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 Dossier n°5648 [PV Livio]

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Milo Vasco

Milo Vasco

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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeMer 21 Sep - 1:07

Spoiler:

Ce fut un lieutenant Cataldi surexcité qui pénétra dans le bureau de Milo à dix-neuf heures trente, alors qu’affalé contre sa table, le jeune homme tentait de battre son record de paniers au corbeille-basket. Cela faisait une bonne heure qu’il comptait les minutes de la petite horloge en forme de dé qui trônait sur sa table. Un vendredi soir comme celui-là, Milo n’avait qu’une envie : bazarder dans son placard la vingtaine de dossiers qui s’empilaient à côté de lui et rentrer dans son appart. Bien sûr, cela signifiait se retrouver plus tôt avec Marica mais la plupart des week-ends, le couple s’efforçait d’installer une trêve. Le repos hebdomadaire bénéficiait à tout le monde. Et puis, à la rigueur, s’ils étaient fâchés de la veille, Marica aurait déjà craché tout ce qu’elle avait sur le cœur et la soirée aurait été extrêmement calme, c’est tout. Froide, mais calme. De toute façon, la question ne posait pas ce jour-là puisque cela faisait une semaine et demi qu’ils ne s’étaient pas disputés pour une sombre histoire de rouleau de scotch perdu ou autre poignée de mains un peu trop longue à quelqu’un d’inapproprié. D’un autre côté, ils avaient reçu la veille l’appel d’Anita, une bonne copine de Marica, ce qui avait fatalement conduit à dévier leur conversation sur des sujets dangereux que Milo mettait d’ordinaire beaucoup de soins à éviter. Du style « Mais pourquoi tu n’appelles pas Nicola, c’est pourtant ton meilleur ami, ah les garçons… », ou pire encore « Anita va avoir un bébé en juin, tu ne trouves pas ça magnifique ? ». Bref, tout un programme auquel Milo n’avait pas spécialement envie d’assister, surtout une fin de semaine.

Aussi, l’arrivée de son binôme exalté fut un compromis providentiel et Milo releva la tête sans même chercher à cacher qu’il ne fichait strictement rien. De toute façon, cela faisait plusieurs jours qu’ils planchaient tous les deux sur un sujet aussi sinistre que casse-pied et ils avaient décidés d’un commun accord de l’oublier pour cet après-midi. D’ordinaire, Milo ne s’amusait pas à faire des pendus sur la page de garde de ses dossiers. Mais, une fois de temps en temps, par un morne soir d’août, alors que tout le monde ruminait sur sa rentrée sans penser à ceux qui n’avaient même pas eu de vacances, il s’autorisait à se comporter comme un lieutenant moyen, rôdé depuis de longues années à utiliser les privilèges qu’offrait son statut. C’est-à-dire, laisser les sous-fifres s’échiner sur une tâche de préférence impossible et siroter son café les pieds sur le bureau rayé. N’allez pas croire qu’on payait de la cire aux femmes de ménage du commissariat autrement que pour briquer les meubles du sous-directeur et de ses comparses.

- J’ai une surprise pour toi, Milo Vasco, roucoula-t-elle avec son accent sicilien en agitant fièrement sous son nez une feuille de déposition dont il s’empara.

- De qui est ce témoignage ? interrogea l’inspecteur en consultant les cases où se trouvait le nom en lettres moulées.

Carla Tomasi, ça ne lui disait strictement rien, à part du boulot en plus pour lundi.

Marta choisit de conserver le suspens quelques secondes, histoire de faire son petit effet.

- Je vais te donner un autre indice : Livio Gianelli.

Milo, qui avait adopté jusqu’à présent une expression de curiosité polie, se renfrogna soudainement, comme si on venait de lui verser une bouteille de jus de citron directement dans le gosier. Youhou, chouette. Quelle bonne nouvelle pouvait être liée avec ce crétin aux gros bras, qui, malgré ses épaules musclées, possédait l’étrange capacité des anguilles à se faufiler partout. Notamment à travers les barreaux de la cellule de garde du commissariat. Il fallait croire que l’Italie développait se une section particulière de ses militaires un genre de bracelet passe-murailles. Remarquez, ce n’était pas si compliqué ; il suffisait d’un fichu papier signé par un de ces abrutis préfets passant la journée à se gaver de petits fours dans un ancien amphithéâtre romain et qui voulaient bien parapher n’importe quoi tant qu’on leur apportait la mignonne jeune fille là-bas. Pas besoin d’une armée d’ingénieurs planchant des décennies dans leurs labos.

En fait, Milo, dans une autre vie, n’aurait pas ressentit une forte antipathie pour Gianelli. C’était quelqu’un qui, pour le peu qui le connaissait, lui paraissait doté d’un QI tout à fait potable et qui possédait certaines qualités que le lieutenant aurait appréciées dans un tout autre contexte. Mais, entre les quatre murs gris d’une salle minuscule, à la lueur d’une lampe à néon qui lui faisait autant mal aux yeux qu’au prévenu, ces qualités devenaient tout simplement insupportables et Milo, malgré son activité psychique nocturne digne du champignon moyen, avait sûrement rêvé une ou deux fois qu’il étranglait Livio ou qu’il lui fracassait sa chaise sur le crâne. Cependant, soyons réaliste ; ce doux songe n’était guère réalisable et Milo se contentait de sortir de ces infructueuses et inutiles heures de labeur avec l’humeur d’un bouledogue de combat nourrit au rat depuis un mois. Bien sûr, il avait suffisamment de contenance pour éviter de le montrer à tout le monde autrement que par des prunelles plus sombres que jamais, mais n’importe quel étudiant ayant assisté à un cours de psychologie aurait deviné que rien ne l’agaçait plus que de se heurter au silence buté et moqueur d’un type avec des menottes.

Ce n’était pas vraiment le silence qui le dérangeait. Milo, par sa profession, avait une longue expérience des criminels en tout genre, ce qui incluait les petites frappes prétentieuses qui croyaient leurs réparties très fines, ceux qui se contentaient d’injurier pendant plusieurs heures en trois langues différentes la personne en face d’eux, les tarés qui niaient alors qu’ils avaient du sang plein les mains, la mémé venant d’étouffer avec l’oreiller son vénérable époux, et le haut standing, qui préférait renifler dédaigneusement et se murer dans un silence aussi éloquent que leur sourcil légèrement arqué, pour bien signifier que cet interrogatoire n’était qu’une vulgaire mouche vrombissant près de leurs oreilles. Agaçants, mais supportables, inévitables et surtout, éphémères. Il y avait ceux dont le biceps faisait deux fois la largeur du bras de Milo, avec un tatouage de licorne sur l’épaule, ceux maigrichons et nerveux qui jetaient des coups d’œil à la sortie en calculant les chances qu’ils avaient de passer à travers l’ouverture de la porte lorsque quelqu’un arriverait, ceux maussades, les mains dans les poches, qui admiraient leur tee-shirt, les hystériques qui criaient à grands cris qu’ils n’avaient rien fait pour être ici, les menteurs, les silencieux, les bavards, les trop sympathiques, les haineux, les blasés, les habitués et milles autres variétés toutes aussi colorées.

Alors, le comportement de Livio Gianelli n’était qu’un caillou sur un champ de ruine et Milo avait appris à s’armer d’une redoutable patience pour ce genre de cas. Non, ce qui l’irritait, c’était que Gianelli se trouvait systématiquement plongé jusqu’au cou dans des affaires extrêmement douteuses et qu’il s’en sortait toujours avant même d’être passé par la case du juge des détentions. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Il y avait eu d’autres types, d’autres filles, qui auraient du normalement se faire au moins assigner à domicile jusqu’à la fin de l’enquête et qui, du jour au lendemain, partaient comme des fleurs, délivrés de leurs obligations envers la justice. C’était parfois un homme en costume qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam venant lui annoncer qu’il reprenait le dossier d’untel et que Machin n’était plus dans son service. D’autres fois, il revenait après une heure passée ailleurs et le gardien lui annonçait d’un haussement d’épaules désolé qui voulait tout dire. Et le pire, c’était que chacun s’obstine à trouver ça normal et ne pas y prêter attention. Pourtant, il s’agissait à chaque fois d’affaires étranges, sans mobiles apparents, souvent des disparitions. Il y avait eu également plusieurs personnes inculpées pour une histoire peu claire et avant qu’il ait eu le temps de tout mettre en ordre, on les relevait de sa charge.

Milo était loin d’être stupide, et devant le déni flagrant de son entourage et les remontrances de ses supérieurs qui lui avaient plusieurs fois conseillés de laisser tomber, il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu’il y avait une affaire de gouvernement là-dedans. Et oui, malgré le fait qu’on soit au 21ème siècle et ni aux Etats-Unis, ni dans une série télé. Oh, bien sûr, ça n’avait rien de surprenant. Combien de fois des incompétents cravatés étaient venus mettre leur nez dans des affaires qui les dépassaient pour une histoire de fric ou d’influence ? Ce côté-là du problème, cela faisait belle lurette que Milo l’avait saisi. Sauf que contrairement à beaucoup d’autres, il n’avait pas envie de fermer les yeux. Après tout, il était là pour faire un travail précis. Il était même payé pour ça. Donc, ce qu’il cherchait à savoir, désormais, ce n’était plus le comment, mais le pourquoi. Et ça, il avait beau y mettre toute sa sagacité, toute les données qu’il possédait, rien ne ressortait. Absolument rien. Alors, il ne savait pas quel rôle jouait Livio Gianelli dans ces affaires, mais il savait qu’il était dedans et aurait souhaité que le jeune homme lui donne enfin une réponse. Bien sûr, c’était tout sauf réalisable, et si jamais Gianelli retombait entre les mains de la police, Milo connaissait parfaitement la chanson. Interrogatoire inutile, tour de passe-passe et bye-bye. Ca ne servait à rien à part leur faire perdre du temps à tous les deux. Et pour en revenir à cette histoire d’antagonisme, c’était pour cette frustration permanente de savoir qu’il se passait quelque chose de louche et d’être totalement en-dehors du coup, ainsi que cette lassitude qui avait finit par pointer le bout de son museau avec le temps, que Milo détestait cordialement Livio –et d’une certaine façon, il était intimement persuadé que ce dernier le lui rendait bien, sauf que Gianelli, lui, pouvait se payer de la tête de Milo à tout loisir-. Et Milo détestait passer pour un idiot, un petit pantin, un chiot à qui on donnait un os à ronger de temps en temps pour l’occuper, et qu’on riait de voir tenter d’attraper la friandise au bout de sa queue.

Du coup, il n’était pas vraiment enchanté de voir qu’on retombait une énième fois dans le même cirque. Il fixa longuement sa collègue avait la tête d’un poète maudit n’ayant pas d’inspiration pour écrire sa lettre d’adieu avant son suicide.

- Youpee, finit-il par lâcher. C’était censé être une surprise positive ?

- Mais oui, soupira Marta en lui donnant une tape sur la tête. Notre bonne Carla Tomasi est une femme de quarante-cinq ans qui travaille dans une grande surface, située dans le centre industriel là, au sud. Comme elle est fumeuse, elle est sortie un soir dans l’arrière-cour, près des entrepôts, là où les camions déchargent. Elle a entendu des exclamations, elle s’est approchée et devine qui elle a vu ?

- Gianelli, je suppose. Il n’y a aucun suspens à ton histoire, je m'ennuie, râla Milo et se ré-étalant sur son bureau pour attraper une boulette de papier abandonnée près du pot de crayons.

Peut-être que s’il soufflait assez fort, elle roulerait suffisamment pour tomber entre les escarpins rouges de Marta…

- Tout à fait. Sauf que là, c’était pas un enlèvement, c’était un meurtre. Et elle a tout observé, il y avait un lampadaire juste à côté qui éclairait la scène. Mais elle n’a pas identifié la victime, c’était un inconnu et ils sont en train de plancher dessus. Enfin à la rigueur, ça on s’en fiche, ça reste un meurtre et on a un témoin visuel !

Elle sautillait pratiquement sur place. Milo tentait de se concentrer sur sa gorge vu de dessous et non pas sur autre chose, mais il finit par se rejeter en arrière, surpris. Oh, ça ne l’étonnait pas de la part de Gianelli –il avait pas vraiment la tête d’un enfant de chœur- mais jusqu’à présent, ils l’avaient toujours arrêté pour des histoires d’enlèvements, avec ou sans témoins, avec ou sans preuves, plus ou moins avec suspicion. C’était une première et.. Oui, c’était une aubaine. Difficile de faire sortir en claquant des doigts un type accusé de meurtre. Néanmoins…

- Si elle est la seule témoin, ils vont nous sortir qu’elle venait de fumer autre chose qu’une cigarette et que sa déposition n’est pas valable… avertit-il.

- Oh, mais je me suis parée contre cette éventualité, assura Marta. Comme elle a vite appelé la police du coin –c’était avant-hier-, on va pouvoir faire une autopsie du corps –elle est en cours en fait- et je me suis occupée de pas mal de formalités pour qu’on est pas de problèmes du côté de Carla. J’ai aussi l’ordre signé pour la perquisition et ramener l’oiseau, comme ça tu auras tout le loisir de l’interroger à ce sujet, comme d’habitude.

Milo n’osait pas vraiment croire qu’il avait la moindre chance de coincer Livio, mais c’était tentant. Pour une fois que la chance leur mettait entre les mains tout ce qu’il fallait pour. Ca n’arriverait pas deux fois dans toute sa vie. Il se leva, attrapa sa veste. Heures sup', nous voilà.

- Ca roule, on fonce alors. Je vais aller le chercher, je te laisse finir le dossier. Je sais que tu préfères les papiers !

Et avant qu'elle échange les rôles, il la planta là. Deux heures plus tard, Livio Gianelli était une nouvelle fois assis sur la banquette arrière d’une voiture de police et Milo refermait la portière en retenant un sarcastique « Oh, mais qui voilà donc ! ». Il se contenta d’une expression strictement neutre.
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Livio Gianelli

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MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeDim 25 Sep - 17:21

Spoiler:

Livio étouffait un bâillement d’une façon qu’il espérait discrète alors que Mirko lui expliquait le contenu du dossier qu’il lui avait tendu un peu plus tôt. Dossier qui pendait à présent au bout de son bras, sans qu’il ait daigné l’ouvrir. De toute façon, son supérieur agissait toujours de la même manière. Il le convoquait d’une note de service, comme s’il était incapable de se servir d’un téléphone, portable ou non, pour un horaire un peu trop matinal le lendemain matin. Si Livio n’avait aucun problème à être opérationnel dès le matin, même de bonne heure, il trouvait parfois que Mirko exagérait. Ou alors était-ce parce qu’il tombait toujours vraiment mal ? Genre, vraiment ? Parce que la veille, il avait été hors de question pour le militaire de rentrer tôt. Il avait réussi à décrocher un rendez-vous avec un ancien camarade de l’armée, et les retrouvailles avaient été des plus agréables. Comme par hasard, ils s’étaient croisés et reconnus même après tout ce temps, mais pressés par leurs obligations ils n’avaient pu que se donner rendez-vous pour un peu plus tard. La soirée avait été agréable, bercée par les souvenirs et Livio, s’il était toujours un peu mal à l’aise lorsqu’il évoquait cette période de sa vie avec quelqu’un, se détendait beaucoup plus facilement avec cet ami retrouvé. Il était monté en grade et jouissait à présent d’une position plus confortable, lui permettant de se retrancher dans l’administratif pour s’occuper de sa petite famille tranquillement. Pourtant, il n’avait pas perdu la flamme du service de terrain et les bons et moins bons souvenirs furent évoqués comme si c’était hier encore.

Evidemment, Livio évita de parler de Natale mais étrangement, son ami n’aborda pas un instant le sujet, lui évitant la douloureuse expérience de devoir trouver une justification à sa mine sombre et à son regard dur. Mais non, seuls les entraînements, les supérieurs tyranniques, les missions périlleuses et les concours stupides qu’ils organisaient entre eux ressortaient de la conversation. Il était évident que Livio n’avait jamais eu l’occasion de parler des rares expéditions sur le terrain avec quelqu’un d’autre, quelqu’un qui ne connaissait pas la réalité et l’existence criante de vérité d’une bombe ou d’une salve de mitraillette. Le sang, les armes, le bruit assourdissant et les cris n’avaient plus la même valeur et au ton de leurs voix, il était facile de deviner les marques que cela avait pu laisser. L’avantage, avec Sebastiano, c’est qu’il avait grandit au même rythme que Livio, sous les concours de beuverie organisés le soir dans les dortoirs et les défis stupides de voir qui irait le plus loin sous l’effet de l’alcool. Livio se souvenait ainsi s’être introduit dans le bureau du grand chef de la caserne, celui qui plus tard accompagna la proposition d’embauche pour entrer au GDP, et avait soulagé sa vessie sur des documents officiels. Vu la dose de vodka-bière qu’il avait dû s’enfiler pour oser faire cette connerie, il se souvenait encore de la gueule de bois du lendemain. Enfin, tout ça pour dire qu’à présent qu’ils buvaient ensemble, les verres passaient sans les assommer, ne faisant que délier les langues et les cœurs.

Le ton de leur discussion s’était fait moins badin lorsqu’ils avaient abordés un sujet que Livio ne pensait pas un instant effleurer ce soir. Sebastiano lui parla de lui, de sa femme qu’il ne faisait que supporter, de ses enfants qu’il aimait mais qui l’obligeaient à s’enfermer dans une routine procédurière et directive qu’il haïssait. Il lui détailla tout ce qu’il donnerait pour effacer ces quelques années de vie commune et pour replonger dans le bas de l’échelle, se délectant parmi la boue jusqu’à sentir ses muscles crier grâce. Continuer, les voir convulser sous l’effort, continuer encore. Jusqu’à penser ne plus exister, jusqu’à ne plus ressentir. Et continuer, encore. La passion dans la voix de son ami fit prendre conscience à Livio l’importance de son travail et le plaisir qu’il avait à pouvoir continuer à agir en direct, malgré sa position hiérarchique. Il sentit la nostalgie chez Sebastiano, qui se confiait sans gêne ni pudeur, laissant les mots filtrer de sa bouche. Lui parlant de sa honte pour son travail actuel, de son dégoût pour un quotidien planifié à l’avance, de son agacement alors que sa femme ne comprenait pas qu’il avait besoin d’une vie plus chargée et dangereuse pour le combler. Il avait essayé les sensations fortes mais même les parcs d’attraction les plus violents ne le faisaient que légèrement sursauter. Il ne posait plus la moindre passion dans aucun de ses gestes, dans aucun de ses comportements. Se sentait vide, abandonné par une vocation qui l’avait construit et nourrit tant d’années durant.

Puis il lui parla de sa plus grande honte, Livio se taisant et ne faisant qu’écouter un pauvre mec un peu perdu qui se délivrait de tous ces non dits à la première connaissance croisée. Peu lui importait qu’il s’en soucie, il lui suffisait qu’on l’écoute. Sebastiano lui avoua son penchant pour les hommes, sans avoir jamais osé franchir le pas. A l’armée, il avait peur. Chaque jour de sa vie, il avait une peur froussarde que cela se voie, s’apprenne. Il avait toujours eu envie d’essayer, et pourtant le pleutre qu’il était n’avait jamais osé franchir le pas. Son ancien collègue expliqua à Livio cette envie qui le hantait, ce désir inassouvi qui le poursuivait sans qu’il ne trouve jamais le courage de pousser la porte d'un bar de gigolos ou de demander un prostitué. Le jeune sous-lieutenant du GDP poussa un soupir las et, après lui avoir passé un sacré savon pour son peu de confiance en lui, il lui expliqua que s’il ne faisait rien il finirait par crever d’ennui et de regrets, le poussant à assumer ce qui se passait sous son crâne. Quitte à en payer les conséquences, certes. Mais le bénéfice était ici bien plus grand que le risque, qui le condamnait à ne devenir plus que l’ombre de lui-même. Une ombre pétrifiée et recroquevillée dans une coquille fragile, espérant que personne ne la remarque. Une sous merde.

