HISTOIRE;
On était en droit de croire que tous les maux de l'humanité restaient à l'humanité. Mais maintenant que Dieu a pondu des nouvelles règles et que même les étoiles s'y mettent, la boite de Pandore se fait rosser, et l'espoir, au final, se demande ce qu'il fout là.
Le rêve. Le rê-ve. En général, il vaut mieux retenir ce mot car c'est un peu grâce à lui que le monde que l'on connaît vit. Vit parfois trop fort, c'est vrai. Disons que, à force de faire des aller-retour, forcement, il est marqué. Et faut pas s'amuser avec les rêves qui laissent des marques, mais il faut encore moins les négliger. (
Marthin Luther King avait un rêve, Hitler aussi.),
Parce que c'est bien vrai que sans rêves...ben les journées ne sont rien de plus qu'une succession de soleils brûlants et de lunes tantôt pleines, tantôt......rouges? Yep! Mais une seule fois seulement! Ce fut en tout cas assez pour que des pauvres pêcheurs de gens retrouvent de l'espoir et croient que, une fois mort, on était pas aussi pitoyable qu'un croûton de pain moisi. Voyez par vous-même : un croûton de pain, c'est pas conscient. Et si on est pas conscient, alors à quoi ça sert de tracer sa route si c'est pour crever sans que rien ne reste? On cherche tous un peu à se rassurer.
C'est angoissant, d'ailleurs, dans la nuit. Cette sensation que la fin nous prenne tous, toutes, dans des coins pas salubres (oh oui) et que rien ne vienne, que nous ne soyons plus assez pour en demander encore, et encore!
Bon, la majorité s'attendait au retour de Jesus mais des étoiles...pourquoi pas ? Et puis, si ça se trouve, peut être que Jesus est déjà passé. Mais dans la rue, avec ses habits en lin et ses longs cheveux, il avait beau crier 'je SUIS Jesus!', il avait plus l'air d'un vieux clochard tout fou. Et marcher sur l'eau, ben je suis désolée, mais ça ne suffit pas.
Réaliser des rêves, c'est tellement plus accrocheur. Question de
marketing.
Ouais, donc, les étoiles sont descendues. Le truc, avec les nouveaux produits, c'est que les closes de la marchandise ne sont jamais précisées
avant de foutre les pieds sur terre. "Pas de bras, pas de chocolats", mes bichons, et ce fut toujours le cas! Pour commencer, avec l'arche de Noé : un mâle et une femelle de la même espèce , puis le reste noyé..plouf! Avec Mahomet on avait de la chance : c'était une poignée d’hébreux! (après pour les autres opprimés, s'ils avaient raté l'heure du rendez-vous, tant pis pour eux.)
Ben là, c'est les rêveurs concrets et ceux qui savent, aussi, même s'ils ne sont pas directement impliqués.
Karina ne connaissait pas, avant, ces rumeurs d’élus. Elle avait juste autre chose en tête que les étoiles. Et c'est dommage, parce qu'elle aurait sied à merveille dans le rôle de la rêveuse au gros passé de malade mentale capable de faire bander Stephen King lui-même! Mais bon le soucis avec les idées, c'est que quand c'est mal pensées, c'est un peu comme déposer une cerise sur de la merde : ca a beau être présentable, ça se bouffe pas pour autant. Au final, son histoire pue et ça, même les étoiles l'ont compris.
Quand on grandit dans un pays dit 'développé' et qu'on se retrouve pourtant dans la classe des sans-le-sous; que maman, pas assez rapide pour s'intégrer dans le seul domaine expansif de Calabre : la soie, était une femme sans diplôme mais avec des atouts très demandés par les proxénètes du coin; que l'institution s'en foutait pas mal que ton gosse, dans ces conditions, ait de grandes chances de devenir un fou furieux de voyou ben... on commence à comprendre pourquoi la mafia est vachement prisée en Italie.
Les statistiques de la grossesse de Francesca se sont basées sur l'envie d'un gugusse de se soulager au niveau de la ceinture, ou, pour être plus clair, de tirer un coup. Les hommes sont très doués pour ces choses là. Par contre, lorsqu'il s'agit de prendre leurs responsabilités, ah ben là hein... Bref, il y avait combien de chance pour que la pilule la blouse ? 0,111%, vers là ? Pour une fois qu'elle ne sortait pas 'couvert', avalant son medoc' avec un grand verre d'eau, en se disant que "ça suffirait largement", il avait fallu que le miracle de la vie s'en mêle.
Les macs ne sont pas très copains avec les demoiselles aux gros bidons, paraîtrait que ce n'est pas bon pour 'l’éthique' (l’hôpital qui se fout de la charité, surtout.) donc ils lui ont dit
'ciao bella, t'inquiète pas, emmitoufles-toi bien durant l'hiver et ce sera impecc'!'. Ses valises sous le bras, son manteau sur le dos (haha..), elle s'est fait renvoyer à gros coups de pied dans le .... Et comme elle avait pas assez de billets verts pour satisfaire le concierge chargé du courriel administratif, elle a squatté dans des vieux immeubles un peu pourris. Là bas elle a rencontré plusieurs SDF.
Vous allez me dire, "si elle avait pas les moyens d'avoir un gosse elle avait qu'à pas le garder!" Gros bémol : Francesca était gentille...et c'est vraiment con parce que c'est pas les poubelles qui manquent à Calabre.
Dans la piaule sans mobiliers, donc, certains créchaient depuis longtemps, tellement que leur mental en avait pris un sacré coup. D'autres étaient des nouveaux voisins, tout comme Francesca. Il y avait même deux étudiants en pharma incapables de se loger. Ouais, même qu'elle s'en rappelait bien des deux étudiants, parce qu'ils étaient les premiers a avoir découvert des combines pour se procurer l’électricité et la télévision. Oh! Et ptétre, aussi, parce qu'ils jouèrent les sages-femmes lors de son accouchement?...ouais, accessoirement. (une bouteille de whisky et une brève impression de crever. Sûr que c'était pas conseillé de boire quand on gardait l'enfant en son sein, mais au moment de 'l'expulser', entre les murs gris d'une salle de bain moisie, chacun faisait comme il pouvait!)
Bref, ce fut le foyer de Karina. Une famille à l'oncle qui se saoule, au grand-père qui se meurt, et à une multitudes de cousins qui changent de piaule : l'esprit d'une smala aux branches généalogiques qui se cassent la gueule. Il y avait bien le tronc pour se rassurer un peu : 'moi et maman' qu'elle disait. M'enfin.
