblait parvenir de très loin. Trop loin. Isaia s'appuya sur la porte (nécessaire s'il ne voulait pas se casser la gueule) et s'efforça de regarder son frère dans les yeux - parce que décidément, laisser dériver son regard ailleurs, c'était un poil trop malsain. Tout tentant que ça puisse être.

Il avait vraiment pensé tentant...?

- Tullio...

Wouah, sa voix. Si Tullio avait réussi à ne pas remarquer à quel point il était arrangé jusqu'à maintenant, sa voix à elle seule l'aurait pu. Rauque et mal assurée - mais comme en fait, c'était la deuxième fois qu'il parlait à son frère en face à face depuis des années, il n'était pas bien sûr que l'autre se rende compte de la différence, pourtant évidente.

- Mistral est mort... Notre chien Mistral...

Notre chien. Pas mon chien. C'était le chien de Tullio, aussi. Ils avaient peut-être passé des années sans se parler, mais Mistral, c'était un lien fort qui les reliait, qu'ils le veuille ou non. Cette joie le jour où il était arrivé dans la famille, un tout petit chiot si mignon ; la première fois qu'il avait découvert la neige, et qu'il s'était roulé dedans avec excitation, ou bien l'été, quand il sautait dans l'herbe pour attraper l'eau du tuyau d'arrosage dans le jardin... Quand il sautait sur quelqu'un dès son arrivée pour lui souhaiter la bienvenue, et qu'il hurlait à la lune dès que le lave-vaisselle ou l'aspirateur se mettait en route... C'était un morceau de leur passé qui venait de mourir, et Isaia se rendit compte avec stupéfaction que c'était plus difficile d'en parler avec son frère que de supporter ça tout seul. Et surtout, Tullio allait certainement le prendre pour un mec cinglé ; il était simplement en train de détruire tous les efforts qu'ils avait fait par le passé, là, en quelques mots...
Quel abruti !

Il passa la main sur ses yeux pour se convaincre que ce n'était qu'un mauvais rêve, mais lorsqu'il releva la tête, Tullio était toujours là, en train de le contempler se vautrer dans sa stupidité. Toujours torse nu, et toujours aussi bien foutu.
... Et toujours ces putains de pensées super glauques !

- Merde, bafouilla-t-il à voix basse.

Décidément, l'alcool, fini pour lui. N'en déplaise à son sommelier de frère.



Dernière édition par Isaia Fazzio le Dim 22 Avr - 7:57, édité 1 fois
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Tullio Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeVen 16 Déc - 18:26

C’était étrange, cette nouveauté d’avoir parfois l’idée de contacter son frère. Après sa venue au restaurant, pas mal de choses avaient changé dans la vie de Tullio, bien que la plupart soient invisibles. Lui ayant promis de lui donner signe de vie, il l’avait bien évidemment fait. Plus tard, en attentant tout de même un certain laps de temps. Par prudence, et puis le temps de se décider avait été particulièrement long. Car si Tullio avait promis, sur le coup, à distance ce n’était plus la même chose et la seule chose qu’il l’y avait poussé, c’était cette fameuse promesse. S’il manipulait tout son entourage quant à ses réels sentiments, le jeune homme n’en était pas encore arrivé à dédaigner une parole qu’il donnait, fut-ce à son frère. Mais en y repensant longuement, des heures dans son lit, il s’était demandé si c’était vraiment une bonne idée et s’il ne pouvait simplement pas faire semblant d’avoir perdu son numéro de téléphone. Pas de chance, hein. Et ce n’est pas comme s’il pouvait le demander à leurs parents, non. Perdu c’était perdu et cela constituait un alibi confortable au jeune sommelier.

C’était si simple d’égarer un morceau de papier, ou d’oublier. Lui n’avait guère de moyen de le contacter, si ce n’était par l’intermédiaire de Paola ou de son père. Et là, Tullio pourrait lui reprocher d’en faire trop, de ne pas comprendre la distance qu’il voulait imposer entre eux et de le suivre d’un peu trop près pour que ce soit normal. Totalement débile comme réaction, pire que puérile et pourtant, c’était une raison légitime de s’énerver contre lui, de le repousser en le reléguant au rôle qu’il avait quitté un peu trop rapidement au goût de Tullio. C’était se protéger, de l’intrusion qu’Isaia était dans sa vie, des souvenirs qu’il ramenait avec lui et des mauvais moments qui, dans la balance, ne penchaient pas vraiment en faveur d’un pardon et d’une accolade fraternelle. Plusieurs fois, donc, Tullio avait fuit son téléphone portable et le bout de papier accroché au dessus de la table dans sa salle à manger. Ignorant, faisant l’autruche qui tente de découvrir un gisement de pétrole. Bien profond, le gisement.

Et puis, il avait repensé à ce fameux soir ou tout avait recommencé entre eux. Les arguments qui l’avaient touché, la sincérité dont il avait semblé faire preuve et dont Tullio n’espérait pas se faire prendre au piège. Et sa persévérance, sa fragilité quand il prenait la parole. A bien y réfléchir, Tullio ne l’avait jamais vu aussi atteint, aussi impliqué dans quelque chose. Même quand il passait des jours à fomenter une bêtise qu’il lui collerait sur le dos, l’ainé des Fazzio ne se souvenait pas que son petit frère ait été aussi motivé par quoi que ce soit. A part peut être pour le piano, encore une chose qu’il s’était amusé à lui prendre. Mais là-dessus il avait été sincère et impliqué. Tout comme il paraissait l’être en voulant de nouveau construire quelque chose, que Tullio pensait brisé à jamais. Mais surtout, peu à peu, ses pensées dérivèrent vers des détails. Comme les regards qu’Isaia lui avait lancés. Plein de supplications diverses, un peu perdus et hagards. Ses beaux yeux pâles se perdant dans les siens, cherchant un réconfort, cherchant une certitude que Tullio n’avait pu lui donner.

Mais il se souvenait aussi du plaisir qui s’était lu sur ses traits quand il avait accepté de l’appeler, de faire un pas vers lui. Le moindre trait de son visage qui avait alors changé d’expression, il se le rappelait en détail. Et cette joie n’en était que plus naturelle et réelle dans l’esprit du jeune homme. C’est sans doute cela qui l’avait poussé à lui envoyer d’abord quelques textos, bien pratiques quand on ne sait pas quoi dire à quelqu’un. Le temps de réflexion est un temps précieux et indispensable. Puis ils avaient fini par échanger quelques coups de fils. Gênés, souvent silencieux, ils abordaient le sujet facile de leurs parents. Si bien que la dernière fois que Paola avait appelé, Tullio avait machinalement répondu « je sais » à la plupart de ses phrases, l’agaçant et la surprenant en même temps. Il avait bien été obligé de lui dire qu’il se rabibochait avec son frère après une période un peu difficile, sans s’étendre sur les détails, et ce fut à son tour de lui annoncer qu’elle « savait », d’un ton triomphant.

Allons bon, les informations ne pouvaient plus rester confidentielles plus de quelques jours dans une famille qui semblait de nouveau communiquer par la branche d’une jeunesse en rupture totale auparavant. Paola en avait profité pour lui servir tout un laïus sur l’importance de l’amour fraternel, tout ça, insistant sur la chance qu’il avait d’avoir un frère aussi adorable qu’Isaia ... Tullio, qui gardait pourtant son calme en toute circonstance, avait eu envie de lui hurler au combiné que NON, ce n’était PAS son frère et que ce n’était pas parce qu’ils avaient passé tant d’années à se ... détester ? Non, Isaia ne le détestait pas, il s’amusait de lui. Bref, ce n’était pas des années de vie commune qui avaient changé ce fait. Tullio n’arrivait pas à le considérer vraiment comme son petit frère, pas alors qu’il n’avait rien fait pour se faire apprécier de lui, du moins rien qui ne soit pas calculé.

C’était seulement depuis son retour que le jeune homme commençait à penser à lui comme un potentiel membre de sa famille. Parce que famille impliquait amour, attachement et qu’auparavant Tullio ne s’était jamais senti capable de lui en donner. Maintenant ... eh bien il faudrait reconsidérer la question dans quelques années, si les tensions s’apaisaient définitivement et si les bons moments à venir -peut être- suffisaient à effacer les souvenirs plus sombres. Enfin, malgré tout Tullio pensait aborder le problème de manière progressive et réfléchie, pas aussi rapidement. Et puis il ne lui avait pas donné son adresse alors ... Tullio maugréa un instant en se promettant de haïr un instant sa belle-mère. Mais maintenant Isaia était là, devant lui, complètement bourré à l’odeur d’alcool qui s’échappait de son visage. Tullio se demandait même s’il ne transpirait pas la boisson, en tout cas il faisait peine à voir.

Le jeune sommelier n’avait jamais vu son frère dans un tel état, et le savoir fortement imbibé le faisait presque sourire, enfin ç’aurait été le cas s’il n’avait pas l’air aussi pitoyable. Adossé au chambranle de la porte, il semblait perdre un peu la notion du haut et du bas et Tullio se demandait comment il arrivait encore à soutenir son regard. Sa voix était cassée, hésitante, et ses mouvements mêmes peu nombreux étaient imprécis. En d’autres termes, il paraissait impossible que Tullio le renvoie chez lui dans cet état sous peine de le retrouver à l’hôpital le lendemain, et il n’avait jamais suffisamment détesté Isaia pour vouloir ça consciemment. Mais il n’imaginait pas non plus de le laisser là pour la nuit et d’aller travailler. Qui sait dans quel état il retrouverait ses draps, son tapis après que le crétin en face de lui soit entré dans la phase « vomissements » de la charmant cuite alcoolique. Il ne restait guère beaucoup de solutions, même si pour l’instant Tullio se refusait à en arriver là. Hors de question qu’il accepte une telle chose, c’était s’abaisser devant son frère.

- Tullio... Mistral est mort... Notre chien Mistral...

Alors qu’il s’apprêtait à lui demander d’arrêter de dire des bêtises dans son délire, Tullio s’abstint. Il ne réagit pourtant pas tout de suite, le laissant se remettre un peu et bafouiller un juron mal articulé que Tullio ne releva pas. Il referma la porte, sans sommation, sur son frère. Le laissant comme ça quelques secondes, en se demandant s’il pourrait croire à une hallucination, ou bien si lui-même arriverait à ne pas trop culpabiliser. Appuyant fortement contre le bois pour ne pas qu’il ouvre la porte à présent sans verrou, Tullio ferma les yeux. Pesa le pour et le contre, puis rouvrit la porte. En soupirant d’un air désespéré et résigné, Tullio s’écarta du seuil, laissant le battant ouvert pour qu’il entre, et s’empara d’un pull qu’il enfila à même sa peau, nouant ses cheveux dans un élastique attrapé à la va-vite. Il allait falloir régler ce problème maintenant.

- Eh bien entre, imbécile.

L’insulte ne sonnait pourtant pas méchamment, et tandis qu’il laissait son frère se débrouiller, Tullio alla chercher dans la cuisine un verre de lait dans lequel il ajouta du citron et un peu de sirop de menthe pour lui porter. Comme seule explication il hocha les épaules, sans donner de détails. C’était un mélange bien connu qu’ils utilisaient en école, après trop de dégustations le jour précédant les examens, pour redescendre. Même si, quand ils goûtaient, ils étaient supposés recracher il y avait toujours des trop bonnes bouteilles d’ouvertes pour les jeter, et puis il en restait toujours un peu dans la bouche. Et la veille d’un examen, il n’y a rien de pire. Enfin, il le regarda dans les yeux, cherchant une explication valable, une justification.

- Et c’est pour ça que tu t’es mis dans cet état ? Donne moi le numéro d’un pote ou de ta copine, qu’ils viennent te chercher.

Parce qu’il travaillait, parce qu’il ne savait pas gérer la détresse de son frère. Même si la mort de Mistral l’affectait, il était vrai. Son air se faisait d’ailleurs un peu plus sombre en repensant à ce chien, un vétéran de guerre. Mais il était vieux, malade, il était logique qu’il passe l’arme à gauche un jour ou l’autre et Tullio était étonné de voir l’ampleur que cela prenait pour son frère. En voyant le visage d'Isaia, le jeune homme fit demi tour et alla chercher une bassine qu’il lui tendit, juste au cas où. Son tapis était vraiment quelque chose qu’il ne tenait pas à sacrifier juste pour ses beaux yeux. Même suppliants. Soupirant une fois de plus, Tullio fit quelque chose d’incroyable. Il tenta de le consoler, même maladroitement.

- Il le méritait, Mistral n’était plus bon à rien. Je pense qu’il devait souffrir de ne plus pouvoir se déplacer comme avant, alors ne sois pas triste pour quelque chose qui devrait nous réjouir pour lui. C’est égoïste.

Alors que lui aussi était triste, alors que c’était une impulsion de lui répondre ça, alors qu’il ne savait pas quoi dire d’autre. Et que bon sang, il faisait ce qu’il pouvait après tout ! On parlait d’Isaia, pas de n’importe quel clampin venu en face de qui il aurait eu les bons mots, les bons gestes pour s’assurer une soirée paisible.
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Isaia Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeMer 11 Jan - 5:15

Ma grande Maîtresse, je m'incline bien bas et je me soumets à vos coups de fouet pour punir le retard impardonnable dont j'ai été l'auteur. Je suis honteuse, et je vais me flageller en attendant votre sanction divine.

Ah, c'était dur. Pourtant, il le savait - à chaque fois c'était pareil. Isaia excellait dans quelques domaines bien utiles, mais alors, en ce qui concernait l'alcool, il était largement à la ramasse. Même sa petite sœur aurait mieux tenu la descente que lui. S'il en avait eu une, ce qui n'était pas le cas.

La chose qui l'arrimait à la réalité, c'était le visage de Tullio, devant lui, la seule chose qu'il parvenait à voir avec assez de détails - si on omettait son torse nu, qu'il discernait, par contre, une avec scandaleuse lucidité dont il se serait bien passé. Le reste se fondait dans un flou coloré, qui n'arrêtait pas d'osciller et de lui faire perdre son équilibre. Même le bois de la porte, contre lequel il était appuyé, semblait lui en vouloir personnellement, et se penchait sur le côté pour essayer de le faire tomber. C'était traître.

Alors il s'accrochait au visage de Tullio. A ses mèches sombres et ses yeux, pleins d'expression, dont Isaia ne savait même pas un déchiffrer une seule. Ah, s'il avait été sobre ! C'était vraiment une mauvaise idée de s'être pointé ici. Il avait voulu parler à Tullio, vider son sac, mais quand son frère le regardait comme ça, il se rendait compte qu'être sobre aurait plus joué en sa faveur. A cause de ça, Tullio allait se remettre à le détester, il ne voudrait plus le revoir, et Isaia ne pourrait même pas profiter des souvenirs d'une de ses seules rencontres normales avec son frère - parce qu'il était bourré.

Triste.

Puis la porte se ferma, devant ses yeux. Isaia ne réagit pas. Ce fut à peine s'il le remarqua. Le visage de Tullio s'imprimait encore sur sa rétine, comme s'il avait fermé les yeux après avoir regardé le soleil, et ce ne fut que lorsque la porte se rouvrit qu'il réalisa qu'il s'était passé quelque chose entre temps. Il n'avait pas bougé, et cet air pâteux n'avait pas quitté son visage - malheureusement, aurait-il pensé, s'il avait été en mesure d'en être conscient. Mais bon, il y avait des choses dans la vie qu'il valait mieux ignorer, parfois...

Le visage de Tullio était comme une lanterne sur un chemin obscur. Le regard d'Isaia s'y accrochait pour ne pas se perdre.

"Eh bien entre, imbécile."

Isaia ne releva pas l'insulte. Ce fut à peine s'il l'entendit. D'ailleurs, la phrase entière était étouffée sous une brume qui lui rendait la compréhension difficile, et ce ne fut que parce que la lanterne du visage de Tullio s'éloigna qu'Isaia comprit qu'il l'invitait à entrer.

Distraitement, il regarda Tullio enfiler des vêtements - tant mieux, comme ça son regard allait cesser de dériver n'importe où... - et attacher ses mèches qui le fascinaient depuis que son frère avait ouvert la porte. C'était bizarre, d'être bourré. Le monde entier pouvait disparaître dans la brume, mais vous vous retrouviez toujours à prêter attention à des petits détails inutiles. Les cheveux de Tullio, c'était un petit détail inutile. Isaia ne pouvait pas en détacher le regard.

Puis il se rappela que Tullio l'avait invité à entrer, et des tréfonds de son esprit, émergea un reste de politesse, façonnée par des années passées à la maison Fazzio, sous la houlette intransigeante de sa mère, qui n'acceptait pas que ses fils soient des mal élevés.

- Désolé pour le dérangement...

Bon. Il ne savait pas si les mots avaient été compréhensibles, ni même s'ils avaient été formulés par sa bouche et pas dans sa tête uniquement, mais au moins il avait fait l'effort, c'était déjà ça.

Il ne jeta pas un regard à la décoration de l'appartement - chose qu'il regretterait plus tard, ce n'était pas tous les jours qu'on avait l'occasion de découvrir le séjour de l'appart où vivait votre frère qui vous haïssait - et avec l'instinct de l'alcoolique, se dirigea sans se tromper vers le canapé, et sans même se cogner contre les meubles. Lorsqu'il s'affaissa entre les coussins, il eut la vague sensation qu'on aurait dû lui remettre une médaille pour ça, mais la pensée disparut rapidement de son esprit. Le plafond autour de lui tournait, et ça lui donnait des hauts-le-cœur. Il ferma les yeux. Pitoyable.

Puis la lanterne finit par revenir, un verre à la main, et Isaia eut toutes les peines du monde à empêcher son estomac de se retourner sur le champ. Non ! Pas maintenant. Il préférait mourir plutôt que de vomir sur le canapé de Tullio - là, ce n'était plus la haine de son frère qu'il aurait à craindre, c'était un aller direct pour l'Enfer, sans billet de retour.

Avec une maîtrise qui lui aurait fait honneur s'il en avait été conscient, il respira un grand coup et réprima la nausée pour quelques temps encore. Tullio était bien gentil de lui avoir apporté un verre - non, en fait, maintenant qu'il y réfléchissait, c'était adorable de sa part - mais la simple idée d'ingurgiter quelque chose d'autre, après les cercueils qu'il avait enchaînés au bar, relevait de l'impossible.

Mais voilà - c'était Tullio qui le lui offrait. C'était Tullio qui l'avait préparé. Pour lui. Et s'il refusait, malgré tout le déplaisir que lui procurait la vision du verre, le brun lui en voudrait, il en était sûr. Il le mettrait à la porte. Alors, en bon frère docile, il prit le verre que lui tendait Tullio - oui, pour son frère, il bravait même l'impossible ! - et avala quelques gorgées du liquide étrange, au goût qu'il ne parvenait pas à identifier, la seule chose certaine étant qu'il n'y avait pas d'alcool dedans. C'était déjà ça.

"Et c’est pour ça que tu t’es mis dans cet état ? Donne moi le numéro d’un pote ou de ta copine, qu’ils viennent te chercher."

*Dooooooooon* - la cloche de la fatalité résonna dans l'esprit d'Isaia quand Tullio lui rappela qu'il n'était plus seulement le membre d'une famille qui venait de perdre l'un des siens, mais qu'il était aussi célibataire depuis quelques heures. L'imbécile, alors que c'était lui qui avait rompu...

- C'est toi que je voulais voir, répondit-il d'un ton pâteux qu'il aurait été bien en peine de maîtriser - tout comme les paroles qui sortaient de sa bouche avant même qu'ils ne les ait pensées. Mes potes ne comprendraient pas. Et ma copine, elle m'a quitté aujourd'hui...

C'était marrant, quand même. Il pouvait être murgé de chez murgé, avoir le cerveau si annihilé qu'il lui en fallait peu pour qu'il se mette à lui couler par les oreilles, et pourtant, même dans ces moments-là, il avait encore l'instinct de mentir pour faire paraître une situation à son avantage. Admirable.