Livio n’étant pas vraiment du genre à laisser ainsi un camarade de galère dans sa déprime, il l’obligea à le suivre et ils se rendirent dans un club fréquenté essentiellement par des homosexuels, où la musique était bonne et où l’ambiance était sympathique, sans être trop écrasante. Là, ils avaient continué à discuter, avaient profité du contact des autres garçons, Livio démontrant ainsi ses propres attirances sexuelles, et avaient passé une bonne soirée. Jusqu’à tard, déjà trop tard pour quelqu’un qui travaille le lendemain et qui a pris connaissance un peu plus tôt de la note de Mirko le conviant à 7h dans son bureau. Mais Livio oublia vite l’heure, l’alcool commençant à lui faire franchement de l’effet au vu de tout ce qu’il avait déjà bu en compagnie de Sebastiano. Heureusement qu’il n’y avait qu’entre eux que cela pouvait arriver, le militaire n’osant imaginer ce que ça donnerait de se bourrer devant Valente. C’est sur le coup des trois heures du matin qu’ils se séparèrent. Sebastiano requinqué, au bras d’un bel italien qui ne parlait pas beaucoup mais qui semblait très intéressé par la carrure de l’ancien militaire. Livio, lui, retourna à l’intérieur le temps de récupérer le joli morceau qu’il y avait laissé, et se dirigea vers l’appartement de son compagnon de soirée. La nuit avait été longue, éveillé. Plutôt courte, une fois endormi. Heureusement, son partenaire n’habitait pas bien loin des bureaux du GDP et c’est à six heure trente qu’il émergea après moins d’une heure de sommeil, allant difficilement s’asperger le visage d’eau fraiche, récupérant ses effets personnels et se dirigeant vers son lieu de travail.

Et commençait à regretter franchement son attitude de la veille. Il aurait dû laisser son ami dans sa misère, en fait. Son mal de tête et ses cernes ne valaient pas ça. Les yeux collés et le regard hagard, Livio se précipita sur une machine à café qui trainait par là, bousculant au passage quelqu’un. Il se retourna, s’apprêtant à s’excuser ... et se ravisant en voyant Egeado. Qu’il aille au diable, celui-là. Trois gobelets bus l’un après l’autre plus tard, Livio parvenait déjà à se tenir debout sans voûter les épaules ou tituber de fatigue. Un mieux. Et c’est là que les bâillements commencèrent, irrépressibles, impossibles à refouler. S’imposant à lui comme des vagues dévastatrices, écartant ses mâchoires et l’obligeant presque à franchir le couloir et prendre l’ascenseur une main sur sa bouche, qui ne faisait qu’attendre la prochaine preuve de sa fatigue. Arrivant devant le bureau de Mirko avec deux minutes d’avance, Livio se permit de se donner une ou deux claques sur les joues pour tenter de se réveiller, et rajusta sa veste. Tirant sur les manches pour tenter de la défroisser un peu, il se bénit de ne pas aimer les chemises et de leur préférer de confortables débardeur, blanc aujourd’hui. Au moins, il n’avait presque pas l’air d’avoir passé la nuit dehors, si on oubliait sa tête de cadavre ambulant. Livio inspira, fit un pas en avant ... et s’arrêta.

Sa chaussure. Son lacet était défait et il se voyait mal se présenter devant Mirko s’il n’était pas impeccable. Une sorte de respect qu’il lui vouait aveuglément et avec la plus grande naïveté, dévoué aux ordres comme il l’avait toujours été. Et ce vieux réflexe de tout contrôler de sa tenue avant le passage de l’officier supérieur ne l’avait pas quitté. Se baissant pour réparer l’affront, le jeune homme faillit se casser la figure, faute d’un équilibre légèrement malmené par sa nuit de non-sommeil. Quand tout fut enfin rentré dans l’ordre, il frappa, attendit, puis entra sous l’injonction. Et étouffa un bâillement d’une façon qu’il espérait discrète alors que Mirko lui expliquait le contenu du dossier qu’il venait de lui tendre. On en revenait là, tandis que Livio se perdait dans ses souvenirs pour éviter de sombrer. Il savait de toute manière pertinemment que tout ce que son capitaine énonçait d’une voix monocorde et lancinante se trouvait dans le dossier. La seule différence, il le savait, c’était que cette fois-ci l’affaire était plutôt sérieuse. Parce que sinon, et c’était le cas la plupart du temps, les chemises marrons où était épinglée une photo plus ou moins de bonne qualité à l’intérieur du rabat avant arrivaient comme par magie sur son bureau. Par courrier interne, sous un vague pli noté « Livio Gianelli - Confidentiel ». Et encore, pas toujours.

Livio écouta d’un air très concentré des mots qu’il ne comprenait pas au vu de sa fatigue, mais il faisait confiance à sa mémoire pour tout enregistrer et lui ressortir cela le moment venu. En attendant, Mirko avait fini et Livio ne l’avait pas remarqué, trop plongé dans un absentéisme très étudié pour réagir à son environnement. Une voix froide et piquante le ramena pourtant à la réalité.

- Des questions, Gianelli ?

- Non, capitaine !

- Alors dégagez le plancher, et faites quelque chose, vous avez une mine à faire peur à vos collègues.

Ce fut sur ces paroles des plus claires que Livio ressortit, le dossier toujours bien serré dans sa main. Bon, première décision : suivre les ordres. Ceux qu’il avait entendu. Et donc, faire quelque chose, comme rentrer et s’effondrer sur son lit. Il verrait ce soir, pour le boulot. Les heures supplémentaires ne le dérangeaient pas et il savait que tant que le travail était fait, il n’aurait aucun ennui du fait de sa liberté d’action très étendue. Livio rentra donc dans son appartement, s’effondrant dans ses draps d’un sommeil sans rêve pendant de longues heures. Il ne fut tiré de son sommeil qu’en fin d’après midi, alors qu’une de ses voisines venait de rentrer. Les bruits pourtant discrets de ses talons sur le carrelage du couloir extérieur avaient suffit à le tirer de sa longue sieste, ce qui était la preuve indéniable qu’il avait largement assez dormi. Il se leva, fila sous la douche, remis les mêmes vêtements et s’équipa de son arme pour aller faire son travail. Puis il ouvrit la pochette brune sur laquelle était écrit « Dossier n°5648 - Top secret ». Il ricana un instant, Mirko avait trop regardé de James Bond. Puis il parcourut les lignes, referma la chemise, sortit.

Deux jours plus tard, Livio était affalé dans le seul fauteuil qui trônait dans la grande pièce centrale de son appartement. Un verre de scotch à la main, le regard figé depuis des heures sur la vision de Milan, de nuit. Il ne sursauta pas quand on frappa à la porte de grands coups, ni quand une voix se joignit au geste pour lui demander d’ouvrir. « Police ». Ouais, ouais, police. C’est cool. Livio ne bougea pas d’un iota, se contentant de répliquer d’un « C’est ouvert ! » tonitruant. Oh, il n’était pas soûl, non. Ce verre lui avait fait deux jours et il en restait encore alors que la dose de départ n’était pas énorme. Il avait un peu trop réfléchi pour boire, Livio. Et quand il sentit plus qu’il ne vit l’inspecteur Vasco s’approcher de lui pour lui signifier qu’il était en état d’arrestation et qu’il avait le droit de garder le silence, et tout un autre tas de conneries du même acabit sur son droit à un avocat, ce genre de chose ... Livio ne bougea pas non plus. Ce que découvrit Milo Vasco ? Un militaire un verre à la main, sa veste ouverte sur un débardeur blanc taché de sang, qui avait largement eu le temps de sécher en deux jours.

Livio se laissa passer les menottes sans répliquer, tendant même les mains pour qu’il les lui passe. De toute façon, il n’allait pas faire semblant de s’indigner, hein. Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat ... Et la seule pensée qu’il eut en baissant la tête pour entrer dans la trop basse voiture de police fut adressée à son arme. Il l’avait laissée dans le tiroir de son bureau. Au GDP. Présence d’esprit admirable, ou tout simplement soudain dégoût pour son arme ? Peu importe. Tout irait bien, mais la nuit risquait d’être longue.

Et merde.
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Milo Vasco

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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeMar 27 Sep - 13:20

Spoiler:

Le trajet du retour se déroula dans une délicieuse ambiance bonne enfant, style fin de repas au restaurant entre amis, lorsque les langues et les cœurs sont déliés par un vin plus ou moins délicat et un copieux menu et que le moment est presque venu de se pencher vers sa voisine pour l’embrasser discrètement. Bien sûr, Milo faisait de l’ironie et un silence pesant était le maître de l’habitacle. Les deux visages affichaient une expression austère, suffisante à exprimer la joie profonde que chacun ressentait à ces retrouvailles. Blasés. Sûrement « Quelle barbe » pour Gianelli. Milo, lui, ne savait pas trop s’il devait se sentir excité ou bien juste grincheux. D’un côté, il y avait la chance de pouvoir coincer définitivement une personne horripilante et, peut-être, d’avoir des réponses à certaines questions plus profondes que celles du Cluedo. Mais de l’autre… Il y avait cette légère saveur amère qui annonçait une cruelle déception. Le plus simple était de ne pas se poser de questions, de ne pas s’investir émotionnellement dans cette histoire et de se contenter de faire son boulot, comme d’habitude. Etre juste un lieutenant de police un vendredi soir. Une routine parsemée de challenges quotidiens qui savait susciter un peu d’adrénaline de temps à autre mais qui finalement, se bornait à des procédures parfaitement maîtrisées. D’ordinaire, Milo était plutôt un inspecteur calme et consciencieux, dans la mesure où il était toujours de mauvaise humeur. Il savait mettre de côté ses griefs personnels pour obtenir ce qu’il désirait. Et même s’il n’aimait pas spécialement Gianelli, il n’allait perdre cette rigueur juste par irritation.

Ainsi, l’inspecteur n’avait aucune envie de faire la conversation, n’étant ni du genre à se moquer, ni à faire semblant d’être sympa avec les individus qui se tenaient à côté de lui. Il avait toujours ressenti un certain mépris pour ses collègues qui s’oubliaient dès qu’ils croyaient maîtriser la situation et arracher la victoire dans un futur proche, et qui traitaient leurs prévenus comme de sympathiques vieux ennemis avec qui on irait prendre une bière, leur peine de prison effectuée. Pour Milo, Livio n’était qu’un gars en état d’arrestation parmi tant d’autres, et ça s’arrêtait là. Comme le médecin ne voyait que des patients, le vendeur que des clients. Même s’il attendait beaucoup de cette nuit, il préférait conserver une froide distance entre lui et Gianelli. C’était plus simple, plus professionnel, et surtout, moins crétin.

Milo avait rapidement envoyé un message à Maricaïman pour prévenir de l’urgence et du fait qu’il ne rentrerait sûrement pas tôt ce soir. Le silence boudeur qui avait suivi l’accueil de la missive laissait présager une tempête en rentrant. Ou peut-être était-elle tout simplement occupée à divertir son patron. Peu importe. Milo préféra profiter du voyage pour se concentrer sur les heures à venir plutôt que de se soucier de ce que sa compagne pensait de lui.

La première question qui lui venait à l’esprit était, en quelques mots, si le jeu était devenu si drôle pour Livio qu’il ne se donnait même plus la politesse de faire croire qu’il se souciait un tant soit peu de se faire arrêter à la police. Cette nonchalance, c’en était presque vexant. Il aurait pu faire semblant d’être juste surpris, au moins. Tenter de s’enfuir par la fenêtre –ah non, on était dans un immeuble-, dans l’idéal. Tout, sauf ce côté lassé. Salut les gars, encore là ?. Non, franchement. Etait-ce parce que ce gars était en réalité un doux détraqué à qui ça ne faisait ni chaud ni froid de descendre un homme, ou bien est-ce qu’il avait l’impression de jouer un rôle dans une comédie musicale où l’antihéros s’en tirait toujours à la fin ? Dans le premier cas, c’était inquiétant, dans le second, particulièrement agaçant.

En fait, Milo était à deux doigt de demander à Gianelli s’il consultait un psy ou si c’était juste que l’armée italienne partait en vrille depuis quelques années. Parce que soit cette dernière avait abandonné l’idée que les soldats devaient avoir un minimum de suivi après avoir débité des cadavres à la pelle, soit elle avait décidé, face à la pénurie de volontaires, de ne recruter que des anciens forçats et autres psychotiques douteux. Dans les deux éventualités, Milo s’inquiéterait sérieusement pour l’avenir de son pays et aurait deux mots à dire au ministre de l’Intérieur, si tant soit peu qu’il y en avait un en lieu et place d’un pantin désarticulé qu’un agile secrétaire, ayant suivi des cours à l’Ecole du Cirque, agiterait de temps à autre face aux caméras pour donner l’illusion aux Italiens que tout ne foutait pas le camp, là-haut.

Milo confia son protégé aux deux policiers qui se trouvaient derrière lui au moment où il se retourna, leur laissant le soin de le conduire dans la deuxième petite salle réservée aux interrogatoires. Pour la première, Milo soupçonnait ses patrons d’avoir un goût prononcé pour les films de série B. En ce qui concernait Gianelli, pas besoin de se casser la tête à le laisser moisir quelques heures en cellule, ça ne servait à rien. Oh, bien sûr, Milo aurait pu se piquer d’aller faire une sieste sur le sofa après avoir dîner au bistrot en face du commissariat, et de ne revenir qu’à trois heures du matin, mais ça aurait été mesquin. D’ordinaire, oui, ça leur arrivait de faire ça. Mais qui était assez masochiste pour bousculer son horloge biologique uniquement pour avoir le plaisir de réveiller à une heure tardive une frappe de banlieue ? Pas Milo, et en tout cas, surtout pas avec son prisonnier du jour. De toute façon, c’était un militaire. L’idée était aussi débile que d’offrir un cours de tango à un romantique propriétaire brésilien d’une soixantaine d’année, et le lieutenant foudroya du regard le stagiaire qui lui demanda si on devait surveiller Gianelli et le réveiller dès qu’il s’endormirait. Milo lui conseilla sèchement de mettre à profit ce week-end pour se revoir l’intégral des Experts et l’abandonna pour aller récupérer le gros dossier orange avec une jolie ficelle de Livio.

Le problème de ce genre d’interrogatoires, qui, sans être pessimiste pour un sou, n’apporterait rien de l’avis de Milo, c’est qu’on ne pouvait faire le moindre geste sans que l’on paraisse être caricatural. Qu’on apporte un gobelet de café ou bien deux, il y aurait toujours un imbécile pour croire que c’était dans l’optique de jouer avec les nerfs du prévenu. Donc, ça faisait belle lurette que Milo se passait du passage à la cafetière pour directement se rendre dans la pièce 102. Un étage au-dessus du plancher des vaches, histoire d’éviter des cas de suicides peu reluisants ou de fuites improbables. C’était une salle assez petite, qui servait de temps à autres de réunions, avec un de ces ensembles de table circulaires qui formaient un « O ». Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, la pièce était assez lumineuse ; et ce n’était pas uniquement à cause des mêmes néons moches qui éclairaient également le reste du bâtiment. Des fenêtres, situées assez haut sur le mur, laissaient passer en pleine journée la lumière naturelle du soleil dans laquelle s’agitait joyeusement la poussière. Pourvues de stores italiens, elles se contentaient, pour l’instant, de ne laisser apercevoir que l’obscurité de la nuit, de l’autre côté du plexiglas. Pas d’antiques lampes de bureau à la Pixar dont l’ampoule, tournée vers une des chaises où s’assiérait l’interrogé, mettrait un point d’honneur à éblouir et donner mal à la tête à la personne éclairée. Pour le reste, à part les chaises, l’ameublement restait pauvre. Pas besoin de trente-six milles commodes pour cuisiner un péquenot.

Le dossier de Gianelli pesait assez lourd, du fait de ses nombreuses visites en cellule. Milo commençait à en avoir assez de lui demander à chaque fois son identité et autres informations classiques qu’il finissait par connaître par cœur. Mais, ce soir, peut-être que Livio aurait profité du laps de temps écoulé entre ses deux incarcérations pour changer de métier, de prénom ou de date de naissance. On ne savait jamais. Milo discuta brièvement avec Cataldi. Elle lui apporterait dès que possible les autres informations qu’ils obtiendraient. Rôdé à ces exercices, le lieutenant n’avait pas besoin d’une longue réflexion pour rassembler ses esprits avant de pénétrer dans la salle. D’autant qu’avec le cas de Gianelli, il avait longuement eu l’occasion de le faire auparavant. Le travail d’un enquêteur n’était pas seulement d’arracher à force de tortures des aveux douloureux pour tamponner une feuille avant d’expédier le prévenu chez le magistrat de service. De toute façon, ici, ils étaient limités par le règlement et la loi. Pas comme chez certains types en costume blanc, chapeau de feutre et grosses bagues qui pouvaient allègrement briser des phalanges pour obtenir ce qu’ils voulaient. Ah, pourquoi ne pas avoir choisi le côté obscur de la Force ? Non, dans le bas et triste monde des policiers, on était gouverné par un maître-mot : l’éthique. Quoique, Milo doutait fortement de l’éthique du préfet et d’autres supérieurs aux habitudes contre-productives.

D’habitude, on n’espérait pas forcément de recevoir une pieuse confession. De toute façon, tout dépendant de l’affaire. Dans certains cas, toutes les preuves criaient le nom du coupable et on n’avait qu’à manipuler correctement sous ses yeux ces témoignages affamant pour obtenir ce que l’on désirait. Ici, c’était un peu plus délicat. Dans sa position, Gianelli n’en avait strictement rien à faire d’être le tueur ou non. Il pouvait bien l’avouer s’il en avait envie, ça ne serait que de jolis mots dans un dossier inutile qu’un type effacerait au correcteur lorsque le militaire aurait été relâché sans raison. Ca n’avait aucune importance. Aucune intérêt. Et de toute façon, Milo comme Livio savaient qui était l’auteur du meurtre. Ce n’était pas une grande nouveauté. Donc, le but de l’interrogatoire n’était pas d’arracher à Livio des aveux sur ce sujet, mais plutôt des confidences sur la partie plus énigmatique des affaires qui entouraient Gianelli. D’autre part, cela ne nécessitait pas spécialement une déclaration claire ; Milo s’y attendait encore moins. Mais, à la rigueur, si la « discussion » pouvait aider à dresser un portrait plus précis de la personne qu’était Livio… C’était le travail des enquêteurs d’ensuite analyser les données et établir eux-mêmes les rapprochements. De surcroit, du fait de l’origine militaire de l’interrogé, Milo ne se voyait pas faire le petit jeu que l’on réservait aux gros morceaux : les trucs de déception, de suggestion ou d’influençabilité, Milo aurait mit sa main au feu que Gianelli les connaissait par cœur et que cela ne lui aurait fait ni chaud ni froid. La plus simple approche avec lui était la directe, quitte à ce qu’elle reste stérile. Au moins, il n’y aurait rien de risible là-dedans. Après… Milo n’était pas obligé d’être honnête.

Aussi, l’inspecteur savait d’ors et déjà, en entrant dans la pièce, qu’il se vouait à un long et pénible moment qu’il n’aurait même pas osé qualifier d’interrogatoire et encore moins de dialogue. De nouveau, il se demanda pourquoi il écoutait Marta, puisque Milo aurait parié toutes ses possessions qu’il ressortirait bredouille à l’aube avec des cratères sous les yeux et une envie entêtante de revenir à des méthodes plus moyenâgeuses – le supplice de l’écartèlement avait sa préférence, mais il était fortement tenté aussi par le miel et une colonie de fourmis d’Amérique du Sud-. Il devait bien y en avoir dans les sous-sols réservés aux biens confisqués.

Néanmoins… Néanmoins, Milo n’était pas de caractère quelqu’un de défaitiste. Pessimiste, certes, mais pas au point de tout laisser tomber. Rien n‘était joué d’avance et il partait du principe que si l’on ne jouait rien, on ne gagnait rien. De plus, vivre quotidiennement avec Marica permettait d’avoir un certain entraînement en matière d’endurance et de persévérance.

Livio était déjà là, bien sûr, assis à sa chaise, les poignets simplement menottés par devant. La porte s’était de toute façon verrouillée en se refermant et le vitrage des fenêtres empêchaient quiconque de les briser, même en projetant tout son corps contre. Les quelques désespérés qui s’y étaient essayés n’avaient obtenus que de sévères commotions à la tête. Et Livio Gianelli n’était pas un désespéré venant de tuer sa grand-mère dans un accès de folie lorsqu’il avait appris qu’il n’aurait pas d’héritages en raison de ses absences répétées aux repas du dimanche midi. Comme ils s’étaient déjà vus, Milo ne prit pas la peine de le saluer par pure formalité et se contenta de s’assoir en face. Il n’était pas seul ; on ne l’était jamais pour cette procédure et Milo était accompagné de l’assistant de Cataldi et des deux policiers qui avaient conduits Livio jusqu’ici. Ils n’avaient qu’un rôle purement judiciaire, puisqu’ils attesteraient que Milo n’avait pas secoué le prévenu comme un prunier avant d’expérimenter la méthode d’interrogatoire à la Batman avec la tête de Livio et la table. Et, si Gianelli se révélait finalement un désespéré venant de tuer sa grand-mère dans un accès de folie lorsqu’il avait appris qu’il n’aurait pas d’héritages en raison de ses absences répétées aux repas du dimanche midi et qu’il tentait d’étrangler Milo, et bien… On avait l’assurance que cela n’arriverait pas. Enfin, l‘assistant était là pour enregistrer avec le magnétophone tout ce qui ce dirait. Et, dans un coin, au plafond, il y avait de toute façon une caméra de surveillance.