C'est donc depuis toujours que Karina a connu la rue. Ca fait cliché dit comme ça (genre, la petite fille rebelle en haillons, joues pleines de suie, qui grimpe façon spider woman sur les échafauds...) mais la vérité efface, d'un coup de balai magique, l'image des groupes de nettoyeurs de cheminées sur la scène des comédies musicales. Il est vrai que les minots des rues se rassemblaient en bande, parfois instruits, quelques minutes, aux rudiments de la vie par un vieux clodo; comme construire une maison avec un bout de carton par exemple. Mais, en général, ils cherchaient plus à survivre entre semblables qu'à se faire des amis. Et si t'étais pas capable de t'adapter dans le groupe, tu dégageais! Ben ouais, c'est que ça pouvait être méchant, un gosse.
Comme Karina avait encore sa mère, elle préférait jouer avec ses potes les pavés, troquant ses billes imaginaires contre des vieux cailloux. Dans le centre du trafic routier et mondain, elle connut les joies du vol. Et elle y prit goût, s'attaquant aux passants et aux petites enseignes, du genre épicerie
etcetera. Elle adorait cette crédulité chez les gens pressés ou occupés. (ils n'ont pas le temps, même pour vérifier!) Au milieu des klaxons, du linge, et de la crasse longtemps étalée, elle ne s'est jamais ennuyée une seule fois. Peut être que l'adrénaline y était pour beaucoup, avec toutes ces rumeurs de rapts d'enfants, de trafiques d'organes et tout et tout, forcement Karina était sur le qui-vive . Elle ne possédait pas d’armoire, pas de lit pour y cacher son monstre, le sien se terrait donc dans les gorges du bouche à oreilles.
Bon, évidemment, on se dit que toute cette histoire se classe dans le rayon 'salace' d'une bibliothèque, où la prostituée donne naissance à une pauvre gamine qui se bat, bec et ongles, pour sortir la tête hors de l'eau. Mais la vérité est plate comme une poitrine trop pelotée. Maman s'était mise à boire. Et comme elle avait pas les moyens de se payer une cave à vin, elle apprenait à Karina comment il fallait s'y prendre pour tendre la main et imiter la tête des chiens battus...en gros, mendier. Aussi, tandis que leurs maigres économies partaient dans l'alcool pour madame, les soubresauts de l'existence à Karina ne tenaient qu'aux chances de trouver un gâteau presque entier dans une benne à ordures.
Y'avait pas de superbes actions, pas de courses poursuites, rien qu'une existence encore plus train train quotidien que celle des chemins de fer. (et même que le
tchouuutchouuu! ça prend largement plus aux tripes, non?)
Puis, un jour, le coup de trique a frappé : MAREM.
Pardon, devrais-je dire :
le Mouvement d'Action pour la réinsertion des enfants marginalisés. Haha, sérieux. Imaginez que Karina soit passée à côté de tous les vices les plus noirs, de la traite des gosses drogués qu'on fait bosser jusqu'à toujours (enfant crédule face aux rumeurs mmmmh?), jusqu'aux vieux pedobear que l’abstinence a rendu enclin à piocher dans une frange plus jeune...et qu'elle finisse par se faire attraper par une association à la noix. 'Pour le bien des démunis', qu'ils disent entre gentils hommes. Katarina n'avait pas été assez discrète, à force de s'amuser en mode pouilleuse juste en dessous des fenêtres aux yeux abattus par l'ennui..forcement.
"Chéri, chéri! Viens voir! Regarde en bas, à côté des poubelles! T'as vu la gosse?!"
"Où ça ?"
"Ben là, juste là duchenouille!"
"Awai"
"La Pov' gosse que c'est! Et est-ce que t'as vu les gros trous dans ses godasses ?!"
"Wai..."
"Tu crois pas qu'elle s'rait pas mieux dans un foyer, la petite ?"
"Wai, jpense.."
"Tu m'passes le combinet?!"
"Wai..."Mais elle était très bien Karina, à bouffer de la terre! Toujours à se mêler de choses qui ne les regardaient absolument pas. Et sa mère à Karina, hein? Ils y avaient pensée? Pas une seule seconde. Les couillons, accrochés à leur situation de contribuable...et ça se permettait de faire une bonne action! Quand on nage dans la merde sur Terre, on espère toujours se nettoyer au Paradis.
...Karina aurait du leur dire 'merci', c'était ça?!
Mais voilà, c'était que, entre temps, maman avait repris 'le boulot'. Ca voulait dire qu'elle gagnait plus d'argent......qu'elle buvait deux fois plus donc! (on se comprend, entre vous et moi.) Et les gars, là, de l'association, quand ils ont retrouvé la piste d'une Francesca chlinguant l'alcool, ils ont compris que c'était pas une vie pour la petite. Pas un avenir, surtout. Puisqu'il y'avait jamais eu d'économie, de piaule bientôt consolidée, d'espoir à se relever...comment est-ce que la gamine s'en sortirait ?
Ceux du 'MAREM', ils savaient s'y prendre. Je veux dire, pour convaincre une dame décharnée qui n'a plus que sa fille. En même temps c'est leur job.
'Ce n'est pas une vie pour elle'
'Votre fille sera plus heureuse dans une vraie famille', des paroles toutes cons en fait! Et ça a marché. Bon...ça s'est fait par étapes. D'abord, ils sont venus avec du pain, du fromage et plein d'aliments qu'on a généralement pas besoin de faire cuire. Et Karina avait mangé comme une gloutonne..parce que c'était pas tous les jours qu'elle pouvait manger à sa faim. Elle s'est pas doutée une seconde de l'entourloupe. Elle avait l'habitude des inconnus qui rentraient et qui sortaient des immeubles désaffectés, alors quand , en plus, ils étaient gentils elle allait pas rechigner. Puis il faut aussi avouer que Karina n'était pas une enfant bien fine à cette époque ; tant qu'elle pouvait trouver de la bouffe ou de l'argent ça suffisait à son bonheur. (je parle de l'intelligence à son égard hein, pour ceux à qui ça aurait échappé.)