Et qu'est-ce qu'il voulait faire, en disant ça ? Déclencher chez Tullio une réaction du genre "oooh mon pauvre chou, ta copine t'a largué ? Je comprends mieux ton état, t'aurais dû le dire tout de suite, jouons à Call of Duty pour oublier ça !" (oui, il faisait une fixette sur les jeux vidéos avec son frère, et alors ?). Tullio n'était pas ce genre de type. Il ne lui attirerait que de la pitié en disant ça - et ce qu'il voulait, ce n'était pas de la pitié.

- Non, reprit-il difficilement. C'est moi qui l'ai quittée. Pas elle. C'est moi. Désolé.

Avec un peu de chance, ça pouvait passer pour l'erreur d'un type bourré plutôt que pour un mensonge, un vrai de vrai. Enfin - avec des types normaux, peut-être. Avec Tullio, et sa propension à croire le pire quand il s'agissait d'Isaia, il n'était pas certain que ce soit très crédible.

Mais au moins, il avait rectifié, il avait dit la vérité, ça comptait, non ?

- Et puis, je voulais te voir, ajouta-t-il simplement.

Quelque part, au fond de ses brumes de pensées, est-ce qu'il espérait troubler Tullio pour lui faire oublier l'erreur qu'il venait juste de commettre ? Ou est-ce que c'était juste parce qu'il avait pris la résolution de se montrer honnête, et que voilà, c'était vrai - c'était Tullio qu'il voulait voir. Il aurait même pu ajouter que son frère lui avait manqué, mais même arrangé comme il était, il comprenait d'instinct que ça risquait de faire peur à Tullio, et que ce n'était pas une bonne chose.

Sauf que s'il n'était plus là, il pouvait dire tout ce qu'il voulait, ça n'aurait plus de sens pour personne. Où était passé Tullio, le temps qu'il cligne des yeux ?

L'instant d'après, son frère réapparut par magie devant son regard, et il avait quelque chose de rond dans les mains... Une bassine. Ah, qu'il était prévoyant. Isaia ne put empêcher un sourire amer de passer sur ses lèvres.

- Merci. Préférable.

Il était tellement bête. Et pitoyable. L'idée de vomir devant Tullio, lui, le type fier, lui était insupportable. Mais bon, pour lui, il avait déjà accepté de ramper sur le sol de son restaurant (pas littéralement, bien sûr) pour qu'il le reprenne, et là, il s'était traîné dans sa maison dans un état complètement pathétique, alors un peu de vomi, qu'est-ce que ça pourrait bien changer ? Chaque fois qu'il ouvrait la bouche en face de Tullio, c'était pour s'humilier. Il lui faudrait s'y faire.

"Il le méritait, Mistral n’était plus bon à rien. Je pense qu’il devait souffrir de ne plus pouvoir se déplacer comme avant, alors ne sois pas triste pour quelque chose qui devrait nous réjouir pour lui. C’est égoïste. "

Ah, son chien... La brave bête. Chaque fois qu'il levait les yeux (ou plutôt la tête, puisqu'on dit que les chiens ne savent pas lever les yeux), on pouvait y lire une adoration sans bornes pour ses maîtres. Qu'il pleuve ou qu'il vente, il était toujours heureux d'être avec eux. Et bon, on avait les mains qui sentaient mauvais après l'avoir caressé, mais c'était un chien tellement gentil... Il lui manquait. Un gros soupir lui échappa.

- Je sais, admit-il, confus. Je sais que c'est égoïste... C'est vrai qu'il est mieux où il est... J'aurais juste vouloir être prévenu, lui faire une dernière gratouille derrière les oreilles ou sous le menton. C'est un pan entier de ma vie qui s'effondre...

Il reposa sur ses genoux le verre qu'il avait bu, quelque part dans ses réflexions, sans s'en rendre compte, et passa une main dans ses cheveux, tout en se disant vaguement qu'il devait avoir l'air vraiment pathétique.

- C'est pour ça que je voulais te voir, je me disais que tu comprendrais...

Ça ne justifiait pas vraiment son entrée presque forcée dans l'appartement de son frère, mais au moins, il était on ne peut plus sincère...

Enfin, si Tullio ne s'en rendait pas compte, ça n'avait pas beaucoup d'importance qu'il le soit ou pas. Le verre de lait, qui lui avait un peu éclairci l'esprit, lui faisait déjà comprendre que c'était une monumentale erreur d'être venu ici ce soir.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeDim 5 Fév - 11:31

ENFIIIIIN. Donc pardon pour l'attente mais voilà je suis enfin sortie de ma période noire de travail. J'espère que ça te plaira j'ai pris énormément de plaisir à l'écrire, notamment sur la fin et sur la logique des changements de sentiments de Tutu *.*

Peut-être existait-il de bien mauvaises langues, mais même l’existence -ou plutôt la mort- de Mistral ramenait Tullio à un mauvais souvenir d’Isaia. C’était étrange, cette propension qu’il avait à toujours voir le négatif dans une relation fraternelle qui comptait pourtant quelques aspects bien meilleurs. Mais voilà, côtoyer ce démon miniature qui n’avait d’autre dieu que lui-même et d’autre but que de se faire vénérer aux dépens des autres lui avait fait voir les choses par le mauvais côté. Et Mistral, c’était le chien de la famille. Le chien que le petit Isaia avait voulu, avait eu. Alors que Tullio demandait un chaton depuis des années à son père qui avait toujours rechigné, sous prétexte qu’il était allergique aux acariens. Mais quand la douce Paola, ses yeux de biche et son adorable bambin avaient débarqué alors il n’y avait plus de problème. La solution avait été toute trouvée : Mistral serait interdit de séjour dans le bureau du maître de maison et en retour ce dernier ne l’approcherait pas. Un accord tacite entre un animal qui, tout jeune déjà se vouait à rester dans ce foyer chaleureux, et un homme qui avait surmonté son allergie pour un gamin qui n’était même pas son fils. Idée qui rendait Tullio, il fallait bien le dire, mortellement jaloux. Juste parce qu’il l’avait demandé très tôt, désirant lors d’un énième caprice un compagnon de jeu autre que son frère, peu divertissant.

Des caprices qui ne se faisaient jamais dans les cris et les larmes, mais dans la séduction et les yeux à peine embués de tristesse. Combien de fois Tullio avait-il pu observer ce merveilleux manège, bien rodé et superbement efficace. Alors qu’aucun adulte ne se rendait compte que les larmes disparaissaient comme par enchantement des yeux clairs quand le petit garçon avait obtenu le fruit de son dur labeur. Comme si Tullio était le seul à pouvoir voir son frère tel qu’il était réellement ... Bref, un chiot au poil mi-long et à la truffe humide avait donc rapidement débarqué, avec son air pataud et sa queue frétillante. Au lieu d’un chaton au regard intelligent et à l’autonomie bien pratique. Mistral ne pouvait rester seul, salissait régulièrement le beau salon de Paola quand il n’était encore qu’un jeune chien, puis passait ses journées entières devant la cheminée, dans son panier, à ruminer son existence canine, sentant la fin approcher. Belle progression, surtout quand Tullio se souvenait amèrement qu’il n’avait jamais eu son chat, parce qu’il n’avait jamais osé faire de caprice. Donc voilà, encore une fois Tullio ne voyait que le mauvais côté des choses, du moins en apparence. Se souvenant des jours heureux où le petit Isaia montait Mistral comme un cow-boy en chasse, hurlant derrière l’indien que Tullio se devait d’incarner pour son bon plaisir. Etonnamment, comme dans les westerns, la fin était toujours la même.

Voilà à quoi le sommelier pensait en apprenant la mort de Mistral. Mais, alors qu’il le laissait entrer et hochait la tête à son excuse polie, les vieilles habitudes étant tenaces, Tullio pensa aussi au reste. Aux bains donné à ce chien qui adorait ça où les deux frères finissaient tous deux dans la piscine gonflables, aux balades le dimanche en famille, aux siestes dans le jardin sous le soleil printanier avec un doux pelage pour les réchauffer tous les deux ... Un sourire lui échappa alors qu’il revenait pour lui tendre son verre, même s’il se doutait bien que l’idée ne l’enchantait pas. Tullio réfréna toutefois bien vite cette manifestation d’une tendresse enfouie au fond de son cœur, et se saisit du téléphone en attendant un numéro. Combiné qu’il reposa bien vite, en définitive.

- C'est toi que je voulais voir. Mes potes ne comprendraient pas. Et ma copine, elle m'a quitté aujourd'hui...

Ah oui, forcément. Sauf que ses amis, s’ils ne comprenaient pas sa tristesse, auraient d’avantage su quoi faire devant cet homme qu’ils devaient mieux connaitre que lui. Ou moins bien, mais après tout qui était le véritable Isaia ? Celui que tout le monde côtoyait, le gentil, le présentable et le séducteur ? Tullio savait que ce n’était qu’une façade, mais elle se trouvait si profondément ancrée sur ce visage d’ange que savoir ce qu’il se trouvait en dessous n’avait peut être plus autant d’intérêt qu’il l’aurait cru. Il ne connaissait pas cet Isaia là, celui que tout le monde aimait. Il ne l’avait jamais compris, jamais observé puisque toujours il gardait à l’esprit l’insupportable gamin qu’il avait été. Profondément enfoui en lui, ce souvenir dépassait la réalité qu’Isaia tentait pourtant de lui monter. Celle qui le rendait plus sympathique. Celle qui faisait de lui un homme qui avait envie de voir son frère ... Alors peut être que Tullio devait s’assagir et commencer à le prendre au mot. A lui laisser une chance de l’approcher. Il allait justement lui faire part de cette volonté avec une démonstration du genre hocher la tête d’un air compatissant et lui dire que ça irait mieux demain. Maladroit mais il ne pouvait faire guère plus.

- Non. C'est moi qui l'ai quittée. Pas elle. C'est moi. Désolé. Et puis, je voulais te voir.

- Je vois que tu continues de dire ce qui t’arrange, lança un peu froidement Tullio qui regretta aussitôt ses paroles.

D’un côté, il avait ses raisons de lui en vouloir, non ? Isaia venait une fois de plus de démontrer en beauté l’étendue de son caractère premier. L’alcool devait l’empêcher de trop réfléchir, et là son naturel revenait au galop. Les habitudes de mentir, de se faire bien voir. Tullio regretta aussitôt d’avoir songé à le réconforter, et c’est pour cette raison que la phrase avait jaillit un peu plus méchamment qu’il ne l’avait pensée. Pourtant il aurait du le savoir, que son frère tournait toujours tout à son avantage. A se demander comment il voyait la mort de Mistral. Un prétexte pour venir le voir ? Une idée bien pratique pour venir pleurer ici et se faire prendre en pitié par son frère ? Oui mais ... Si c’était vraiment ça, alors pourquoi venait-il de se reprendre ? Continuer sur sa lancée aurait été une meilleure chose pour lui. Et s’il ne voulait pas sa pitié, que venait-il chercher ici ce soir ? Pourquoi, quelle idée farfelue avait bien pu traverser son esprit pour le guider jusqu’à cet appartement ? Isaia aurait pu rentrer chez eux pour retrouver des parents compréhensifs et aimants, il aurait pu se consoler entre les seins d’une magnifique jeune femme qui serait tombée amoureuse de lui au premier regard. Il aurait même pu aller dormir chez un de ses innombrables amis, alors pourquoi débarquer chez son frère avec qui les rapports étaient tendus, complètement bourré et peu maître de ses paroles et de ses émotions ?

Tullio n’avait aucune réponse à ses interrogations. Lui qui avait pendant des années compris les manœuvres d’Isaia, qui arrivait toujours à démanteler les réseaux de connexion qui s’étaient créés durant de longues années sous cette tête blonde ... Il allait même parfois trop loin, comme l’autre soir au restaurant où Tullio avait pu partir dans des délires qui, après réflexion, ne tenaient pas tous debout. Et là il n’avait aucune idée de ce que pouvait cacher l’attitude de son frère. Pas avec cette phrase qui venait de détruire l’image qu’il aurait du se créer pour se faire prendre en pitié et attirer la compassion d’un être aussi doux que Tullio. Une phrase, quelques mots et toute l’explication logique tombait à terre. Et Tullio savait bien qu’il ne fallait pas aller imaginer que cette dite phrase avait été prononcée justement pour lui faire croire que ... non. Vu l’état d’Isaia ce soir, il n’était pas vraiment capable d’aller aussi loin puisqu’il était à peine apte à se tenir assis. Cette combinaison de facteurs, ce contexte, ces mots ... tout tendait à une seule et même conclusion : Isaia ne lui mentait pas. Il s’assagissait et tentait réellement de révéler le peu de naturel qui subsistait en lui. Et ça, malgré tout ce que Tullio pouvait bien dire, c’était plaisant.

Toujours est-il que le fait qu’il répète son envie de le voir ne le laissa pas indifférent. Puisqu’il venait de déduire la bonne foi de son frère, c’est qu’il avait réellement envie de le voir. Malgré le peu de confiance qu’il lui accordait, malgré les paroles pas vraiment tendres qu’il lui avait jetées à la figure lors de leur première rencontre, malgré les silences. Il ne l’avait pas vraiment invité à se revoir comme il l’avait laissé sous entendre, il faisait le mort et ignorait son numéro. Tullio était réellement sur la défensive en ce qui le concernait, trop méfiant pour s’ouvrir, mais là il prenait conscience que le masque qu’il avait toujours attribué à son frère venait de tomber. Isaia n’était plus qu’un petit frère triste, seul, complètement soûl et ayant besoin de la sécurité de son grand frère. Et même si Tullio aurait pu expliquer pendant des heures que si son frère, qui ne l’était d’ailleurs pas, était si seul ce n’était que de la faute de son comportement superficiel, peu importaient les raisons à ce moment là. Le corps du blondinet tremblait légèrement sous les effets de l’alcool. C’est là que Tullio alla lui chercher la bassine, que son frangin eut l’air d’apprécier. Et qu’il tenta de le soutenir avec des mots un peu maladroits.

- Je sais. Je sais que c'est égoïste... C'est vrai qu'il est mieux où il est... J'aurais juste vouloir être prévenu, lui faire une dernière gratouille derrière les oreilles ou sous le menton. C'est un pan entier de ma vie qui s'effondre... C'est pour ça que je voulais te voir, je me disais que tu comprendrais...

Tullio l’écouta sans rien dire, le regardant s’enfoncer dans un état qui n’avait rien de bien glorieux. Il s’accroupit juste devant lui, le fixant avec attention. Cherchant ces traces de supériorité, de fierté et de condescendance qu’il avait toujours détestées sur son visage. Mais les traits de son frère étaient complètement lâchés, détendus et pourtant pas vraiment esthétiques. Les pupilles dilatées, les yeux un peu irrités, le nez rougi et les lèvres un peu tremblantes. Tullio le regarda longuement avant de lui répondre, tentant de s’adoucir même si au fond il savait bien que tout ce qu’il pouvait essayer de penser n’entacherait jamais un discours qui, adressé à son frère, était toujours d’un réalisme détestable. Mais l’impression qu’il avait c’était que ce soir, rien que ce soir, il pourrait faire un effort. Demain, Isaia aurait sans doute tout oublié et ce serait tant mieux. Ou bien il croirait à un rêve. Alors oui, Tullio acceptait peu à peu l’idée de ne pas le mettre dehors ou de le faire dormir par terre.

- Commence pas à regretter où ça va te poursuivre. Contente-toi de te souvenir des bons moments passés à ses côtés. Je pense qu’il sait très bien ce que tu aurais eu envie de lui dire, mais s’il ne t’a pas attendu c’était peut être pour t’éviter de te voir te mettre dans cet état ...

Il le fixa encore un moment puis le débarrassa de son verre. Se dirigeant un instant vers sa chambre, Tullio en ressortit avec une couverture qu’il lui tendit. Un alcoolique avait toujours froid. Puis il alla fouiller dans un tiroir du grand meuble qui à lui seul habitait la pièce principale de son appartement. Il en sortit un album, puis un second et se dirigea en soupirant vers son frère, lui tendant.

- Tiens, tu y trouveras des photos de Mistral parmi toutes les autres. Papa a été un fou de la gâchette et c’est moi qui les ai prises en déménageant.

Pour se souvenir des bons moments qu’il essayait d’oublier, même si ces albums n’avaient pas été ouverts depuis des années, Tullio refusant d’accepter la part positive de sa vie avec son frère.

- Je reviens. Ne vomis pas, ordonna-t-il d’un ton impérieux avant d’aller chercher son téléphone.

Tullio prit quelques minutes pour s’excuser platement auprès de son patron par téléphone, justifiant une urgence familiale et lui assurant que sa nouvelle sommelière ferait bien l’affaire pour un soir. De toute façon il ne lui laissait pas le choix. Et enfin, il revint vers Isaia et s’assit à côté de lui, pas trop proche mais assez pour surveiller son état, notamment son visage qui menaçait à tout moment de pâlir de manière menaçante. Ce soir il jouerait le rôle du grand frère qu’il n’avait jamais été. Même si le sang qui coulait dans ses veines n’était pas le sien, et qu’il n’avait donc strictement aucune obligation envers cet homme. Ni compassion, ni empathie. Mais étrangement, ce soir Tullio ne se sentait pas totalement obligé de faire ça. Un peu, parce que voir quelqu’un dans cet état n’était jamais plaisant, mais pas suffisant pour le faire passer au dessus de la haine qu’il avait éprouvé pour son frère. Haine qui semblait tout à coup apaisée.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeMar 7 Fév - 8:11

Le canapé de Tullio était confortable. Vraiment confortable. Sa tête s'enfonçait dedans comme dans le plus mou des oreillers, et même la sensation de ce monde qui tanguait autour de lui comme s'il était sur un bateau lui était presque agréable. Un canapé, c'était le reflet d'un homme. Il se rappelait avoir lu ça dans un roman japonais qu'il avait acheté quelques mois auparavant. Le narrateur ne faisait pas confiance à ceux qui ne savaient pas choisir un canapé. La tête contre le dossier de celui de Tullio, au fin fond de ses pensées embrouillées, Isaia songea qu'il en ferait sa ligne de conduite, à partir de maintenant.

Qu'est-ce que le canapé révélait sur Tullio ? Il était grand, il était confortable. Ce n'était pas un canapé acheté au rabais, avec des coussins d'une dureté ignoble et des accoudoirs et un dossier à s'en péter la colonne vertébrale. Non, Tullio avait choisi un canapé qui mettrait ses invités à l'aise, qui leur donnerait envie de se rouler dedans avec un soupir de bonheur. Tullio était du genre attentionné. Doux comme ses coussins. Quand il serait un peu plus lucide, et qu'il serait rentré chez lui, Isaia rachèterait un nouveau canapé... en attendant de voir s'il pouvait se racheter une nouvelle personnalité.

Bon, et puis, pourquoi il faisait une fixette sur ce canapé, d'ailleurs ? Il y avait des choses autrement plus intéressantes à voir dans cette pièce. Enfin... "voir" étant un bien grand mot, vu l'état de décomposition avancé dans lequel il se trouvait. Ressentir collait certainement mieux à la situation. Apercevoir aussi, peut-être.

Ce qu'il pouvait apercevoir, c'était le visage de Tullio qui l'écoutait, et ce qu'il pouvait ressentir, en dehors des relents de menthe de sa boisson, c'était que l'autre faisait vraiment attention à lui. Et ça, c'était étrange. Soit, il avait plus ou moins forcé l'entrée de son appartement, mais il aurait pu le laisser choir sur son canapé sans y accorder d'attention. Mais non. Il lui avait apporté une boisson, il lui avait apporté une bassine, et il lui accordait son attention... sans avoir l'air d'émettre de jugement négatif sur son état. Comme il regretta de ne pas être sobre pour pouvoir profiter de cet ultime honneur à sa juste mesure... Imbécile, Isaia. Imbécile.