Milo prit enfin une inspiration et commença avec les formalités –l’énonciation du déroulement de l’interrogatoire et le remplissage de cases des formulaires- , et une fois que cela fut fait, aborda le sujet qui les préoccupait –ou pas- :

- Pas fatigué de revenir toujours dans la même pièce, à force ? Je suppose que tu sais pourquoi tu es là.

Il avança simplement une photo faite sur place du corps découvert à l’arrière de la zone industrielle.

- Ca te dit quelque chose ?

Milo n’avait jamais autant l’impression d’être un mauvais acteur dans une piètre pièce de théâtre minable que dans ces moments-là. Il espérait que Livio serait un minimum conciliant et se donnerait la peine de lui donner la réplique, parce que l’inspecteur avait horreur de parler dans le vide pendant deux heures. Tout dépendant des instructions que Gianelli avait reçu –et là, Milo partait du principe que Gianelli n’agissait pas pour son seul plaisir de descendre ou d’enlever un pauvre type tous les mercredis soirs-.
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeMer 12 Oct - 15:48

Spoiler:

Pendant l’interminable moment qu’il passa assis à l’arrière d’une voiture banalisée peu confortable qui prenait tout son temps pour l’emmener au commissariat, Livio revoyait pour la cinquantième fois les mêmes images. Insensible aux cahots du véhicule sur les quelques rues pavées du quartier qu’ils traversaient ou de la beauté de cette soirée naissante sur les murs des maisons, il était totalement ailleurs. Bien incapable de participer au jeu des ombres qui s’amusaient, dehors, à s’étendre comme pour les poursuivre alors qu’ils filaient lentement vers leur destination. Les arbres faisaient office de mains crochues se tendant au maximum dans leur direction, les maisons écrasaient la route de leur stature, et les silhouettes emmitouflées dans leurs manteau doublés de fourrure, indispensables en ce début d’automne, paraissaient faire partie de la population d’un de ces théâtre d’ombre. Comme animés par des fils invisibles, ils évoluaient autour d’eux sans se douter un instant de ce qui s’installait entre l’inspecteur Vasco et le présumé coupable Gianelli. Sans même sentir le froid mordant des menottes dont il avait presque l’habitude, Livio fixait l’appui-tête de celui qui venait de l’interpeller avec un sérieux frisant le ridicule, ou une concentration anormalement dépourvue de la moindre once d’intelligence.

Ses yeux vides ne décollaient pas de cet accroc dans le faux cuir de cet appui-tête, laissant s’échapper un peu de cette horrible mousse jaune qui vous laisse de la poussière sur les doigts, s’humidifiant à votre contact et tapissant vos mains d’une pâtée indéfinissable et horriblement salissante. Et c’était sa seule préoccupation, du moins en apparence, avec un regard qui refusait de se poser ailleurs que sur cette minuscule coupure s’ouvrant sur un autre monde, sur l’univers intérieur des appuis-tête de la police milanaise. Passionnant, au point que même l’animation au dehors quand un gamin passa devant eux et que Milo dut piler sec, en se levant presque sur le frein malgré sa vitesse réduite, ne le tira de sa contemplation mystique. En temps normal, il ne se serait sans doute pas fait prier pour lancer une remarque cynique sur la conduite automobile et ses dérives, ou sur le danger étonnamment réel que représentaient les forces de l’ordre de nos jours, avant de retourner à un mutisme étudié. Comme s’il n’ouvrait la bouche que pour dire des banalités ou se moquer franchement, simplement pour donner la satisfaction aux inspecteurs qui défilaient devant lui d’entendre le son de sa voix. C’est toujours moins frustrant qu’un suspect totalement muet comme il semblait le devenir ce soir, non ? Bon, pas forcément pour eux, certes, d’autant plus qu’ainsi Livio avait conscience d’épouser les stéréotypes du mec qui se croit au dessus de tout. En même temps, il y avait de quoi ...

Après la balade en voiture, sans que Vasco ne lui fasse le coup de la panne pour le passer à tabac comme il était de notoriété publique que certains policiers frustrés le faisaient sur des petites frappes, le commissariat. Dire qu’il paraissait exceptionnel serait un mensonge, il était simple, gris, des barreaux aux portes pour se protéger de tout vandalisme inopiné sans que les architectes n’aient pensé que le criminel moyen puisse songer aux fenêtres, banal en somme. Et s’il pouvait paraitre impressionnant pour les malfrats qui n’en avaient pas l’habitude ou les criminels qui pensaient ne jamais être arrêtés, il n’en allait pas vraiment de même pour Livio Gianelli. Habitué des lieux, il connaissait même les deux policiers qui vinrent l’escorter hors du véhicule pour l’emmener à destination. Le premier s’appelait Carlo, il était plutôt insignifiant, marié, une fille, un bon fonctionnaire qui avait envie de rapidement terminer sa journée. Ça se voyait, il transpirait de déception en l'apercevant, tout en sachant très bien qu’il ne pourrait pas encore partir tôt ce soir. Livio aurait presque eu de la peine pour lui, mais au final pas tellement. C’était la faute de la police si on était venu le chercher si tard un vendredi soir, pas la sienne. Carlo ne pouvait s’en prendre qu’à Milo Vasco et son acolyte pour avoir trop traîné ou n’avoir pas attendu le retour de week end pour l’interpeller et trouver un témoin de l’affaire. Le second policier était un peu plus fin, et son visage inexpressif ne laissait rien transparaitre de son agacement de voir ici Livio. Pas parce qu’il devrait rester plus longtemps ce soir, Stanley s’en fichait, mais parce qu’il allait encore devoir le couvrir et prévenir les supérieurs de ce militaire trop doué pour se mettre dans toutes les situations possibles.

Oui, Stanley était une connaissance qui, s’il faisait très bien son travail même en ce qui pouvait concerner les membres du GDP ou des pactisants -il ne lui serait jamais venu à l’esprit de faire s’échapper Livio ou de blesser accidentellement un stella-, était un atout précieux. Car Livio n’avait pas à réclamer son coup de téléphone pour prévenir la bonne personne au bon endroit, Stan s’en chargeait à sa place. C’était le pilier du cycle de sa libération, le point crucial de sa sortie, et ainsi il pouvait bavasser en toute innocence avec Jilano ou Luca pour que quelqu’un vienne le chercher quand il sortirait. Bref, Stan était un bon gars et le savoir de service ce soir aurait dû rassurer un peu Livio, bien que jamais il ne puisse se montrer inquiet quant à sa situation, mais rien n’y fit. Il ne lui accorda pas même l’ombre d’un sourire, se contentant de ne pas saluer Carlo et Stanley, se positionnant docilement entre eux comme un chien qui rentrerait à la niche la queue entre les jambes. Il les suivit sans rechigner à travers les couloirs, se concentrant sur sa marche difficile consistant à mettre un pied devant l’autre, et recommencer inlassablement. Livio fut bien soulagé lorsqu’enfin ils arrivèrent en vue de la pièce qu’il connaissait suffisamment bien pour ne plus s’étonner de son aspect qui ne ressemblait en rien à une salle d’interrogatoire. Il put s’asseoir, et ne demandait rien d’autre. Se fichant bien que l’inspecteur Vasco ne l’ait pas accompagné personnellement alors qu’à l’ordinaire il l’aurait réclamé simplement pour avoir le plaisir de se taire un peu plus longtemps en sa présence, le jeune homme revoyait encore et encore les mêmes images.

Le silence mortel qui régnait dans la pièce, entrecoupé des respirations des trois hommes qui s’y trouvaient, faisait écho au silence qui régnait dans les rues il y a de cela deux nuits. Une photo dans la poche, il scrutait les résidences du quartier résidentiel de La Rosa, cherchant l’adresse, la trouvant. Puis il avait attendu, sagement et patiemment, que sa cible ne se décide à sortir. Un jeune homme de quinze ans devait forcément passer ses soirées dehors, et sinon il reviendrait le lendemain. Mais son attente fut récompensée, et rapidement une silhouette blonde s’échappa de la porte d’entrée en bois massif, la refermant doucement. Manifestement, ses parents n’étaient pas au courant de son escapade. Parents qui n’intéressaient pas Livio, impitoyable mais pas vraiment friand de voir quels visages se tordraient de douleur par sa faute. Mieux valait ne pas imaginer, parfois. Mariano, puisque c’était le nom de ce gosse, partit à pied jusqu’au centre ville dans lequel il passa quelques heures, insouciant. Livio attendait toujours, attentif au moindre de ses mouvements, essayant de comprendre ce qu’il y avait de si important chez ce garçon. Oh, bien sûr, Livio l’avait lu dans le dossier. Mais puisqu’il ne pouvait de toute façon pas agir aussi peu discrètement qu’en plein milieu d’une boite de nuit -quoiqu’un enlèvement dans ces conditions puisse paraitre inaperçu-, il préférait se faire une idée de sa cible. Connaitre sa manière de bouger, observer ses craintes, ses réflexes, savoir comment il pourrait réagir dans telle ou telle situation.

Mariano était à première vue un adolescent normal, qui s’enquillait des bières sans la moindre hésitation, se déhanchait sur une musique tendance et dragouillait de-ci de-là en commentant avec ses potes les courbures de reins de leurs proies. Il riait, il vivait, et Livio aurait presque pu se détester pour ce qu’il allait faire. Arracher cette vie, la prendre sans hésitation et la détruire. Pour l’exemple. Car Mariano était un pactisant jeune, dévoué à sa cause, convaincu du bien fondé de ses actions et parfaitement imbécile. Donc, dangereux. Il avait rejoint le groupe de ceux qui ont passés le Pacte il y a quelques mois seulement selon ses informations, mais rapidement il s’était impliqué dans l’affrontement qui grondait dans les non dits de Milan. Prenant une place importante au sein d’un des deux partis de cette nouvelle race, selon Livio détestable, Mariano s’était vu confié des responsabilités. Il s’était cru empli d’un pouvoir qu’il n’avait que de manière factice, et si le GDP avait bien conscience que son statut et son importance n’étaient que poudre aux yeux dédiée à tromper leurs agents, il n’aimait pas qu’on se moque ainsi, et encore moins qu’on confirme ses informations selon lesquelles les pactisants commençaient à se rebeller, grondant sous la ville d’une rumeur peu rassurante. Alors pour l’exemple, il fallait frapper fort. C’est Livio qui avait été choisi dans le clan de celui qui frappe, Mariano dans le rôle de celui qui se fait frapper. C’était triste, c’était pas de chance mais il en fallait bien un. Et pour marquer les esprits, un pas trop corrompu et rempli de nombreux autres torts. L’innocence, ça vous calmait plus d’un homme quand on la brise sans aucune hésitation. Meilleure torture trouvée à ce jour pour toucher une communauté, s'en prendre aux femmes, ou aux enfants. Symboliquement, c’était fort et en plus d’une facilité ridicule pour l’agresseur.

Non, Livio n’avait pas eu honte de ce qu’il s’apprêtait à commettre, du moins pas dans l’immédiat. Mais ses réflexions, et donc ses souvenirs, furent stoppés d’un raclement de gorge de Stanley qui le prévenait que l’inspecteur arrivait. Merci, Stan, de toute façon je n’ai pas besoin de me forger un alibi. Livio n’en avait aucun et ne s’en cherchait même pas, sachant pertinemment que Milo Vasco ne croirait pas son mensonge, et se trouvant de plus persuadé qu’il savait aussi bien que lui qui était coupable, qui ne l’était pas. Le froid des menottes le rappela à la réalité, alors que son interrogatoire commençait au moment même où l’inspecteur entra dans la pièce. Le jeun de pouvoir, de mensonges, de défi avait commencé. Mais Livio n’avait pas envie de jouer au plus fin ce soir, il était fatigué de tout cela et n’aspirait qu’à un repos long et mérité, qu’à l’oubli et à la paix. Ce qu’il n’avait pas eu depuis deux jours et qu’il n’aurait sans doute pas ce soir encore. Passer la soirée en tête à tête avec un policier n’avait rien de réellement réjouissant, mais au moins le militaire devait admettre que cela lui permettait de se vider l’esprit et d’oublier au moins un peu la solitude de son appartement. N’ayant pas eu le courage d’appeler Valente pour lui tenir compagnie, eh bien il ne serait au moins pas seul ce soir.

- Inspecteur.

Suspect, mais pas impoli, Livio ouvrit la bouche pour la première fois de la soirée. Il n’avait d’ailleurs pas pensé le faire, mais avait estimé que son plus récurent adversaire du commissariat méritait au moins ça. Ils se connaissaient depuis longtemps maintenant, ce qui ne les empêchaient pas de ne strictement rien savoir l’un sur l’autre. Livio n’avait même pas pris la peine de se renseigner sur lui, pour lui balancer à la figure ce qu’il aurait pu apprendre. Mesquin, et totalement déloyal surtout dans une situation où il n’avait pas le pouvoir, et où il était en tord. Simplement pour avoir tué un gosse. Livio le laissa parler, écoutant d’une oreille distraite ce qu’il pouvait bien lui raconter et répondant par monosyllabes, voire grognements quand la question se résumait à rechercher un oui ou un non.

- Pas fatigué de revenir toujours dans la même pièce, à force ? Je suppose que tu sais pourquoi tu es là.

- Pas plus que vous ne devez l’être à me poser la question. Encore.

La lumière surnaturelle des néons, la chaleur froide qu’ils irradiaient maladroitement, le silence familier de la salle d’interrogatoire et le calme placide des autres témoins de la scène lui permettaient de se dérider légèrement, oubliant quelque peu le mutisme qui le caractérisait souvent, rentrant peu à peu dans sa peau après avoir eu l’impression de vivre toute la scène de manière détachée et absente. Il reprenait pied, et peu à peu sa conscience réintégrait sa logique. Un court instant, il fut serein, étrangement, de se retrouver là et de se livrer à un exercice dont il avait l’habitude pour l’avoir répété tant de fois.

- Ca te dit quelque chose ?

Un bout de carton plastifié, devant lui. Dessus, du goudron noirci par la pluie récente, sur lequel on distinguait clairement une petite flaque rouge qui s’étendait sous le crâne d’une victime, jeune. Un coup à la tête dû à la chute, puisque la balle mortelle était venue se ficher directement et précisément dans son cœur. Un coup, précis, professionnel et habitué. Et par-dessus le sang, un visage, des cheveux blonds, des paupières qu’on a pris le temps de fermer avant de partir. Une jeunesse éternellement figée dans le temps, une surprise visible et une peur palpable. Un corps sans vie, un cadavre inanimé. Trop de souvenirs, trop d’images. Livio se lèvre brutalement, faisant tomber sa chaise au sol. Jamais, jamais il n’a perdu son sang froid durant un interrogatoire, encore moins au début. Aucune des questions de Milo ne pourra réellement lui faire mal, le faire paniquer ou le mettre mal à l’aise. Mais cette image, écho à la photo d’identité tristement souriante qu’il garde sur son bureau, au boulot, réveille en lui la rage qu’il n’a pu laisser exprimer. Il pose ses mains à plats sur la table qui les sépare, tout en s’adressant de dos aux deux agents qui se sont mis en mouvement.

- Je ne vais abîmer personne, on se calme.

Puis Livio se retourne vers son vis-à-vis, agressif sans raison, stupidement réactif et bêtement impulsif. Il fait totalement de la merde, et s’en rend compte. Putain, Mariano, pourquoi toi ?

- Je sais même pas pourquoi tu me poses la question, Vasco. Tu sais très bien, alors évite de tourner autour du pot, tu veux ?

L’énervement, c’était pas vraiment le bon plan pour rester serein dans l’adversité et surtout intelligent et placide face à son interrogatoire. Mais c’était pas vraiment de gaieté de cœur ...
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeMer 19 Oct - 1:07

Dans les interrogatoires, tout comptait. Ce n’était pas seulement les paroles, les mensonges ou les vérités. C’était aussi le comportement, les mimiques, les non-dits. L’inspecteur ne devait rien laisser passer. Ce n’était pas pour rien qu’on parlait de « cuisiner ». La pauvre personne qui s’y collait devait y mettre autant d’attention et d’amour que mamie devant son épaule d’agneau au thym de Pâques. De longues heures à ne pas lâcher des yeux et d’un oreille un interlocuteur au physique plus ou moins agréable et au caractère plus ou moins conciliant, tout pour obtenir des réponses. Voir, plus que des réponses, l’ultime trophée, les confessions écrites. Les aveux signés. Cet os plein de moelle qu’on agitait sous les yeux de centaines d’étudiants stupides qui ne se doutaient pas encore qu’ils allaient se jeter dans un jeu perdu d’avance. Oh, bien sûr, les méthodes enseignées, toujours plus fines, toujours plus psychologiques, faisaient leurs preuves, la plupart du temps. Des tas d’affaires étaient expédiées d’un coup de tampon magique après un gribouillis en bas des formulaires de déclaration. La plupart, en fait. Mais que valait un bout de papier quand les ordres se donnaient à voix haute et en monnaie ? Ces faux duels étaient juste écœurants.

Et encore une fois, Milo se contrefichait bien que Gianelli avoue son crime de l’avant-veille. Même s’il lui arrachait une déposition en bonne et due forme, il aurait mit sa main au feu que celle-ci ne vaudrait plus rien dans quelques jours, comme par enchantement. Petit tour de passe-passe administratif. Mais si des lèvres serrées pouvaient filtrer quelques réponses, d’ordre moins officiel… Ah, le beau rêve. Pour son anniversaire, peut-être ? Oh oui. Milo aurait du demander à Marta d’apporter un gros gâteau au chocolat et des bougies en plein milieu de l’entrevue. La bienveillance naturelle de Livio aurait pu alors le décider à révéler ce qu’il savait à son lieutenant préféré. Comme cadeau, une belle déclaration et un ruban rouge. Et puis, la perspective de bénéficier d’une généreuse part de l’exquise pâtisserie pouvait délier les langues, aussi. C’est pourquoi on conseillait toujours aux inspecteurs de mettre à l’aise les suspects et de veiller à ce qu’ils ne manquent de rien. Très souvent, cette consigne prenait la forme d’un café tiède, mais Milo avait décidé de se passer de ces politesses. Depuis le temps.

- Pas plus que vous ne devez l’être à me poser la question. Encore, confirma Livio en écho à ses pensées.

Biiip. Bravo, bonne réponse ! La cagnotte monte à mille euros ! fit un Milo avec un sourire sarcastique dans le coin de sa tête. Mais le vrai ne pouvait rien dire, parce qu’il l’avait voulu. C’était surtout à Gianelli de se plaindre, d’une certaine façon. Mais Milo ne s’attendait pas à ce qu’il se plaigne… autant. Parce que ce n’était que ce que pouvait conclure le lieutenant devant l’éclat de colère tout à fait inhabituel qui saisit son suspect. Livio se leva avec une telle brusquerie que la pauvre chaise en plastique s’écrasa sur le sol, bruyamment.

Automatiquement, les collègues de Milo se mirent en branle pour le rassoir, mais ce fut inutile.

- Je ne vais abîmer personne, on se calme.

Volte-face.

- Je sais même pas pourquoi tu me poses la question, Vasco. Tu sais très bien, alors évite de tourner autour du pot, tu veux ?

Questions d’observations, check. Confronta… Ah, même pas eu le temps. Déjà les réactions, sans être clairement formulées verbalement, indiquaient que oui, la photo lui disait quelque chose. Voir même, que oui, il était bien l’auteur du meurtre. Mais des vagues allusions et des sous-entendus, bien évidemment, ne suffisaient pas et ne constituaient absolument pas un aveu valable aux yeux de la Justice. Ceci dit… Milo était un peu surpris. Livio ne l’avait pas habitué à s’énerver, et encore moins à donner l’impression d’éprouver des remords devant ce qu’il avait commis. S’il avait buté le jeune homme, c’est bien que Gianelli en connaissait les conséquences. Après, on pouvait faire au moins quatre suppositions. La première, c’était que Livio avait sciemment et volontairement descendu le gamin. La deuxième, c’est qu’il l’avait tué sur un coup de tête, un coup de sang. La troisième, c’était qu’on l’y avait forcé. Enfin, la quatrième, c’est que Livio ne l’avait pas tué et qu’il mentait.

Au vu du casier judiciaire faussement vierge du militaire, et de la rigueur froide dont il avait fait preuve à chacune de leurs rencontres, Milo ne croyait absolument pas en la deuxième théorie. De par son métier, Livio était normalement habitué à contrôler ses émotions, bien qu’il restât toujours l’infime possibilité que ce type soit complètement fondu. La troisième… Milo hésitait. Il était poussé à la réfuter, mais son job, c’était de ne pas émettre de conclusions trop hâtives. Tout était possible, rien n’était à exclure. Quant à la quatrième.. Eh bien, Milo se demandait simplement pourquoi Livio ferait ça et s’il possédait des talents d’acteurs. Les fausses confessions, c’était toujours délicat à gérer. Et embêtant au possible. Ca brouillait les pistes, ça faisait perdre un temps fou.