Et un jour, après environ deux semaines d'aller-retour, ils sont restés plus longtemps et ils ont discuté avec Francesca. Deux, trois sourires compatissants, beaucoup de larmes versés de la part d'une pauvre clocharde famélique. Car de ce côté là Francesca était devenue un peu timbrée, avec ses cheveux pendouillants et son visage atteint de couperose...c'est la rue qui veut ça, et l'alcool aussi, évidemment. Au final ils ont arrêté leur discussion, et la mère s'est approchée alors de la fille et l'a serrée dans ses bras, toute tremblante, chialant à n'en plus pouvoir. Et Karina lui a caressé les cheveux sans s'inquiéter outre mesure, parce que maman était souvent comme ça après trois bouteilles.
Francesca s'est forcée à sourire à l'adresse de sa fille (une grimace pas du tout concluante pour le coup.) et elle a demandé à Karina de suivre 'les personnes' et de ne surtout pas se faire de bile. Cette dernière a obéi, comme toujours. La dame du groupe lui a donc pris par la main et elle est partie.
On ne lui avait pas demandé son avis. A l'âge de huit ans, on était pas assez douée pour vêtir une toge et se présenter devant le barreau....que voulez-vous, c'est con, une enfant. Surtout Karina.
Il n'empêchait que ah, ça faisait mal de se sentir abandonnée si facilement.
Quand elle est arrivée dans locaux, logements de l'association, (appelez ça comme vous voulez.) c'est là que Karina a commencé à avoir peur. Y'a des gamins qui n'ont jamais vu le dehors et d'autres qui n'ont jamais vu le dedans. Karina faisait plutôt partie de la deuxième catégorie.
Elle n'avait pas bronché au moment de prendre le bus, parce qu'elle connaissait le bus; elle n'avait même pas eu peur quand elle s'est retrouvée (sans le savoir) à plusieurs kilomètres de son 'territoire'. Mais au moment de traverser un joli jardin (les jolis jardins, elle ne connaissait pas.), de passer entre plein de marmots de son âge qui jouaient, courraient, piaillaient partout, d'entrer dans une espèce d'entrepôt en carton sur plusieurs étages, c'est là qu'elle s'est sentie très mal. Elle n'aimait juste pas l'optique des murs blancs et propres, ça puait le traquenard.
La gentille dame l'a emmenée au troisième étage. A son passage, les gens la regardaient comme si elle avait été un pauvre chat dégueulasse trouvé dans le caniveau. Du genre mignon, mais pitoyable. Puis elle l'a laissée en compagnie d'un monsieur tout gros. Comme Karina n'était pas de nature à crier et à courir partout quand elle se chiait dessus, personne n'a remarqué qu'en réalité elle était morte de trouille.
Soudain, elle a vu une vitre ouverte. Je crois vous avoir dit que Karina était une enfant pas vraiment censée, non? Cette fois, l'idée qui lui vint fut magistrale. Pour elle, fenêtre était égale à : dehors, extérieur, et surtout chose familière. Donc, pendant que le gros monsieur s'est retourné pour signer un papier, un seul, Karina s'est approchée de la vitre ouverte et......ben elle a sauté. Le gars a même pas eu le temps de percuter tellement c'est allé vite. Au moment de toucher le sol, ça a fait un bruit bizarre. Un peu comme lorsqu'on verse de la purée dans un bol creux. Pof.
Katarina en connaissait un rayon sur le mal. Le mal de bide, par exemple (quand on se servait un self service dans les poubelles, il arrivait qu'on se loupe sur la date limite après celle de péremption.) le mal dû à la morsure du froid, le mal de pied, le mal de dos. Mais quand TOUT vous faisait mal, à la puissance exponentielle mille....c'était un peu comme découvrir les parties de jambes en l'air : en comparaison un bisou sur la bouche c'était pour les petits joueurs!
Karina s'est sentie un peu conne. Enfin, à son reveil à l'hopital, elle s'est sentie conne parce que pour ce qui était d'avant...
ciao la conscience.
La vie avait décidé de tourner la roue de la fortune et la flèche avait pointé le mot 'CHANCE', congratulation, you're alive! Et donc, elle fut obligée de rester dans une chambre d’hôpital en 'soins intensifs'. Chance, que disait la roue ? Ouais, nan, c'était de l'acharnement, du genre : tu supportes pas d'être enfermée ? Eh bien
welcome in the real life! (ouais, nan mais c'est parce qu'il s'agit du jeu de la roue de la fortune 'in english'.)
Les trois semaines dans cet hôpital furent sûrement les plus pourries de toute sa vie déjà pas franchement sympathique. De un, les infirmières la détestaient parce que Katarina avait essayé de les mordre, trois fois. (en même temps, c'était quoi ces connes en blouses blanches?) de deux, elle fut forcée de prendre une douche....je veux dire une VRAIE douche, avec du savon et tout! C'était peut être bête, mais elle y tenait à sa crasse, c'était un peu une partie d'elle-même, comme l'est l'écorce d'un arbre vous voyez? Et de trois, elle portait une sorte hideuse de robe de chambre fendue à l'arrière (ce qui laissait entrevoir sa culotte à petite pois...et on trouvait ça normal?)
Seuls points positifs, la bouffe de l’hôpital (pour ce qui était de manger, hein, vous connaissez Karina..) et les jeux éducatifs pour enfants qu'elle n'avait, auparavant, jamais connus. Elle se souvenait du jeu des différences (des photos moches, en général), des labyrinthes, ou d'autres énigmes que la majorité des enfants âgés de huit ans n'aimait plus.
Katarina est passée du mode : "clocharde naïve" à "attardée mentale" pour une bonne partie de la population. Et comme elle ne parlait presque jamais, ça n'aida pas à redorer son image. Elle n'avait pas eu l'occasion d'aller à l'école, de suivre ne serait-ce qu'un semblant de scolarité -et vous imaginez bien que ce n'était pas sa mère qui aurait pu entretenir la tâche éducative-. Evidemment, même si certains en doutaient, Karina savait parler. Parler, pour Karina, c'était comme savoir que Benito le boulanger ouvrait tôt le matin : on le savait, c'était juste qu'on montrait pas forcement qu'on le savait (pas bon pour les affaires.). Compter et lire l'heure, ça aussi, elle avait appris. Niveau filons de la vie au dehors, tels la valeur de l'argent, le nombre de billets, l'heure à laquelle passait les contrôleurs de bus, Karina était parée.