Ce qu'il ressentit aussi, ce fut le changement d'humeur de Tullio lorsqu'il rectifia sa phrase. En fait, c'était même plutôt dur de ne pas le ressentir, étant donné qu'il eut subitement l'impression qu'un courant d'air glacial venait de tomber sur lui. Ou alors, est-ce que c'était juste parce qu'il avait effectivement froid ? Difficile à dire. Quoi qu'il en soit, la voix sèche de Tullio frappa ses oreilles avec une netteté surprenante, compte tenu de son état.

"Je vois que tu continues de dire ce qui t’arrange."

Eh oui. Ce n'était même plus une habitude, là, ça tenait carrément du réflexe conditionné. Une partie intégrante de sa personnalité d'intrigant. Et à vrai dire, lorsqu'il s'agissait d'autres personnes que son frère, il s'en cognait un peu... Mais Tullio avait toujours été scandaleusement honnête avec lui, et il avait décidé que ça ne coûtait rien de lui rendre la politesse.

Bon, peut-être pas à 100%, parce qu'il y avait des choses qu'il valait mieux passer sous silence, et ça s'appelait de la diplomatie. Tullio n'avait par exemple aucunement besoin de connaître les pensées dérangeantes qu'Isaia avait nourri en le voyant en petite tenue - oui, trouver son frère bien gaulé, c'était dérangeant, surtout quand on était soi-même un mec parfaitement hétéro - et il n'avait pas non plus besoin de savoir que son honnêteté se limitait aux choses qui ne compromettraient pas définitivement le début de renouveau de leur relation fraternelle, par exemple le fait que la mignonne serveuse du restaurant de la fois dernière, avec qui son frère avait confié avoir un ticket, n'avait pas échappé à son regard - et que s'il n'avait rien fait, eh bien, c'était juste par égard pour lui.

Quelque part, quand on le connaissait, c'était plutôt à son honneur de s'être écarté du chemin juste pour le bien de son frère, mais il était certain que Tullio ne le prendrait pas de cette façon-là.

Quoi qu'il en soit, la remarque de Tullio ne le vexa pas - il était bien conscient que c'était la vérité - et il étira un sourire paresseux de soûlard sur ses lèvres. Honnêteté, honnêteté. Garder ça à l'esprit avant d'enjoliver la situation une nouvelle fois.

- J'ai du mal à ne pas tomber dans ce petit travers, admit-il en ayant quelques difficultés à articuler. Mais j'essaye de m'améliorer... Après tout, je suis déjà au plus bas de ton estime, la franchise ne risquera plus de noircir encore le tableau.

Bon, quoi que s'il y réfléchissait bien, il n'en était pas totalement persuadé... Ou plutôt, c'était peut-être lui qu'il voulait convaincre. On pouvait facilement montrer des trésors de ressource dans la haine, et peut-être que Tullio en avait encore sous le pied... Mais il osait espérer que non. Que seul un vrai coup de pute du niveau de celui du lycée pourrait lui faire dévaler ces niveaux d'hostilité. Pas sûr, tout de même.

Il lui restait la possibilité que Tullio soit séduit par son honnêteté. C'était peu probable, vu que rien ne trouvait grâce à ses yeux quand il s'agissait d'Isaia, mais il savait pertinemment que les mensonges et le côté hypocrite de sa personnalité était ce que son frère détestait le plus, chez lui - alors s'il faisait l'inverse, qui sait, peut-être que ça avait une petite, une toute petite chance de marcher ?

Ha ! Non mais de quoi il rêvait, là ? C'était Tullio qui était en face de lui, pas un simple mec lambda à la personnalité de base. Et quelque part, il n'avait pas envie de le manipuler. Il aurait pu déployer des trésors d'imagination pour lui faire miroiter une personnalité créée de toutes parts, celle du petit frère repentant et redevenu charmant, et il ne doutait pas que s'il s'y mettait avec assez d'acharnement, Tullio aurait fini par lui manger dans la main, peu importe le temps que ça aurait pris. Mais ce n'était pas ce qu'il voulait. Son but, c'était surtout d'instaurer une relation basée sur la confiance. Repentant, il l'était. Charmant, c'était une autre paire de manches. S'il voulait que ça fonctionne, il fallait que Tullio apprenne à l'accepter comme il l'était, avec les défauts qui allaient avec (et il y en avait un paquet). Mais "manipulateur" ne ferait pas partie du lot... Du moins, pas avec lui. Il fallait repartir sur de bonnes bases.

Et puis au fond, Tullio essayait quand même de communiquer avec lui. C'était peut-être qu'il avait une chance... Et il était touché, quelque part. Dans la partie de son cerveau qui ne se noyait pas dans l'alcool.

"Commence pas à regretter où ça va te poursuivre. Contente-toi de te souvenir des bons moments passés à ses côtés. Je pense qu’il sait très bien ce que tu aurais eu envie de lui dire, mais s’il ne t’a pas attendu c’était peut être pour t’éviter de te voir te mettre dans cet état ..."

Isaia resta silencieux, réfléchissant à ce que Tullio venait de lui dire. Bon, il était peut-être beurré (et même bien beurré!) mais il ne pensait tout de même pas que Mistral ait pu décider d'un truc comme ça juste pour ses beaux yeux. C'était un chien, hein, fallait pas pousser la réflexion trop loin... Il était adorable avec ses grands yeux, mais il était aussi un peu bête et naïf, comme la plupart des chiens, et décider de mourir en l'absence d'Isaia pour ne pas lui faire de peine, c'était un peu lui attribuer des super pouvoirs, là.

Mais c'était tellement adorable à Tullio de dire ça qu'Isaia n'envisagea même pas de se moquer gentiment de lui. Il leva les yeux vers lui - ah, foutue alcoolémie qui l'empêchait de voir clairement - et un instant, il eut l'envie très, très étrange de passer sa main sur sa joue, pour le remercier. Pourquoi sur sa joue ? Aucune idée. L'affection, ça vous avait des élans qui ne se commandaient pas... Mais il n'y avait pas à s'inquiéter. Son taux d'alcool dans les veines et toute la volonté qu'il rassembla se combinèrent suffisamment bien pour que son bras ne fasse même pas un tout petit mouvement.

Par contre, il ne put retenir le sourire attendri qui naquit sur ses lèvres - bon sang, efface-moi ça tout de suite, il va vraiment prendre peur ! l'invectiva son cerveau - mais il avait fait de son mieux pour ne pas bouger son bras, c'était trop lui demander d'arrêter de sourire. Avec un peu de chance, il avait été faible et Tullio ne l'avait pas vu. On pouvait toujours espérer.

Et puis, la première phrase de son frère attira son attention. Commence pas à regretter ou ça va te poursuivre. C'était donc comme ça que fonctionnait Tullio ? Lui, son mode d'action était simple. Il n'avait pas envie de regretter, alors il faisait tout ce qu'il lui plaisait. Généralement, ça marchait plutôt bien ; ça ne laissait jamais de regrets.

Quoi que - à bien y réfléchir, cette histoire avec Tullio, au lycée, lui en avait laissé. Le plus étrange, c'était que sur le coup, il s'en était senti pleinement satisfait, enchanté de lui avoir joué le coup le plus foireux de sa vie, et les regrets ne s'étaient montrés que bien des années plus tard, quand il s'était rendu compte à quel point le bateau de leur relation était en train de couler. Ouaip - le seul véritable regret de sa vie, c'était celui là.

- Je ne suis pas du genre à regretter, répondit pensivement, sans sourire. Ce n'est pas dans mon style de vie. Je fais les choses pour ne pas regretter après. Généralement ça marche, sauf avec toi... Mais bon. Pour Mistral... je suis extrêmement triste, mais ce n'est pas comme si j'aurais pu y faire quelque chose, de toute façon... Non ?

Il ne réalisa pas l'énormité qu'il avait dite à propos de son frère. Ça, par exemple, c'était peut-être le genre de choses à passer sous silence si on ne voulait pas passer pour un obsessionnel du frangin. Ce qu'il était, ces derniers temps. Il ne réalisa pas non plus qu'en disant ce genre de phrase non réfléchie, en disant qu'il menait sa vie de façon à ne rien regretter, il passait pour un connard doublé d'un arrogant. Bref, il ne réalisa rien du tout, hébété par l'alcool, et c'était peut-être tant mieux - ce qu'il ignorait ne pouvait pas lui faire de mal. Bien sûr, si Tullio le mettrait à la porte, il ne comprendrait pas, mais... Il y avait tellement de choses qu'il ne comprenait pas à propos de Tullio. Une de plus...

Puis son frère disparut à nouveau de la circulation. Cette fois-ci, comparé à la fois dernière, il fut plus prompt à le réaliser. Et une masse douce et confortable s'abattit sur ses épaules, tandis qu'en parallèle, il vit Tullio lui tendre quelque chose. Des livres. Non, des albums.

"Tiens, tu y trouveras des photos de Mistral parmi toutes les autres. Papa a été un fou de la gâchette et c’est moi qui les ai prises en déménageant."

Une minute - alors non seulement, il prenait le soin de lui mettre une couverture sur les épaules, mais en plus, il était carrément prêt à lui jouer la comédie de la famille heureuse qui ouvrait les albums photos ? A ce point ? Isaia le contempla avec ahurissement. Qui était-il, qu'avait-on fait de son frère ? Est-ce qu'il était vraiment prêt à ouvrir un album qui devait, en plus du chien, sûrement contenir d'autres péripéties peu glorieuses, qui leur rappellerait leur passé litigieux ? Il était prêt à affronter ça de face ? Ou alors c'était une provocation ?

"Je reviens. Ne vomis pas."

Ah, il le laissait regarder tout seul, ça expliquait tout. Et puis c'était tant mieux, c'était un peu moins embarrassant comme ça. Regarder des photos avec son frère... S'il avait su en se pointant ici, la gueule enfarinée, que la soirée finirait sur l'ouverture d'un album photo et la contemplation des souvenirs, il se serait peut-être un peu mieux préparé mentalement. (Enfin quoi que dans l'état, c'était certainement impossible.)

Quant à vomir, il se sentait en mesure d'affirmer que ça allait mieux, maintenant. Le temps et la boisson avait combiné leurs effets, et même dans sa tête, ça ne tanguait plus autant qu'avant. Bon, évidemment, il serait malheureux d'ouvrir les albums et de tout gerber dessus, alors il fallait qu'il continue à faire attention, mais...

Il ouvrit la première page, et contempla avec une sorte de stupéfaction les clichés, qui lui renvoyaient un temps où tout était beaucoup moins prise de tête. C'était pas évident de se concentrer sur les images, mais quelque part, c'était amusant. Lui petit et Mistral chiot... Lui et Tullio, les deux garnements - ou plutôt, le garnement et le bouc émissaire, s'il voulait être vraiment honnête avec ce qu'il voyait. En voyant les clichés, qui témoignaient pleinement de leur relation déjà bancale à l'époque, Isaia tourna la tête vers Tullio, qui était revenu s'installer à côté de lui, maintenant toutefois une certaine distance de sécurité entre eux.

- Pourquoi t'as pris les albums photos avec toi ?

Pourquoi il ne les avait pas laissés croupir au fond de la maison paternelle ? Si encore, il n'y avait pas eu les photos d'Isaia à l'intérieur, il aurait compris qu'il veuille garder une trace des bons souvenirs qu'ils avaient avec leurs parents, mais le blond était là, sur presque tous les clichés, en digne obsession des parents qu'il avait été. Isaia ne pouvait pas croire que Tullio avait voulu garder une trace de lui, même si c'était dans un album qui prenait la poussière, dans un placard fermé à double tour. Les raisons lui échappaient.

Enfin, beaucoup de choses lui échappaient quand il s'agissait de Tullio, mais là, il ne comprenait vraiment pas. S'il avait osé, il lui aurait fait une blague, et dit d'un ton taquin "Est-ce qu'il se pourrait qu'en fait, tu ne me détestes pas vraiment ?" mais il était certain qu'une réaction du genre lui aurait fait prendre la porte l'instant d'après, et si possible, il préférait éviter.

- Tu... Se pourrait-il... qu'en vrai, tu ne me détestes pas vraiment...? souffla-t-il, les yeux écarquillés.

Merde. C'était la même phrase, là, non ? Sauf que l'intonation changeait drastiquement. Il ne l'avait même pas vu venir, ce coup d'être si sérieux. D'où ça partait, d'abord ? Et puis, qu'est-ce que c'était que cette bouffée de stress qui lui emplissait les poumons, d'un coup ? Son frère le détestait. C'était un fait avéré. Et ces albums, s'il les feuilletait, il devait certainement le faire en cachant les photos où il apparaissait. Pas d'espoir. Non. Il regrettait d'avoir formulé la phrase, il regrettait d'être tant à l'affût de la réponse, et il regrettait aussi les conséquences qui découleraient inévitablement.

Il ne voulait pas être mis à la porte... Pas maintenant, alors que Tullio était si gentil avec lui. Il voulait que ça dure encore un peu.
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Tullio Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeLun 13 Fév - 16:22

Malgré tout, le regard de son frère le dérangeait. Peut être parce qu’il était saoul, en tous les cas Isaia avait une netteté étrange dans les yeux, surprenante au vu de son état. Comme s’il se raccrochait à ce qu’il voyait le mieux, comme s’il ne voyait que son frangin. Et ça, Tullio le sentait de plus en plus. Et, détestant être mal à l’aise, cela contraignit le jeune homme à détourner les yeux, fuyant l’inquisition et la sincérité qu’il voyait dans ceux d’Isaia. Tullio ne voulait pas voir son honnêteté, il ne voulait pas comprendre ses propres tords et accepter le repentir de son frère. Non, lui il voulait simplement continuer à lui en vouloir tranquillement, à avoir des idées préconçues sur un comportement qu’il avait toujours eu, plutôt que de tout remettre en question après tant de désillusions. Il n’espérerait plus voir son frère faire un geste dans sa direction, et maintenant le doute guidait chacune de ses réflexions et agissait comme un facteur logique dans sa vision des choses, et encore plus dans la vision qu’il avait du saoulard affalé sur son canapé. Et, si malgré tout ce qu’il pouvait bien dire Tullio faisait des efforts pour voir les bons côtés d’Isaia et chercher de quoi justifier une deuxième chance ... eh bien chaque tremblement le faisait reculer et freiner des deux pieds. Son aveu en faisait partie, et malgré sa maigre tentative de s’excuser, Tullio gardait en mémoire. Oui, il essayait de s’améliorer ... Est-ce qu’il ne pouvait plus tomber plus bas ? Tullio ne savait pas vraiment où en était son frère dans son estime, alors juger de sa progression relevait du défi. Il ne voulait pas y penser pour l’instant, pas alors que réaliser à quel point Isaia était bas et irrécupérable l’obligerait à le mettre dehors pour passer une bonne nuit. Il se refusait à le faire, pour une fois. Une seule fois.

Il ne répondit pas à son excuse, se contentant de hocher la tête pour lui montrer qu’il prenait note. Toutefois, il était vrai que cette franchise avant un petit goût de nouveauté pas vraiment désagréable. C’était nouveau. Et si ça n’était pas des plus extraordinaire, pour Tullio c’était important malgré tout. Il ne voulait en aucun cas se laisser encore avoir avec ses magouilles, et là il venait d’y replonger tête baissée ... S’il affirmait que son discours serait plus franc, alors cela ne pouvait que rassurer le jeune homme, qui préférait pourtant rester sur ses gardes. Ne pas se faire avoir, surtout pas, pas comme les autres. Pourtant il comprenait bien pourquoi les autres tombaient. Ce sourire, qui paraissait à chaque instant le plus véritable qui soit. Mais, étrangement, le visage de Tullio se rembrunit un peu en le voyant sourire. Non, ce visage il l’avait offert à tout le monde avant lui, il s’en servait pour construire sa vie parfaite et Tullio ne voulait pas en faire partie. C’était le leurre qu’il montrait à tout le monde pour attendrir les cœurs et convaincre les plus réticents. Mais hors de question de lui dire qu’il détestait ce sourire, parce qu’alors il n’en userait plus et Tullio ne pourrait plus déceler ses tendances naturelles à vouloir le séduire comme il le faisait totalement inconsciemment. Isaia manipulait comme il respirait, du moins était-ce l’intime conviction du jeune sommelier, et la raison principale de son incommensurable méfiance envers son frère. Il ne pouvait se fier à son sourire. Jamais.

- Je ne suis pas du genre à regretter. Ce n'est pas dans mon style de vie. Je fais les choses pour ne pas regretter après. Généralement ça marche, sauf avec toi... Mais bon. Pour Mistral... je suis extrêmement triste, mais ce n'est pas comme si j'aurais pu y faire quelque chose, de toute façon... Non ?

- Non. Il allait mourir de toute manière. T’as juste l’alcool triste.

Pour pas dire pitoyable. N’achevons pas un homme à terre ... Tullio ne releva pas la réflexion qui lui était destinée, fuyant son regard un instant. Ah oui, il regrettait ? Tullio aussi regrettait que cela ce soit passé comme ça. Toute une vie. Seulement, il se doutait bien que son frère ne regrettait pas l’intégralité de son existence, aussi ne put-il s’empêcher de laisser échapper une question dont il se serait bien passé.

- Et qu’est-ce que tu regrettes, au juste ?

Si c’était seulement de le voir éloigné, et pas son comportement ? Si c’était la bourde de trop, Isaia préférant retrouver leur relation précédente, où Tullio faisait office de gentil serviteur docile ? Autant de questions qui ne trouvaient pas de réponse, si ce n’est dans l’interrogation qu’il venait de formuler bien malgré lui. Décidément, il n’arrivait pas à se taire devant Isaia. Et ça le rendait faible, parce que chercher à savoir quelque chose, poser une question, pour Tullio c’était s’intéresser. C’était chercher à comprendre celui qu’il s’était juré de garder à distance. Et donc, devenir faible. Il eut le temps de réfléchir à tout cela avant de revenir, le trouvant feuilletant le premier album. Tullio voyait bien qu’il ne comprenait pas, qu’il se demandait ce qui se passait par la tête de ce frère qui ne l’aimait pas. Bonne question, ah ah ah. Encore une. Il avait juste eu envie de lui donner des photos de Mistral ... oui, c’est ça. Ça lui remonterait peut être le moral, et dans le cas contraire eh bien au moins il aurait fait quelque chose de gentil pour son frère. C’était déjà beaucoup, surtout avec la couverture, la boisson, la bassine. Il fallait s’arrêter maintenant.

- Pourquoi t'as pris les albums photos avec toi ?

Tullio mit un moment à répondre. Il se contenta tout d’abord de sonder le regard qui le fixait. Cela faisait bien longtemps que Tullio n’avait pas vu Isaia d’aussi près. Surtout que, l’alcool aidant, le jeune homme semblait totalement sans défense. Alors que d’ordinaire il subsistait toujours une protection, qui cachait le véritable Isaia aux yeux du monde. Celui que Tullio ne connaissait que trop bien et qui pourtant n’apparaissait pas ce soir. Car s’il ne portait pas son frère dans son cœur, il était évident que le jeune homme était attentif à la moindre chose le concernant. Il décryptait ses attitudes, lisait entre ses lignes et cherchait à comprendre le piège dissimulé sous le beau papier cadeau. C’était une habitude, et pour cela il fallait le regarder, souvent. Mais pas d’aussi près. Une fois habitué, bien qu’il ait un mouvement de recul histoire de se rassurer, Tullio finit par répondre.

- Parce que Paola m’a obligé à les prendre. Parce que j’aime bien me souvenir de ta connerie, ça me permet de pas oublier que je peux pas te faire confiance ...

Chaque affirmation avait une part de vrai. Mais la dernière phrase était prononcée avec beaucoup moins de rancune que prévu. Il y aurait du y avoir de la haine, Tullio n’y voyait qu’une constatation presque teintée de regret. Et cela ne lui convenait vraiment mais vraiment pas. C’était un fait, il ne lui faisait pas confiance. Et au moins, cette vérité rétablirait un peu la balance de sa gentillesse qui était dangereusement en train de pencher en sa défaveur ...