Néanmoins, cette réaction était à la fois un bon signe, incitant à approfondir la discussion puisque Livio semblait motivé, et à la fois déroutante. Ce n’était pas habituel et elle laissait une vague impression d’anguille sous roche. Dans tous les cas, il fallait éclaircir le sujet et continuer dans cette voie-là, supposa Milo qui avait conservé son air flegmatique. Il posa la main sur le petit portrait de papier glacé, la cachant aux yeux de Livio.

- Okay, ça te dit quelque chose, répondit-il calmement. Très bien. L’enquête démontre hors de tout doute que tu es responsable de ce meurtre. Ou du moins, que tu y es impliqué.

Les accusations directes, comme celle-ci, servaient en général à renforcer la perception de la qualité de la preuve. Cela signifiait, en gros : « Tu sais que nous avons quelque chose qui nous conduit vers toi, et moi je te dis que c’est un quelque chose extrêmement clair et sans appel ». Bien sûr, on ne spécifiait jamais, du moins pas tout de suite, quelle était cette preuve. Milo n’avait aucune envie que sa petite témoin se fasse descendre chez elle. Pour les plus faibles des criminels, ça suffisait à les mettre dans tous leurs états, à les rendre nerveux. Et dès lors, ils étaient plus fragiles et plus facilement manipulables. Après, ça ne serait pas assez fort pour perturber plus que ça Livio –ou alors, il avait beaucoup changé-. Mais ça le mettait au courant. Et puis, la réaction à ce genre d’affirmation était toujours intéressante. Milo ne lâchait pas le blond des yeux. Après cela, sauf si Gianelli recouvrait un calme parfait, le lieutenant serait vraiment fixé sur cette question de pure forme qui était : Est-ce que Livio Gianelli a bien tué ce garçon ? Et l’on pourrait passer à ce qui était vraiment intéressant : le pourquoi du comment. En plus, il était toujours plus facile pour la personne interrogée de parler de ce qui avait motivé son geste plutôt que de parler de l’acte en lui-même, des faits. Les derniers étaient trop incriminants.

Venait maintenant le moment du monologue, où Milo devait être convainquant. Il reprit la parole :

- Je crois savoir ce qui s’est passé.

Oh oui, il en avait une idée, mais il n’était pas certain d’avoir envie de l’avouer à Gianelli et de plus, le but ici n’était pas de dire la vérité, mais juste de raconter une histoire. D’autant qu’avec le témoignage de Carla Tomasi, ce n’était pas si compliqué.

- J’ai du mal à comprendre pourquoi un type comme toi irait tuer sans raison des jeunes hommes de temps à autre, surtout que jusqu’à présent, ce n’était pas pour ce genre de fautes que l’on se voyait. Bien sûr, il y a toujours la possibilité que tu sois en réalité un simple excité qui préfère régler ses problèmes d’un coup de gâchette dans le fond d’une ruelle, mais, ça ne correspond pas à ton profil. Là, je devrais minimiser la gravité de ton geste en te racontant que si c’était le cas, ce serait alors autant la faute de ta victime que de la tienne. Elle t’aurait offensé, tu n’as pas eu une carrière facile, et même l’homme le plus sain d’esprit ne revient pas indemne d’une mission de guerre. Alors, ton geste s’expliquerait par tout ce que tu as pu garder dans un coin de ta tête depuis, et par une goutte qui ferait déborder le base. Je pourrais dire ça.

Il laissa planer un petit silence d’une dizaine de secondes avant de reprendre :

- Mais le problème, c’est que je ne pense pas que ça soit ça. Quand on fait son travail aussi proprement que toi depuis des années et qu’on est irréprochable dans les autres aspects de sa vie… On ne se met pas à tuer pour des raisons aussi futiles. Alors, ce que je pense, Gianelli, c’est qu’on t’en a donné l’ordre. Tout simplement. Alors, tu as fais comme d’habitude lorsqu’il s’agit d’enlèvements. Tu as suivi ce garçon, tu as attendu le bon moment, le bon endroit, et tu l’as descendu. Affaire réglée, tu es rentré chez toi. Fin de l’histoire.

Sauf que, manque de chance, quelqu’un t’a vu. Mais ça aussi, ça titillait désagréablement l’esprit de Milo. Il avait du mal à comprendre comment un professionnel comme Livio se serait fait avoir aussi facilement. D’autant qu’à « l’ordinaire », les preuves de son implication étaient aussi rarissimes qu’une bouteille de Volvic fraîche en plein Sahara. Bien sûr, la malchance, ça existait, et c’était sûrement ça. Mais pourquoi aujourd’hui un meurtre, et pas une disparition ? Pourquoi avoir été vu, et pas les autres fois ? Pourquoi s’énervait-il, alors que ça n’arrivait jamais ? Et surtout, zut à la fin, si c’était un ordre, d’venait-il ?

Un ancien militaire pouvait se reconvertir dans le monde des gages, et obéir juste pour de l’argent. Un mercenaire. Dans ce cas, n’importe qui pouvait l’embaucher, même si Milo soupçonnait qu’il n’y avait qu’un employeur. Ca ne serait pas si surprenant. Mais, même s’il n’y avait qu’un employeur, il pouvait revêtir des milliers de visages. Un politicien véreux désireux de faire disparaitre ses opposants, un riche propriétaire impliqué dans quelques sordides histoires économiques, un particulier, la mafia, un de ces groupes violents qui sévissaient en ville… Ou alors, c’était juste un militaire délocalisé et repêché par une unité spéciale. Dans ce cas, son employeur était le gouvernement. Malgré tout ce qu’il pouvait lui reprocher, Milo avait encore un minimum de confiance envers ses élus pour croire qu’ils ne s’abaisseraient pas à des pratiques si américaines. Du coup, sa préférence allait à la mafia, parce que c’était simple et que ça répondait à toutes les questions. Elle était suffisamment pourvue en fric pour graisser la patte à n’importe qui dans ce système, ce qui expliquait comment Livio arrivait à chaque fois à s’en sortir.

Maintenant, Milo attendait les réactions de son interlocuteur pour se faire un jugement et pencher vers telle ou telle hypothèse. Il espérait que Gianelli serait encore assez d’humeur pour s’énerver, nier, objecter, bref, pour donner un élément de réponse plutôt que de s’enfermer dans le même silence boudeur qui l’avait accompagné jusqu’ici. Traiter l’humeur passive, c’était pénible, enquiquinant, et très hypocrite. D’un autre côté, si son suspect se mettait à verbaliser immédiatement toute la vérité et aussi nerveusement qu’il l’avait jusqu’à présent, Milo se poserait des questions d’un ordre tout à fait différent. Ca ne serait pas normal, ça ne collerait pas avec le portrait psychologique que la police avait dressé de Livio. Et avec le peu que Milo pouvait se vanter de connaître du jeune homme. Déjà, il l’avait toujours placé dans les crimes non-émotionnels, ce qui éliminait de nombreux comportements. Les crimes non-émotionnels comportaient notamment ceux prémédités, ce qui tendait à confirmer l’opinion que Milo avait émit. Et l’idée d’ordre. Et malgré le calme habituel de Gianelli, lui, Milo ne le classait pas dans les personnalités introverties telles qu’on les définissait ici. Ce n’était pas un anxieux, ce genre de gars sans confiance en lui, mal à l’aise dans ses rapports sociaux. Ou alors… Milo lui toucherait un mot à propos d’une possibilité de carrière dans le cinéma ou l’élevage de crocodiles.

Fatalement, Livio atterrissait dans la catégorie inverse, celle des extravertis, dont le portrait n’était pas plus charmeur ; narcissiques, antisociaux, confiants voir arrogants, égocentriques. L’indifférence royale que pouvait afficher Gianelli cachait assez bien ces aspects là. Mais le fait qu’il ne collaborait jamais, qu’il n’exprimait pas des masses des remords, et qu’il soit particulièrement résistant dans ces fastidieux interrogatoires ne laissait la place à aucun doute à ce niveau là. Le groupe des extravertis connaissaient en général plus de démêlés avec justice et avaient l’expérience des entrevues avec la police. Leur arracher des aveux étaient particulièrement difficiles. Bien sûr, si cela n’avait pas été le cas, l’affaire Livio Gianelli n’aurait eu aucune saveur et Milo aurait pu être à l’instant même devant sa télé avec Marica blottit contre son épaule. Un sourire mental naquit dans l’esprit de l’inspecteur quand il se souvint que le profil des extravertis concernaient aussi les psychopathes criminels. Oui, décidemment, il y avait toujours une chance pour que le prévenu soit bel et bien un soldat ayant trop abusé des bains de sang. Appétissant programme. Jusqu’à présent, Milo n’avait jamais eu encore à faire avec ce genre de personnes. Pourtant, Dieu savait que les rues milanaises en regorgeaient, au vu de toutes les excentricités qui s’y déroulaient depuis quelques années. A croire que la vaste mégapole attirait les dingues.

Après, sauf si son profil était inexact, Milo n’aurait pas classé Livio dans le sous-groupe des narcissiques et des personnalités antisociales. C’était fréquent que les anciens militaires le deviennent, mais Livio était jeune. Ce n’était pas un vétéran de la guerre du Vietnam retranché dans son jardin, à grogner devant les gamins et à s’occuper de ses carottes.

En parlant de carotte… Agiter des menaces marchait rarement. L’aveu, chez la catégorie des extravertis, était en toute logique cérébral. Parce que tout était une histoire compliqué dans leurs têtes, ou une simple affaire de valeurs morales. Ca ne venait pas des tripes. Ce n’était pas la griserie de l’alcool qui agissait, ou la nervosité de ceux qui n’ont pensés à rien en agissant. Chez les gens comme Livio, ce qui les faisait fonctionner… C’était les preuves, pures et dures. Comme la photo. C’était l’incrimination implacable des inspecteurs, les pressions externes qui finissaient par faire craquer leur carapace, même si cela passait toujours par l’opposition pure et simple – Et là aussi, Dieu savait que Milo avait eu sa dose avec Gianelli-. Et lorsqu’ils se sentaient piégés, ils explosaient de colère. Te sens-tu piégé, Livio ? Le pire, c’est qu’ils savaient mentir, manipuler, esquiver les questions, avec une habileté remarquable, et aussi choisir la meilleure attitude selon la fragilité de leur innocence. Le silence ou obtenir quelque chose pour leur profit personnel. Dissimuler leurs pensées, même avec le langage du corps, était pour eux une évidence. Inflexibles. Bref, les prévenus parfaits où se casser les dents. L’expérience de Milo avec Gianelli lui facilitai aujourd’hui la tâche, et il savait maintenant à peu près comment le manœuvrer pour ne pas perdre un pouce du terrain qu’autrefois il rendait après une courte bataille. Mais cela nécessitait une parfaite concentration et le lieutenant sentait déjà poindre une douleur familière dans la nuque.

Allez, Livio, un petit effort. S’il était gentil, Milo lui apporterait un vrai café crème d’ici deux heures, quand ils en auraient tous assez d’être enfermés dans cette pièce.
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeLun 24 Oct - 12:39

Si seulement Livio était tombé sur Francese, ou sur Maria. La donne n’aurait pas été la même, d’ailleurs sans doute serait-il chez lui à ce moment là. Car tout flic lambda, même inspecteur, préfère laisser trainer un dossier à problème tout le week end plutôt que de s’en occuper un vendredi soir. De toute façon, ceux qui connaissaient son nom dans ce commissariat savaient pertinemment qu’il n’était pas du genre tueur en série et qu’attendre quelques heures avant de procéder à un interrogatoire inutile n’avait rien de stupide ou même de superflu. Sans doute que rien n’aurait été pareil. Livio savait qu’avec l’une ou l’autre, il parvenait à rendre ce moment inévitable moins contrariant, plus confortable même. Il pouvait sans problème demander un café, un en cas ou même son coup de téléphone plus vite qu’à l’ordinaire. Il avait des avantages, il savait comment se déroulait l’entretien, il le guidait même de ses réactions et de ses questionnements. Il en apprenait beaucoup plus qu’elles, de la nature de son arrestation à la faute qui l’avait conduit à se retrouver assis là. Alors qu’elles, devaient se contenter de son silence charmeur, de ses vagues sourires sereins et de ses réponses évasives. Mais Francese et Maria étaient conciliantes, et pas des plus déterminées. Sachant très bien qu’elles ne pouvaient rien tirer de Livio Gianelli, elles ne laissaient jamais trainer les choses et rapidement le jeune homme se retrouvait libéré sans trop de souci. Elles savaient fermer les yeux, tourner la page et se concentrer sur d’autres affaires qui, elles, avaient une chance de trouver un dénouement pas trop frustrant.

C’est pour toutes ces raisons que Livio les appréciait beaucoup, et à cet instant elles lui manquaient terriblement. Certes, celui qui le connaissait le mieux et qui avait appris par cœur son dossier, c’était ce gratte papier de Milo Vasco. Cet insignifiant énergumène qui venait lui mettre de temps à autre des bâtons dans les roues, comme un moustique espère vraiment que sa piqure restera longuement ancrée dans la chair de sa proie, alors que les démangeaisons s’apaisent bien vite. Mais quand il n’était pas de service, quand il était absent c’était ses collègues féminines qui reprenaient ses affaires et Livio aurait aimé que quelqu’un mette Milo en invalidité ou du moins en arrêt maladie pour n’avoir plus qu’à faire avec ses deux inspecteurs préférés. Il n’irait toutefois pas jusqu’à lui refaire le portrait de lui-même. Livio ne tapait pas sans raison valable, encore moins sur un flic. Passer entre les mailles du filet était déjà un exercice auquel il se livrait avec habileté, il ne fallait pas trop allonger son casier judiciaire qui risquait de ne pas se remettre d’une agression sur un représentant de l’ordre. S’il tombait pour ça, ça ferait trop plaisir à celui qui lui faisait à présent face, il était donc hors de question de tomber dans cette facilité qui pourtant le tentait parfois, au vu de l’attitude totalement stupide de Milo. Persévérer encore et encore, quel intérêt ? Il n’obtenait jamais rien de lui, il passait des heures inutiles en sa compagnie et semblait toujours plus déçu et désespéré de le voir, prenant peu à peu conscience qu’il n’avait rien à tirer de lui. Si seulement il pouvait à présent l’abandonner et arrêter d’essayer l’impossible ...

Mais au lieu de lui apporter un soda et de s’asseoir en lui disant qu’ils n’avaient qu’à attendre la fin de la durée réglementaire de l’interrogatoire pour repartir chacun de leur côté, comme d’autres l’auraient fait, il se trouva malin de lui mettre la vérité juste sous les yeux. Livio se rassit finalement, après avoir tant bien que mal ramassé sa chaise qui avait cédé sous la violence de son intervention. Il tremblait un peu de colère contenue, et son visage se crispait sur l’image qu’il venait d’offrir à son vis-à-vis. Un militaire qui sort de ses gonds, qui se laisse toucher par une photo qui semble être un début de preuve, une attitude qui n’était en aucun cas digne de lui. Il fallait qu’il se reprenne, qu’il se dégage de cette spirale de colère qui l’enchainait depuis deux jours déjà. En essayant d’oublier, et de surtout ignorer l’inspecteur Vasco qui allait essayer de tout réveiller, de faire remonter à la surface ce qui comptait, ce qui venait de filtrer dans sa réaction. Livio n’était pas bête et savait bien que le moindre de ses battement de cil était observé, analysé, reporté, décortiqué. Tel un asticot derrière un microscope, il se sentait parfois dépossédé de sa spontanéité. Il était au commissariat comme sur le terrain : attentif à tout, se retenant et ne faisant pas le moindre geste superflu. Dans la retenue et dans la précaution, il n’avançait que s’il savait l’endroit sûr. Du moins, la plupart du temps.

- Okay, ça te dit quelque chose. Très bien. L’enquête démontre hors de tout doute que tu es responsable de ce meurtre. Ou du moins, que tu y es impliqué.

Sur ce coup là, il avait avancé droit sur une mine sans plus se poser la moindre question, sans faire attention à rien. Et pour ça, il s’en voulait affreusement. Même s’il ne pouvait plus rien y faire. Ceci dit, il était presque reconnaissant à Milo d’avoir caché la photo, qui lui mordait encore les entrailles, comme un délicat venin qui ne se gênerait pas pour faire des ravages. C’est seulement après qu’il prit conscience des paroles du brun. Il n’était vraiment pas gêné, celui-là. Affirmer avec autant d’aplomb qu’il était le coupable, ça relevait du ridicule, là. Il ne lui disait rien, et si quiconque aurait pu se laisser avoir par cette stupide affirmation, Livio croisa les bras, soulagé de la vision de son forfait, et le fixa un petit sourire nonchalant de retour sur ses lèvres. Le mutisme avait fondu, l’état catatonique n’était plus et il renaissait sous la forme de Livio, le paria de la justice qui connaissait bien son rôle et l’incidence qu’il avait sur les autres. Il s’empressa donc de faire remarquer à son interlocuteur à quel point son intervention était sans fondement.

- Pour l’instant vous ne semblez avoir rien d’autre qu’une photo mal cadrée et qu’une assurance débordante, inspecteur Vasco. Ça ne tiendra jamais devant un tribunal, comme affirmation. Et pas plus avec moi, je crois qu’on a passé le stade des intimidations, vous et moi.

Il le vouvoyait encore, mais cela n’avait rien d’une marque de respect. En temps normal il ne s’embarrassait pas de cette politesse et employait un tutoiement qu’il estimait normal d’égal à égal, malgré son statut de suspect principal, mais l’usage de cette fausse déférence renforçait l’ironie de son discours. Il se moquait ouvertement de lui, lui balançant à la figure ses accusations non fondées et ses ridicules remarques qu’il ferait mieux de garder pour les petites frappes ou les racailles du quartier, apeurées par son air sérieux et son regard impassible. Pour l’instant, Milo n’avait rien et s’il voulait réellement passer aux choses sérieuses il allait falloir s’allonger un peu sur la table et livrer ses sources, ses témoignages, sa version des faits. Livio ne serait pas celui qui parlerait le premier, il en était hors de question. Jusqu’au bout il tiendrait fidèlement son rôle de celui qui accepte d’être coupable sans l’admettre, et ses aveux Milo ne les auraient pas. Oh, Livio savait que ce bout de papier n’était rien et qu’il serait effacé dans le week end pour ne plus rien avoir à exposer au supérieur de Milo lundi matin, pourtant c’était une question de pouvoir, d’acceptations. Chacun cédait peu à peu du terrain et si Livio était totalement retourné par ce qui lui était arrivé, pour une raison qui reste encore mystérieuse, il reprenait peu à peu ses habitudes, ses réflexes d’interrogé.

Dire quelque chose seulement en contrepartie d’une autre, accepter de faire un pas en avant si l’autre en fait deux, et se savoir dans la position de celui qui connait toute l’histoire, les détails, les faits, et ne rien livrer. Se contenter de jouer avec l’ignorant, tel un chat avec une boulette de laine. Le militaire imaginait parfaitement l’air placide pour ne pas dire inexpressif de Milo sur un fil de laine bleue, et s’amusait mentalement à la balader d’une main à une autre. Il détestait cet air impassible, presque arrogant, qu’il affichait. Cela lui faisait penser à un de ces flics moyens qui n’avait rien à faire de leur journée si ce n’est s’inquiéter du menu du soir. Il savait Vasco plutôt bon dans son boulot, persévérant et vraiment volontaire de savoir plutôt que de boucler un dossier. La justice lui importait tout autant que la vérité, du moins c’est ce qu’il dégageait. Mais son apparence et ses attitudes étaient toutes autres et énervaient à un point impressionnant Livio, qui aurait pu apprécier son interlocuteur s’il en avait été autrement, pour ses qualités évidentes. Mais son air si banal et son comportement tellement nonchalant, désabusé et à la fois persévérant là où il n’avait aucune chance ... Milo lui faisait l’effet d’un petit roquet dont on ne parvient pas à se débarasser une fois accroché à votre jambe mais qui, le reste du temps, parait totalement insignifiant et vous remplit de dégoût par son apparence inutile et d’une platitude infinie. Ça lui allait tellement bien ... Mais alors qu’il rigolait en silence et sans laisser ses lèvres le trahir, Milo reprit et la joute continua.

- Je crois savoir ce qui s’est passé.