Mais voilà, elle était pas à l'aise avec les bouquins. Les gens du MAREM passaient la voir tous les jours. (ils étaient pas prêts de la lâcher.) Comme Karina était pas très chaude pour coopérer, ils se servaient d'un méchant chantage : tu apprends, et je te file un gâteau....au chocolat. CHOCOLAT, vous imaginez. Déjà qu'à la base Karina n'était pas une petite fille courageuse pleine de sang froid. Nan, c'était pas Karina ça. Karina, elle prenait ce qu'on lui donnait, sans attendre, sans forcement remercier. Quand on vie dehors, la fierté ne sert à rien, surtout une fois mort.
Les exercices étaient longs, encore plus chiants que lorsque le corps médical venait lui faire passer des tests d'urine, mais qu'est-ce que c'était bon....je veux dire le biscuit.(quand même!) Après deux semaines, il faut souligner que les docteurs ont été dans l'obligation d'attacher Karina 'pour sa propre' sécurité. Vu qu'elle pouvait à nouveau bouger ses jambes, elle avait tenté, par trois fois déjà, de s'enfuir en courant à toute berzingue, dans les couloirs de l’hôpital...pas le choix.
Et c'est après quasi un mois de convalescence que Karina est sortie de l’hôpital ..pour mieux se faire surveiller, haha!
Ben ouais, tu croyais quoi toi? Que les gens de l'association s'étaient troués le cul pendant quatre semaines pour rien? Ben nan, Karina allait continuer à suivre les directives de gens qui ne voulaient que son bonheur! (vous sentez l'odeur de l'ironie?)
Là, c'est un passage de sa vie vraiment très chiant, pas très utile à expliquer en détails. En gros, elle a suivi des cours dans un genre de SEGPA. Karina y a trouvé des enfants encore plus bizarres qu'elle et, étrangement, ça lui a fait du bien. Elle s'est pas sentie seule sur le bateau de la dérive sociale. Puis, à mesure que les jours, que les mois passaient, Karina s'est découverte un talent caché :
celui de vite assimiler les choses. Elle avait acquis ce dernier dans la rue, obligée de s'adapter comme elle le pouvait quand les éboueurs changeaient d'horaires, de trajets ou quand la grande pompe d'une boutique branchée s'arrêtait pour trois secondes dans son sillage....forcement, elle s'était endurcie la petite! Pas bien intelligente mais plutôt débrouillarde, elle a fini par percuter qu'un professeur n'était pas seulement là pour faire joli.
Et voilà que Karina, n'ayant rien d'autre à faire une fois rentrée dans les chambres de MAREM, se mis en tête d'ouvrir ses livres. Croyez-le ou non (toute façon elle-même eut du mal à le croire au début), mais elle en apprécia le contenue.
Comprenez bien que les livres d'une SEGPA ne sont pas les mêmes que ceux de l'enseignement dit 'normal'. Des mots simples, plus d'images aussi...pourtant, malgré cela, qui aurait pu prévoir que Karina, qui semblait avoir le QI d'une armoire à glace, aurait pu
se cultiver? Elle qui avait horreur des jardins en plus..(mauvais souvenir lors de sa première visite des locaux de MAREM, vous vous en doutez.)
A l'âge de quatorze ans, après être sûr que son équilibre mental lui permettrait d'accepter les fenêtres sans passer à travers, on lui trouva une maison d'accueil. La maison d'accueil c'est comme la famille d'accueil, sauf qu'il y a dix fois plus de marmots. Les petits déjeuners étaient mouvementés, les douches une véritable bataille pour un peu d'eau chaude. Et comme Karina n'avait pas été habituée à se chamailler pour monter dans la hiérarchie, elle était toujours la dernière pour tout. Ses bonnes notes écrites étaient une chose (oui parce qu'elle avait intégré une école depuis, une vraie de vraie, même que ça s'appelait un 'collegeuuuhh' tralala puet!), son niveau oral en était un autre. Au milieu des chialeurs, des chieurs, et autres chichis en tout genre, Karina...ben elle ne parlait pas. Enfin, PEU. 'Oui', 'Non', '...Je sais pas?' lui seyaient pas mal en bouche, mais elle n'était pas très à l'aise. Presque dix ans de mutisme pour se retrouver entourée d'enfants qui parlaient tout le temps, tout le temps mais genre vraiment tout le temps! -le pire c'était Alice, sa voisine de chambre.
Oh mon dieu. Bref, littéralement parlant...que dire ?
(que de jeux de mots wutwutwuuuut!)Après pour le reste, elle avait de chouettes parents. Un peu débordés par la dizaine d'enfants qu'ils surveillaient, c'est vrai, mais vraiment de chics gens.
Parfois, allongée dans sa chambre, Karina pensait à sa mère. Elle avait fini par comprendre qu'elle ne la reverrait pas...d'ailleurs, elle se disait que c'était peut être mieux comme ça. Et de temps en temps, ainsi plongée dans le noir et dans ses pensées, il arrivait qu'elle entende les pleurs d'Alice se faire tenus. La seule chose qu'elle taisait, la seule chose qu'ils taisaient tous un peu....et de se dire que la vie :
ben c'était quand même bien de la merde.Karina a vu défiler pas mal d'enfants à la maison d'accueil. Certains restaient plus longtemps que d'autres avant de trouver une famille, mais pour Karina, il fallait croire que son dossier s'était perdu en route. Pas une seule demande, rien. (tu m'étonnes, fallait voir le dossier aussi.) Si cela attristait ses pseudos parents, Karina était plutôt contente. Elle ne s'imaginait pas atterrir un jour, comme ça, dans le cadre photo d'une famille puante de bourgeoisie. La seule chose qu'elle se disait à l'égard de ce problème c'était : 'si on m'adopte, je fuguerai'.
Puis un an de plus, puis le lycée, puis on se forge un caractère d’adolescente pas-rebelle du tout et sans-ami du tout.... Enfin, ça, c'était avant de rencontrer le seul ami qu'elle ait jamais eu. Paolo, qu'il s'appelait. Déjà quand il est arrivé dans la maison d'accueil il faisait peur à presque tout le monde. C'était pas un mauvais bougre mais...comment dire. Quand il disait 'tu veux ta tartine ou je peux la prendre?' les enfants semblaient plutôt entendre que c'était eux qui allaient s'en prendre plein la gueule !'. Les parents tâchaient d'expliquer qu'il avait besoin de se 'réintégrer' dans la société.' Qu'est-ce que ça voulait signifier, au juste? Karina savait pas. Ce qui était sûr, c'est que Paolo était le plus vieux de la maison, plus vieux encore que Karina déjà pas toute fraîche dans le domaine de l'adoption. Dix-sept ans, bientôt dix huit en réalité. Donc il logeait là jusqu'à sa majorité, et il devait se tenir à carreau pour pas 'retourner d'où il venait.' Et il fut docile, comme un mouton noir. Vu que Karina était trop banale, et lui pas assez banal, sûr que ça n'a pas loupé.