A vrai dire, ces photos, Tullio les connaissait par cœur. Il avait pris ces albums pour avoir des photos de ses parents, mais pas uniquement. Il avait également besoin de voir son frère de temps en temps, même derrière un bout de plastique qui reflétait l’adorable angelot qu’il était alors. Toujours souriant, dans sa blondeur auréolée d’un sourire. Il en avait besoin parce que toutes ces années sans le voir ne lui laissaient que le choix de l’imaginer, ou de se souvenir. Et Tullio ne voulait pas se tromper. Il avait besoin de voir cette tête innocente, ne serait-ce que pour pester sur un frère qui ne pouvait plus prendre ses critiques de plein fouet. Après une mauvaise journée cela lui arrivait souvent d’ouvrir un album, le poser sur ses genoux et d’insulter un à un tous les clichés qui le composaient. C’était stupide et inutile, certes. Mais cela lui faisait réellement du bien, apaisant sa rancœur. Verbaliser était une chose importante pour Tullio qui ruminait bien trop, son crâne se remplissant chaque jour de trop d’informations et de ressentis. Il lui fallait exprimer certaines choses et il ne pouvait le faire que face à quelqu’un qui l’écouterait. Qui accepterait son mauvais caractère et ses habitudes de gueuler à tout va. Quelqu’un comme Isaia, qui avait finalement aperçu cette part de lui, colérique, impulsive et totalement irrationnelle. Il connaissait le Tullio qui s’énerve, qui rentre dans une rage folle. Il pouvait l’accepter, parce que au final, c’était tout de même son frère.

Et crier sur une photo le détendait étrangement. Il avait ses préférences, néanmoins. Il se défoulait de bon cœur sur un cliché qui datait de l’époque maudite du lycée, les représentants tous les deux à leur rentrée scolaire commune. Tullio crispé et guindé dans sa chemise blanche qui ne lui allait pas vraiment, rentrée dans un pantalon trop serré et la raie bien marquée. Tellement suintant du stress de se retrouver avec son frère qu’on en voyait une trainée de sueur sur son front. Et à côté, le jeune Isaia habillé de la même manière mais qui n’avait pourtant rien à voir avec son prédécesseur. Il était « cool » et véritablement attirant dans sa chemise de marque, portée négligemment par-dessus un pantalon parfaitement coupé et ajusté au millimètre près. Le tout relevait sa silhouette, idéale pour un adolescent, et sa coiffure artistiquement travaillée laissait transpirer une seule chose : la confiance en soi. Ce garçon qui, pourtant plus jeune, paraissait plus sûr et plus âgé que son ainé, avait fanfaronné au moment de prendre la photo en question. Il avait fallu attendre qu’il vérifie les moindres détails de son apparence, alors qu’il avait l’air totalement naturel et décontracté sur le papier. Cette photo, Tullio la détestait. Cela lui faisait trop ressentir le fossé qui avait toujours creusé son propre manque de confiance. Celui où il mettait joyeusement sa haine pour son frère et tous les reproches qu’il lui adressait. Se débarrassant des remerciements et des bons souvenirs.

Ils étaient trop différents, et cette image lui rappelait de manière inexorable que ce frère n’était pas à lui, qu’il n’était rien de plus qu’un inconnu qui avait vécu dans le mensonge d’une affection fraternelle qui n’avait jamais existée. Le sourire d’Isaia, ce jour là, signifiait tout le peu de considération qu’il avait envers Tullio, et toute la nonchalance dont il faisait preuve à son égard. Comme on ignore un meuble, il avait fait un pas en avant au moment du déclic, si bien qu’on ne voyait presque que lui. C’était sur ce sourire de crétin que Tullio délivrait ses mots les plus forts et les plus haineux, et les bords abîmés en témoignaient sans hésitation. Il y en avait pourtant qu’il fuyait, comme celle prise la veille de son accident dans les escaliers ... Ou encore celles où on voyait sur le visage de Tullio l’envie et l’adoration refoulée qu’il vouait à son frère. Car si le jeune homme avait tant détesté ce cadet si parfait, c’est également par jalousie, parce que lui n’avait pas tous les privilèges de l’enfant prodige, de la perfection incarnée. Ces seules traces de l’espoir qu’un jour son petite frère l’admirerait à son tour, les seuls preuves qui montraient qu’il avait un jour été faible au point d’avoir envie de se rapprocher de cet être que tout le monde aimait. Tout ça pour en arriver là, aigri et méfiant. Voulant à tout prix se protéger de l’autre, de celui qui l’avait finalement fait souffrir. Ne voulant plus vivre ça de la part de quelqu’un qu’il avait aimé, Tullio refusait maintenant qu’il ne s’approche trop. La meilleure défense, aux yeux de Tullio, c’était l’attaque. Les mots blessants, la vérité toute nue, sans fioritures, sans enrobages. C’est ce qu’il avait toujours voulu pouvoir dire à son frère pour le maintenir à distance. Et voilà qu’il revenait tout de même. Pire, Tullio commençait à accepter cette idée ...

Le jeune homme sentait bien que tout cela n’avait rien de la meilleure idée qu’il ait jamais pu avoir. Il aurait du le rejeter, comme avant, et l’envoyer loin de lui avec ses mots acides et ses accusations, fondées mais ne se basant que sur une partie de la réalité. Et ce soir il l’aurait sans doute encore fait, si l’état de son frère ne réveillait pas inconsciemment en lui une attitude qui se voulait presque protectrice. Tullio n’avait pas l’envie de le laisser là, et il ne pouvait pas vraiment lutter contre. Car malgré tout ce qu’il pouvait en dire, Isaia avait vécu de nombreuses années avec lui et cela ne disparaissait pas aussi facilement. Tullio ne pouvait pas effacer les sourires qu’il avait tentés de faire au petit bambin, ne pouvait oublier la joie qu’il avait eu à le tenir dans les bras. La satisfaction pourtant trop humble de pouvoir jouer avec lui de façon privilégiée alors que tous les enfants se battaient pour l’obtenir. Evidemment, enfants les deux frères arrivaient encore à partager ce lien qui les unissait malgré les crasses d’Isaia et en dépit de sa perfection écœurante. En grandissant, tout avait mourut dans le cœur de Tullio, et il ne voulait plus que quiconque essaie d’y planter quoi que ce soit. Encore moins celui qui s’était permis de le décevoir plus que n’importe qui. Alors oui, ces photos il les regardait souvent pour se satisfaire de ces souvenirs, pour se rappeler pourquoi il détestait son frère, pour s’y défouler. Mais aussi, quelque part, parce que sa présence innocente lui manquait. Son égoïsme, son entièreté. Isaia était unique dans sa vie, et que ce soit en bien ou en mal, Tullio devait bien prendre conscience de cela. Il ne pourrait sans doute jamais vivre en l’excluant totalement de son existence.

- Tu... Se pourrait-il... qu'en vrai, tu ne me détestes pas vraiment...?

Ah. Ça, il ne s’y attendait pas. Tullio se leva aussitôt, se doutant bien de ce qui allait suivre. Pour changer, il serait incapable même avec toute la bonne volonté du monde de lui mentir. Mais à bien regarder, avec son visage qui hésitait à espérer et sa voix qui ne savait plus bien si elle devait se montrer enjouée ou résignée... Peut être n’avait-il même pas envie de lui mentir. Même si cela serait nettement plus commode. Evitant de le regarder, Tullio fit mine de vouloir partir dans une autre pièce mais ses pieds étaient comme collés au sol. C’est d’une voix pas vraiment assurée qu’il dut finalement lui répondre, murmurant presque.

- Ça dépend des moments. C’est facile de te détester au moins, surtout que j’ai de quoi. Mais là j’ai ... Il essayait vraiment de retenir les mots mais ils filaient tous seuls entre ses lèvres. J’ai plus de mal. Et puis t’es à moitié mort, alors pour une fois je peux bien ...

Il ne finit pas sa phrase, puisqu’il ne savait même pas quoi mettre derrière. Ses joues se colorèrent d’une teinte qui mélangeait sans doute gêne et colère. Il aurait aimé lui en coller une, mais ce n’était pas dans ses principes de faire ça alors qu’Isaia n’avait aucune chance de se défendre. Ce ne serait que juste revanche, puisque son frère abattait lentement mais sûrement ses propres murailles de confiance, de froideur et d’ignorance. Si seulement il faisait un faux pas qui amène Tullio à le haïr définitivement, trahi dans la promesse qu’il avait faite de se racheter. Au moins il n’y aurait plus de retour en arrière possible ...

- Oh et puis tu m'emmerdes avec tes questions ! De toute façon ça change rien !

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Isaia Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeMar 14 Fév - 4:42

Quelque part dans la discussion, Isaia se rendit compte que le flou devant ses yeux s'estompait de plus en plus. Grâce à la boisson que son frère lui avait donnée ? La nausée s'était estompée, et si dans sa tête, ça tanguait encore, au moins il parvenait à distinguer avec plus de lucidité ce qui l'entourait, et ses pensées étaient un peu moins confuses. Assez lucides, même, pour que lui vienne en tête la question dont il se serait bien passé : *Mais... Qu'est-ce que je fous là, moi ?*

La fameuse question du "qu'est-ce que je fous là". Celle qui jetait indéniablement un froid sur ce qu'il était en train de faire à chaque fois qu'elle apparaissait. Boire, coucher avec une fille - mais... qu'est-ce que je fous là, déjà ? S'ennuyer en boîte. Écouter un collègue parler. C'était la question redoutable. Si Isaia était capable de se la poser en cet instant, c'était qu'il était déjà bien redescendu.

Généralement, se poser LA question lui donnait envie de fuir à toutes jambes, et cette fois-ci, il n'y coupa pas. Il réalisa subitement dans les grandes largeurs qu'il était assis dans le salon de Tullio à raconter des inepties depuis un bon moment, déjà, et qu'au lieu de gagner des points dans l'esprit de son frère, il ne faisait qu'en perdre. Bien sûr, s'il avait été du genre très optimiste, il aurait pu prendre le fait que Tullio soit attentionné envers lui comme une preuve que son frère ne le détestait plus, mais il était réaliste plutôt qu'optimiste, et il savait bien que si l'autre ne l'avait pas encore mis à la porte, c'était parce qu'il était pitoyable.

Vraiment pitoyable, ouais...

"Non. Il allait mourir de toute manière. T’as juste l’alcool triste."

Ça aussi. Une première. Isaia qui avait l'alcool triste... Si ses potes de beuverie avaient entendu ça, ils s'en seraient tapé le cul par terre. D'habitude, il était plutôt du genre extraverti, désinhibé et parfois violent (quand il était de mauvaise humeur, ça), il était capable de se retrouver en calbut sur une table à danser sur les Démons de Minuit dans un bar rétro... Mais le Isaia pleurnicheur et geignard qui était assis sur le beau canapé de Tullio, c'était la première fois qu'il le voyait, celui-là. Est-ce que c'était juste dû à la présence de son frère ? Possible...

"Et qu’est-ce que tu regrettes, au juste ?"

Qu'est-ce qu'il regrettait ? Il venait de le dire. Rien. Ce n'était pas son style de vie.
Wow, une minute... Il avait aussi dit qu'il ne regrettait rien, sauf ce qui avait trait à Tullio. Et ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd... Il s'en serait mangé les lèvres pour s'empêcher de parler.

Qu'est-ce qu'il regrettait...? Des tas de choses, ça oui. Est-ce qu'il valait mieux jouer sur la sincérité ou essayer de gagner des points par la manipulation ? Le choix était vite fait. Sincérité, bon sang, il se l'était promis cinq minutes plus tôt. Ce n'était pas pour déjà revenir sur sa parole.

Bon. Sincérité, donc.

- Je regrette des tas de choses... Je regrette qu'on en soit arrivés là où on est aujourd'hui. Si je n'avais pas été l'odieux connard que j'ai été, peut-être qu'on aurait pu passer des soirées ensemble à jouer aux jeux vidéos...

Décidément, elle était pas prête de le lâcher, cette fixette sur les jeux vidéos...

- Mais il y a eu la fois où je t'ai poussé dans les escaliers, la fois où j'ai cassé ton jeu vidéo préféré, la fois où j'ai dit aux parents que c'était toi qui avais cassé le vase de porcelaine de Chine que Papy nous avait laissé, la fois où j'ai mis ton premier portable dans l'eau du bain pour voir s'il flottait... Et cette fois-là au lycée...

Bon sang, il se rappelait vraiment de tout ça... et de la liste encore longue qui attendait derrière. Impressionnant. Un sourire amer naquit sur ses lèvres, et il ajouta :

- Waouh... Je ne sais même pas comment ça se fait que tu me laisses poser mes fesses sur ce canapé. Enfin... Voilà ce que je regrette. Je regrette tout ça. Je suis sincère, ajouta-t-il en levant les yeux vers Tullio pour chercher son regard. Je regrette vraiment tout ce que j'ai fait...

Maintenant qu'il y pensait, pourquoi est-ce qu'il avait seulement fait tout ça ? Ça ne pouvait pas juste relever d'un esprit retors, sinon il s'en serait pris à tous ceux qu'il jugeait plus faible que lui. Mais Tullio était le seul à avoir pris de plein fouet toutes ses machinations, ses manipulations, ses coups tordus et puants. Juste Tullio. Est-ce que c'était juste une façon qu'avait le petit Isaia de faire en sorte que son grand frère pose les yeux sur lui ? Si c'était vrai, ça relevait vraiment d'une personnalité bien tordue. Il s'en voulait. Et il regrettait aussi d'avoir tout dit à voix haute : déballer la longue liste de ses méfaits devant Tullio était certainement loin d'être une bonne idée, quand on voulait obtenir son pardon définitif. L'imbécile.

Décidément, la situation lui apparaissait de plus en plus désespérée. Il faisait des efforts, il faisait vraiment de son mieux, mais en face de lui, c'était évident que Tullio n'avait envie que de le voir disparaître. Au fond, tout ce qu'il faisait, c'était encore une belle preuve d'égoïsme. Il voulait faire les choses à sa façon. Son frère lui manquait, alors il avait décidé de remuer ciel et terre pour renouer avec lui, sans se rendre compte que lui, il ne manquait pas à Tullio... Et que le mieux, pour Tullio, c'était qu'il reste à distance. On disait souvent que lorsqu'on aimait quelqu'un, on lui souhaitait le mieux, pas vrai ? Même si ce mieux signifiait de s'effacer. Si Isaia n'avait pas été aussi égoïste, c'était ce qu'il aurait dû faire. S'effacer. Laisser Tullio vivre sa vie. Après tout, c'était Isaia le responsable de cette situation, et si Tullio ne voulait plus le revoir, c'était une croix qu'il devait porter, et dont il n'avait pas à se plaindre. Mais avec son tempérament d'en vouloir toujours plus...

Mais il y avait ces albums, qu'il gardait... Si son frère le haïssait vraiment, il ne les garderait pas... si ?

"Parce que Paola m’a obligé à les prendre. Parce que j’aime bien me souvenir de ta connerie, ça me permet de pas oublier que je peux pas te faire confiance ..."

Ouais, si, en fait.
Un autre sourire amer tordit les lèvres d'Isaia, qui se demanda fugitivement pourquoi il était venu ici. C'était quelque chose de baisser la tête en tentant de faire amende honorable, et c'était autre chose d'être à terre et de continuer à se faire frapper. Heureusement qu'il avait laissé son orgueil à la porte, parce qu'on pouvait briser un homme pour moins que ça. Il se demanda vaguement jusqu'à quel moment il supporterait de tendre le bras pour ne recevoir que des coups de bâtons en échange. Ça faisait mal, quelque part...

- Oui, forcément, dit-il à voix basse. Suis-je bête.

Il n'y avait qu'à voir l'état de ses photos. Toutes abîmées, alors qu'elles étaient conservées dans un bel album... Tullio ne devait certainement pas les regarder pour se remémorer le bon temps.

Un instant, il eut vraiment envie de se lever et de s'en aller, mais deux choses l'arrêtèrent dans son mouvement : déjà, il n'était pas certain que ses jambes puissent réellement lui permettre de marcher, en l'état ; et puis, il n'était pas encore arrivé à la limite. Il pouvait encore supporter les coups. Il les supporterait jusqu'à ce qu'il devienne évident que ce n'était plus possible de tenir... Il était égoïste, oui. Tant pis.

Mais cette histoire de confiance... Maintenant, maintenant il pouvait le faire. Il pouvait lui faire confiance. Mais c'était des années trop tard pour lui dire quelque chose comme ça...

Avec un geste de lassitude, il referma l'album. Finalement, il ne voulait plus voir ça. Mistral, son frère... Tout ce passé éclaté qu'il avait sous les yeux, même bourré, c'était trop, en fin de compte.

Et Tullio... Comment avait-il pu croire, un instant, qu'il ne le détestait pas vraiment ?

Ça dépend des moments. C’est facile de te détester au moins, surtout que j’ai de quoi. Mais là j’ai ... J’ai plus de mal. Et puis t’es à moitié mort, alors pour une fois je peux bien ...

Isaia releva les yeux vers lui, analysant autant qu'il le pouvait les mots que son frère venait de prononcer. "Ça dépend des moments". C'était joli, ça. Ça donnait de l'espoir, ça lui donnait une chance de croire que tout n'était pas perdu. "C’est facile de te détester au moins, surtout que j’ai de quoi." Espoir qui mourait juste après être né, éclaté sur le rocher de la phrase suivante. Et il ne pouvait même pas nier... Oui, il avait de quoi. Ça oui. Il avait de quoi alimenter une haine tenace de quelques bonnes dizaines d'années, encore.

Et puis la phrase suivante. "Mais là, j'ai plus de mal". Pour de vrai ? Isaia le fixa avec stupéfaction. Il avait pourtant enchaîné les bourdes, ce soir... Et le fait qu'il soit bourré, ça jouait en sa faveur ?

- Ne dis pas ça, dit-il doucement. Je serais foutu de me soûler tous les soirs et de venir frapper à ta porte, si ça pouvait jouer... Même si tu me jetterais probablement sur le trottoir au bout de la deuxième fois...

Oui, c'était le plus probable, en fait... Il ne savait pas quoi en penser. Qu'est-ce qu'il fallait qu'il fasse, à la fin, pour se faire pardonner ? Voilà - la question était si bête qu'il s'étonna de ne pas y avoir pensé avant. Il y avait bien quelque chose qu'il pouvait faire... Il y était allé à l'instinct, à l'aveuglette, mais si Tullio pouvait guider ses pas, ça ne serait pas du luxe...

- Mais j'ai... vraiment l'intention d'arranger les choses, dans la mesure du possible. Si j'étais un type bien, je te dirais de laisser tomber cette histoire de réconciliation, et de vivre ta vie sans moi... ça ferait une épine de moins dans ton pied, j'imagine, de ne plus avoir à te soucier de moi. Mais je suis égoïste, on le sait tous les deux. Et si ça avait une chance de marcher, Tullio... Je ferais tout pour ne pas la gâcher. Est-ce qu'il n'y a vraiment rien que je puisse faire pour améliorer la situation ?