Livio en doutait fortement, mais ça il ne lui dirait pas tout de suite. Car oui, il doutait que Milo sache exactement comment il en était arrivé là, à tuer un gosse du nom de Mariano, après l’avoir suivi une bonne partie de la nuit. Il était prêt à parier qu’il ne devinerait jamais l’état d’esprit qui l’avait habité quand il s’était glissé parmi les jeunes, dans cette boite de nuit. Déterminé à faire son travail correctement, heureux de suivre les ordres et convaincu que ce qu’il s’apprêtait à faire était juste, et conforme à ce en quoi il croyait depuis des années. Sûr de lui, inflexible. Son esprit était entièrement tourné vers la réussite, et jamais il n’aurait pensé que cela tourne de cette manière. Non, jamais il n’avait un moment imaginé que loger une balle dans le corps de ce gamin en particulier lui déchirerait le cœur. Car en l’attirant en proposant un bon plan de fumette, ce n’était pas ce qu’il avait en tête. C’était une approche facile et discrète pour un gamin classique, et si Livio n’était pas sûr à 100% que Mariano y touchait, il pouvait toujours changer de tactique pour une approche plus musclée. Mais quand on est un adolescent et qu’on s’amuse de cette manière avec ses amis, en sortant en cachette et en filant droit dans une des boites d’amusement de la ville, et pas la mieux fréquentée, on est forcément attiré par cette proposition. Mariano l’avait suivi hors de l’établissement un instant, et n’avait pas trouvé étrange qu’ils s’éloignent dans une rue plus calme. Il ne s’était pas posé de questions quand c’est plusieurs rues qu’ils franchirent, Livio lui parlant de sa cargaison qui était juste à côté. Dans la zone industrielle qui, d’ailleurs, bordait le quartier d’où ils venaient.

Il n’avait, à aucun moment, douté de l’attitude de son dealer potentiel et ce fut bien là son erreur. Livio, de son côté, touchait au but. L’endroit était calme et à priori peu fréquenté, et lui était fier de l’adrénaline qu’il ressentait comme si c’était la première fois qu’on lui confiait une mission sur le terrain. Il n’était pas pressé de tuer le gosse, mais l’excitation, la peur et l’inconnu remontaient en lui tels des souvenirs magnifiquement réels, tout cela grâce à la discussion qu’il avait eu avec Sebastiano la veille. Il se souvenait encore de sa déprime, de son impression de ne rien faire, de ne pas avoir approché le terrain durant des décennies. Lui vivait pour ce genre de situation, pour le moment béni avant de frapper, ou de tirer. La plénitude de la situation monta d’un coup dans ses veines, et Livio ne fouilla ni ne vérifia les environs du regard. Il aurait pu voir un témoin gênant, il aurait pu voir une silhouette qui fumait tranquillement non loin de là. Il aurait pu faire beaucoup de choses, comme ne pas sortir son arme et ne pas la braquer sur Mariano. Mais il céda à l’impulsion, commit son erreur, laissa un témoin. Au moment où il tirait, Livio avait déjà les joues pleines de larmes et un poids sur le cœur, la tristesse ayant remplacé l’adrénaline. Et là encore, il ne prit pas le temps de vérifier les environs, l’esprit trop embrumé pour pouvoir réfléchir. C’était alors devenu presque un acte passionnel, car irréfléchi bien que calculé. Il avait fait deux erreurs, coup sur coup, qui l’avaient toutes deux emmenées vers une même direction. Le commissariat, ce soir.

Il doutait que Milo Vasco puisse deviner tout ça, savoir que tout s’était déroulé ainsi. Ce qui se confirma quand il commença son laïus, que Livio lui laissa bien gentiment finir. Il tiqua sur certains points, notamment cette histoire de profil. Il aurait été bien curieux de savoir quel profil il avait, quels mots le caractérisaient aussi facilement qu’en quelques lignes sur le papier du dossier qui était posé devant Milo. Quels adjectifs pour le définir, quel cadre limitant tentait de découvrir son caractère, ses motivations, pour tenter de comprendre ses actes et ses réactions ? C’était véritablement quelque chose qui le passionnait et qui éveillait sa curiosité, imaginant déjà les traits de caractère qu’on pouvait lui prêter sans le moindre mal. C’était juste risible de délaisser toute la complexité d’une personne pour tenter de la résumer ainsi, et pourtant lui aussi connaissait cela. Les informations que contenaient les dossiers relatifs à ses missions étaient tout aussi résumées, que ce soit dans la vie de ses cibles ou dans leur caractère connu ou potentiel. Lui aussi adaptait ses comportements à ce qu’on lui apprenait sur les personnes qu’il devait suivre, questionner, enlever, tuer.

Quand son interlocuteur eut finit de tenter de le définir et d’exposer tout ce qu’il savait en quelques phrases, Livio leva ses mains menottées et applaudit doucement et excessivement lentement, un grand sourire sur le visage. Comme une énième provocation, comme pour lui prouver qu’il avait repris du poil de la bête et que ce n’était pas la peine de penser l’assommer de ses diatribes sans qu’il ne réagisse. Et puis, après tout Livio savait que c’est ce que Milo voulait. Lui, s’en foutait terriblement étant donné qu’il n’avait que faire des réflexions qu’il pouvait lui faire ou des pensées qu’il formulait à son sujet.

- Bravo, inspecteur. C’est très intéressant ce que tu racontes là. Ce ne sont que des suppositions, mais c’est passionnant. Et selon toi, qui, pourquoi ? Continue, Vasco, que je m’amuse encore. Que je rigole sur des points dont tu ne seras jamais sûr.

C’était tellement drôle d’être celui qui connait, face à celui qui ne sait rien. Livio s’en délectait, et savait bien que sur ce point Milo était impuissant, tel un chaton qui se débat dans une baignoire, menaçant de couler dès que ses forces seraient trop faibles. La police de Milan était condamnée à fermer les yeux et imaginer que l’eau n’existait pas pour ne pas sombrer, mais lui se débattait encore, cherchant les bords d’une immensité d’eau sans fin. Cherchant l’air, cherchant un appui qui ne venait pas. Il avait deux solutions. Continuer, et finir par se faire engloutir définitivement, ou dans la réalité comment se faire mettre au placard ou à la circulation en une leçon, ou alors fermer les yeux et ignorer. Lire son nom et le laisser passer dans les dossiers non résolus mais à ranger, fermer les yeux sur ce qui le concernait. Bizarrement, Livio ne l’imaginait pas dans le second cas et s’amusait beaucoup de l’idée de le titiller pour le pousser à chercher encore, à vouloir à tout prix connaitre une vérité qui l’enverrait en rétrogradage immédiat. On ne devine pas l’existence du GDP, ni ses contacts, ses influences.

- Je vais te dire ce qu’il s’est passé. Tu as juste un pauvre témoignage de quelqu’un qui m’aurait vu descendre ce gamin. Et tu ne sauras jamais si c’est par plaisir sadique, par haine vengeresse ou par la désinvolture dévolue à un travail sérieux.

Livio se balança tranquillement sur sa chaise, s’amusant à frôler le point où son équilibre se rompait pour revenir à terre avec un sourire des plus compatissants envers le pauvre inspecteur. Il était d’humeur bavarde ce soir, et jouer avec lui était une occupation qui le ravissait et faisait se dresser d’envie et d’excitation les poils de ses bras. Un petit plaisir solitaire qu’il partageait seulement avec l’air grave de Milo qu’il ne désespérait pas de voir un jour se tordre d’une émotion quelconque, enfin.

- Ceci dit, j’aime ceux qui cherchent, qui se démènent jusqu’à n’en plus pouvoir. Alors pour te faire plaisir, je vais te confirmer un point, un seul. Histoire de te donner quelque chose d’enfin excitant dans ta vie que tu passes ici au lieu d’être chez toi tranquillement. Tu me fais pitié, alors oui, si l’on admet que c’est moi, jamais je ne l’aurais fait sur un coup de tête ou sur une impulsion. Pas plus que sur un coup de sang ou une envie passagère. Jamais. Mais est-ce vraiment moi ? Et que feras tu de cette information ridicule ?

Son petit sourire ne quitta pas ses lèvres, et Livio attendait avec impatience la réaction de son vis-à-vis, qui lui ferait au moins passer le temps jusqu’à sa libération.
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeVen 4 Nov - 15:48

Milo voulait des réactions, il en eut. Et pas du tout dans la même gamme que ce que lui avait montré Gianelli jusqu’à là. Plongé dans son apathie post-gueule de bois ou Milo ne savait quoi d’autres, son prévenu favori n’avait fait qu’emprunter des cheminements improbables et inconnus . Ca l’avait surpris, mais après tout, si Livio avait choisi ce jour-là pour faire sa dépression après une vie de crimes, ben, fallait faire avec… Il ne pouvait pas lui réclamer sa verve habituelle. De toute façon, silencieusement ou non, la morgue était toujours là. Nichée dans chacun des gestes, au creux de la moue, drapant son regard, soutenant le port de tête toujours hautain. Qu’il affiche une nonchalance ou qu’il s’énerve, Livio proclamait toujours clairement ce qu’il pensait de la police d’une façon relativement insultante. Donc, l’attitude qu’il avait présenté jusqu’ici était certes intrigante et Milo s’en serait presque inquiété, mais elle ne différait pas tellement de d’habitude sur ce point-là, au moins. Et même, quoi ? Il n’allait pas lui réclamer d’être plus mordant. S’il n’était plus capable de s’énerver jusqu’à cracher une vérité, au moins cela ferait des vacances aux nerfs écorchés de son inspecteur.

Ou pas.

Milo aimait le confort, les habitudes. La routine le satisfaisait pleinement, contrairement à des tas d’autres gens qui cherchaient des sensations à travers des pseudos-divertissements plus exotiques les uns que les autres. Se lever tous les matins, aller bosser derrière un bureau, manger à la cafétéria, rentrer, lire le journal, regarder la télé, partir tous les étés en Sicile ; c’était ainsi que Milo concevait une bonne vie, une vie bien rangée, une vie dans les normes, une vie comme toutes les autres. Oh, il ne refusait pas les enquêtes excitantes quand elles se présentaient, au contraire. Il adorait ça, et oui, ça le réveillait. Mais toutes les investigations sur le terrain et ce qui pouvait s’ensuivre faisaient partie de son travail, donc il les considérait comme normaux, comme une partie intégrante de cette routine. Ce qu’il ne supportait pas, c’était les imprévus qui venaient lui pourrir sa journée, ses plans, ses efforts. Un rendez-vous qui surgissait à la dernière minute, un criminel qui n’agissait pas comme prévu, une mauvaise nouvelle. Les imprévus, c’était forcément des ennuis ; jamais des évènements positifs. C’était des représentants du désordre, or, tout le monde savait que Milo mettait un point d’honneur à ce que sa chambre soit parfaitement rangée depuis sa tendre enfance. Il détestait la confusion –d’où son aversion pour les crétins-, les troubles, le chaos sous n’importe quel aspect. D’une certaine façon, se disputer avec Marica l’énervait surtout parce que c’était un horripilant indicateur que sa vie n’était pas aussi ordonnée qu’il le souhaitait. Et s’il était toujours aussi content de sa promotion, il constatait qu’il n’avait jamais été autant dans le flou que depuis qu’il était devenu inspecteur. Il passait son temps à tomber sur des situations aberrantes, impossibles à régler, impossibles à classer. C’était proprement insupportable et si Livio en avait rajouté une couche en changeant son comportement de tout au tout, Milo n’aurait absolument pas vécu ça comme des vacances, non. Juste comme une pénible épreuve en plus, un nouveau terrain où improviser, un nouveau terrain où il risquait de perdre. Hors de question.

Il le savait intimement, sans vraiment se l’avouer. Mais en interrogeant Livio de cette façon, en s’intéressant plus au pourquoi qu’au comment, il s’engageait de plus en plus sur une piste hasardeuse et savait qu’il n’aimerait pas du tout ce qu’il trouverait au bout. Milo n’avait jamais été, et ne serait jamais, un éclaireur. Quelqu’un qui prend les devants uniquement pour l’amour du risque et le goût de l’inconnu. Mais à ce trait-ci de sa personnalité se heurtait celui tout aussi fort de la curiosité et de l’envie de comprendre. Alors, il ne pouvait pas s’en empêcher, même s’il savait qu’il allait se prendre le mur de son existence au détournant. Et puis, il était trop pétri de valeurs et trop fidèle à lui-même pour détourner le regard, comme les autres. Il ne voulait pas ressembler à ceux qu’il ne supportait pas.

Lentement mais sûrement, Milo allait se mettre lui-même dans une impasse dont le seul échappatoire serait de faire exploser le mur qui l’empêchait de passer. Ce qui revenait à dire, moins métaphoriquement parlant, à foutre cette vie qu’il aimait tant en l’air. Comprenons bien que si l’inspecteur venait à découvrir l‘existence du GDP, qui serait la réponse à toutes les questions qui le hantaient depuis plusieurs mois, il n’aurait pas d’autre choix que d’y entrer. Il le pouvait, parce qu’il était déjà dans la police, déjà dans une agence gouvernementale, et qu’il était, tout en étant aussi enquiquinant qu’un moustique avec son ambition à la noix, un élément intéressant. Potentiel. Cependant… Si jamais Milo soulevait le voile derrière lequel se cachait l’organisation secrète, il ne pourrait y adhérer sans entrer en contradiction avec ce qu’il était. Donner un coup de main à ceux qui lui avaient mis les bâtons dans les roues ? Aider des types sans fois ni lois qui n’agissaient que sous un couvercle à la limite de la légalité ? Contribuer à bafouer des lois dans lesquelles il croyait fermement ? Euh, non. Milo ne pourrait jamais l’accepter. D’autant que son carnet d’adresse était plein de ces Pactisants qu’il ne connaissait pas encore. Des gens qui, à défaut d’être des amis, ne méritaient pas d’être livrés à un groupe d’excités qui descendait tout ce qui venait de la Lune. Ainsi, Milo ne pouvait, au bout de sa stupide quête, que se bafouer ou mourir bêtement. Ou alors, démissionner et vivre d’amour et d’eau fraîche avec une fille qui l’accuserait d’avoir ruiné son existence et toutes ses chances de devenir un jeune et prometteur procureur, s’accoquiner avec un groupe d‘informations parfaitement illégal et devenir à son tour une cible. Et, dans tous les cas, perdre toutes chances de mener une vie tranquille, paisible, ordonnée, exemplaire. Youpi. Autant vous dire que si Milo aurait su où il se fourrait, il aurait explosé. Parce que, déjà, il n’était plus question de revenir en arrière, de se boucher les oreilles, de clore les paupières, de prendre ses cliques et ses claques et de déménager aux Etats-Unis. Il était déjà dans l’affaire jusqu’au cou, sans même le savoir.

Mais comme Milo Vasco n’était jamais qu’un tout petit pion sur un très grand échiquier, il ne savait encore rien de tout ça et c’était tant mieux pour lui. Au moins pouvait-il vivre naïvement dans l’illusion encore quelques mois.

Ainsi donc, conformément au Plan, conformément aux Habitudes, conformément à la Sainte Routine, Livio réagit enfin comme Livio réagissait, ce qu’accueillit Milo avec un certain soulagement. C’était mieux comme ça. Il préférait supporter les moqueries prétentieuses d’un fichu militaire bouffi d’orgueil et de suffisance que le silence buté du même fichu militaire, version crétin congénital. Magiie. Le Livio ressuscitait, tel un phénix surgissant de ses boots vernies. Tranquillisé, de nouveau sûr de lui, ignorant avec superbe l’erreur qu’il avait faite quelques minutes plus tôt, Gianelli croisa les bras –pas besoin d’avoir fait des études de comportements morphologiques pour piger le message- et son visage s’éclaira sous l’effet de son sourire content de lui. Allons bon, qu’est ce qu’il allait lui sortir, encore ?

-Pour l’instant vous ne semblez avoir rien d’autre qu’une photo mal cadrée et qu’une assurance débordante, inspecteur Vasco. Ça ne tiendra jamais devant un tribunal, comme affirmation. Et pas plus avec moi, je crois qu’on a passé le stade des intimidations, vous et moi, affirma Livio, presque en ronronnant.

Pas comme si j’allais moi-même affirmer ça devant un tribunal, crétin, rétorqua vertement Milo dans sa tête. Il détestait être pris pour un imbécile, même s’il savait qu’on le faisait exprès. Mais comme il ne pouvait pas réagir sans ruiner tous ses précédents efforts, il se contenta de pincer les lèvres, ce qui ne changeait pas grand-chose sur son visage à l’expression naturellement contrariée. En plus, il n’aurait pas du se sentir vexé le moins du monde ; Milo appliquait juste la procédure normale, la première étape, la déclaration de base. Mais c’était plus fort que lui, il réagissait mal à l’ironie.

Mais évidemment qu’au tribunal, il ne présenterait pas la photo prise sur les lieux du meurtre et uniquement le témoignage de Carla. Le témoignage était suffisant pour faire condamner Gianelli, mais ça passerait mieux avec quelques preuves de plus. Dans les faits, Milo n’avait pas besoin des aveux de Livio. On condamnait chaque jour des types qui refusaient jusqu’à leur mort d’admettre leur crime, parce que leur culpabilité était flagrante. Quand le labo en aurait fini avec l’autopsie, la police aurait sûrement quelques indices, voir des empruntes, qui incrimineraient Livio aussi sûrement que si ce dernier avait été pris sur le fait.

Ceci dit, Livio avait raison sur un point : Ils avaient passé le stade des intimidations. Milo ne répondit pas et attendit la suite, qui vint après un petit numéro digne d’un méchant très méchant de dessin animé, comme le Docteur Gang dans Inspecteur Gadget. Oui, chacun ses références, hein.

- Bravo, inspecteur. C’est très intéressant ce que tu racontes là. Ce ne sont que des suppositions, mais c’est passionnant. Et selon toi, qui, pourquoi ? Continue, Vasco, que je m’amuse encore. Que je rigole sur des points dont tu ne seras jamais sûr.

Milo resta de marbre, comme devant une plaisanterie qui tombe à plat. Livio pouvait bien se moquer de lui en jouant au plus fin, ce n’était jamais que des diversions, des feintes qui ne marcheraient pas. Le lieutenant de police resterait inébranlable et n’entrerait pas dans ce petit jeu.

- Je vais te dire ce qu’il s’est passé, poursuivit Livio, soudain bavard après cette longue période de mutisme. Tu as juste un pauvre témoignage de quelqu’un qui m’aurait vu descendre ce gamin. Et tu ne sauras jamais si c’est par plaisir sadique, par haine vengeresse ou par la désinvolture dévolue à un travail sérieux. Ceci dit, j’aime ceux qui cherchent, qui se démènent jusqu’à n’en plus pouvoir. Alors pour te faire plaisir, je vais te confirmer un point, un seul. Histoire de te donner quelque chose d’enfin excitant dans ta vie que tu passes ici au lieu d’être chez toi tranquillement.

Elle est très bien, ma vie. Lui, au moins, ne passerait pas son week-end en taule. Et ses soirées ne se résumaient pas à discuter avec son verre ou à repasser amoureusement ses uniformes. Ce que passa diplomatiquement Milo sous silence.

Il n’y croyait qu’à moitié. Quoi, Livio allait lui dire quelque chose ? Confirmer un point ? Oulha, ça serait un jour à marquer d’une pierre blanche, à allumer une bougie et un bâton d’encens, à faire une bonne action ou un truc qui traine, comme appeler Nicola. Ca paraissait tellement incroyable que Milo préféra ne pas se faire trop d’illusions. Néanmoins, il ne put s’empêcher de redoubler d’attention et de scruter davantage, si c’était possible, le visage de son interlocuteur. A force, il allait finir par creuser dedans.

- Tu me fais pitié, alors oui, si l’on admet que c’est moi, jamais je ne l’aurais fait sur un coup de tête ou sur une impulsion. Pas plus que sur un coup de sang ou une envie passagère. Jamais. Mais est-ce vraiment moi ? Et que feras tu de cette information ridicule ?

Ouais, illusions. Livio avait bien confirmé un point, pas de doute là-dessus, mais Milo… s’en contrefichait éperdument. Frustration qui sortit avant même qu’il ne puisse retenir ses mots :

- Je n’ai pas besoin de tes aveux pour savoir ça, tu ne m’apprends pas grand-chose. C’est marqué sur ton front en caractère d’imprimeries. De la même façon que je sais que ouais, c’est vraiment toi. Après, on sait tous les deux que tu as trop de fierté pour l’écrire sur un morceau de papier, même si celui-ci finit mystérieusement demain à la poubelle. En fait, c’est même pas de la fierté, tu t’en fiches, c’est juste que ça te fait marrer. Le seuil orgueil que tu en tires, c’est de pouvoir rentrer chez tes copains et pavaner en disant que tu as rien dit et que tu as fait tourner le commissariat en bourrique –et moi par la même occasion-. Maintenant que ça c’est posé, on peut passer à une discussion d’un niveau un peu plus élevé ? Je me fiche de te faire payer pour le meurtre d’un pauvre ado qui ne savait pas encore utiliser la mousse à raser du paternel, je sais que je n’y arriverais pas et je ne vois plus l’intérêt que j’ai à perdre mon temps sur ce sujet. La question qui m’intéresse, c’est qui t’a demandé de faire ça ?