Leur rencontre fait sûrement partie des rencontres les plus connes de la planète vu qu'ils se sont 'accrochés'. Mais genre vraiment, accrochés. Le pull de Karina s'est accroché à sa ceinture et donc elle s'est retrouvée coincée en face de ce grand gars pas avenant. Paulo, Maria et un autre dont elle ne se souvient plus du nom (des enfants de la maison d'accueil, si vous n'aviez pas compris.) ont retenu leur souffle, persuadés que c'était la fin de la vie à Karina.
Paolo a détaché le bout de laine coincé et il lui a dit :
"Fais gaffe." Puis il est monté par les escaliers, et Karina est descendue au rez-de-chaussée.
Et voilà! Avouez que vous êtes soufflés, n'est-ce pas ? Normal.
En réalité, Paolo a été un peu surpris quand il a vu que Karina n'avait pas réagi. D'habitude les autres glapissaient toujours un peu. Mais elle, son regard avait été las....ou alors vide, comme celui des poissons rouges. Donc, il s'est mis en tête de savoir si Karina était insensible à son 'chakra noir ouuuh ouuuh ouuuh !' ou si c'était juste qu'elle était attardée mentale.
Qui l'aurait cru, lustucru, patate crue et autre terme hurluberlu capables d'expliquer la complexité d'une amitié comme celle de Paolo et Karina! Ils étaient un peu comme 'on me voit trop' et 'on me voit pas du tout' ou Laurel et 'pas Hardy', un tandem que personne n'osait critiquer au risque de s'en prendre une belle dans la tronche de la part de Paolo. (ben ouais, c'était pas censé être un jeune en difficulté juste pour la forme.)
Au fond, Karina savait que Paolo attendait qu'on lui ôte ses chaînes pour faire ce qu'il savait faire de mieux : c'est à dire jouer les gars pas sages. Et si certains trouvaient que le genre 'pas fréquentable' était mauvais et dangereux, Karina ne voyait pas où était le problème. Entre les ordures elle avait eu le temps de savoir que le bon et le mauvais ne se limitait pas à être un 'bon citoyen' et un 'mauvais SDF'. Raison pour laquelle Paolo s’est épris d'elle immédiatement.
Mais attention , je vous arrête de suite! Pas comme on s’éprend d'une fille au point d'en rougir, rêvant de lui faire un bisous sur la joue et de lui demander 'je peux toucher ta poitrine?' mais s’éprendre comme on aime une soeur, comme on est certain qu'avoir l'estomac en ripatouille et lâcher un rot ça n'ira pas la gêner. (vla les exemples de merde hahahaha)
Comme si elle était sa seule famille. Au début, ils avaient cru être moins que cela. Ils étaient jeunes, cons donc. Puis faut dire que Paolo était devenu un mec, un vrai, poil au menton et au.....bref, les hormones, ça travaille. Ils ont 'essayé'. Enfin non...ils ont même pas essayé, ils l'ont carrement fait ! Mais vu comment ils s'y sont pris, employer le terme 'essayer' n'était pas de trop.
Et à la fin, draps recouverts jusqu'au nez, ils se sont regardés. Comment expliquer la chose sans trop rentrer dans les détails.....disons que ce fut mauvais. Pire que ce qu'on pourrait imaginer, du style, aucun des deux moteurs qui démarrent. Vous voyez le topo ? Bon, après, ils se sont chacun foutus de la gueule de l'autre et ils en sont partis dans un putain de fou rire..ma foi, ça les a détendu et ils se sont endormis. Frère et soeur, que vous dis-je. Et si c'était dans le même lit, tant pis, ils vous emmerdaient.
Puis la chose qui devait arriver arriva, Paolo eut dix-huit ans. Karina, elle, était âgée de seize ans. Et elle avait encore ses études (choses qu'elle adorait juste pour les cours...pas banal.), elle avait ses habitudes, ses manières naissantes comme celle d'un vouloir de propreté partout où elle passait (me demandez pas comment, pourquoi, c'est un mystère.) et sa tasse fétiche au fond du placard. Quant à ses parents adoptifs...ouais, mais elle n'y était pas très attachée. Et c'est peut être méchant, dit comme ça, mais il faut vivre dans les mêmes conditions, au milieu d'un monde qui s'en va et qui revient, pour comprendre. Ils étaient de bons amis, des personnes aidantes, comme l'avaient été les membres du MAREM (ah ben enfin, elle le reconnaissait!) mais ça s'arrêtait là. Alors que Paolo..... ben que Paolo c'était son frère quoi, merde!
Le jour où Paolo dut s'en aller, Karina hésita entre descendre et subir (et elle n'avait jamais été douée pour les au-revoir) ou alors rester dans sa chambre et....et juste rester dans sa chambre! C'était un lundi de cours qu'elle avait séché, et ce, pour la première fois de sa vie. La maison était donc vide. Même les parents étaient partis bosser. Paolo était en bas, elle le savait parce qu'elle l'espionnait à travers les rideaux de sa fenêtre au deuxième étage. Et vous savez quoi ? Ben il était déjà prêt depuis longtemps mais il avait tenu à l'attendre. Il s'était même allumé une clope, pour la route. Mais Karina n'avait pas bougé. Le coeur à tout rompre, et une peine qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant...même pour sa propre mère. Elle n'aurait pas pu le voir en face et lui montrer tout ceci, tout cela sur son visage. Impossible.
Finalement, Paolo a froncé les sourcils. Puis il a jeté sa cigarette et il est parti avec sa lourde valise à la main. Adieu, donc. Sans rien de plus qu'un bout amer de nicotine, collé au palais.
D'ailleurs, c'est à partir de ce moment que Karina a commencé à fumer.
Suite à cela, étrangement, la scolarité lui parut ennuyante à mourir, les coins de chaque pièce encore plus dégueulasses que si elle n'avait pas nettoyé. Elle avait même cassé , par inadvertance, sa tasse fétiche. Le lycée s'acheva sur une note lugubre, froide comme un soir de janvier. Le destin s'acharnait à lui dire :
ben voilà, t'es contente ? t'es satisfaite? tu as passé ton bac? tu l'as eu ? mention bien? c'est super ma grande! et tu veux devenir quoi, médecin? femme de ménage peut être...non? Et après ? Et après...elle verrait.