Dans sa tête, toutefois, tournait le même refrain en boucle : "à quoi bon... à quoi bon..."
Non, il fallait qu'il s'endurcisse. Rome ne s'était pas créée en un jour. Il s'agissait d'un projet d'envergure, là... Même si ça prenait du temps, même s'il se cassait la gueule... Il se relèverait toujours, pour voir la finalité de son projet. Peu importe les découragements successifs et les espoirs de victoire bien maigres. Il n'aurait pas été Isaia s'il avait abandonné à la première difficulté.
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Tullio Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeSam 25 Fév - 10:23

Avec son travail, affirmer que Tullio n’avait jamais fini beurré sous une table aurait été ridicule. Tout étudiant en œnologie avait déjà connu ça, se prendre une cuite avec du bon vin était un luxe qu’ils pouvaient tous se permettre à l’école. Le jeune homme avait, de plus, préféré la section internat durant ses études bien qu’il ait tout d’abord commencé par habiter dans son propre appartement. Ainsi, le soir ils allaient souvent à la découverte de la cave de l’école, prétextant un travail à rendre sur les saveurs des plus grands millésimes. Evidemment, Tullio et ses amis avaient pris de sacrées roustes en ces occasions. Mais le jeune homme avait fait ces bêtises, avait plus d’une fois terminé bourré sur le sol de la grande cave, une bouteille à la main. Ridicule et pitoyable, comme il ne le montrait qu’à ses amis aux mêmes penchants. C’était uniquement dans le but de leur plaire, d’appartenir à leur groupe. Comme tout ce que faisait Tullio, en somme. Car lui préférait largement la simple dégustation au pugilat de bouteilles qu’ils ouvraient parfois, les soirs de fête. Mais pour ceux qu’il côtoyait, le futur sommelier avait adapté son comportement. Comme à chaque fois, comme aux détours de sa vie lorsqu’il rencontrait de nouvelles personnes, plus ou moins intéressantes. Avec eux il avait appris l’alcool pour l’alcool, et bien qu’en bons étudiants de leur filière ils apprécient le goût de ce qui coulait dans leur gorge, Tullio savait bien qu’ils auraient pu le faire d’une toute autre façon. Mais il ne regrettait pas, même si actuellement il n’avait plus que des contacts courtois avec ceux qui avaient été ses amis de chambrée et avec qui il avait fait plus d’une connerie.

Tout cela pour dire que c’est à cette époque qu’il découvrit les symptômes de la cuite, de la nuit trop longue passée à boire. Des conséquences de ce qui paraissait être une bonne idée. La tête lourde, les nausées, les remontées acides quand on avait plus rien à vomir. Les bourdonnements dans les oreilles, la vision trouble, l’impression d’être passé sous une moissonneuse batteuse... Tout cela, il ne connaissait que trop bien. C’est peut être pour cela qu’il eut pitié de son frère ce soir là et qu’il l’invitât à entrer, qui sait. Parce que rester seul dans cet état était la pire des punitions, et même Tullio ne souhaitait pas cela à son imbécile de frangin. Il se contenterait de le jeter le lendemain. D’autant plus qu’une autre merveilleuse chose faisait son apparition dans ce genre de circonstance : l’oubli. Avec un peu de chance, Isaia ne se souviendrait aucunement des attentions de Tullio, aurait effacé de sa mémoire sa gentillesse passagère. Tout ce qui se disait ce soir pourrait éventuellement n’être que vagues fantômes le lendemain, et Isaia aurait beau essayer de les attraper cela resterait vain. Du moins Tullio l’espérait, parce qu’à y réfléchir il avait un peu de mal avec le fait que son attitude un peu trop doucereuse reste dans les mémoires. Voire carrément aucune envie de savoir qu’Isaia pouvait lui ressortir ça à tout moment. Comme une preuve irréfutable de ce qu’il s’était passé.

Mais il était un peu tard pour reculer maintenant. Tullio aurait du y penser avant. Sans se focaliser sur le regard perdu de son frère, sans penser à sa détresse et à son malaise. Car au final, c’était ça qui l’avait perdu ... Il s’était montré faible, simplement parce qu’il devinait l’état de perdition du corps du saoulârd. Isaia se serait montré à sa porte dans un tout autre état que cela aurait été différent, Tullio s’en rendait compte à présent. S’il avait été blessé, même du sang coulant d’une plaie, s’il avait été en pleurs, s’il avait été totalement stone, cela ne lui aurait rien fait du tout. Tout simplement parce que le jeune homme ne pouvait imaginer alors ce qu’il se passait. Ne pouvait compatir, ne pouvait se mettre à sa place, ne pouvait éprouver un peu de sympathie pour lui. Finalement, son perfide cadet avait touché juste en se noyant dans l’alcool, seul appât capable de faire ressortir l’instinct fraternel de Tullio, pourtant profondément -et croyait-il définitivement- enfoui depuis des années.

Depuis ... voilà, depuis tout ce qu’Isaia racontait à l’instant. Tullio se tendit tout à coup, avant de se rassoir, comme soudainement vidé de ses forces. Il prit tout de même le soin de s’affaler loin d’Isaia, aussi près de l’autre côté du canapé qu’il le pouvait. Croisant les bras sur sa poitrine comme dans un geste de protection, il l’écouta en fronçant les sourcils, les coins de sa bouche tordus par l’inconfort de l’entendre évoquer tout cela. C’était pourtant sa faute, il l’avait demandé. Mais là, là il n’aimait pas ça. Car à chaque fois qu’il évoquait une situation, Tullio la revivait. Et ce qu’il voyait c’était toujours le visage triomphant de l’homme qui se tenait maintenant à côté de lui. Il ne voyait plus l’enfant mais bien Isaia adulte, son visage déformé par un rictus de plaisir et de joie malsaine. C’était totalement irrationnel puisqu’il savait que c’était l’enfant inconscient qui avait eu cet air triomphant et profondément satisfait. Il le savait mais entendre son frère évoquer ces souvenirs le faisait peu à peu perdre conscience de la réalité. Il se souvenait parfaitement de chacun de ces instants, et si pour Isaia ce n’était que des souvenirs, pour Tullio ils étaient de nouveau réels, comme s’il les vivait dans l’immédiat. Ses mains se firent un peu tremblantes autour de ses bras et il murmura, les yeux fermés :

- Ça suffit ...

Heureusement, Isaia arrêta son énumération et les images se calmèrent dans l’esprit de Tullio. Il cessa enfin de voir ce visage encadré de cheveux blonds qui se gaussait de sa détresse et de son impuissance. Présentement, le jeune homme se sentait horriblement faible face à son frère et il détestait cela. Il haïssait cette impression qui lui collait à la peau, comme des vêtements trempés. Comme une seconde peau dont il ne pouvait se défaire. Mais Tullio n’allait pas lui laisser le pouvoir de l’atteindre bien longtemps, et il releva le visage vers lui alors qu’il s’excusait encore, exprimant ses véritables regrets. A cet instant, Tullio voulait réellement lui dire qu’il s’en moquait et qu’il ne méritait pas son pardon. Qu’il ne l’aurait jamais et qu’il devait d’ailleurs dégager d’ici dans l’instant. C’était sans compter sur son honnêteté affreusement déstabilisante...

- Oui on aurait pu si tu avais été un frère plutôt qu’un ennemi perpétuel. Si tu m’avais considéré comme un être humain et non comme un jouet supplémentaire, toi qui n’en avait jamais assez. Sa voix se calma pourtant alors qu’il continuait, relevant les yeux vers lui. Je suis bien meilleur que toi sur une console, t’aurais eu aucune chance. Je t’aurai au moins battu quelque part, peut être que ça m’aurait évité de devenir comme ça ...

Tullio soupira très largement et ramena ses jambes sur le canapé, le menton appuyé sur ses genoux. Il savait bien que ce discours était réel. Pour une fois, il en avait la certitude. Il regrettait. C’était déjà un pas en avant pour celui qui refusait de croire que son frère s’en voulait vraiment, et n’était pas en train de fomenter un ultime plan pour l’achever ou pour faire plaisir à leurs parents. Maintenant, subsistait une question...

- Est-ce que ça suffira à rattraper tout ça ? C’est facile, de s’excuser sincèrement. Du moins, pour les gens normaux qui ne sont pas imbus d’eux même. Ça l’est moins pour toi, mais ça reste des paroles ...

Il est vrai que les excuses étaient choses faciles. Lui-même pouvait en faire à tour de bras, mais en étant sincère ? Moins, évidemment. Pour Isaia, regretter réellement quelque chose tenait du miracle et Tullio en avait bien conscience, c’était une certitude. Pourtant, cela n’était pas assez. Parce que le travail qu’il avait réalisé pour en arriver là n’avait pas été assez dur, assez long. Il n’avait pas pris en compte ce que son frère pensait, mis à part la rancune qu’il sentait et qu’il tentait d’atténuer. Est-ce qu’Isaia savait seulement qui Tullio était ? Non. Il n’avait même pas conscience qu’ils n’étaient pas frères, et ça c’était risible. Un instant, alors qu’Isaia refermait l’album et le laissait de côté, Tullio pensa à tout lui dire. Là maintenant, déballer le secret de famille que seul Isaia ignorait. Lui balancer à la figure qu’il n’avait pas à faire autant d’effort pour quelqu’un qui n’était même pas de sa famille. Qu’il n’avait pas besoin de se saigner aux quatre veines et d’essayer de se racheter puisqu’au final, Tullio n’était rien de plus pour lui qu’un souffre douleur ayant partagé sa vie. Rien d’autre qu’une figure toujours présente mais jamais amie.

Tullio s’imaginait alors avec la plaisir la tête que lui offrirait Isaia. Un peu comme maintenant, alors qu’il semblait atterré de l’entendre raconter ces conneries. Comme quoi il ne le haïssait pas vraiment, au final. Parce que malgré tout, Tullio en était incapable. Il lui en voulait beaucoup, mais ne le rejetterait jamais totalement de sa vie. Ne pouvant pas ignorer sa présence. Et pourtant, pourtant. Tout aurait été plus simple si Isaia n’avait jamais reparu dans sa vie. S’ils se détestaient mutuellement en s’ignorant superbement. Comme avant. Au moins, il n’y aurait plus de questions, plus d’hésitations. Ils ne se croiseraient jamais, ne se parleraient pas plus. Quelle douce quiétude, hein ... Qu’est ce qui avait bien pris à son frère de vouloir à tout prix se réconcilier ? Qu’est ce que cela pouvait lui apporter ? Tullio doutait toujours du fait que son crétin de frère l’aime vraiment, parce qu’on ne fait pas subir tout cela à quelqu’un qu’on aime. Parce qu’on ne lui impose pas sa présence, parce qu’on ne le force pas à vous recevoir. Isaia était égoïste. L’avait toujours été. Le serait sans doute toujours. Et malgré ces questions, Tullio ne voyait pas non plus de raison de ne pas le faire. Se protéger ? Certes, mais Isaia était quelqu’un de têtu et ne le laisserait pas tranquille. Il ne lui permettrait jamais d’endormir son souvenir et de l’oublier. Et ça, Tullio en avait conscience. Alors maintenant, la question à se poser ... Préférait-il passer toute sa vie dans cet état d’incertitude, ou bien était-ce plus raisonnable de faire un pas vers lui, au risque de se brûler les ailes ?

- Ne dis pas ça. Je serais foutu de me soûler tous les soirs et de venir frapper à ta porte, si ça pouvait jouer... Même si tu me jetterais probablement sur le trottoir au bout de la deuxième fois...

- Ne tente même pas. Je suis pas stupide, je t’enverrai dessouler chez les parents, pas ici. Et puis ce serait assez bas comme procédé ...

- Mais j'ai... vraiment l'intention d'arranger les choses, dans la mesure du possible. Si j'étais un type bien, je te dirais de laisser tomber cette histoire de réconciliation, et de vivre ta vie sans moi... ça ferait une épine de moins dans ton pied, j'imagine, de ne plus avoir à te soucier de moi. Mais je suis égoïste, on le sait tous les deux. Et si ça avait une chance de marcher, Tullio... Je ferais tout pour ne pas la gâcher. Est-ce qu'il n'y a vraiment rien que je puisse faire pour améliorer la situation ?

Un instant, Tullio fit mine d’avancer une main vers son frère, geste qu’il modifia bien vite pour venir se gratter la joue nonchalamment. Il allait faire quoi, là ? Le réconforter, l’encourager ? Oui mais ce n’était pas vraiment un geste qui allait dans ce sens ... Alors le sommelier se contenta de passer une main dans ses cheveux, défaisant son catogan pour se donner une contenance. Se permettre de réfléchir.

- Tu sais que tu joues gros en insistant comme tu le fais tout le temps ? Tu risques seulement que je te déteste un peu plus. Un grand soupir franchit ses lèvres. Ce que tu pourrais faire ... Je ne sais pas s’il y a quoi que ce soit qui puisse accélérer les choses entre nous et t’arranger dans le même temps. Peut être ... Si tu apprenais à me connaitre, si tu savais qui je suis. Au lieu de courir après une image de frère juste pour ne pas être seul, il faudrait que tu commences par avoir envie de te rapprocher de la personne que je suis, et pas du rôle que je joue.

Encore une fois, aucun contrôle sur ses mots. Et c’était tellement vrai. Tullio n’avait pas envie d’être juste « le frangin perdu qu’on tente de reconquérir », il refusait qu’on ne veuille de lui que pour l’image qu’il incarnait. Parce que ça, ce sont les autres. Ceux qu’il connait à peine, ceux pour qui il se transforme, change de caractère, évolue. Ceux là ne l’apprécient pas et ne font qu’aimer un mirage, un désir. Tullio n’avait pas envie qu’Isaia s’accroche à quelque chose d’aussi superficiel, d’autant plus qu’il est le seul avec il se sente obligé d’être lui-même. Colérique, égoïste, impulsif, les défauts qu’il ne montre pas ne se révèlent qu’avec lui. Et quelque part, au fond de lui, Tullio sait bien qu’il a besoin que quelqu’un les accepte. Et, pourquoi pas, les aime.
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Isaia Fazzio

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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeSam 25 Fév - 11:59

La reliure de l'album contre ses doigts était douce. Le cuir lourd, posé sur ses genoux, la légère poussière dessus qui se glissait dans les rainures de ses empreintes digitales, et les souvenirs doux-amers que le livre renfermait. Il avait refermé l'album un peu brusquement, et le bruit sec qu'il avait fait en se refermant sur lui avait comme sonné un gong dans sa tête, le réveillant encore un peu plus. Ouvrant un nouveau rideau de lucidité sur la conversation qu'il avait avec Tullio.

Au moins, il devait reconnaître que c'était une chance, quelque part : il avait beau accumuler les bourdes, ce soir, Tullio ne l'avait pas encore mis à la porte. Ça faisait depuis combien de temps qu'il n'avait plus eu l'occasion de discuter calmement avec lui, de cette façon là ? A part la fois où il était allé le voir au Bon Français, mais on ne pouvait pas dire que la discussion avait été calme cette fois-là. Tullio avait retenu sa colère à chaque parole, et Isaia avait dû marcher sur des œufs pour que ça ne s'envenime pas.

Cette fois, c'était différent. Au lieu de vouloir calmer le jeu pour la prochaine, il devrait peut-être plutôt essayer de savourer celle-ci... Tullio parvenait à ne pas s'irriter - du moins, s'il l'était, il le cachait bien, à moins qu'Isaia soit trop bourré pour le remarquer - et il répondait avec franchise à ses questions.

"Oui on aurait pu si tu avais été un frère plutôt qu’un ennemi perpétuel. Si tu m’avais considéré comme un être humain et non comme un jouet supplémentaire, toi qui n’en avait jamais assez. Je suis bien meilleur que toi sur une console, t’aurais eu aucune chance. Je t’aurai au moins battu quelque part, peut être que ça m’aurait évité de devenir comme ça ..."

Il avait levé les yeux vers Isaia, et celui-ci n'osa pas en détacher le regard. Ça n'arrivait pas souvent que Tullio le regarde dans les yeux. Dommage... Maintenant qu'il prenait la peine de s'y intéresser, il aimait bien son regard. Son frère avait les yeux bleus aussi, plus foncés que les siens toutefois, plus profonds. Est-ce qu'il avait jamais su que son frère avait les yeux bleus ? Il n'en était pas certain. Lors de l'entrevue au Bon Français, il avait été trop stressé pour le remarquer, et quand il était plus jeune, ce n'était pas le genre de choses auxquelles il faisait attention. Ou peut-être qu'il l'avait su, mais que ça ne l'avait pas marqué.

, ça le marquait. Les yeux de son frère, là, il ne pouvait pas ne pas les remarquer. Et ce qu'il disait, ça le marquait aussi. Ça m'aurait évité de devenir comme ça. Les mots et les actes d'Isaia avaient donc eu une telle importance à l'époque qu'ils avaient poussé Tullio à être ce qu'il était ? Et qu'est-ce qu'il était, au juste ? Il ne savait même pas quoi répondre à cette question. Tullio se plaignait de ce qu'il était devenu, mais Isaia ne savait pas en quoi il avait lieu de se plaindre, puisque, maintenant qu'il y pensait, il ne le connaissait pas.

Par contre... Il ne l'avait pas considéré comme un ennemi. Ni comme un jouet. Il l'avait considéré d'abord comme son grand frère, celui qu'il fallait surpasser à tout prix, puis comme la personne sur qui il pouvait faire retomber les dégâts de ses actions en toute impunité... Bon soit, ça n'avait rien de très glorieux. Tout l'inverse. Mais le passé, c'était le passé...

Et puis, cette phrase. "Je t'aurais au moins battu quelque part..." C'était surprenant. Évidemment, dans la plupart des domaines, Isaia surpassait beaucoup de gens, y compris Tullio. Il était celui qui le battait en piano, celui qui pouvait obtenir son bac avec mention très bien en se mettant à réviser deux jours après, celui qui pouvait faire n'importe quoi pour peu qu'il le veuille un peu. A part le piano, il n'avait mis de cœur dans aucune des activité qu'il avait entrepris, parce qu'il n'avait pas besoin de grand chose pour les maîtriser, et que ça n'était pas drôle.

Bref, il pouvait être envié sur ces domaines techniques, mais Tullio n'avait pas l'air de se rendre compte que sur le plan humain, il le dominait sur tous les points. Il était sérieux, honnête, il était franc, il était fondamentalement gentil... Il avait tellement de qualités dont Isaia était totalement dépourvu, et c'était visible même quand on ne l'avait pas vu depuis cinq ans. Il aurait pu le mettre à la porte une cinquantaine de fois ce soir, et pourtant, il ne l'avait pas fait ; il lui avait offert un verre, ramené un album photo, mis une couverture sur les épaules pour l'empêcher de prendre froid. Il se trouvait à un niveau beaucoup plus élevé qu'Isaia. Le blond était un type talentueux dont l'intérieur était comme du bois pourri par la vermine, et Tullio, c'était l'inverse ; il ne brillait peut-être pas autant, mais il avait une âme beaucoup plus belle que celle de son frère. C'était étrange qu'il ne se rende pas compte que c'était ça le plus important, et qu'il battait Isaia à plate couture là-dessus.

"Est-ce que ça suffira à rattraper tout ça ? C’est facile, de s’excuser sincèrement. Du moins, pour les gens normaux qui ne sont pas imbus d’eux même. Ça l’est moins pour toi, mais ça reste des paroles ..."

Eh bien, qu'il propose des actes ! Il n'irait peut-être pas jusqu'à se tuer pour lui prouver qu'il était sincère (et de toute façon, il doutait que Tullio lui demande une chose pareille), mais il pouvait faire n'importe quoi d'autre, de la plus humiliante à la plus incongrue des requêtes. Il aurait pu s'ouvrir les veines, écrire une lettre attestant sa sincérité en utilisant son propre sang comme encre, il aurait pu faire n'importe quoi d'autre, tout ce que Tullio aurait décidé qu'il fasse...

- Si les paroles ne te suffisent pas, impose moi des actes... Quelque chose que toi seul auras choisi pour que je te prouve ma bonne foi, et je le ferais...

A mesure qu'il prononçait ces mots, il réalisa que c'était quelque chose de très dangereux qu'il venait de dire là. Si Tullio, là, lui demandait, en guise d'acte de bonne foi, de se lever, de partir et de ne plus jamais chercher à le revoir, qu'est-ce qu'il pourrait dire ? C'était lui-même qui avait dit qu'il ferait tout ce qu'il dirait. Mais ça...