Euh… Un peu trop direct, Milo. Un peu trop. C’est tirer avec un gros bazooka dans les fondations, là. Un peu plus de subtilité, s’il te plait ? Trop tard. Ceci dit, même si Livio l’agaçait profondément à le prendre pour un idiot, il était content de voir que le militaire suivait sans s’en rendre compte un chemin de briques jaunes particulièrement éclairant. Oh non, Milo n’avait pas les capacités de lire comme dans un livre ouvert les moindres battements de cils, les moindres courbes des lèvres, la moindre parole, le moindre ton plus ou moins ironique que le précédent. Il n’obtenait aucune révélation providentielle… Pour le moment. Mais il était tout à fait normal qu’à cette étape de l’interrogatoire, Gianelli garde le silence et refuse d’admettre son geste. Milo pouvait toujours forcer les choses, retirer sa main de la photo toujours au milieu de la table, voir lui plaquer sous le nez, mais le lieutenant n’était pas un adepte de ces manières de mener un interrogatoire. C’était bon pour les brutes et les flics pourris qui se croyaient très bons et plus forts que tout le monde. Oui, ça payait ; quand on secoue quelqu’un comme un prunier pendant des heures, il était assez déboussolé et sur les nerfs après ça. Mais c’était une méthode inélégante ; pas que Milo se soucie d’être noble dans son travail, mais il n’avait pas envie de se mettre au même niveau intellectuel et moral que ceux qu’on appelait les mauvais flics. Alors, il manquerait peut-être d’originalité dans sa démarche, mais il resterait Milo Vasco, l’inspecteur qu’on finirait par enterrer sous une pile de dossiers ennuyeux dans un minuscule bureau au sous-sol en priant pour qu’il nous lâche les baskets.

D’un autre côté, il se reprochait d’avoir sauté plusieurs questions qu’il avait souhaité poser avant celle-là. Il n’y avait aucune chance que Livio y répondre, pas maintenant, pas encore, peut-être jamais. Mais là, il venait de pulvériser toutes ses chances d’y parvenir aussi sûrement qu’en retenant la carte fondatrice d’un éphémère château en papier. Comme lorsqu’il répondait à Marica quand il aurait mieux fait de se la fermer et de s’affairer dans la contemplation d’une pub pour Monsieur Propre. Le genre où il se mordait la langue ensuite ou s’assombrissait plus encore.

Bon, à défaut de pouvoir se rattraper, Milo pouvait passer à une question B, une autre façon contournée d’en apprendre plus, moins directe que « Qu’est ce que tu as fait exactement ? ». De plus, il s’agissait d’une question qui le titillait tout autant que celle qu’il venait de poser. Une question dont la réponse éclairerait peut-être plusieurs dossiers qui s’entassaient dans ses placards, sur son bureau, sur la chaise rangée le long du mur et même sur sa table de chevet à l’appartement, ce qui exaspérait Marica qui estimait qu’ils n’avaient pas leur place ici. Ouais, ben excuse-moi de ne pas avoir à me contenter de donner une sentence au hasard. Etrangement, le soir, Milo était plus productif que dans la journée. La nuit, le silence, l’atmosphère tranquille qui pouvait régner le rendait plus apte et lui donnait plus de courage pour relire ces affaires fastidieuses, parfois macabres. Il soulignait plus de données, les classait plus facilement. Et puis, certains cas étaient tellement obscurs que l’idée de laisser l’énigme en suspens toute une nuit, parfois tout un week-end, l’horripilait. Il n’aimait pas se heurter à des casse-têtes inextricables. De la même façon que lorsqu’on vous posait une devinette stupide de collégiens, comme le célèbre marché de Pas d’I, Pas d’O, vous ne pouviez plus vous empêcher de retourner le problème dans tous les sens jusqu’à obtenir la solution, la brandir fièrement devant le monde entier et prouver que vous étiez aussi intelligents que n’importe qui. Son frère, autrefois, adorait le faire bisquer de cette façon. Comme tous les crétins de grands frères. Aujourd’hui, c’était son boulot qui mettait un point d’honneur à lui proposer des mystères plus exaspérants les uns que les autres par leurs épaisseurs. Comme ces histoires de mec brûlé, ou retrouvé à des endroits improbables. Et, saisit par cette intuition bénie qui touchait parfois les inspecteurs, Milo se doutait que ces affaires avaient un lien avec les crimes de Livio Gianelli. D’un ton détaché, il demanda :

- Que faisait… Mariano, c’est ça ? Que faisait Mariano pour qu’on soit obligé de le descendre ? Il n’avait pas payé sa cotisation ? Il a déplut aux Genovese parce qu’il avait doublé leur vendeur de drogues dans la boîte de nuit où tu l’as trouvé ?

Oui, la mafia restait sa première hypothèse, même si Milo savait pertinemment que la raison débile qu’il avait cité n’était aucunement responsable de la fin tragique de l’adolescent. Il se demandait bien pourquoi, et quelque chose lui disait qu’il refusait d’admettre un fait qu’il avait sous les yeux, mais il préféra ne rien entendre. Un pas à la fois, d’accord ? Il ne se sentait pas de s’aventurer trop précisément sur un terrain aussi glissant. Voir collant. Et très boueux.
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeLun 14 Nov - 15:34

Si le corps du militaire était effectivement assis sur cette chaise, dans ce commissariat, Livio n’y était pas vraiment. Il sentait pourtant la raideur du fauteuil, qui dans son dos s’imposait sans autre forme de procès et sans pitié. Voilà bien quelque chose qu’il pourrait notifier en tant que réclamation ou suggestion à sa sortie, le lendemain sans doute. Il se voyait bien expliquer que les chaises d’interrogatoire n’étaient pas des plus confortables. Mais surtout, il voyait bien la tête d’ahuri méprisant que lui ferait Milo. Bref. Pourtant les inspecteurs qui passaient en face de lui au fur et à mesure de ses visites n’étaient pas mieux lotis, et les mêmes instruments de torture soutenaient leurs corps de fonctionnaire endurcis. Le lieutenant du GDP se demandait de plus en plus comment ils pouvaient tenir toute la journée là dedans. Lui avait besoin d’être en mouvement constant, et quand ses fonctions l’obligeaient à se coller à une paperasse ennuyeuse et redondante, c’est un bon siège en cuir qui accueillait ses états d’âme et ses soupirs. Quoi de plus normal que d’être correctement installé pour faire un travail réussi ? Cela expliquait d’ailleurs beaucoup de choses sur la qualité des interventions desdits inspecteurs. Bref, tout ça pour dire qu’il tentait de trouver une position qui ne serait pas trop inconfortable, en vain. Livio se serait bien levé pour faire les cents pas, mais bizarrement il sentait que son cher interlocuteur n’allait pas vraiment applaudir à cette idée. Parce qu’il y avait des règles, des conventions, des certitudes et des choses qui semblaient immuables.

Le suspect reste assis sur un instrument de torture pendant toute la durée de son interrogatoire, et c’est d’ailleurs plus leur manque de confort qui engageait certains à dire ce qu’ils savaient, même pas grand-chose, pour avoir au moins le droit de se lever. Ne serait-ce que pour aller en cellule provisoire, tant pis. Le matelas était infâme mais pouvoir se délasser les jambes dans une pièce privatisée, bien que manquant indubitablement d’intimité, était un luxe qu’on n’avait pas vraiment avant. Et le bourreau était en face, avec la possibilité de se lever et d’abandonner la pièce, soit disant pour un souci de réflexion personnelle pour son cobaye du jour. Mouais. Avant tout la délivrance, mais Livio continuait à fixer la chaise de Milo d’un air très intéressé. Est-ce que supporter un tel traitement était une condition sine qua none pour entrer dans la police ? Dans ses hautes sphères ? Ou bien était-ce simplement une capacité de résistance accrue à toutes ces choses insupportables du quotidien, parce qu’ils n’avaient pas le choix ? Parce que leur stupide position ne leur en laissait pas le choix ? Livio souriait doucement, s’amusant lui-même des imbécilités qui traversaient son cerveau alors qu’il détaillait enfin la pièce, qu’il connaissait pourtant par cœur. Un endroit plutôt sympathique pour l’usage qu’on en faisait, ce qui avait toujours posé question à Livio. Quel intérêt de paraître accueillant quand on ne l’est pas ? Surtout que cela mettait presque en confiance, et qu’un suspect bien loti n’a pas forcément envie de parler parce qu’il se sent en sécurité. Y’en a d’autres que ça déridaient, sans doute, mais la menace était un moyen plus sûr. Ou alors c’était pour pouvoir jouer au gentil flic ? Livio reporta son amusement et son regard rieur sur Milo. Ça ne marchait pas avec lui, surtout que l’inspecteur Vasco n’avait rien de vraiment gentil.

Mais ils y faisaient les choses à moitié. L’endroit est presque agréable, mais l’absence cruelle de décorations ou de fantaisie le rendait froid et aussi impersonnel qu’une pièce grise ornée d’une vieille ampoule. Presque plus, même, puisqu’au moins le cliché de la salle d’interrogatoire avait l’avantage de se rendre habituel et naturel. Personne n’y était déstabilisé, et l’on pouvait y endosser toutes les casquettes. Gentil comme méchant, bourreau comme faux ami, négociateur comme juge. C’était risible de voir l’impact qu’une simple pièce pouvait avoir, mais à vrai dire le militaire s’amusait beaucoup à en imaginer les travers. C’était un jeu qu’il pratiquait souvent en venant ici, d’autant plus quand il s’ennuyait ferme face à un homme borné qui voulait savoir des choses qu’il ne lui dirait pas, ou qui persistait à croire qu’une méthode allait finalement marcher sur lui. Livio ne dirait rien qu’il ne veuille pas dire, ne ferait rien qu’il n’ait pas décidé. Et sa réaction démesurée de tout à l’heure n’était qu’une faiblesse passagère qui n’existait plus. Mariano fuyait son esprit, son visage commençait à se dissiper et Livio oubliait les larmes qu’il avait versées en l’abattant d’une balle, mortelle, décisive, impitoyable. C’était une passade qui n’avait plus lieu d’être, et ne serait d’ailleurs plus. Parce qu’il était trop douloureux de repenser à cette nuit, et parce qu’il se réjouissait que Milo l’entraine sur un autre terrain. Parler de Mariano, oui, mais ne pas repenser à cet instant précis. Discuter de ce qui gravite autour, d’accord. Tant qu’il maitrise ses émotions qui, un instant, lui avaient échappées. Le manque de sommeil, la fatigue, la peine étaient remontés à lui, le saisissant violemment à la gorge. Mais il n’en restait plus rien qu’une simple cicatrice un peu gênante mais pas vraiment douloureuse.

Dire que Mirko avait été policier en son temps … Livio l’imaginait parfaitement assis à la place de Milo, à regarder des dealers ou des camés droit dans les yeux. Pour y déceler le mensonge de la vérité, pour y apprendre un nom, un lieu, une date ou une heure. N’importe quoi. Ce qui était le plus énervant, c’est d’avoir conscience que son actuel supérieur qu’il respectait par-dessus tout et le crétin en face de lui qui lui pourrissait la vie se ressemblaient beaucoup. Tous deux impliqués, tous deux passant des heures sur leur travail au détriment de leur vie personnelle. Etonnamment, le jeune homme qui n’avait aucune relation sérieuse depuis l’épisode Natale, mettait le point sur une ressemblance flagrante qui démontrait une chose : le travail et une femme, ça ne fait pas bon ménage. Mirko comme Milo étaient en froid avec ce qui aurait dû être leur moitié, même si le jeune homme ne le devinait pas aussi aisément. Tous deux peu portés sur l’humour, tous deux sérieux et directs. Pourtant Mirko était le modèle du lieutenant Gianelli, qui aimerait tant lui ressembler, là où son pendant inspecteur n’était qu’une tare à bannir rapidement de sa vie. Etrange comme des détails, voire simplement des contextes, peuvent changer des choses.

- Je n’ai pas besoin de tes aveux pour savoir ça, tu ne m’apprends pas grand-chose. C’est marqué sur ton front en caractère d’imprimeries. De la même façon que je sais que ouais, c’est vraiment toi. Après, on sait tous les deux que tu as trop de fierté pour l’écrire sur un morceau de papier, même si celui-ci finit mystérieusement demain à la poubelle. En fait, c’est même pas de la fierté, tu t’en fiches, c’est juste que ça te fait marrer. Le seuil orgueil que tu en tires, c’est de pouvoir rentrer chez tes copains et pavaner en disant que tu as rien dit et que tu as fait tourner le commissariat en bourrique –et moi par la même occasion-. Maintenant que ça c’est posé, on peut passer à une discussion d’un niveau un peu plus élevé ? Je me fiche de te faire payer pour le meurtre d’un pauvre ado qui ne savait pas encore utiliser la mousse à raser du paternel, je sais que je n’y arriverais pas et je ne vois plus l’intérêt que j’ai à perdre mon temps sur ce sujet. La question qui m’intéresse, c’est qui t’a demandé de faire ça ?

Et alors que Milo l’interrogeait de plus belle, Livio en vint à rêver un court instant. Oh, il n’eut pas besoin de s’endormir ni même de fermer les yeux. Il cessa juste de faire attention à ce que son vis-à-vis racontait de manière éparse et, à ses yeux, désordonnée. Il suffisait d’imaginer. De s’entendre tout lui dire. Oui Milo, il y a bien quelque chose derrière tout ça. Le GDP n’est pas qu’une légende, il existe, j’en fais partie. Je tue des pactisants ou des stellas, je les enlève, on les torture. Tu veux savoir pourquoi ? La Lune Rouge elle non plus n’est pas qu’un mythe, et elle veille sur nous de façon mesquine et dangereuse. Elle est une tare que l’on se force de comprendre, elle crée des monstres que l’on cherche à analyser. Des pouvoirs effrayants, des influences trop grandes, un groupe adverse. Et toi au milieu de toute cette guerre que tu ne soupçonnes même pas. Pauvre petit policier perdu au milieu d’un océan de mystères, de secrets et de silences. Tu te débats comme un poisson presque mort, tes râles d’agonie sont un plaisir à nos oreilles. Oui Milo, tu avais raison de ne pas croire en de simples enjeux de pouvoirs, tu avais raison en ce qui me concerne. Je ne suis pas qu’un militaire, mais tout le gouvernement -ou du moins une partie- est impliquée dans cette lutte que tu ne soupçonnes même pas. Tu crois te rapprocher du but à chaque pas que tu fais en ma direction, mais c’est peine perdue Milo. Tu es un insecte sur ma route, un parasite dans ma vie que je pourrais écraser du revers de ma botte. Tu ne sais rien, et maintenant que tu sais tout, que vas-tu faire ?

Livio s’amusait beaucoup à s’imaginer lui confier tout ça. A imaginer son visage se décomposer à chaque phrase, la lueur de curiosité dans ses yeux mourir, comme trop rapidement soufflée. Quelle tête lui donnerait-il le plaisir d’admirer ? De l’horreur, de la satisfaction, du plaisir, de la peur ? L’idée était tentante. Très tentante. Parce qu’il savait qu’il lui suffirait de compléter une page vierge de dossier pour avoir ce qu’il voulait. Nom, Vasco. Prénom, Milo. Profession, inspecteur de police à Milan. Situation, concubinage. Motif, connaissances précises de l’existence du GDP et de ses missions et cibles. Proposition, élimination. C’était ces quelques mots qui signeraient l’arrêt de mort de cet homme. Et Livio se ferait un plaisir de s’en charger personnellement. Le regardant, toujours en silence, toujours un grand sourire aux lèvres, il imaginait l’instant où il lui tirerait en plein dans le crâne. Comme Mariano. A l’endroit précis où sa conscience aurait le temps de se sentir mourir. Oui, décidément cela devenait tentant comme idée. D’autant que Milo Vasco aurait peut être quelques heures de félicité de se sentir au courant, de se savoir dans l’immense confidence qui régissait Milan. Un sentiment de pouvoir de bien courte durée, et ça Livio se ferait un véritable plaisir de le lui rappeler. Il n’aurait qu’à inventer une excuse pour expliquer à Mirko comment cet inspecteur ridicule avait pu découvrir ce genre de choses mais … il ne s’en faisait pas pour ça. L’imagination n’était pas un problème.

Bien que, au demeurant, cette idée comporte un point noir que le militaire ne pouvait s’empêcher de relever. Car il demandait au jeune homme de mentir, et de trahir ses principes en envoyant à la mort un innocent un peu gênant. Juste pour son confort personnel, ce qui ne lui ressemblait pas vraiment. C’est dire à quel point Milo l’agaçait … Mais s’il ne doutait pas que ses supérieurs soient ravis de voir disparaitre un imbécile pareil, Livio savait bien qu’un autre Milo Vasco le remplacerait. Un, jour ou l’autre, un autre inspecteur stupide reprendrait le flambeau, ouvrirait les dossiers inclassables et se plongerait dedans. Et il reviendrait ici, même si Livio ferait d’autant plus attention à ne plus commettre d’erreurs stupides. Il savait bien qu’on finirait par lui tomber dessus à nouveau, et cela était toujours une épine dans son pied. Il n’allait pas non plus tuer tout le monde, Livio Gianelli n’était pas un vulgaire boucher et on ne ferait pas de lui un assassin qui appréciait le goût du sang. Il ne le faisait qu’avec parcimonie et quand on le lui ordonnait, et souvent il attendait d’avoir des raisons claires et valables. Tout détestable qu’ils soient, ces monstres ne méritaient pas que leur famille subisse leur décès. Donc il ne pourrait pas éliminer le suivant aussi facilement. Le cercle ne se briserait pas avec la mort de Vasco, qui à ce titre perdait beaucoup de son intérêt et ne le soulagerait que temporairement avant que la culpabilité ne le gagne, comme elle le gagnait quand il repensait à Mariano. L’idée ne lui venait même pas à l’esprit que Milo pourrait, comme Mirko avant lui, rejoindre leurs rangs. C’était impensable pour celui qui considérait ce policier comme un raté et un imbécile tout juste bon à se croire utile. Pire, le voir dans son monde rajouterait un peu de morosité à sa vie. Milo, dans ses pattes, tout le temps, rien n’aurait pu être pire. Alors tout compte fait, même s’il n’en avait pas conscience et ne voyait que l’alternative qui sonnait comme une mélodie à son oreille, Livio fit bien de ne pas lui dire tout cela.

- Mais si tu veux une signature sur mes aveux, fais toi plaisir, apporte moi ton sale papier. Mais tu n’auras que ça. Je m’en fous, je peux bien t’avouer ce que tu veux, tous les autres dossiers que t’es pas foutu de résoudre, tant qu’on y est. Tu me mets au trou pour un jour ou deux et je sors tranquillement après avoir mal dormi pendant que toi tu roucoules dans ta petite vie tranquille. Pour ce que ça me fait. Et si ça ne t’intéresse pas de finalement faire ton crétin … pour le qui, il faudra attendre des siècles avant de le découvrir. Enfin, peut-être que je serai d’humeur à réagir à tes suppositions, ce soir. Essaie toujours, et tente de savoir ce que je ne te dirai jamais. Petit flic arrogant.

C’était mieux, comme discours. Légèrement moins dangereux pour celui qui avait pris la peine de poser la question. L’attaque verbale lui signalait avec bien peu de diplomatie qu’il était ridicule à lui poser cette question. Sérieusement, Milo Vasco était si mauvais que ça, si bête et si raté ? N’avait-il jamais rien appris dans la vie ? On ne questionne pas de front quelqu’un qui est habitué aux interrogatoires, on ne crie pas sur un suspect qui est tout sauf intimidable. Au contraire, on prend son temps, avec des chemins détournés et des habiletés de langage. Si Livio, consciemment, doutait que son interlocuteur puise réussir à le faire avouer ce dont il ne voulait pas parler par la ruse, il en était en fait autrement. Car si le lieutenant de Mirko n’était pas stupide, il valait mieux pour son poste et ses responsabilités, il n’était pas non plus d’une intelligence remarquable, tout juste un peu plus que l’homme moyen. Ses capacités lui venaient surtout d’une bonne analyse des situations de terrain et d’un instinct forgé à toute épreuve. Le reste, c’était de la déduction parfois vaseuse, et beaucoup de chance dans l’art de se rattraper. Alors oui, si Milo avait été d’une finesse d’esprit particulière, d’une précision chirurgicale dans ses mots, sans doute le militaire eut-il laissé échapper des informations. Mais là, si stupidement, il n’aurait rien et en avait bien conscience puisqu’il reprenait, comme pour revenir sur sa pitoyable prestation.

- Que faisait… Mariano, c’est ça ? Que faisait Mariano pour qu’on soit obligé de le descendre ? Il n’avait pas payé sa cotisation ? Il a déplut aux Genovese parce qu’il avait doublé leur vendeur de drogues dans la boîte de nuit où tu l’as trouvé ?