Elle se plaisait à imaginer Paolo ayant réussi sa vie. Peut être même qu'il s'était trouvé une nana super canon; bon... pas forcement futfut mais gentille. Qui sait ? Autant il attendait des jumeaux ou un truc du genre, et que, rien que pour faire plaisir au passé, il en nommerait un Karina...enfin, si c'était une fille.
Subitement, acouddée à la table du salon, elle s'était figée.
Oui mais, ça, comment tu le sauras que la gamine aura ton nom? Imagine qu'elle pourra jamais t'appeler tata, jamais! Et au milieu du chahut des jeunes enfants de la maison, qui lui passaient sous le nez comme un cycle sans fin d'une vie qu'elle venait, pourtant -à sa propre surprise- d'achever, elle fut frappée de constater à quel point elle..... n'avait rien. L'idée de partir à l'université ou dans une école, de faire maths sup' ou ingénieur de-mon-cul lui sembla, soudain, être aussi dénuée de sens que sa situation actuelle, là, juste là, assise sur ce putain de canapé à la con.
Vous savez ce que ça fait, vous, de croire en le bien fondé d'une chose, avant de se rendre compte que cette même chose est une ineptie, une signature sur un chèque en bois, une belle saloperie d'arnaque?
Oui, non ? Et on faisait comment, dans ces cas là, après avoir été plumé? Et elle faisait quoi, maintenant, Karina ?!
Ben je vais vous le dire.
Elle est montée, elle a pris sa valise, elle a fait ses affaires. Le problème avec les décisions de dernières minutes c'est que, après avoir tout rassemblé de nos affaires, on se rend compte que la moitié des bidules ne rentrent pas dans la malle. Et t'as beau t'asseoir dessus, hein, que ça ne marchera pas pour autant!
Karina était tellement possédée par la peur d'être totalement inutile dans sa propre existence (ouais compliqué ça, je sais) qu'elle a carrément foutu en l'air ses bagages. Elle a pris tous ses papiers -mais vraiment TOUT, genre les papiers du bac, appréciations de-mes-deux, bulletins, mutuelle, RIB), sa carte bleue, ses clopes, sa carte d'identité.....des lunettes de soleil, aussi, pour la route, et elle s'est barrée. Avec rien d'autre comme vêtements que ceux qu'elle portait. Elle n'a même pas écrit une lettre pour expliquer les raisons de son départ, ou pour remercier ce couple tellement gentil. Karina s'était dit que, si elle avait du réfléchir plus longtemps à l'organisation, elle aurait fait une boulette. (et partir sans brosse à dent, sans pantalon, c'était pas une boulette, OKAY? Bon.) Et puis, dans trois mois elle avait dix-huit ans...qui irait la chercher, hein? Rien à fout' donc.
Rien à foutre, qu'elle disait. Hahaha, ouais, seulement Karina, vois-tu, à dix huit-ans, toutes les petites aides d'un état déjà pas franchement généreux s'en vont. Et ton compte en banque, et ta mutuelle expirée, et tes cent euros pour t'acheter une culotte de rechange -parce que tu te seras tellement chiée dessus en apprenant la vérité- , ben c'est tout ce qu'il te restera..
Ouais, et, effectivement, c'est tout ce qui lui resta.
SDF un jour, SDF toujours ma couille ! Vous allez pas le croire, parce que c'est une situation à s'en tordre de rire, mais Karina s'est mise à squatter.....à son tour! Sauf que c'était plus difficile que vingt ans auparavant (ou même dix ans.) Les voisins mouchardaient, les violeurs reniflaient les coins comme des chiens le font sur un poteau plein de pisse, et même entre 'gens de la rue', personne n'approchait personne ; au risque de se retrouver sans vêtement, sans sac, sans rien d'autre que sa bouche pour envoyer foutre le monde....et encore, parfois le passage à tabac se faisait pas dans la douceur et t'étais trop défoncé, physiquement, pour aligner un mot. Et je vous jure que j'exagère rien.
Donc, à un moment, Karina est devenue tellement parano qu'elle a préféré dormir sous les ponts. Il arrivait que, lors de grosses intempéries, elle se retrouve réveillée en pleine nuit, trempée jusqu'au cou, avant de percuter que la crue montait et qu'elle ferait bien de bouger dard dard si elle voulait pas mourir noyée sous ledit pont.
Et son plus grand malheur, dans tout ça, ce fut l'hygiène. Quand on devient une siphonnée de la propreté et qu'on se réveille, une merde de chien sous les yeux, on est au bout du rouleau. Mais au bout. Karina avait dix huit ans, plus huit ans. Elle le savait, et elle le sentait.
Mais elle s'est accrochée à sa barque, sans rame, avec un trou dans la coque. Du mieux qu'on peut...avec une vieille casserole pour enlever l'eau du bateau. Elle s'est remise à voler. C'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas. Bon, elle pédalait pas vite au début, mais, au fur et à mesure, elle s'est perfectionnée ; sans jamais se faire pincer une seule fois. La vieille école, y'avait que ça de bon!
Et elle a continué dans ce rythme pendant......quatre ans. Quoi ? Comment? Si si, QUATRE longues années, en somme quatre hivers, mille quatre cent soixante jours de calvaire. (ouip, je suis pas mauvaise en calcul mental.) Mais elle s'en est sortie...elle s'est même hissée au dessus d'un lot communément appelé 'le lot des pouilleux.' Grâce à ses vols de grande pro, elle revendait la moitié de la marchandise au noir, et ça lui permettait d'avoir assez pour affluer son compte en banque. Car , rappelez vous, c'était tout ce qui lui restait. Le subterfuge était simple, la manipulation plus risquée par contre : elle volait des habits neufs qu'elle enfilait, elle se foutait un chapeau sur la tête ainsi que ses grosses lunettes de soleil, et elle allait déposer sur son compte.
Incognito . Enfin...jusqu'à ce que les flics décident, entre deux affaires mafieuses de meurtres et de contrebandes, de se pencher sur le cas de Karina.
Comment le pouvaient-ils ? Attendez un peu que je vous explique, c'est pas marrant sinan!