Il pria pour que ça ne vienne pas à l'esprit de Tullio. Il s'était avancé trop loin, il avait tendu le bâton pour se faire battre. Ça n'aurait rien eu d'étrange que Tullio lui demande de s'éloigner de lui, histoire de lui prouver qu'il était sincère. Il aurait même pu lui dire que c'était juste pour quelques temps, en théorie le temps qu'il jauge de ses propres yeux son taux de repentir par la façon dont il endurait l'éloignement, mais en pratique, l'obliger à rester éloigné jusqu'à la fin des temps. Et si Isaia brisait sa promesse, tout était fini.

L'imbécile.

Puis il vit la main de son frère se lever et faire un étrange détour avant d'aller trifouiller dans ses cheveux et dénouer son catogan, et quelque chose comme une pierre tomba dans l'estomac d'Isaia avec un étrange bruit plein. Il ne savait pas pourquoi, mais les cheveux de Tullio avaient le don de le fasciner. Il se rappelait que déjà, quand il avait passé la porte d'entrée, ils l'avaient titillé. Son frère les avait ensuite attachés, et il n'y avait plus fait attention jusque là. Ils étaient encore humide, et Isaia se demanda si "être frère" allait jusqu'à sécher les cheveux de l'autre avec un sèche-cheveux et passer sa main dedans.

Oh bordel. A quoi il pensait, là ? Passer sa main dans ses cheveux ?? Jesus Christ ! Il s'obligea à détourner les yeux, et contempla avec une attention redoublée la reliure en cuir de l'album, et les motifs qui le parcouraient, en espérant vaguement que Tullio ait rattaché ses cheveux quand il relèverait le regard vers lui.

"Tu sais que tu joues gros en insistant comme tu le fais tout le temps ? Tu risques seulement que je te déteste un peu plus."

Sauf que s'il ne faisait rien, il prenait le risque de retomber dans l'oubli, et de faire en sorte que Tullio reprenne sa vie sans faire plus aucun cas de son existence... et ce n'était pas ce qu'il voulait. Alors, prendre des risques ou ne rien faire, le choix était vite fait.

"Ce que tu pourrais faire ... Je ne sais pas s’il y a quoi que ce soit qui puisse accélérer les choses entre nous et t’arranger dans le même temps. Peut être ... Si tu apprenais à me connaitre, si tu savais qui je suis. Au lieu de courir après une image de frère juste pour ne pas être seul, il faudrait que tu commences par avoir envie de te rapprocher de la personne que je suis, et pas du rôle que je joue."

Cette fois, il releva les yeux vers lui. Tullio n'avait pas rattaché ses longues mèches, mais Isaia n'y faisait plus attention, bien plus perturbé par ce qu'il venait de dire. Il y avait tellement de choses qu'il avait envie de répondre, là, mais il n'arrivait pas à trouver ses mots, et l'incrédulité se lisait dans son regard.

- Mais pourquoi tu crois que je suis là ? finit-il par répondre lorsque l'étonnement se fut atténué. C'est ce que je demande depuis le début... Mieux te connaître. Mais je ne peux pas y arriver si tu ne me laisses pas m'approcher de toi, Tullio.

Inconsciemment, il se pencha vers son frère, et saisit son poignet pour qu'il marque mieux ses mots.

- Je veux mieux te connaître. Je ne cours pas après une "image de frère" ou quoi que ce soit. Je veux connaître tout ce que tu voudras bien me livrer... Que ce soit le plus troublant de tes secrets ou le plus honteux de tes défauts, ça m'est égal. Je peux tout entendre sans sourciller, parce qu'avec tout ce que j'ai fait, je suis vraiment mal placé pour juger de tes actions. Tu me dis d'apprendre à te connaître, mais c'est toi qui refuses de te livrer... Moi, je suis prêt. N'importe quand. Parle-moi de toi, de ce qui a changé depuis la dernière fois, de ce que tu as fait, de ce que tu as réussi, de ce que tu as raté... De tes moments de gloire et de tes regrets. Si tu veux bien m'en parler, moi, je veux tout entendre. N'omets aucun détail.

Il se rendit compte qu'il serrait toujours le poignet de Tullio avec intensité, et desserra sa prise en réalisant tout ce qu'il venait de dire. La véhémence qu'il avait mis dans ses phrases sembla s'évanouir dans l'air, et il regarda son frère avec un sourire un peu amer, en lâchant son poignet pour de bon.

- Mais tu n'es pas prêt à ça, hein ? Ça ne fait rien. Je peux attendre.

Il s'était certainement emballé. La phrase de Tullio ne voulait probablement pas dire qu'il lui raconterait tout - mais s'il voulait qu'il apprenne à le connaître, alors il fallait qu'il le laisse rôder autour de lui, n'est-ce pas ? Si c'était bien ce qu'il voulait dire, c'était tout ce qu'Isaia souhaitait.

Il reposa sa main sur la reliure de l'album, et en caressa lentement les contours. Elle semblait bien froide après la chaleur de la peau de Tullio.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeJeu 1 Mar - 15:45

Je trouve ça pourri, j'espère que ça te plaira quand même un peu ...

Il était impressionnant de voir à quel point le jugement d’un acte est subjectif. Dans l’absolu, quand un homme venait voir son frère, triste, pour lui demander d’avoir une place dans sa vie et de lui pardonner, sa tentative paraitra sincère. S’il fait tout pour lui plaire, lui laisse du temps, l’appelle de temps en temps et parait attentif à ses réactions, il paraitra idéalement repentant. Et pourtant, Tullio n’était pas de cet avis. Sans doute pour se protéger de trop de déceptions. Car combien de fois son frangin lui avait promis quelque chose pour s’écrier plus tard « c’était une blaaaague ! » ou simplement oublié ? Il y avait cette fois où il lui avait menti sur le thème d’une fête déguisée organisée par une de leurs amies communes. Tullio s’était retrouvé, tout fier dans son costume de robot, bien idiot alors que tout le monde abordait des costumes faits de chapeaux soyeux et veste à carreaux. Les cartons peints avec assiduité et persévérance n’avaient pas vraiment fait bonne figure au milieu de tous ces cowboys, tous plus beaux les uns que les autres. Et quand il y resongeait, qui lui avait transmis l’invitation de Julie sans lui donner le carton où il était spécifié le thème ? Isaia. Ce prénom était synonyme de trahisons bénignes qui s’étaient accumulés et formaient à présent un tertre en l’honneur de ce frère si espiègle, si aimé, si détestable. Combien de fois Tullio avait-il pris pour argent comptant les paroles de son frère, retombant à chaque fois dans une nouvelle désillusion ? Combien de fois avait-il cru à sa bonne fois, devant un regard franc qui le fixait sans ciller, pour se rendre compte que le mensonge était, dans son cas, élevé au rang de l’art ?

Tullio en avait eu marre de toujours se tromper, de toujours devoir réévaluer l’estime qu’il avait de son frère à la baisse. Et comme tout autre humain, il n’avait pas envie de revivre ça alors oui, il se cachait derrière sa colère. Oui il laissait sa haine ressortir devant son besoin de faire à nouveau partie de la vie pourtant si colorée de son frère. Mais depuis tout temps il espérait s’y faire une place, qui ne serait rien que pour lui. Tullio avait même finit par croire que cette place était celle d’un souffre douleur, et il est vrai qu’Isaia n’était ainsi qu’avec lui. C’était privilégié. Mais intenable, au bout d’un moment. Surtout depuis que le jeune homme n’arrivait plus à lui mentir comme autrefois. Alors s’il devait être quelqu’un pour Isaia, Tullio avait décidé qu’il serait l’homme qui le ferait ravaler sa fierté. Qui l’obligerait à s’excuser encore et encore. Il le ferait trainer par terre pour qu’il s’excuse. Il ne céderait plus, et était même prêt à renoncer à ce besoin d’être dans son existence s’il le fallait. Mais voilà quelques années déjà qu’il attendait ce moment. Isaia le suppliait de le pardonner, de tirer un trait sur leur passé houleux. Il avait gagné.

Et pourtant, le jeune homme n’en retirait aucune joie. Il n’aimait pas le voir s’abaisser ainsi, et si une petite partie de lui n’était composée que de vengeance, il n’était pas dans la nature de Tullio de se délecter du malheur des autres. Quoiqu’il puisse dire concernant son aversion pour ceux qu’il faisait semblant d’aimer, le sommelier était quelqu’un de fondamentalement gentil. Tout son corps tendait à pardonner son frère, lui envoyant des signes évocateurs. Cette envie de caresser sa joue, ce besoin de s’asseoir près de lui, les attentions dont il avait fait preuve à son égard. Pourtant son esprit se battait encore un peu, de moins en moins violemment, pour ne pas céder trop vite. Pour maintenir sa fierté dans une vengeance dont il ne tirait aucun plaisir. D’autant plus que sa tête commençait elle aussi à comprendre la sincérité d’Isaia, se lassant d’imaginer des plans complexes de manipulation. Il persévérait un peu trop, l’enfant que Tullio avait connu aurait sortit un sourire goguenard et moqueur bien plus tôt. Si tout cela n’était qu’une vaste farce, Isaia en aurait sans doute retiré sa gloire plus tôt. Et si malgré tout il se moquait de lui ... Eh bien Tullio était en train de lui offrir tout ce qu’il restait de son cœur, concentré uniquement sur ce besoin de quiétude retrouvée. Sur cette envie de lui pardonner. Prendre ça, c’était dérober la dernière part de sincérité et d’émotion qui survivait en lui. Tullio redeviendrait à coup sûr un docile grand frère, jouant la comédie des sentiments sans jamais les ressentir. Peut-être qu'il préférait ça, au final ?

- Si les paroles ne te suffisent pas, impose moi des actes... Quelque chose que toi seul auras choisi pour que je te prouve ma bonne foi, et je le ferais...

Mais quels actes pourraient prouver sa bonne fois ? Si Isaia mentait, son frère était sûr qu’il irait très loin juste pour garder son rôle. Quoique, s’il lui demandait quelque chose d’honteux ou de contraire à son mode de vie... Par exemple, d’aller dire à tous ces prétendus amis ce qu’il pensait d’eux. Laisser tomber sa carapace d’ange et être vraiment ce qu’il était à l’intérieur, cet être à moitié rongé par l’égoïsme et la vanité. Ou alors ... Oui, il pourrait lui demander de partir. Cette idée le séduit un court instant. Retourner à son état d’origine, une boule dans le cœur mais une existence tranquille et sans remous. Quelque chose de prévisible, d’agréable. Mais Tullio secoua la tête, s’en voulant d’avoir pensé ça alors qu’il venait de prendre la décision de lui laisser une chance et qu’il affirmait le croire dans la sincérité de sa démarche. C’était déjà, pour lui, donner une chance à Isaia et il ne devait pas laisser sa peur d’être déçu ressortir des profondeurs de ses souvenirs. En le regardant, Tullio sentit son visage s’adoucir. Malgré tout, c’était son petit frère. Quelqu’un de déraisonné, d’impulsif quand il voulait réellement quelque chose. Un homme un peu perdu dans l’amour qu’on lui avait porté. Et pour la première fois, Tullio réalisait que ce n’était pas entièrement la faute de son frère s’il avait été aussi détestable.

Paola et son père l’avaient couvert de toutes les attentions. Alors qu’Antonio Fazzio avait été un père strict, sévère mais juste avec son propre sang, il n’avait pas su l’être avec le fils qu’il avait adopté. Paola étant comme toutes les mères l’objet d’amour par excellence, Antonio n’avait pas marqué la séparation entre eux. Il n’avait pas assumé le rôle qui avait si bien éduqué Tullio aux valeurs morales et forgé son caractère de petit garçon généreux, gentil et souriant. Et le bébé qu’était Isaia n’avait jamais eu les repères nécessaires à un enfant, et tout l’amour qui avait plut sur son crâne n’avait pu remplacer l’intérêt d’une bonne fessée. De même, Tullio était également en tord. Il avait tout passé à son frère, désirant plus que tout lui être serviable. Voulant se faire aimer, puisque lui savait ne pas être son véritable frère. Il voulait remplacer le manque du sang en renforçant les liens, mais c’est ainsi qu’il était devenu trop bonne poire. Couvrant ses bêtises, le laissant l’accuser. Cherchant à lui faire plaisir, et construisant cet être qui ne vivait que pour lui-même, dans l’oubli des autres. Il ne pouvait pas s’en prendre uniquement à Isaia, qui avait vécu la vie que sa famille avait construite pour lui. Et son rôle à lui, c’était de le ramener dans le droit chemin, de modifier un peu son caractère. Il en avait à présent le pouvoir, de par l’insistance qu’avait Isaia de retrouver grâce à ses yeux. Il finit donc par lui répondre.

- J’aimerai que tu deviennes quelqu’un de plus naturel. Que tu arrêtes de manipuler les autres. Que tu te découvres toi et pas le visage que tu as toujours montré aux parents ou à l’école. Je veux que tout le monde sache qui tu es. Voilà qui prouverait ton envie de changer les choses entre nous.

C’était selon lui une bonne idée. Quelque chose qui, réellement, le toucherait s’il y arrivait. Même s’il n’avait besoin d’aucune preuve matérielle, mais seulement de son jugement en ce qui concernait la bonne foi de son frère, Tullio avait réellement envie qu’il change, en mieux. Même s’il devait perdre des amis, un statut, cela lui serait bénéfique. Isaia était son petit frère et c’était de son rôle de le tirer vers le haut. Ce qu’il commençait à accepter.

- Mais pourquoi tu crois que je suis là ? C'est ce que je demande depuis le début... Mieux te connaître. Mais je ne peux pas y arriver si tu ne me laisses pas m'approcher de toi, Tullio.

Ce dernier sursauta légèrement en sentant la main de son frère sur son bras. Ça faisait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas touchés, pourtant deux frères auraient de nombreuses occasions et raisons de le faire. Mais ce simple geste le mit tout de suite mal à l’aise, lui donnant l’impression que son poignet brûlait. Ce n’était pourtant pas du dégoût, ça il en était à peu près sûr puisque dans ce cas il en aurait tout de même conscience. C’était plutôt un manque d’habitude, et une sensation toute particulière. Qui ne brûlait pas que sur son bras, mais aussi quelque part dans sa poitrine. Entre le geste d’Isaia et ses mots, Tullio ne sut pas ce qui eut le plus d’effet. Car ses paroles réveillaient quelque chose en lui, c’était indéniable. Alors qu’Isaia ne s’était jamais intéressé qu’à ses notes pour pouvoir en rigoler, voilà qu’il lui demandait sa vie. Toute sa vie. Il fut un temps où Tullio aurait trouvé cela présomptueux de penser avoir ce droit. Il l’aurait envoyé se promener. Mais l’action de sa main, qui l’apaisait autant qu’elle le perturbait, le tira vers la seconde solution. La joie de voir qu’il avait besoin de découvrir Tullio de nouveau. La sensation agréable de compter à nouveau enfin pour quelqu’un. Quelqu’un qui ne le connaissait pas, certes. Mais comme Tullio n’était vraiment lui-même, sans mensonge, sans précautions, qu’avec celui qu’il avait détesté, eh bien... Il apprendrait à le connaitre.

Et, étrangement, Tullio se concentrait sur des détails. Pendant tout le petit discours de son frère, le jeune homme n’avait pas quitté des yeux ... les lèvres en mouvements qui étaient capables, pour une fois, de livrer un peu de vérité. Les deux minces trait de chair rosée qui s’animaient, se tordaient, souriaient sur certaines syllabes. Il n’y avait alors rien de plus vivant que cette bouche qui tentait de transmettre en mots ce que Tullio avait toujours voulu entendre. Ces lèvres qui, enfin, faisaient ce qu’il attendait d’elles. Et à qui l’immobilité n’allait pas du tout. Pourtant, elles restaient attirantes et Tullio n’en défit son regard que lorsque son poignet fut subitement abandonné. Un peu hagard de cette déclaration, de ces lèv... des mots de son frère. Uniquement ça. Bref, un peu sonné il réalisa que c’était à lui de répondre. Et son silence dut avoir l’air d’un refus catégorique pour qu’Isaia ajoute, un peu plus timide tout à coup.

- Mais tu n'es pas prêt à ça, hein ? Ça ne fait rien. Je peux attendre.

- Je ...

Essaye encore, Tullio espère d’imbécile.

- Je suis pas sûr que tu sois prêt à tout entendre, non. Pas sûr que tu acceptes de voir ce que je suis devenu à cause de toi, ça va te foutre un coup au moral. Mais ... j’apprécie, et je retiens la proposition. J’aurai aimé que tu me dises ça plus tôt. Ou même que, sans le dire, tu t’intéresses à ton grand frère avant qu’il ne soit trop tard. T’as pas conscience que j’ai attendu ça toute ma vie ?

Tullio se sentait légèrement trembler, un peu fébrile, un peu incertain de la conduite à tenir. Il se sentait mal à l’aise, tout à coup, de devoir dire ce genre de choses. De devoir se montrer plus gentil, parce que c’est ce que les paroles de son vis-à-vis l’incitaient à faire. Il sentait tout à coup des élans de tendresse envers celui qui, malgré tout, avait le courage de se mettre à nu et de paraitre ridicule dans le but de réparer ses erreurs. Peut être fallait-il lui donner une chance et ouvrir un peu son cœur ? Faire un pas vers lui. Se laisser doucement aller, et accepter qu’il revienne dans sa vie. Tullio en était de plus en plus convaincu, et l’idée était séduisante de ne plus être toujours seul. Sans aller jusqu’à s’installer dès à présent devant un jeu de shoot them up, peut être qu’ils pourraient partager un peu plus qu’une soirée de beuverie râtée en l’honneur de la mort de leur chien ?

Bizarrement, l’idée ne lui était pas si désagréable...
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeSam 7 Avr - 5:38

[Je suis confuse pour le délai, pardonne-moi >o< En plus j'ai l'impression d'avoir fait court, j'espère que ça te plaira quand même >_<]

Depuis qu'il était entré dans son appartement, ses pensées brouillées par l'alcool, le visage de Tullio l'avait irrésistiblement attiré, comme un papillon de nuit est attiré par la lumière. A travers leur conversation, il l'avait suivi des yeux ; d'abord derrière le voile flouté que son état avait posé sur ses pupilles, puis le voile s'était petit à petit désintégré, et les traits lui étaient apparus avec plus de précision.

Maintenant, bien sûr, l'alcool courait toujours dans ses veines, et il n'était pas certain de pouvoir se lever si jamais Tullio le lui demandait, mais la pièce ne tournait plus, et il pouvait regarder son visage et prendre note des moindres petits détails. La façon dont ses traits avaient changé pendant toutes ces années. Il avait minci, son visage s'était affiné. Il avait perdu ses rondeurs d'adolescent, mais malgré tout, ses traits restaient juvéniles. Et puis, il était mignon...

Mais bon. Comme c'était le genre de considérations qu'un homme n'est pas censé avoir en regardant le visage de son propre frère, il se dépêcha de champ de réflexion et se concentrer, par exemple, sur les paroles de Tullio - ça pouvait toujours être utile.

"J’aimerais que tu deviennes quelqu’un de plus naturel. Que tu arrêtes de manipuler les autres. Que tu te découvres toi et pas le visage que tu as toujours montré aux parents ou à l’école. Je veux que tout le monde sache qui tu es. Voilà qui prouverait ton envie de changer les choses entre nous."

Ouch. Il ne demandait pas rien, là. Bien sûr, c'était toujours mieux que de s'entendre dire "j'aimerais que tu t'en ailles, là maintenant", mais quand même, ce n'était pas quelque chose de facile que lui demandait Tullio.

La grande question, c'était de savoir où s'arrêtait l'hypocrisie et où commençait la diplomatie. Parce qu'Isaia était certain qu'il n'était pas le seul type sur Terre à considérer ses collègues comme de la merde, et pourtant à taire son mépris à leur égard pour ne pas envenimer les choses. Au fond, son attitude envers eux relevait aussi d'un désir de faire en sorte que l'ambiance au travail ne soit pas trop pourrie.