L’image de Valente ne put que s’imposer à ses yeux, et un tendre sourire qu’il ne put pas vraiment retenir fleurit sur son visage. Il aurait donné à peu près n’importe quoi pour être en sa compagnie, autour d’un bon vin et d’un repas fin plutôt que face à ce policier de pacotille qui dérapait dans le fil de ses questions. Décroisant les bras et soupirant profondément, Livio commença à se balancer sur sa chaise, nonchalant et provocateur, négligent dans son attitude tout comme dans ses paroles.

- Les Genovese ? Livio éclata d’un rire clair avant de s’essuyer les yeux comme s’il en pleurait. Ah ouais, t’as vraiment aucune idée de rien. Et le petit n’était pas dealer, bien au contraire il consommait. Ceci dit … je comprends pourquoi tu en viens à la mafia. Ça te donne presque l’illusion d’avoir une idée pertinente, hein ? C’est plausible, en tout cas.

Si Val entendait ça, nul doute qu’il lui répliquerait avec morgue de s’occuper seul de sa merde et de ne pas l’y mêler. Mais c’était trop drôle de voir Milo se débattre pour lui répondre clairement. Il ne lui confirmait ni ne lui infirmait l’information, bien conscient que cela le mettrait en colère, sinon le frustrerait. Mais le suspect -presque déclaré coupable évident- qu’il était n’avait pas forcément envie de lui livrer des réponses sur un plateau, et s’il était en capacité de le faire tourner en bourrique tout en lui donnant un maigre os à ronger ... tant mieux ! Il se dit qu’en passant son coup de fil tout à l’heure il ne faudrait pas qu’il manque à appâter son meilleur ami avec une anecdote croustillante. Comme si, en plus de leur amitié réelle, leurs mondes se liaient. Mais comme il se trouvait un peu dur avec le pauvre Milo qui ressortait sans aucune information, il décida de lui en donner une l’air de rien. Qu’il ne comprendrait pas. Et c’est d’une voix trainante qu’il reprit la parole, regardant l’heure avec impatience.

- Allez, je vais te dire une chose. Mariano a juste souhaité quelque chose qu’il ne pouvait pas avoir, et quand on demande l’impossible il faut être prêt à en payer le prix et à en subir la désillusion. Mais bon, ça t’avance pas vraiment, vu que tu t’en fous de ce gamin et que de toute façon ça ne t’apprendra rien.

Ou plutôt si, beaucoup de choses même. Livio savait qu’il jouait avec le feu, à parler autant. Mais les mots qu’il avait employés, le ton qu’il avait utilisé ne devraient pas conduire Milo à faire le rapprochement entre ce qu’il disait comme conneries et la rumeur qui courait depuis des années et que bien des milanais avaient oubliés ou bien n’avaient jamais connue. Normalement. Puis soudainement ...

- Bon, c’est possible d’avoir un café ou un truc à boire ? Autre chose que le goudron de la machine du couloir, sinon un coca fera largement plus l’affaire.

Il n’était pas non plus un monstre, à parler sans jamais boire. Et puis, cela lui permettrait de voir à quel point Milo était énervé contre lui. Boira, boira pas ?
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeDim 20 Nov - 3:48

Lorsque Milo était né, Milan n’était qu’une sympathique ville italienne d’un million d’âmes. Une ruche économique qui butinait joyeusement, satisfaite de sa position de ville phare en Europe, sans être, comme Londres et Paris que Marica appréciait tant, une des rares à se targuer d’être sur le podium mondial. Grâce à son dynamisme et à son attractivité, elle s’était hissée quelques degrés plus haut, sans trop de problème. Et puis était venue cette fameuse période d’émoi, qui l’avait littéralement propulsée au statut de mégapole, avec son lot de touristes et de frénétiques émigrations. Cette montée en puissance ne s’était évidement pas faite sans contrepartie. De l’autre côté de la balance, on avait vu le taux de criminalité et de mortalité augmenter. Comme beaucoup de gens de sa génération, Milo était monté à Milan faire ses études et, une fois celles-ci accomplies, il était resté. Il n’avait pas vraiment eu le choix ; dans son métier, on recevait des affectations et le fait était que Milan avait grandement besoin d’ordre. Outre les dealers à la manque qui ne manquaient pas de vendre leur poudre juste devant le commissariat, ou presque, les statistiques de la police recensaient une hausse de querelles qui débouchaient fatalement sur de gros dégâts, voir des morts. Environ trois par mois, quoique ces derniers temps, le chiffre s’approchait plus de cinq. Bien sûr, il ne s’agissait ici que des corps qu’on retrouvait tabassés dans un coin. On ne parlait pas encore du nombre d’accidents de circulation, des meurtres à la petite semaine et des autres crimes passibles d’un aller simple en prison. Ni des innombrables délits et infractions qui faisaient tourner la tête des simples agents.

Mais surtout, Milan avait officiellement coupé le ruban du club privé des mégapoles lorsque la mafia s’était déplacée du Sud de l’Italie jusqu’ici. Elle était sûrement à l’origine de la plupart des maux qui affligeaient la cité depuis 2015. Ah, la mafia. Le porte-flambeau italien, l’aspect du pays qui amusait le plus les étrangers –quand ils restaient chez eux-. On ne manquait jamais de représenter un Italien brun comme un Espagnol, la moustache frisottante, vêtue d’un costume blanc rayé des années cinquante –le noir, c’était pour Chicago-. La petite mallette bourrée d’argent à la main, le sourire Colgate éblouissant, l’œillade conquérante. Un mafieux, quoi. On se les figurait, roulant en Ferrari sur une route escarpée de la Sicile, miséreuse avec les commerçants qui payaient leurs dus, traficotant on ne savait quoi avec des groupes peu fréquentables des pays étrangers. Toujours une longueur d’avance, jamais dupée, pleine de gros bras armés de mitraillette qui venaient vous faire la fête quand vous pensiez vous en sortir d’une pirouette. Une mafia romantique, en somme.

Ouais, ben la réalité, elle n’avait rien à voir avec tout ça. La mafia, c’était le cancer d’un fumeur invétéré, le chewing-gum rose dans vos cheveux, la vaisselle sale qui s’entassait on ne savait comment dans l’évier de votre neuf mètres carrés. C’était, plus poétiquement, un fleuve en or auquel venait s’abreuver toutes les vaches à lait encore avides du gratin milanais, un joueur de flûte qui entrainait dans son sillage toute la « rat-caille » de la ville. Un immense et attractif trou noir. Un scénariste de comics, le créateur de Gotham-City. Manque de chance, ici, dans le monde tangible, Batman n’existait pas et l’illuminé qui s’y risquerait sans avoir suivi au préalable des cours de karaté au sommet de l’Himalaya se retrouverait dès le lendemain avec une balle entre les deux yeux et une petite carte de visite avec un cœur sur la poitrine.

Ca avait commencé par le déménagement stratégique de la Camorra de Naples, qui, Dieu la bénisse, aurait mieux fait de rester chez elle et de continuer comme d’habitude. Et puis elle s’était multipliée comme la gangrène, étendue comme une bactérie dévoreuse de chair, rongeant tout ce qu’elle trouvait. Hybride improbable entre une tique et une hydre, lorsqu’on lui coupait une tête, deux autres repoussaient. Devrions-nous mentionner la plus grosse et la plus repoussante ? Non. Elle, c’était ce qui aurait du pousser le président à amputer l’Italie de son nouveau joyaux. Après quelques années de service, Milo était un fervent partisan de la stratégie de la terre brûlée. Comme Napoléon des siècles auparavant, on aurait plus vite fait de mettre feu à toute la baraque et de les laisser s’étouffer dedans. Mais comme on avait dépassé l’époque de la baïonnette, la police de Milan était condamnée à fortiori pour le restant de ses jours à courir derrière comme un chien après sa queue. Sigh.

N’en restait pas moins que la mafia dans toute sa diversité pompait sérieusement Milan et que cela se faisait ressentir dans pas mal de domaines. Milo ne comptait plus les dossiers estampillés à leur nom qui trainaient dans son bureau, que cela soit entassés dans son placard archi-plein ou directement à même la moquette, en piles plus ou moins ordonnées. Néanmoins, d’une certaine façon, les dossiers mafieux avaient un certain parfum rassurant. Avec eux, Milo savait où il mettait les pieds et pouvait facilement résoudre les affaires, même si ceux qui les avaient occasionnés ne payaient pas toujours –voir rarement-. De la même façon que les cas étranges, il y avait un côté frustrant, mais ce n’était pas l’énorme point d’interrogation qui ratifiait chacune des pages racontant comment on avait trouvé un type gelé jusqu’à la moelle à côté de son four encore allumé. Alors, oui, Milo les préférait et pour le nombre d’heures passées dessus, il pouvait se targuer d’être un tantinet au courant de ce qui se passait dans l’ombre de Milan. Il avait même eu l’immense déplaisir de rencontrer quelques membres et il se demandait quand viendrait le jour où un colis arriverait à son appartement, contenant quelque élément du corps humain qui n’était pas supposé être hors de son corps originel, en guise d’avertissement. Ou alors, peut-être que cela serait un chat crevé. Allez savoir ; ils ne manquaient pas d’imagination.

Bref, au vu de cette omnipotence criminelle, il n’était absolument pas impossible que la mafia soit, une fois encore, mêlée à ces histoires. Que cela soit de près ou de loin. Restait à découvrir si c’était bien ça et, le cas échant, de quelle façon. Milo jeta un coup d’œil à sa montre ; il attendait avec impatience els résultats de l’autopsie du gamin, histoire d’avoir plus de détails sur lesquels travailler. Pour l’heure, il devait se contenter d’un Livio au meilleur de sa forme :

- Mais si tu veux une signature sur mes aveux, fais toi plaisir, apporte moi ton sale papier. Mais tu n’auras que ça. Je m’en fous, je peux bien t’avouer ce que tu veux, tous les autres dossiers que t’es pas foutu de résoudre, tant qu’on y est. Tu me mets au trou pour un jour ou deux et je sors tranquillement après avoir mal dormi pendant que toi tu roucoules dans ta petite vie tranquille. Pour ce que ça me fait. Et si ça ne t’intéresse pas de finalement faire ton crétin … pour le qui, il faudra attendre des siècles avant de le découvrir. Enfin, peut-être que je serai d’humeur à réagir à tes suppositions, ce soir. Essaie toujours, et tente de savoir ce que je ne te dirai jamais. Petit flic arrogant.

Oh, ben, si c’était aussi gentiment demandé. Ca serait un truc pénible en moins à faire, et une maigre consolation. La sucette à la place de la barbe à papa ; ça restait du sucre, après tout. Yahou, avoir fait en une étape ce qui se faisait habituellement en huit. Une bonne journée, quoi. Elle aurait été parfaite si elle aurait été utile, et si Livio aurait fait ses aveux pour tout le reste. L’âge de croire au Père Noël étant passé depuis belle lurette, Milo avait quelques doutes. Il ferma brièvement les yeux et ignora les sarcasmes de ce qui devait être le croisement improbable d’un Serpentard de Harry Potter et du général psychorigide d’Avatar. Arrogant, Milo ? Parce qu’il était censé mettre un nez rouge et se maquiller pour accueillir avec joie le petit criminel que Gianelli était, au lieu de le traiter comme il le méritait ? Non. Mais d’une façon toute aussi puérile, Milo aurait pu persifler qu’il était content de voir que Livio supportait le matelas des cellules de prison, et que ça ne le dérange pas plus que ça, parce qu’il y dormirait sûrement le restant de ses jours après avoir fait connaissance avec Alfredo Gros-Poing, ancien camionneur de son état, qui avait basculé dans la criminalité pour avoir serré un peu trop fort dans les gigantesques pelles à tarte qui lui servaient de mains le cou gracile d’une prostituée de cinquante ans, parce que le maquillage trop tapageur agressait ses yeux bleus très clairs de bébé, désormais compagnon de cellule d’un ravissant blondinet musclé. Mais qu’est ce que cet interrogatoire allait être long, long…

- Les Genovese ? poursuivait Livio dans un faux éclat de rire, ah ouais, t’as vraiment aucune idée de rien. Et le petit n’était pas dealer, bien au contraire il consommait. Ceci dit … je comprends pourquoi tu en viens à la mafia. Ça te donne presque l’illusion d’avoir une idée pertinente, hein ? C’est plausible, en tout cas.

Dans la bouche de Gianelli, ça devenait presque un compliment. Et si on enlevait tout le fatras inutile de moqueries vaseuses, si on pressait les phrases comme un gros pamplemousse un peu desséché, on obtenait quand même un jus d’éléments nouveaux. Milo gribouilla vaguement deux ou trois trucs sur les feuilles qui s’étendaient devant lui, dont un petit pendu avec la langue de sortie, tout en bas, à droite. Oh oui, pendez-le !. Bon, eh bien, il avait une petite info sur Mariano. Ce qui lui faisait penser, soudainement, qu’ils devaient recevoir ses parents, lundi. Leur expliquer où en était l’enquête –yihaa, recevoir leur témoignage, plus détaillé que lorsqu’ils avaient signalés sa disparition. Immédiatement, Milo savait qu’il chargerait Castaldi de s’en occuper. Rien n’était plus pénible que d’annoncer à des parents le meurtre de leur rejeton. Milo n’avait pas peur de fondre en larmes au milieu de ses explications, mais il savait qu’il manquait de compassion pour ce genre de chose, et qu’il valait mieux leur présenter le visage rond et affable de sa partenaire pour que la pilule passe mieux. Et pour qu’ils soient plus bavards, aussi.

Maintenant, pour la question du « qui », soit Livio venait de lui dire clairement qu’il se fourrait le doigt dans l’œil –et dans ce cas il restait au moins trois solides propositions-, soit il lui mentait. Ce qui était parfaitement imaginable avec ce type retors. Comme dans des moments pareils, il fallait mieux suivre son instinct, Milo prit quelques secondes pour suivre le conseil de Grand-Mère Feuillage et écouter son cœur.

Calme plat. Il en avait fichtrement aucune idée. Et puis, peut-être que Livio faisait semblant de mentir, pour que Milo croit qu’il mente alors qu’en fait, la mafia était vraiment hors du coup, et que… On ne s’arrêtait avec ce petit jeu tordu des miroirs face à face. En tout état de cause, Milo laissa sa main tracer un signe « plus » suivit de deux signes « moins » près de la marge, à côté de l’hypothèse mafia. Il y retournerait plus tard. Restait… l’employeur privé politique, ou riche, ou les deux, ou l’anonyme, ou l’un des gangs, ou encore… l’hypothèse la plus écœurante et la moins probable. Du moins, Milo l’espérait. Il n’eut pas le temps de tirer plus de précisions de Livio. Ce dernier eut une brusque inspiration divine et poursuivit :

- Allez, je vais te dire une chose. Mariano a juste souhaité quelque chose qu’il ne pouvait pas avoir, et quand on demande l’impossible il faut être prêt à en payer le prix et à en subir la désillusion. Mais bon, ça t’avance pas vraiment, vu que tu t’en fous de ce gamin et que de toute façon ça ne t’apprendra rien.

Alors, oui, pour le coup, ça ne l’avançait strictement pas. Livio se payait encore de sa tête. Néanmoins, méfiant et consciencieux, l’inspecteur garda cette déclaration dans un coin de sa tête. Peut-être qu’à la lumière d’autres dossiers, cela prendrait un sens… Peut-être était ce juste une menace voilée pour ce que demandait Milo. La vérité lui était peut-être inaccessible, impossible. Tant pis. Il était buté. Il l’avait toujours été.

- Bon, c’est possible d’avoir un café ou un truc à boire ? Autre chose que le goudron de la machine du couloir, sinon un coca fera largement plus l’affaire.

Milo retint un sourire acide. Va te le payer toi-même, coco. Comme Milo se l’était dit tout à l’heure, il n’était pas obligé d’être honnête avec son présumé coupable, loin de là. Alors non, il n’allait pas lui apporter sa boisson. Pas encore, en tout cas. C’était une vengeance mesquine pour tout ce que Gianelli avait pu lui dire depuis le début de l’entrevue –il y a des siècles de cela-, ouaip. Mais Milo assumait totalement son caractère de grincheux, et comme lui-même avait pris le temps de boire son café avant de venir, il n’avait pas envie de se dégourdir les pattes pour le moment. D’autre part, il ne voulait pas rompre le fil de l’interrogatoire, de ses pensées. Dans quelques dizaines de minutes, par contre, il s’offrirait le luxe d’une pause pour remettre en ordre ses notes et voir où le menait son fil rouge. Quand à Gianelli, il pouvait bien aller se chercher une boisson à ce moment là, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Milo conserverait la satisfaction de le voir dormir sur la banquette étroite et inconfortable d’une cellule de dégrisement sentant encore le vomi de la veille, tandis que lui partirait se rouler avec délice dans les couvertures parfumées à la Marica de son propre lit.

- Pas tout de suite, Gianelli, répondit-il, en laissant percer, très légèrement, une nuance d’amusement féroce. Tout d’abord, on va finir de s’occuper du premier problème. Comment as-tu planifié ton coup ? Improvisation, longue préparation ? Je suis certain que ce n’est pas ton genre, d’improviser à la dernière minute.

Consciencieux, n’est ce pas ? Oui, Milo n’arrivait pas à voir Livio comme un excité. Il était peut-être de ce genre de cocotte-minute à se tenir à carreau pendant un temps indéterminable, avant d’exploser. Ce qui cachait bien son jeu. Mais le lieutenant n’y croyait pas trop ; un soldat obéit aux ordres, et il ne peut rien laisser au hasard. Il ne peut pas compter sur la chance pour que cet ordre soit exécuté. Et puis, c’était trop amateur, et Milo restait sur sa certitude qu’il s’agissait d’un acte commandé et donc prémédité.

Seulement, au vu de la manière donc Livio se cabrait, la réponse à ce fameux « qui » n’allait pas tomber du ciel. Il y avait cette tension permanente entre les deux interlocuteurs, ces effluves d’agacement mutuel, de réserve, de sérieux. Sous le couvert de sa nonchalance soigneusement affecté, Milo savait que Livio était mortellement sérieux et qu’il faisait bien attention à tout ce qu’il disait. Les rouages fonctionnaient durs, dans la cervelle de dinosaure que tout bon militaire possédait.

Alors, oui, il venait de remettre à plus tard la pause-café tant attendue, et il ne s’attendait donc pas à des fleurs, mais il fit un effort, détendit ses épaules crispées et se relâcha contre son dossier. Réceptif. Calme. Sans animosité, qu’il chassa à coups de balai mental, en espérant que le petit jeu du miroir fonctionnerait, même inconsciemment. Il jeta un coup d’œil à la photo de la victime. Milo ne pensait pas s’être trop trompé avec sa reconstitution à la va-vite de tout à l’heure. Livio avait du le descendre avec son flingue habituel, celui qu’on retrouvait chez lui à chaque perquisition. Lorsque le rapport d’autopsie arriverait, il suffirait de comparer la taille de la balle avec le calibre du revolver pour avoir une assurance informelle, une preuve neutre de ce que Milo avançait et que Livio avait, plus ou moins, confirmé. De toute façon, c’était désormais enregistré par les caméra et même si Livio revenait sur son aveu et refusait, tout à l’heure, de signer le fameux papier, le fait était là : il l’avait dit, clairement, indubitablement. Ses antécédents feraient, de totue façon, pencher la balance pour sa première version plutôt que la seconde.

Dans les interrogatoires, on parlait souvent du phénomène de transfert et de contre-transfert. La façon dont le courant passait entre l’interrogé et le policier. Forcément, quand le contact était « mauvais », on obtenait de moins bons résultats. Milo classait sans l’ombre d’un doute sa relation avec Livio d’hostile. Sa présence suffisait à déclencher chez lui toute la morgue dont le militaire avait su faire preuve jusque là. La présence de Milo l’indisposait, mais ce dernier était sûr qu’être remplacé par l’inspecteur Cataldi n’aurait rien changé, même si celle-ci était nettement plus souriante et agréable à regarder que lui. L’hostilité de Livio allait envers la police en général ; il n’était pas là pour leur faire des cadeaux. Le contre-transfert, c’était le sentiment de Milo par rapport à l’interrogé ; là aussi, il n’était pas des meilleurs, même si l’inspecteur faisait son possible pour ne pas avoir d’a priori sur Gianelli et de rester le plus neutre, le plus professionnel possible. En tant qu’huître dépourvue d’émotions, ce n’était pas l’exercice le plus difficile que Milo eut connu. Mais il était impatient, intrigué, excité même à l’idée de pouvoir obtenir des réponses sur ce qui l’intéressait tant. Et ça, c’était nettement moins facile à contrôler, malgré toute sa réserve. Se forcer à se détendre, ça lui remettait les idées en place. Et l’écoute, ça incitait toujours les gens à parler.