Notre protagoniste, fière de son talent d'être un déchet de la société, traînait dans le rayon des shampoings et autres savons en tout genre. Cela faisait fort longtemps qu'elle avait repéré des douches municipales et qu'elle en profitait tout à loisir. (même si la température de l'eau laisser à désirer pour les frileux.) Et là, alors qu'elle s'apprêtait à mettre la bouteille de gel douche dans son sac, un gugusse sans cheveux lui a attrapé le bras. Elle s'est retournée, son flacon à la main, surprise.
"Est-ce que c'est vous?" Que lui a demandé le mec. Karina a pensé à un fou, à Calabre il y en avait beaucoup. Donc elle a pas répondu. Elle a posé ce qu'elle avait failli voler et elle a essayé de partir. Mais le chauve ne l'a pas lâchée.
"Karina Melho, c'est vous?"
Ca pour un choc, ah, ce fut un véritable choc. Comme on se reçoit une poutre dans la gueule, tout comme. Éberluée, Karina a commencé à prendre peur. Elle a tiré sur son bras, mais l'homme était trop agrippé à sa manche. "Lâchez moi" a-t-elle sifflé. Et elle fut à deux doigts d'envisager de partir et ce, malgré le joug de l'homme, malgré qu'elle finisse en soutif' à force de tirer d'un sens et lui de l'autre pour la retenir. A deux doigts oui, mais voilà..
"Je suis commissaire de police. Venez avec moi."
Ouais, juste voilà.
Ca ne servait à rien de s'enfuir. Karina n'était plus aussi conne qu'avant, donc, elle le savait. Et puis, resister à un flic alourdirait sa peine, qu'elle pensa déjà assez lourde. -vu tout ce qu'elle avait volé depuis tout ce temps. Elle est rentrée en silence dans la voiture du policier chauve, (pas celle de fonction) et il a passé un coup de fil.
" Pronto ? ...blablabla....Oui, venez vite, j'ai retrouvé Karina Melho....ablabla" tout ce qu'elle comprit au milieu du brouillard de son angoisse.
Elle avait eu l'impression de sentir bondir si fort son coeur , au moment d'être emmenée, que le sang pulsé d'un coup en avait brûlé son cerveau, quelque chose comme ça..
Elle aurait préféré qu'il s'agisse d'un canular et que le mec soit en réalité un sérial killeur ou un violeur en série, quitte à la laisser pour morte au bord de la chaussée. Tout sauf la prison. Hélas...hélas, au vu du commissariat (elle pouvait pas se loupper, c'était écrit en gros au dessus de la porte) elle se sentit retournée et eut envie de vomir.
"On a eu beaucoup de mal à vous retrouver" a dit le poulet, avant d'arrêter la bagnole.
Karina ne répondit même pas. Qu'aurait-elle pu répondre ?
Ouais, mais c'est parce que, en fait, j'ai creusé un trou dans le sol et que j'y suis restée! Une fois sorti, il la tint encore par le bras. Peut être qu'il n'avait pas de menottes sur lui, ou que ces dernières faisaient
too much pour une raclure telle que Karina. Les menottes c'était pour les gros poissons, pas pour les petites sardines.
Soudain, au moment même où il ouvrit la porte et qu'elle entra à l'intérieur, quelqu'un se jeta sur elle.
Sur le coup elle crut à un dangereux policier très vénère qui voulait se défouler. Mais, au fur et à mesure, il lui sembla reconnaître la sensation de ces bras, contre les siens. Et la grandeur de cet homme. Et sa poitrine de vrai bandit et....non, impossible. Ca ne pouvait pas...
ça ne le pouvait pas.hein?"Abrutie, idiote, imbécile, comment t'as pu me faire ça, à moi ?!" lui demanda Paolo, en la serrant dans ses bras de plus belle.
Au son de sa voix, elle crut défaillir. Elle trembla, manqua d'oxygène.
Que dire? Mais que dire?"Je...Je....désolée.." répondit-elle finalement, persuadée qu'il faisait allusion à des années plus tôt, sur le pas d'une porte. (fallait dire que mentalement, pour le coup, elle était pas très nette.) Et là, juste à ce moment précis...elle a éclaté en sanglots.
Et dans l’assistance, entre les gens du MAREM et ses pseudos-parents adoptifs, tous venus pour elle, ils furent bouche bée de la voir verser des larmes.
Car jamais de sa vie entière, Karina n'avait pleuré. Pas une seule fois.
Bouche-bée, oui, sauf Paolo.
Deux heures plus tard, Karina, toujours dans le commissariat, s'était endormie dans les bras de Paolo. Il était plus grand qu'elle et deux fois plus robuste, donc ça lui posait pas de problème majeur. Du coup, personne n'osait la réveiller pour entendre la version de son histoire, vu que Paolo....ben il avait pas changé, il était toujours aussi intimidant! (t'imagines le niveau, on était dans un commissariat de police quand même.) Donc les autres préféraient se parler entre eux, proposant chacun leur version de la disparition.
La vraie histoire que, vous, vous ne connaissez pas, c'était que , après le départ précipité de Karina de la maison d'accueil, le couple, bouleversé de ne pas avoir trouvé Karina, avaient décidé d'appeler les flics. Ils avaient craints qu'elle ne se fusse kidnappée, ou tuée. La police avait lancé des avis de recherches dans toute la ville, à la radio, à la télévision. Mais comme Karina n'avait ni l'un ni l'autre, ça lui faisait une belle jambe! Paolo avait très vite appris la nouvelle, et il avait passé quatre ans de sa vie à chercher une trace de Karina, convaincu que c'était de sa faute si elle avait disparu. (hahaha, si c'est pas aberrant comme situation!)
C'était troublant parce que la police recevait fréquemment des historiques du compte bancaire de Karina. Mais après quatre ans, ils en confluèrent à la fraude, ou au vol de carte et, à part Paolo, plus grand monde ne continua les recherches. Enfin, ça c'était avant qu'un commissaire anciennement chargé de l'affaire ne soit frappé par la ressemblance entre la photo de la prétendue 'Karina Melho' et cette fille dans un supermarché de la quatrième rue.
Pas de suspicion de vols, donc. Ouf! Tant mieux, tant mieux...cela aurait fait tâche après un branle bas de combat pareil. Au final, Paolo l'a ramenée chez lui sans demander l'avis du commissaire (il était pas très pote avec les matraqueurs.). Elle était revenue, et c'était tout ce qui comptait à ses yeux.