Cela dit, il pourrait faire tout de même des efforts pour aller dans le sens de ce que lui demandait Tullio. Arrêter de parler sur les gens dans leur dos, par exemple. Arrêter d'essayer de les corrompre avec son charme, de leur faire du gringue pour obtenir diverses choses qui pouvaient servir son intérêt. Peut-être que c'était surtout comme ça que Tullio l'entendait. Évidemment, ça ne l'enchantait pas (on s'habituait vite à la facilité), mais puisque Tullio le voulait, il testerait, au moins. Il essayerait. Histoire de ne pas avoir honte devant son frère.

- Ok, murmura-t-il en hochant la tête. Ok. Je ferai de mon mieux.

De toute façon, il ne savait pas de quelle façon Tullio pourrait bien vérifier qu'il disait la vérité, et qu'il mettait effectivement tout en œuvre pour changer, mais au moins, il essayerait...

Ce qui serait bien, en échange, c'était que Tullio essaye de son côté. Mais il avait l'air plutôt hésitant, de l'avis d'Isaia.

Je suis pas sûr que tu sois prêt à tout entendre, non. Pas sûr que tu acceptes de voir ce que je suis devenu à cause de toi, ça va te foutre un coup au moral. Mais ... j’apprécie, et je retiens la proposition. J’aurai aimé que tu me dises ça plus tôt. Ou même que, sans le dire, tu t’intéresses à ton grand frère avant qu’il ne soit trop tard. T’as pas conscience que j’ai attendu ça toute ma vie ?

Isaia fixa son frère, surpris de sa réponse - ça faisait beaucoup d'informations à analyser, ça.

A l'inverse de Tullio, il pensait qu'il était prêt à tout entendre ; mais effectivement, si son frère lui imputait des changements négatifs opérés sur sa personnalité, il ne serait certainement pas très fier. Mais savoir à quel point ces changements étaient profonds, ça pourrait être un bon moyen de se racheter. De savoir jusqu'où allaient les dégâts. De toute façon, s'il fréquentait Tullio, il s'en rendrait forcément compte, non ?

Enfin, ce qui comptait surtout là-dedans, c'était la deuxième partie de la vie.
J'apprécie, et je retiens la proposition.
T'as pas conscience que j'ai attendu ça toute ma vie ?

Deux phrases qui bloquèrent la respiration d'Isaia dans sa poitrine. Bien sûr que non, il n'en avait pas conscience ! Comment aurait-il pu savoir que son frère voulait qu'il s'intéresse à lui, alors qu'il ne faisait que lui rendre un regard chargé d'hostilité quand ils se croisaient dans la maison avant leur départ, et ensuite refuser de lui parler après qu'ils aient déménagé ? Il n'était pas devin, non plus. Et si c'était le genre de choses qu'un mec subtil aurait pu deviner... eh bien, il était loin, très loin d'être subtil, ce n'était pas faute de l'avoir déjà montré (avec Tullio, du moins).

Et il retenait la proposition. Ça, c'était dingue ! Alors, il acceptait. Il acceptait de faire un pas dans sa direction ! A force de faire des pas l'un vers l'autre, peut-être qu'ils pourraient véritablement finir par se toucher du bout des doigts. S'atteindre. Se comprendre.

Pendant un instant, il scruta le visage de Tullio pour savoir si ce n'était pas une blague, pour savoir si l'autre était vraiment sérieux - après tout, lui, à sa place, il aurait trouvé le moyen de faire passer tout ça pour une plaisanterie, s'il avait voulu blesser l'autre - mais Tullio n'était pas ce genre de type. S'il disait ça, c'était qu'il le pensait. Isaia n'avait pas l'impression qu'il mentait - ce n'était pas non plus qu'il était un pro de la détection de mensonge, mais Tullio avait le regard qui allait avec ses paroles.
Ou alors, il était très bon acteur, ce n'était pas exclu non plus.

Quoi qu'il en soit, quand vint le moment de répondre, Isaia se rendit compte que ses mots l'avaient ému plus qu'il ne l'aurait voulu. Un petit sourire fugitif naquit sur ses lèvres, avant qu'il reprenne avec sérieux :

- Non, on ne peut pas dire que j'en avais conscience, non... Mais je n'ai jamais été très vif pour ce genre de choses, surtout quand ça te concernait. Finalement, je suis en train de réaliser que la communication, ça a du bon... Dommage que je ne m'en aperçoive que maintenant.

Il gratta le cuir du canapé d'un air embarrassé, puis releva les yeux vers Tullio, et ajouta en souriant :

- Ça me fait vraiment plaisir que tu dises ça. Je ne te décevrai pas, je te le jure... Je me rachèterai tellement bien qu'un jour, tu finiras par oublier qu'on a eu cette période noire dans notre vie.

Même si l'autre avait une bonne mémoire, il le lui ferait oublier - juré. Il reprit :

- Merci de me donner une deuxième chance...

Ouah. Ça sonnait un peu comme quelqu'un qui s'était fait jeter par la personne avec qui il sortait. Finalement, les deuxièmes chances, ce n'était pas uniquement une histoire de couple...

En tout cas, il espérait que cette fois, ça fonctionnerait.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeVen 20 Avr - 5:44

Quand Tullio était au restaurant et qu’il papillonnait entre les tables constamment durant une longue soirée et un début de nuit, la fatigue était une notion superflue et totalement inconnue. Tout simplement parce que son travail ne lui demandait aucun effort. Connaitre sa cave ne lui avait pris que quelques heures, le temps d’en faire le tour, et à aucun moment il ne devait faire travailler sa mémoire pour se souvenir d’un goût, d’une particularité, d’une manière de décanter. Tout cela était totalement naturel, spontané et il pouvait réciter les cépages d’une colonne de sa cave aussi simplement qu’il respirait. L’autre facette de son métier n’avait rien de bien plus compliqué pour lui. Les relations humaines, il en avait totalement l’habitude et s’en jouait comme d’une pièce pipée qu’on tirait à pile ou face. Car tout était totalement faux, avec lui. Ses sourires étaient mensonges, ses paroles sucrées étaient automatiques, ses gestes téléguidés. Ce fonctionnement si bien huilé lui permettait de tenir des heures et des heures sans aucun problème, les heures supplémentaires ne lui faisant absolument pas peur. Travailler les week end, les nuits, les jours fériés, les jours de fête ... Il s’en moquait. Ou plus exactement, cela l’arrangeait bien, lui donnant d’excellentes raisons pour aller voir son père et sa belle-mère dans la semaine, pour un soir ou deux pendant lesquels il était presque sûr de ne pas croiser son frère à l’agenda bien plus régulier. Tout cela était le fruit d’une longue réflexion sur la meilleure manière de l’éviter sans l’avouer à ses parents. Une mise en place de stratégies complexes pour maintenir l’illusion que tout allait bien. Jeter une couverture de soie sur une mer de pourriture. Peut-être était-ce plus simple de nettoyer une bonne fois pour toute les déchets et les mauvais souvenirs, finalement ...

Tout ce qui ne lui demandait pas d’effort était donc d’une simplicité affligeante. Et là, quelques heures à peine après le début présumé de son service, il étouffait un bâillement quand Isaia regardait ailleurs. Devoir réfléchir à ce qu’il avait envie de dire pour finalement ne pouvoir que sortir une vérité indésirable, analyser le comportement de son frère pour y trouver de l’hypocrisie, décider de l’aider ou non, d’être conciliant ou tranchant ... Cela l’avait totalement épuisé. Ce n’était pas lui qui était saoul, et pourtant Tullio se sentait comme un vieux rafiot sur une mer déchainée. Un peu perdu, bringuebalant au milieu de dizaines de possibilités et ne s’aventurer que vers le large. La tête embrumée par trop de réflexions qui ne lui servaient à rien, par trop de souvenirs qui remontaient en sa présence. Tullio venait de retrouver son frère, et il était déjà épuisé de sa présence. Cela lui demandait une implication plus grande qu’il n’aurait pu le penser. Surtout quand il faisait des efforts pour lui laisser, un jour peut être, une chance de se racheter. Isaia avait finalement réussi à convaincre son borné de frère de sa sincérité à vouloir s’améliorer. A vouloir se rapprocher de lui, au-delà de la volonté de leurs parents. Pour lui, parce qu’il en avait envie. Et Tullio ne pouvait pas nier que de bonnes relations avec lui seraient un plus dans son existence, lui enlevant cette nécessité de s’arranger pour toujours fuir son contact. Lui libérant des jours de congés pour essayer de trouver des gens dignes d’intérêt qui pourraient un jour peut être devenir d’hypocrites amis. En haïssait Isaia, voilà que son ainé était peu à peu devenu semblable à son comportement qu’il rejetait tant. C’est donc un peu honteux qu’il se permettait de lui demander un tel revirement d’attitude. En avait-il le droit, lui qui devenait chaque jour un peu plus menteur, un peu plus distant des gens qu’il rencontrait ? Le jeune homme essayait de se persuader que oui, avec l’argument ultime qui consistait à admettre que Tullio ne cherchait pas à manipuler les gens pour en tirer un profit quelconque. C’était simplement pour avoir la paix, et pouvoir rester dans l’illusion que sa vie était idéale. Qu’il avait réussi.

Certes, il lui manquait une chose en plus de vagues amis avec qui diner de temps à autre. Une femme dans sa vie. Tullio n’avait jamais pu maintenir une relation durable avec les plus jolies filles qui cédaient sous son charme pourtant banal. Les efforts, il en faisait toujours un minimum et s’attachait d’avantage à son confort qu’à leurs désirs. Et une femme est une créature capricieuse qui a besoin de beaucoup de choses une fois passés les premiers émois. Tullio les laissait partir, toujours dans les cris et les larmes pour elle. Et une profonde indifférence de sa part. Depuis que son frère l’avait un jour ridiculisé au lycée, Tullio était devenu incapable de tomber amoureux. De s’attacher à une fille. A chaque fois qu’il embrassait une femme rencontrée quelques heures plus tôt, le visage moqueur du jeune Isaia revenait en force à son esprit et il esquivait le baiser, préférant se plonger tout de suite dans une nuit de plaisir, bien frugal par rapport à ce dont il savait pouvoir prétendre. Aucune femme ne lui apportait réellement cette sensation intense et viscérale, le laissant toujours sur une jouissance du corps qui ne l’apaisait nullement. Qu’il préférait au final se procurer seul, comme une nécessité pour son corps de se libérer. Cela lui évitait de devoir faire trop attention à sa partenaire, de s’adonner un minimum à leur plaisir histoire de pouvoir aller jusqu’au bout. Tullio était un homme conciliant, doux et plutôt sympathique mais au-delà du voile, il n’était que froid et solitaire. Sans considérer que porter attention à la femme qui s’agitait contre lui ou sous lui était véritablement nécessaire. Il faut dire que, au-delà des formes de ses partenaires, Tullio se moquait bien de savoir qui s’invitait dans son lit. C’était là son plus grand défaut, au grand désespoir de sa mère adoptive. Il ne faisait pas attention à des choses aussi simples qu’un sourire ...

Comme celui d’Isaia en cet instant, qui n’apparut que quelques secondes. Encore une fois, Tullio fixa son regard sur ses lèvres qu’il n’avait jamais vraiment vues. Ce sourire avait l’air timide, bien différent des expressions triomphantes et fausses qu’il savait afficher. Il semblait spontané et totalement réel. Ce qui avait réussi à prêter à son frère un visage beaucoup plus doux qu’à l’accoutumée, où Tullio voyait toujours le côté acéré et impitoyable malgré son air angélique. Sa bouche s’agitait, encore une fois pour essayer de le convaincre. Et le jeune sommelier, avec la fatigue qui commençait à lui tomber dessus, avait de plus en plus de mal de s’en détacher. Il cherchait simplement ce qui le fascinait autant sur ses lèvres, pourtant normalement dessinées. Pourquoi n’avait-il jamais remarqué à quel point cette partie du visage pouvait être élégante, pratique et attirante ?

- Non, on ne peut pas dire que j'en avais conscience, non... Mais je n'ai jamais été très vif pour ce genre de choses, surtout quand ça te concernait. Finalement, je suis en train de réaliser que la communication, ça a du bon... Dommage que je ne m'en aperçoive que maintenant.

Heureusement, la réponse d’Isaia le sortit de sa réflexion un peu étrange, portée par la brume qui entourait à présent son esprit. Oui ... Oui il n’avait jamais réussi à comprendre son frère, le petit Isaia. Il n’avait jamais compris à quel point Tullio cherchait son affection et son envie de l’atteindre. Mais rapidement, les rôles s’étaient inversés et ça, Tullio n’avait pas vraiment pu le supporter. Surtout quand son frère avait commencé à lui reporter toutes ses erreurs sur lui. Ceci dit, il admettait quand même que discuter pouvait être bénéfique. Si seulement il avait pu le comprendre des années et des années plus tôt.

- Oui, bien dommage en effet. Tu aurais pu savoir bien plus tôt ce que j’attendais de toi et ce que je cherchais désespérément chez mon frère ... Mais tu n’as jamais su me parler normalement, pour autre chose que pour m’ordonner quelque chose ou me réclamer un service que je n’étais pas en droit de refuser.

Ah, encore ce sourire ... Tullio ferma les yeux pendant quelques longues secondes, histoire de se reconcentrer sur qui était en face de lui et sur ce qu’il ressentait pour ce frère, qui certes essayait de se racheter, mais qui n’en restait pas moins quelqu’un qui l’avait fait souffrir. Beaucoup. Longtemps. Est-ce qu’il avait bien fait de le laisser espérer ? De lui faire miroiter la possibilité qu’un jour il se mette à lui parler plus franchement ? De toute façon, pensa Tullio dans un soupir, ce n’est pas vraiment comme s’il en avait le choix ...

- Ça me fait vraiment plaisir que tu dises ça. Je ne te décevrai pas, je te le jure... Je me rachèterai tellement bien qu'un jour, tu finiras par oublier qu'on a eu cette période noire dans notre vie. Merci de me donner une deuxième chance...

Tullio, sans aucune raison particulière, rougit violemment à ces mots. Il avait l’impression d’avoir une importance particulière, et surtout qu’Isaia avait longtemps attendu ce moment. Et qu’il ... Qu’il lui accordait soudainement la possibilité de recommencer. Mais au final, qu’est-ce que Tullio cherchait dans cette relation qui semblait découvrir un nouveau départ ? Une complicité difficilement atteignable ? Le jeune homme n’en avait aucune idée. Mais au terme de cette soirée, une chose était sûre. Il avait envie de faire un effort, de se rapprocher d’Isaia. Quitte à ce que cela lui cause du tort par la suite. Mais il ne pouvait se résoudre, même avec toute la mauvaise foi du monde, à refuser cette main tendue et cette envie de découvrir un nouvel Isaia. Dans quel but ? Bonne question. Qu’il évitait de se poser tout de suite. Parce que, depuis tout temps, Tullio avait eu l’intime conviction qu’ils ne pourraient jamais être des frères idéaux, dévoués l’un à l’autre. C’était trop conventionnel, et puis c’était quelque chose qu’ils avaient déjà essayés, en vain. Tullio ne voulait pas recommencer à l’identique.

- Je ne pourrai jamais oublier, Isaia. Mais si tu parviens à me faire surmonter l’image que j’ai de toi, alors que peut être je pourrai faire d’avantage attention à ton sou...

Tullio se mordit violemment la lèvre pour s’empêcher de finir sa phrase. De faire d’avantage attention à son sourire qu’au mal qu’il lui avait fait ? Mais il n’était pas bien dans sa tête ! Le jeune homme se leva précipitamment, un peu mal à l’aise subitement. Sans trop savoir pourquoi. Peut-être l’impression d’avoir cédé à ce qu’Isaia attendait finalement depuis de nombreuses semaines ... mois ...

- Bon, il se fait tard. Tu peux prendre le canapé, je vais t’apporter une autre couverture et un oreiller. Ou ... Tullio jeta un coup d’œil à son canapé peu confortable, jaugea les risques qu’il vomisse en pleine nuit sur son précieux tapis ... Ou alors tu prends mon lit, il est grand et vu ton état c’est peut être mieux.

Et voilà, il recommençait à dire complètement n’importe quoi ...
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeSam 21 Avr - 6:39

Isaia sentait ses yeux papillonner. La fatigue pesait sur ses paupières, et il posa la tête sur l'appui du canapé un bref instant, avant de la relever en se disant que ce n'était pas une super bonne idée de se laisser aller à trouver une position confortable. Il n'avait pas envie de s'endormir pendant sa discussion avec Tullio : à tous les coups, son frère se mettrait en colère, lui dirait que c'était parce qu'il trouvait qu'il était chiant, ou que savait-il encore ? Bref, il valait mieux ne pas tenter le diable.

Mais quelque part... Elle était finie, leur conversation. Ce n'était plus que les derniers pétards d'une fête de village, après le feu d'artifice ; le nœud s'était dénoué, à un certain moment de la discussion, sans qu'Isaia s'en rende vraiment compte. Tullio avait accepté de lui donner une deuxième chance.

Bon sang. Il n'en revenait pas. Tullio... de retour dans sa vie. C'était impressionnant. Bon, tout n'était pas encore gagné, bien sûr, mais il avait fait un tel bond de géant, ce soir...

"Oui, bien dommage en effet. Tu aurais pu savoir bien plus tôt ce que j’attendais de toi et ce que je cherchais désespérément chez mon frère ... Mais tu n’as jamais su me parler normalement, pour autre chose que pour m’ordonner quelque chose ou me réclamer un service que je n’étais pas en droit de refuser."

Bon ok. Quand Tullio sortait des phrases comme ça, ça rappelait à Isaia qu'il valait mieux rester sur ses gardes encore un peu. Des années de rancœur ne pouvaient pas s'effacer en un claquement de doigts. Il n'en était pas encore à courir main dans la main avec Tullio à poil dans un champ de fleurs.

Drôle d'image, maintenant qu'il y pensait. Et quel besoin d'être à poil pour courir dans un champ de fleurs ?

Bref. L'alcool était toujours présent en bonne quantité dans son sang, c'était sans doute la raison.

Quoi qu'il en soit, ce n'était pas le plus important, pour l'instant. Ce qui était vraiment important, c'était que Tullio venait de lui dire qu'il avait voulu pendant des années qu'il se comporte comme un frère, et lui, il n'avait rien fait. Il avait juste tout gâché, par son égoïsme.

- Je suis désolé, murmura-t-il d'une voix à peine perceptible. J'ai été un enfant affreusement cruel. Je vais m'appliquer pour l'adulte devienne quelqu'un de bien. Promis.

Au moins en ce qui concernait Tullio. Mais bon, son frère voulait qu'il devienne un type bien avec les autres aussi, alors il essayerait... Ça risquerait d'être moins facile, par contre, mais bon. Il était prêt à faire des efforts pour Tullio. Pas forcément pour le reste du monde. Enfin - si c'était une condition sine qua non pour ne pas gâcher sa deuxième chance...

D'ailleurs, sans comprendre la raison, il vit Tullio rougir à la mention de leur avenir ensemble. Isaia le regarda d'un air étonné - un peu ralenti par le voile de sommeil qui tombait devant ses yeux et l'alcool qui circulait toujours dans son système sanguin. *Faites que j'oublie pas cette conversation demain !*

Quoi qu'il en soit, Tullio rougissait. Et très fort. Pourquoi ? Est-ce qu'il pensait à autre chose ? Ou est-ce que les mots d'Isaia le touchaient au point de rougir ?
Non, c'était quand même pas Noël, fallait pas rêver. Même si c'était tentant. Il devait certainement rougir parce qu'il faisait chaud dans cet appartement, ou parce que la phrase d'Isaia avait dû lui faire repenser à quelque chose d'autre, probablement... Parce que Tullio qui rougissait à une phrase d'Isaia, c'était... trop ... mignon.
Argh. Non - voilà que c'était à son tour de se mettre à rougir. Avec les pommettes bien roses que l'alcool lui donnait déjà, est-ce que ça avait une chance de passer inaperçu ?