Happy end, petits coeurs partout, et ils eurent plein d'enfants ? ...Des enfants, avec Paolo, son frère?! Ca va pas bien la tête hého?! Chacun conçoit la fin à sa manière. Ici, en l'occurance, ce fut d'être directement mise au parfum. Du style:
"Ecoute, Karina, je suis dealer de crack."
"...Ok."
"Ok ?! Juste Ok ?!"
"Ouais."
"Ok.Et comme Paolo était un sacré petit filou, Karina lui avoua toutes ses bêtises ainsi que ses vols, nombreux....très nombreux. Paolo l'encouragea a continuer si elle se sentait assez douée pour cela. (ou la voix de la sagesse, ben ouais.) Calabre fut une ville sympathique pendant environ deux années de plus, avant qu'un incident lié au 'travail' de Paolo ne rende l'atmosphère irrespirable. Un collègue de Paolo s'était fait pincer. Mais pas le petit collègue qui n'est relié à nul autre, non, l'une des pièces maîtresses de leur échiquier de drogue. Du coup, quand Karina a découvert le pot aux roses lors d'un flash, sur la chaîne des informations, ils ont vite fait leurs valises....cette fois-ci ensemble. Direction Milan. Beaucoup de rumeurs circulaient dans cette ville, notamment des histoires liées à ce truc, là, la lune rouge qui était apparue, une rumeur qui passait complètement par dessus la tête de Karina. Elle avait d'autres choses plus urgentes à régler, comme sauver son cul face à l'intitulé
'complicité et possession de drogues.' par exemple? Ouais, accessoirement. Le plus drôle là dedans c'était que Karina laissait Paolo planquer de la drogue qu'il allait revendre un peu plus tard, que Paolo laissait les sachets dans des grosses chaussettes, au fond de tiroirs, et que ni l'un ni l'autre ne consommaient jamais, ne serait-ce qu'une seule fois, cette dite drogue. Paolo avouait à Karina 'toucher à la chose quand il y était obligé, mais qu'il n'était pas assez con pour se rendre dépendant de son propre merdier.'
Tant mieux, car si Karina laissait faire, elle n'affectionnait pas pour autant ce trafic. Bon, elle devait reconnaître que les fins de mois étaient rondement menés....mais vraiment bien ; et que ça faisait plaisir.
Bref, ciao Calabre, et.... ciao Milan! ( ou comment dire aurevoir et bonjour en même temps, pratique l'italien.)
Histoire de tenir un ordre chronologique dans toute cette joyeuse mascarade, Karina était âgée de vingt-quatre ans lors du voyage. Il a fallu l'équivalent d'une année pour que la machine des habitudes ne se remette en branle, doucement mais sûrement. Lavés de tous anciens soupçons , s'en créant de nouveaux à Milan..quoi de plus logique! Entre deux, trois vols, comme Milan est une grande ville, Karina a prit du galon. La pie.
La pie?
La pie! C'est un sacré voleur, que les gens disent. Ca m'a pas l'air fin, toute cette histoire, chui sûre que c'est un gars du genre petit mais bien pensant, et qu'il attend son heure pour frapper!
Tu crois ? Avec ma bijouterie déjà attaquée trois fois..
Ah mais que oui mais que oui te dis-je! Ce gars, la pie, c'est un Luciano Lutring.
Mama mia!Ahah, les rumeurs étaient sympathiques, parfois. Cela poussait Karina a être plus vigilante..m'enfin, elle était vraiment pas la seule voleuse de Milan, encore moins la plus compétente. Preuve à l'appuie que pour avoir une notoriété, encore faut-il se faire voir au moins une fois.
Par contre elle a stressé à mort le jour où Paolo lui a dit : 'C'est quoi cette lettre, sous la porte?'
'Une lettre?'
Paolo avait ramassé le papier, avant de l'ouvrir.
'C'est écrit : La pie, sur sa branche, et la rouge baie.'
'Fais moi voir!'
Elle avait déboulé comme un diable, les mains fébriles tenant la lettre, les yeux lisant très vite. Avant de murmurer.
'Mais c'est quoi ce délire...'
Et Paolo de froncer les sourcils, incapable de répondre.
Mais moi je peux vous répondre : L'Organisation mes loulous! Et Karina aurait pu le faire à ma place si elle avait compris plus tôt le sens de ces messages. Mais il lui a fallu biennnnn du temps, et biennnnn du stress. Pour vous dire, elle surveillait le bas de sa porte comme un chat fixe le trou d'une souris (je viens de me rendre compte que cette phrase porte à confusion.).
En son fort intérieur elle se disait :'Dès qu'il le fout en dessous, je lui tombe dessus!' ; piètre espoir puisqu'elle n'arrivait jamais à être là au bon moment. A croire que c'était pas des petits rigolos ceux qui lui faisaient ronger les ongles à sang. Et, effectivement, ils ne l'étaient pas. Mais de ce côté ci je ne vous apprends rien.
Donc, les lettres se sont multipliées. Mais ces messages, qui pouvaient sembler, au premier abord, plus provocateurs qu'autre chose, devinrent nettement plus confidentiels et moins personnels à son égard. Les histoires de personnes
pas comme les autres, les affaires très vite classées de coupable sans preuve de leur culpabilité. Ils se sont peut être dit que Karina serait piquée vive par la curiosité, elle qui lisait tant et adorait se cultiver....ben ils eurent raison. ( ils sont doués, truc de malade!)
Comment ont-il su que Karina était 'la pie'? Je peux vous donner un petit indice. (bon un GROS, okay.) Il est possible que, par le plus malencontreux des hasards, Karina ait volé trois tickets de loterie dans une 'certaine' épicerie gardée par une vieille dame. Et qui d'autre que la pie oserait voler une pauvre vieille, je vous le demande? (et vous me répondez?....Ben ouais, Karina.) Après, quant à l'origine de cette vieille dame, je vous laisse réfléchir un peu par vous-même - ça fait pas de mal, des fois que vous seriez en manque de neurones.
Et voilà que, sous la froide nuit hivernale de Milan, plus loin dans le futur, la pie a rencontré monsieur la baie rouge et lui a serré la main.
Et personne n'avait besoin de savoir cela. Ce serait trop dangeureux.
"Bienvenue, nous vous attendions. Yubaba aimerait bien vous parler, et....haem..aussi se voir rembourser ses tickets de jeux à gratter, par la même occasion."