Voilà où ça menait de se faire des films, quand même. Tullio ne rougissait pas pour lui. Point barre.

"Je ne pourrai jamais oublier, Isaia. Mais si tu parviens à me faire surmonter l’image que j’ai de toi, alors que peut être je pourrai faire d’avantage attention à ton sou..."

C'était dans des moments comme ceux là qu'Isaia se maudissait de ne pas être au top de sa lucidité. Il aurait voulu savoir, comprendre ce qui se passait dans la tête de son frère, et quel mot était sur le point de sortir de sa bouche avant qu'il ne se morde sa jolie lèvre.

... Enfin, sa lèvre.

- Mon quoi ? demanda-t-il, curieux, alors que Tullio se levait rapidement. Faire attention à mon quoi ?

Bon, il savait bien que Tullio ne lui donnerait pas de réponse, mais ça ne coûtait rien d'essayer, n'est-ce pas ? Il voulait savoir. Il aurait été savoir tout ce qui passait par la tête de Tullio, là. Ce qui le poussait à soupirer, à grogner, à sourire et à rougir. Il aurait aimé tout connaître, les bonnes choses et les mauvaises choses.

Peut-être qu'un jour, Tullio lui ferait assez confiance pour tout lui révéler...

"Bon, il se fait tard. Tu peux prendre le canapé, je vais t’apporter une autre couverture et un oreiller. Ou ..."

Alors, il ne voulait pas lui répondre, hein ? Bon sang. Isaia aurait voulu savoir ce qu'il était sur le point de dire... Il était persuadé que ça le perturberait pendant longtemps.

Mais en réalité, quand Tullio prononça la phrase suivante, il oublia instantanément le problème qui le préoccupait.

"Ou alors tu prends mon lit, il est grand et vu ton état c’est peut être mieux."

Il ne voulait pas être un type tordu. Il ne voulait pas être un pervers. Mais lorsque les mots de Tullio tombèrent dans son oreille, il faillit s'étouffer avec sa salive, et se mit à rougir copieusement. WHAT ?

- Ton... ton lit ? bafouilla-t-il.

Il fallait dire que chez Isaia, quand il s'agissait du lit des autres, ça avait plutôt une certaine connotation. N'ayant pas d'amis proches, il dormait rarement chez eux - il ne partageait jamais un lit s'il n'y avait pas une histoire de cul impliquée.
De plus, Tullio n'avait pas précisé s'il serait dedans lui aussi. S'il n'y était pas là, la chose pourrait être possible (encore qu'il risquait d'y avoir son odeur partout et qu'Isaia était très sensible aux odeurs, et donc que ce serait très perturbant), mais s'il y était...

- Je vais plutôt rester sur le canapé, ok ? marmonna Isaia, avec la désagréable impression que ses joues flambaient. Si ça ne t'embête pas.

Il était absolument à 100% pour l'idée de bien s'entendre avec son frère, la complicité et tout ça, mais dormir dans son lit (et avec lui dedans en prime, peut-être) c'était peut-être aller un poil trop vite pour le début...

Mais si Tullio le voulait... Il préférait ça que d'être jeté dehors, en tout cas.
Après tout, une nuit... dans son lit... Ok, ça risquait d'être super embarrassant, mais c'était... vivable... non ? Peut-être...

Oh. Gosh.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeDim 22 Avr - 6:54

[Scuse, moi aussi c'est court là ... Mais bon, j'avais pas envie de parler pour ne rien dire XD]

Tullio se souvenait vaguement de leur dernière soirée, au restaurant. Cela lui semblait si lointain ... Et pourtant, ces dernières semaines où il n’avait que peu contacté Isaia avaient été remplies par ces souvenirs. Incrustés, profondément enfouis dans sa mémoire, comme tout le reste. La surprise de le voir, d’abord. Puis la colère qui était montée dans son ventre, le prenant aux tripes. Il avait clairement pensé qu’Isaia était gonflé de venir le voir, la bouche en cœur, après tout ce temps. Sans même utiliser de médiateur, bien pratique pourtant. La présence de leurs parents l’aurait par exemple empêché de lui rétorquer ces horreurs. Devant son père, Tullio n’aurait jamais pu ainsi blâmer son petit frère de tous les malheurs de sa vie. Tout aurait alors été plus simple ... Mais Isaia avait tout de même choisi la voie la plus difficile pour l’atteindre. Quoique, au boulot il était sûr de pouvoir le retenir quelques instants. Toutes ces semaines, le jeune sommelier les avaient passées dans le souvenir d’Isaia. De ses excuses, notamment. Il se souvenait parfaitement que son interlocuteur avait tenté de se faire pardonner de nombreuses fois, en s’excusant à plate coutures. A l’époque, elles n’avaient eu que peu d’impact. Ce n’était pas ses « pardon » maladroits qui avaient permis à Isaia de pousser Tullio à accepter de le revoir. Ni même ses yeux de chien battu. C’était uniquement le désir qu’il avait exprimé de changer, et les risques qu’il avait pris pour venir s’aplatir devant lui. Ce bref instant de gloire, Tullio l’avait égoïstement ressenti et c’est pour cette raison qu’il avait dit oui. Conserver un peu de pouvoir et d’emprise sur ce frère qui l’avait toujours rabaissé, utilisé.

Parce que Tullio savait qu’après cette soirée, chacune de ses paroles serait analysée, intériorisée. Qu’avec une simple moue dégoutée, Isaia s’aplatirait et voudrait revenir sur ses paroles, voudrait s’excuser quoi qu’il ait fait. Rien que pour ça, Tullio aurait aimé que ce laps de temps dure plus longtemps. Qu’il ne cède pas aussi rapidement, qu’il ne lui donne pas aussi facilement une nouvelle place dans sa vie. Histoire de pouvoir sentir encore qu’il avait toutes les cartes en mains. Parce que là, sa décision remontait le statut d’Isaia. Pas encore d’égal à égal, mais presque. Il avait la capacité à présent de pouvoir lui dire certaines choses, qu’il n’aurait pas pu se permettre quelques jours auparavant. Mais étrangement, Tullio n’avait pas pu maintenir cette période de bonheur et de supériorité. Ce n’était, d’abord, pas de son caractère de dominer les autres, et ensuite il se trouvait bien incapable de mentir à son frère. Là, maintenant, il avait envie d’espérer, de lui donner une chance de les sortir de cette situation. Lui-même ne ferait pas tous les efforts du monde, et laisserait beaucoup de travail à Isaia, mais il ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues. Il ne lui tournerait pas le dos s’il voyait que son frère essayait.

- Je suis désolé. J'ai été un enfant affreusement cruel. Je vais m'appliquer pour que l'adulte devienne quelqu'un de bien. Promis.

Et ces excuses-là étaient différentes. Elles n’avaient pas le même impact. Ce petit « désolé » murmuré aussi faiblement qu’un enfant contrit, il réussissait à se frayer un petit chemin jusqu’au cœur de Tullio. Qui eut envie de le prendre dans ses bras pour lui dire qu’il acceptait ses excuses, qu’il lui faisait confiance et que ... Wououh ! Pourquoi le prendre dans ses bras ? Tullio n’était pas quelqu’un de très tactile alors non, non il n’allait pas faire ça. Enfin, pas la première partie, du moins. Parce que le reste, étrangement, il n’en avait pas trop trop le choix avec sa sincérité pourrie ! Enfin, mauvaise et fausse excuse puisque cela le poussait simplement à ne pas lui mentir, et non à tout lui dire. Alors c’était peut être seulement l’envie de rattraper ses paroles un peu dures et d’assouplir le visage navré de son frère. Il ne voyait que ça ...

- J’en tiens compte. Mais je te fais confiance pour ça. Je vois bien que tu en as vraiment envie, alors si tu y arrives, eh bien peut être que je pourrais arrêter de te faire ces reproches. Ne me déçois plus ...

Et malgré tout, c’était la première fois que Tullio oubliait presque quelque chose. A savoir, leurs retrouvailles. Il ne se souvenait plus de la colère qu’il avait ressentie alors, ni des reproches qu’il avait pu lui faire. Pourquoi avait-il été autant en colère, déjà ? Après tout, Isaia voulait vraiment arranger les choses, et au fond c’est ce qu’il voulait aussi. Alors ... Non, il ne se souvenait plus du début de leur conversation, juste de la fin. Quand ils avaient acceptés de se revoir, quand Isaia l’avait pris dans ses bras. Pourquoi, pourquoi devait-il ne se souvenir que du meilleur cette fois ? Il avait toujours eu des images négatives d’Isaia à l’esprit, oubliant les beaux moments passés ensemble, si rares.

Ses joues rouges pivoine trouvèrent étonnamment un écho sur le visage de son frère. Lui aussi se demanda pourquoi soudainement cette montée d’émotion si caractéristique ? Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Pourtant, Tullio surenchérit dans le ridicule en devenant carrément cramoisi quand Isaia releva son ersatz de phrase. Et merde, merde merde ... Il ne pouvait pas lui dire ce qu’il aurait pourtant aimé répondre. Un « non rien » ne franchirait jamais ses lèvres. Cela voulait dire qu’il devait ... devait ... C’est très faiblement, peut-être trop pour que son frère un peu saoul l’entendre, qu’il murmura en ayant envie de se donner une claque et de se coudre les lèvres au fil de fer :

- A ton ... sourire. Faire attention à ta joie, à toi plutôt qu’au reste et ... Enfin bref. Oublie.

Heureusement pour Tullio, il avait rapidement enchainé en essayant de ne pas s’attarder sur un sujet plus que glissant. Parce que là, c’était quand même du grand n’importe quoi ... Il avait bien fait de lui proposer son lit, ça avait l’air de le perturber. Les deux frères étaient à présent aussi rouges l’un que l’autre, Tullio essayant de cacher ça en détournant le regard et en se balançant d’un pied sur l’autre, mal à l’aise. Même s’il essayait de ne pas le montrer, ça n’avait rien de concluant ...

- Je vais plutôt rester sur le canapé, ok ? Si ça ne t'embête pas.

Eh bien en fait, si ça l’embêtait. Hors de question de laisser un saoulard dans son salon, qui était sa pièce préférée dans ce petit appartement. Il y aimait chaque détail et préférait qu’Isaia ne s’y attarde pas. Alors que sa chambre était plus impersonnelle. Seul son lit était véritablement à lui dans cette pièce. Il n’y avait rien de valeur dans sa chambre, et c’était ça qui comptait ... C’est pourquoi il décida d’insister. Après tout, il était chez lui, Isaia devait faire ce qu’il lui disait. Sinon il pouvait toujours partir, hein !

- Vu le prix de mon tapis et du canapé, je préfère que tu aies envie de vomir dans mon lit. Il est beaucoup moins précieux. Alors va cuver au calme, s’il te plait. Si je suis parti demain matin, tu n’auras qu’à claquer la porte derrière toi en partant. Je vais peut-être devoir me lever tôt ...

Et surtout, le fuir un peu parce que ce soir, il avait suffisamment été proche de lui pour les mois à venir. Et surtout, Tullio voulait repenser au calme à tout ce qui venait de se passer. Notamment aux envies étranges, aux fixations décalées qu’il avait eues face à son frère. Il préférait y penser sans ledit frère à côté de lui. Ce serait véritablement trop compliqué ... Se remettre les idées en place serait plus simple en son absence. Il ne voulait pas que le regard franc d’Isaia ne le détourne de son objectif, encore. Que ses mots lui brouillent l’esprit. Certes, il le reverrait bientôt. Mais dans d’autres conditions, bien moins dangereuses.

Dangereuses ? Mais qu’est-ce qui pouvait bien être dangereux dans le fait de côtoyer son frère ? Peut-être que vouloir se rapprocher de quelqu’un qui ne faisait finalement pas partie de sa famille de sang avait quelque chose d’étrange après autant de mauvais souvenirs ?
Ou peut-être était-ce totalement autre chose.
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MessageSujet: Re: Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV]   Verre à moitié vide, verre à moitié plein [PV] I_icon_minitimeDim 22 Avr - 8:26

Ok. Isaia n'avait pas arrêté de se dire toute la soirée que ça serait bien s'il pouvait être moins bourré, s'il pouvait faire plus attention aux paroles de Tullio et savoir retenir celles qui coulaient parfois de sa bouche.

Mais là, pour la première fois, il pouvait se cacher derrière son statut d'homme saoul. Il pouvait faire croire qu'il ne contrôlait pas ce qu'il disait lorsqu'il demandait à Tullio ce qu'il ne voulait pas prononcer. Il pouvait mettre ses rougeurs sur le compte de l'alcool. Il pouvait faire semblant de comprendre ou de ne pas comprendre à sa guise, et le lendemain, il pourrait faire semblant d'avoir oublié les détails.

Est-ce que Tullio qui lui parlait de son sourire, c'était un détail ?

Enfin, il n'était même pas sûr en fait. Est-ce que Tullio avait vraiment dit "sourire" ? Est-ce que ce n'était pas un effet de son imagination ? Le mot avait été dit très bas et il n'était pas certain de l'avoir bien entendu.

"A ton ... ***. Faire attention à ta joie, à toi plutôt qu’au reste et ... Enfin bref. Oublie."

Comment pourrait-il oublier ? Il était certain que même l'alcool n'arriverait pas à effacer quoi que ce soit. Ce n'était pas possible qu'il ait dit "sourire", si ?

Mais qu'est-ce que ça pourrait bien être d'autre ? Il tenta de retourner la phrase dans sa tête. A ton...
A ton quoi ?
Non, c'était sourire. C'était obligatoirement sourire.

Isaia posa son regard sur le canapé, pour échapper à celui de son frère, dont les joues étaient devenues écarlates. Pourquoi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Pourquoi il rougissait ? Pourquoi il murmurait le mot ?
Et plus que tout... il faisait attention à son sourire ? A son sourire ?

Et pourquoi il avait répondu ? Pourquoi il n'était pas resté silencieux ? Est-ce que si Isaia forçait encore ses questions sur lui, les réponses couleraient une nouvelle fois ? Il eut envie d'essayer. Voir si Tullio avait vraiment dit sourire.

Mais quelque part... La réponse serait peut-être un peu effrayante. Déjà que quelques secondes avant, lorsque Tullio lui avait dit "ne me déçois plus", il avait eu envie de prendre ses mains dans les siennes, de lui sourire, de le serrer contre lui...

C'était... bizarre. C'était l'alcool qui faisait ça ? Non, sinon il aurait été le seul à rougir. Pourquoi Tullio était-il si gêné, lui aussi ? Il valait mieux ne pas y toucher... faire semblant de rien. Passer à autre chose, à un autre sujet...

Le lit.

Tu parles, c'était vachement mieux...

"Vu le prix de mon tapis et du canapé, je préfère que tu aies envie de vomir dans mon lit. Il est beaucoup moins précieux. Alors va cuver au calme, s’il te plait. Si je suis parti demain matin, tu n’auras qu’à claquer la porte derrière toi en partant. Je vais peut-être devoir me lever tôt..."

Bon. Au moins, en ce qui concernait ce problème en particulier, c'était juste lui qui s'était fait des idées, visiblement. Tullio n'avait pas l'air d'avoir l'intention de dormir avec lui - et ça, mine de rien, c'était un gros soulagement. Bon, il n'y avait aucun doute sur le fait que le réveil du lendemain serait un gros WTF dans sa tête, mais ça serait encore pire s'il se réveillait pour trouver le visage endormi de Tullio à trois centimètres du sien...

Argh, mais à quoi il pensait là, bordel ??? Passé une certaine heure de la nuit et un certain état d'ébriété, il fallait forcément penser à des trucs tendancieux, c'était ça l'idée ? Il voulait pas !! Pas avec Tullio !

Bon sang. Couper court à ces pensées. Tenter de se lever. Y réussir plutôt pas trop mal, d'ailleurs, assez étonnamment. Répondre à Tullio.

- D'accord. Désolé du souci que je te cause...

Il leva les yeux et observa l'appart pour la première fois, pour tenter de déterminer où se trouvait la chambre - la critique plus approfondie du séjour et de sa décoration serait réservée au lendemain matin, quand il serait sobre. Heureusement qu'il ne donnait pas cours.

- Ta chambre, c'est la porte là-bas ?

Sur la réponse affirmative de son frère, il se dirigea vers la porte - sans vaciller, admirez le héros ! - et se retourna vers lui au niveau du seuil pour le regarder une dernière fois - pourquoi ? pourquoi ? Pourquoi le regarder une dernière fois ? Il n'allait pas disparaître, bon sang ! C'était son appart, il y reviendrait forcément un jour ou l'autre !

- Bonne nuit, murmura-t-il avec un léger sourire embarrassé. Désolé pour le dérangement que je t'ai causé... Et merci.

Il n'était pas sûre que Tullio fasse grand cas de ses remerciements, et bon sang, il avait vraiment l'impression de s'être beaucoup trop excusé, cette nuit, mais... bon. Si ça marchait, au moins, tout ça n'aurait pas été en vain...

Il referma la porte derrière lui (après tout, il ne tenait pas particulièrement à ce que Tullio le voie en boxer par l'entrebâillement) et s'appuya un instant contre le battant de la porte, un sourire jusqu'aux oreilles.

Tullio... Il avait dit ok ! Il avait dit oui ! Bon sang. Il ne se rappelait plus depuis quand il n'avait pas ressenti une telle joie. Il exultait. Le plus étrange, c'était qu'avant d'entrer dans cet appartement, toute la misère du monde lui était tombée dessus, la mort de son chien, la rupture avec sa copine...
Maintenant qu'il y pensait, son chien était très vieux et il était certainement mieux là où il était. Et sa copine... pour le peu de cas qu'il en faisait... D'ailleurs depuis qu'il avait commencé à parler avec Tullio, il l'avait complètement oubliée.

L'important, c'était que son frère avait accepté de faire un pas vers lui, et ça valait bien une dizaine de ruptures...

Se décollant de la porte, il enleva son jean et sa chemise rapidement - le fashionista qu'il était ne supportait pas de dormir tout habillé. Peut-être qu'il aurait dû demander un pyjama à Tullio, ou au moins un tee-shirt, mais la situation était assez bizarre comme ça.

Le lit de Tullio était confortable, tout comme son canapé. Son frère avait bon goût, songea-t-il en se glissant dedans. La sensation était agréable. Mais lorsqu'il enfouit le nez dans l'oreiller, comme à son habitude, et qu'il sentit l'odeur des cheveux de Tullio imprégnée dessus, il eut l'impression que quelqu'un venait de lui donner un coup de poing dans l'estomac. Bon sang. C'était quoi, ça ?

Et le pire... C'était que ça sentait bon. Pas forcément une odeur de shampooing, mais... une odeur de cheveux. Particulière. Isaia était sensible aux odeurs. Il avait la migraine dès qu'il passait devant un magasin de parfum, mais il pouvait ému à en pleurer quand il sortait dehors en ville et qu'il parvenait à capter l'odeur de la nuit - elle était très particulière, quoi qu'en disent tout les autres, ceux qui s'en foutaient.

Isaia, lui, il ne s'en foutait pas. Ce genre de chose avait toujours touché sa fibre artistique. Et l'odeur des cheveux de Tullio, là, cette odeur si unique, si personnelle, cette quintessence de la fragrance de son frère, ça lui faisait un coup dans le plexus solaire.

Il passa les bras autour de l'oreiller comme s'il s'agissait d'un nounours et inspira lentement, jusqu'à avoir les poumons remplis, saturés de l'odeur de son frère. Une odeur qui, quelque part, lui rappelait aussi son enfance, quand ils étaient encore assez proches pour se faire des câlins.

Il aimait bien cette odeur. Elle le berçait. Le nez dans l'oreiller serré contre lui, il ferma les yeux, et le sommeil et l'alcool commencèrent à reprendre ses droits sur lui, et à anesthésier petit à petit sa conscience pour le plonger dans le monde des rêves, où l'image de son frère l'attendait sûrement de pied ferme.
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