Ecouter… « Arrête de t’intéresser au crime », lui chuchota une voix qui, curieusement, avait la voix de son ancien instructeur. « Intéresse-toi à lui ». Délaisser un sujet brûlant pour considérer la personne désagréable qu’était Gianelli ? Autant demander à Milo d’embrasser Alessia Prete, l’inspectrice de l’autre binôme, là, qui lui faisait penser à Marica dans ses périodes de régime. Mais… La voix avait raison ; Oui, il devait cesser d’être obnubilé par cette question du « qui », qui n’obtiendrait pas de réponse dans l’immédiat. Monter trois milles stratégies n’y changerait rien. Au pire, même, Livio s’enfermerait dans un silence irrité. Donc. Le plan actuel. Le laisser répondre. Entendre sa version des faits. A la rigueur, pousser vers le « pourquoi », mais pas sur le plan personnel, puisqu’il y en avait pas. Et comme ça ne marcherait sans doute pas, il prendrait vingt minutes pour s’intéresser à Livio, d’accord. « Pense professionnel, pas dominant. C’est pas un match de catch ».

Ouais. A d’autres.

Spoiler:
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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeLun 5 Déc - 15:26

Dans les bureaux du GDP, nombreux étaient ceux qui se posaient une question, récurrente, brûlant les lèvres. Elle agitait les secrétaires qui ne savaient plus bien quel regard -apeuré ou admiratif- poser sur Livio Gianelli. Car oui, même la plus secrète des organisations de Milan avait des secrétaires. Pour préparer les réunions, pour gérer le planning des plus hauts gradés, pour prendre des rendez-vous ... idée un tant soit peu ridicule mais qui au final se tenait. On ne voyait guère quelqu’un comme Rostislav Nikonovitch prendre la peine de tenir un agenda pour recevoir ses capitaines et autres chef de projet ou scientifiques de terrain histoire de leur donner des ordres, des directives concernant telle ou telle mission, telle ou telle direction à prendre. Ce n’était pas vraiment son style, et l’idée de le voir prendre un crayon pour raturer un rendez-vous chez le dentiste histoire d’y caser Angelo, Mirko et Renzo c’était ... risible. Désopilant, et pourtant s’il l’avait fait personne n’en serait venu à se moquer de lui. A moins de vouloir absolument quitter cette terre de manière rapide et sans trop de douleur. La moquerie ne méritait pas qu’on use les instruments de torture, et encore moins que Rostislav perde du temps à le faire en manuel. Bref, les secrétaires avaient donc une réelle utilité au sein de la haute tour, peu discrète et pourtant qui se fondait parfaitement dans un décor très citadin et semblable de rues en rues. C’était souvent elles qui, désœuvrées, répandaient les rumeurs, jouaient avec les informations entendues de-ci de-là, et s’amusaient à les faire courir comme une trainée de poudre qui s’enflamme. Mais il était une question qui demeurait dans leurs esprits vivifiés par l’incertitude et le doute. Est-ce que oui ou non Livio Gianelli était ce lieutenant intraitable, est-ce qu’il tuait réellement par plaisir ?

Le militaire ne savait pas trop à qui il devait cette rumeur, sans doute quelqu’un qui préférait le voir tout seul dans son bureau qu'entouré et aimé. C’était peut être aussi l’uniforme un peu strict et l’air peu affable qu’il affichait souvent, plongé dans ses réflexions et pourtant, pourtant ce n’était pas vraiment comme ça que le connaissaient ceux qui s’approchaient suffisamment de lui. Au contraire, il préférait fuir la mort plus que tout, alors qu’il n’avait aucun problème avec la douleur ou toute autre chose. Le dégoût ne faisait pas vraiment partie de son répertoire émotionnel, c’était d’avantage une peur sans nom, qui se faufilait en lui sans prévenir. Plus que la mort elle-même, après tout il évoluait dans un monde la côtoyant, c’était le reste. Livio avait expérimenté ce terrain de jeu géant, ce bac à sable qui d’un coup fait disparaitre l’espoir, l’amour, la vie au profit de quelque chose de plus grand, de plus fort que tout. Le néant dans les yeux d’un mourant, la déception de voir qu’il n’y a ni confort ni repos dans le fait de tomber au champ de bataille, allongé dans la fange et dans le sang sans aucune dignité. Dépouillé de la seule chose qu’il leur restait, ceux qui tombent le sont à jamais et il n’y a que le réflexe d’attraper un collier, une plaque. Qu’on le connaisse ou non, personne ne peut s’embarrasser d’un corps sans vie, d’une masse molle alors que le danger menace. Pire, on ne peut souvent pas accompagner quelqu’un. Alors que dans d’autres circonstances cet homme à la santé de fer aurait pu partir entouré de ses proches, après une vie bien remplie et quelqu’un pour lui tenir la main jusqu’à la fin, voilà qu’il admirait un ami se saisir de sa plaque avant de détaler, sans même lui fermer les yeux. Sans même le rassurer ou lui dire à bientôt. Ce vide, ce questionnement dans les prunelles de ses camarades Livio ne l’avait jamais oublié. Pourquoi ?

Parce que. Parce qu’on ne peut pas faire autrement que de t’abandonner. Parce qu’il est trop tard et que plus personne ne peut prendre le risque de t’accorder ça, même si tu dois hanter tous ceux qui ont fui devant ta mort. Parce que quand on quitte ce monde, quoiqu’on en dise, tout le monde est indubitablement seul.

Et au retour. Livio avait vu ses supérieurs rentrer la mine triste dans le cabanon réservé aux familles. Puis il lui avait été demandé d’y aller. Parfois à l’intérieur du camp, parfois en allant rendre visite à leur femme et leur enfant en bas âge. Leur annoncer que c’est fini, qu’il ne reviendra plus. La première fois, Livio avait vomi ses tripes. On lui avait demandé de raconter la fin d’un mari, d’un fils. Il avait dit la vérité, cette seule et unique fois. Racontant, la voix tremblante, la saleté du décor, le sifflement des armes, la douleur, la peur, l’odeur. La solitude et sa réaction de fuir plus rapidement qu’il ne le pensait possible. Il avait du prendre sur lui pour ouvrir la main dans laquelle était encastrée la plaque, un nom. Une preuve, indéniable, leur permettant de pleurer réellement leur perte. Et Livio avait vu la haine dans leurs regards pour avoir dit cette vérité macabre. Depuis il avait appris à mentir, enjolivant la réalité, caressant les contours d’une horreur pour la rendre glorieuse ou héroïque. Inventant des histoires de héros pour une petite fille, une beauté inexistante pour un père ou une épouse. Il n’avait aucun devoir de réalité, et voir la tristesse sans colère ni déception dans les regards qu’on lui lançait toujours aussi désespérément était la meilleure arme contre la culpabilité. C’était ça, plus que tout, qu’il haïssait. Et Livio avait bien conscience qu’à chaque fois que quelqu’un mourrait, il y avait une personne pour comprendre cette détresse, pour éprouver cette horreur. S’il pouvait éviter de la causer, même sans l’annoncer, c’était pour lui une sorte de victoire, une revanche sur toutes les familles qu’on lui avait demandé de briser avec quelques mots, en quelques minutes. Sachant que toute leurs vies ces gens se souviendraient de chaque détail. Et lui les oubliait au fur et à mesure, incapable de se souvenir de tous les visages, parfois ne connaissant que le nom du défunt qu’il annonçait, morose.

Livio avait beau détester cette idée, il n’avait pas toujours le choix et en tant que lieutenant du GDP ses capacités de manœuvres de résistance aux ordres étaient ... faibles. On ne contredit pas une demande expresse et précise. Alors autant le faire le plus rapidement possible, sans trop penser aux conséquences. Sauf que là, le militaire ne faisait que ça, penser aux répercussions. Imaginer Milo en train d’informer les parents de Mariano de la mort de leur fils, par exemple. A tout hasard. Il l’imaginait parfaitement prendre un ton sobre, rester impassible et accueillir les pleurs et les questions désordonnées de la même manière qu’il recevait des aveux ou un silence obstiné. Parce que Milo Vasco n’avait rien du policier humain et compatissant, il ne semblait jamais intéressé par la personne qui se trouvait en face de lui. Ce qui comptait c’était ses dossiers, ses affaires, ses enquêtes. Mariano n’était pour lui qu’une victime de plus, sans identité, sans relief. Il n’apprendrait ce qu’il faisait de ses journées que pour tenter de comprendre le motif du meurtre. S’intéresserait à sa vie d’adolescent italien juste pour des besoins très personnels, très égoïstes. Il prétendrait le connaitre sans pourtant rien savoir sur lui. Livio imaginait déjà les parents du gosse pleurer, réclamer justice, tenter de comprendre. Et l’inspecteur ne pourrait rien leur dire, restant de marbre et parlant de procédures et de silence obligatoire au vu de la gravité du dossier. Qu’importe, il ne tiendrait pas vraiment longtemps face à eux et s’en débarrasserait à la première occasion. L’annonce n’était pas vraiment le plus grisant pour un policier, pour un représentant de l’ordre. Parce qu’à cette étape là du drame, la justice n’a aucune réponse, aucun savoir. Bien bêtes semblent alors êtres ceux qui s’occupent d’un meurtre dont ils ignorent tout, du moins au début. Et quand Livio signerait ses aveux ...

Car il le ferait, oui. Il s’en fichait, et à part faire bisquer Jilano qui lui reprocherait sa trop grande gueule, le jeune homme ne risquait pas vraiment grand-chose. Tout juste une remarque de son supérieur, et encore. Mirko avait l’habitude que Livio joue sur l’impulsion, dans ces moments là. Assumer ne lui posait aucun problème, et aller en prison pour ça ne le dérangerait pas vraiment non plus. S’il n’était pas convaincu d’avoir raison, s’il n’était pas intimement persuadé qu’on avait encore besoin de lui dans ce plan de grande envergure d’épuration de Milan, ville totalement impure et souillée par des individus qui n’ont rien de vraiment humain. Les pleurs mélancoliques de la Lune ne méritaient pas de côtoyer les hommes, n’avaient pas le droit de pervertir ceux qui, trop crédules, s’y attachent. Sans ça, Livio serait prêt à tout expliquer à Milo, à lui tendre ses poignets qui connaissaient déjà de longue date le fer des menottes, et à aller passer quelques dizaines d’années à l’ombre d’un quotidien, tranquille si l’on sait y faire. Mais ça n’allait vraiment pas être possible, à bien y réfléchir. Il avait encore une famille, un ami, hors de question de tout laisser tomber pour une faiblesse passagère de conscience qui veut devenir morale, tout à coup. Et si avoir parlé ainsi à Milo revenait à mettre en danger toute cette stabilité, alors il aurait nié en bloc. Refusant de signer quoi que ce soit, se rebellant en invoquant le stress de l’autorité, ou n’importe quelle autre connerie qu’un avocat pouvait défendre avec brio si on lui graissait suffisamment la patte. Etonnant d’ailleurs de voir à quel point la qualité pouvait parfois être proportionnelle au salaire ...

Donc, quand il aurait signé ses aveux, Livio savait bien que l’enquête décollerait. Les preuves, l’arme du crime, l’absence de mobile, tout était bon pour l’incriminer. Mais ça ne mènerait nulle part. Livio se demandait juste ce que Milo préférerait : aiguiller les parents de Mariano en lui dévoilant son nom, ce qui le faisait frissonner d’avance, ou bien mentir en stipulant que la police était incapable ? Car l’affaire ne serait jamais portée devant les tribunaux, alors était-il vraiment nécessaire d’accabler des parents avec ce souci du détail ? Certains diront qu’un nom, ça aide à dormir. Parce que le responsable devient tout à coup réel, existant aux yeux de ceux qui sont détruits par sa faute. De toute façon, si son nom ne sortait jamais de la bouche de l’inspecteur en charge du dossier Mariano, sans doute que le père du jeune homme trouverait un moyen stupide, inconscient ou génial pour le retrouver. Pour savoir, pour pouvoir soulager sa peine. En payant quelqu’un, en volant les archives policières, en tabassant un gardien, n’importe quoi. Car un père désespéré n’a plus vraiment de limite et pour pouvoir amorcer une vengeance et comprendre la raison de cet acte, il serait sans doute près à tout. D’autant plus si c’était un père un peu réactif, peu enclin au pardon et à l’abnégation. Livio voyait déjà un homme furieux débarquer chez lui. L’idée ne le faisait pas vraiment rire, et même s’il savait bien qu’après cette arrestation il déménagerait pour plus de sureté, la possibilité qu’on le retrouve n’était pas nulle. Et quoi, il se retrouverait comme bien d’autres fois avec un flingue braqué devant son crâne ? Ce ne serait ni la première ni la dernière situation de ce genre et le militaire s’en débarrasserait rapidement ... sauf si ce père n’était pas n’importe qui. Alternative peu probable, n’est ce pas ?

Le jeune homme en était là de ses réflexions quand il remarqua les notes que prenait distraitement Milo, sans paraitre réagir à ses mots. Bon, ce n’était vraiment pas amusant s’il se mettait à le snober. C’était tellement mieux lorsqu’il perdait son calme, son sang froid à toute épreuve, pour lui poser des questions incohérentes, pour le presser d’avouer ce qui jamais ne franchirait ses lèvres. Livio aimait le troubler, jouer de ses réactions pour remettre en question des hypothèses qu’il ne manquait pas de faire. Être l’espace d’un instant tel qu’il le souhaiterait, puis de nouveau se montrer renfermé et silencieux. S’amuser des nuances, lancer des mensonges à la volée ou bien cacher une vérité sous un éclat de rire. C’était dangereux, pas toujours très utile mais cela avait le mérite de rendre l’interrogatoire moins lancinant. Parce qu’une pièce que l’on a déjà répétée maintes et maintes fois finit par lasser les acteurs. Ils perdent de leur jeu, se fanant au fur et à mesure des représentations, plaisant moins à un public pourtant fidèle. Livio voulait ajouter de la fantaisie, de l’improvisation dans la vie bien réglée de son vis-à-vis.

- Alors quoi, cette page résume notre délicieux entretien ? Tu as tant appris de mon flot d’imbécilités ?

Livio se balançait encore sur sa chaise, avant de reculer celle-ci et de poser négligemment le bord de ses pieds sur la table. Juste pour l’énerver, et si ce n’était pas le cas il y aurait gagné un peu de confort. Et le plaisir de casser l’image très stricte que cette salle se devait d’enfiler. Il eut pour réaction immédiate le froncement de sourcils de Stanley. Tiens, il l’avait presque oublié celui-là. Une épine dans son pied, au final, parce que rapporter ses moindres faits et gestes à Mirko n’était peut être pas la meilleure idée possible. Livio nota dans un coin de son crâne qu’il lui faudrait penser à lui demander de passer ça sous silence. Moyennant un tas de choses très agréables, ce dont il aurait envie. Argent, règlement de compte discret, tout et n’importe quoi qui rentrait dans ses cordes, à savoir beaucoup de choses. Mais le militaire commençait à se lasser de parler tout seul, et un petit silence s’installa avant qu’il ne réclame à boire. La réponse, par contre, ne se fit pas attendre.

- Pas tout de suite, Gianelli. Tout d’abord, on va finir de s’occuper du premier problème. Comment as-tu planifié ton coup ? Improvisation, longue préparation ? Je suis certain que ce n’est pas ton genre, d’improviser à la dernière minute.

Milo avait décidé d’être chiant, c’était clair.

- Et si je ne veux répondre qu’avec quelque chose à boire ?

Un partout, balle au centre on peut enfin continuer. Livio soupira et fit une croix mentale sur sa boisson. Il ne fallait manifestement pas trop y compter, d’autant plus que Milo pensait entrer dans une question intéressante. Alors autant continuer de s’y plier, pour expédier le plus rapidement ces formalités. Qu’on le laisse enfin rejoindre sa cellule miteuse, et boire un café avant. C’était vraiment trop demander ? En tout cas, c’est ce qu’il semblait au militaire, qui devait maintenant se faire une raison pour oublier sa petite pause détente. Dommage, un tour aux toilettes n’aurait pas non plus été de refus mais là, autant éviter la deuxième demande à la suite. Ça ne servirait à rien, ne faisant que retarder sa libération. Alors Livio répondit volontiers, impatient tout à coup d’en finir avec tout ça.

- Ah, ça t’intéresse maintenant. Tu reviens à des choses plus pragmatiques, inspecteur, répondit-il en mettant tout son mépris sur le dernier mot. C’est pas mon genre, c’est clair. Mais si j’avais tout prévu, je ne serai pas là. Parce que tu n’aurais jamais pu remonter jusqu’à moi. Je ne suis là que parce que je le veux, énonça-t-il dans un dernier mensonge sur la dernière pique, un peu maladroite.

Livio ne savait pas bien pourquoi il lui avait avoué ça, peut être parce que Milo semblait plus enclin à l’écouter. Peut être aussi parce que c’était toujours dans l’optique d’un jeu malsain, de « je te donne des infos parce que j’en ai envie ». Juste pour accroitre la réflexion nébuleuse qui agitait le policier, avide de réponses, impatient de découvrir quelque chose qui lui vaudrait enfin une avancée sur certains de ses dossiers. Naïf qu’il était. Enfin, malgré tout ce qu’il pouvait en dire, Livio trouvait Milo plus amusant que ses collègues, qui étaient certes conciliantes mais soporifiques. Lui au moins tentait de se débattre encore un peu dans la mer de l’ignorance, essayant de trouver à quoi se raccrocher plutôt que d’abandonner et se laisser porter par le courant. Enfin, il aurait aussi pu lui dire que s’il avait été précautionneux Mariano n’aurait jamais été découvert ... Ceci dit, ils auraient tout de même retrouvé le corps puisque Livio devait le laisser sur place pour bien faire passer un message très discret aux pactisants. On se calme, on ne déclare pas une guerre comme ça sans le principal intéressé. Le déplacer dans un quartier en particulier aurait pu être une alternative, mais aurait entraîné trop de questions de la part des enquêteurs. Et puis, Mariano était la cible parfaite alors Ils comprendraient. Et c’était suffisant.

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Milo Vasco

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Dossier n°5648 [PV Livio] Vide
MessageSujet: Re: Dossier n°5648 [PV Livio]   Dossier n°5648 [PV Livio] I_icon_minitimeSam 7 Juil - 20:21

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- Alors quoi, cette page résume notre délicieux entretien ? Tu as tant appris de mon flot d’imbécilités ?

Et allez, un autre crachat verbal. Moi aussi, je t’aime, Livio. Qu’est ce que je ferais de mes soirées sans toi ! Quant à apprendre… Milo jeta un regard dubitatif à sa feuille. Mmmh, voyons. Oui, c’était pas mal de choses, finalement. Des choses qui tournaient surtout autour de la personnalité trouble de Livio et de ses motivations, et plus d’hypothèses que de faits mais, néanmoins, il y avait des idées nouvelles. Ce serait ces petits détails, aussi insignifiants soient-ils, qui feraient des connexions avec d’autres petits détails. Et avec ça, Milo finirait bien par cerner la vérité. Maigre récolte, mais mieux valait ça que pas de récolte du tout.


- D’habitude, je ne prendrais même pas la peine de te répondre, Gianelli. Mais puisque tu as été coopératif, je vais te faire une fleur : je cherche les réponses à trois questions fondamentales. Comment, qui, pourquoi ? Notre témoin et tes aveux répondent à la première. Pour qui, tu m’as permis d’éliminer deux hypothèses sur cinq. Ca m’en fait toujours deux de moins. Quant au dernier point… tu m’as donné une énigme, oui, mais je compte bien la résoudre.

Il se pencha pour bien faire pénétrer ses paroles dans le crâne dur du militaire et dit froidement:

- Je vais y arriver. Ce n’est qu’une question de temps. Je pense que j’ai tous les éléments en main pour obtenir la vérité sur ce qui se passe ici. Si je ne les avais pas, tu ne serais pas aussi faussement nonchalant. Alors, je ne rentrerais pas dans ton jeu, et tu peux bien persifler autant que tu voudras.

Bon, Milo ne lui avouerait quand même pas qu’il avait l’impression d’être un biologiste face au chaînon manquant. Un physicien à la recherche du boson de Higgs, quoique cela puisse être. Un ado devant une série télé policière débile. Il lui manquait une pièce du puzzle, une pièce cruciale. Il était incapable de la deviner, de la déduire, de la comprendre des éléments en sa possession. Sinon, il l’aurait déjà fait. C’était une chose à laquelle il ne penserait jamais, une chose qu’il n’arrivait pas à imaginer et donc à modeler sous la forme d’hypothèse. Il fallait qu’il l’ait sous les yeux. Et pour ça, Milo était prêt à remuer ciel et terre. Ce n’était qu’une question de temps. Quelqu’un finirait bien par faire une erreur : quelqu’un finirait bien par le lui dire. Et ce quelqu’un, ça pouvait être Livio. Alors, que le militaire n’espère pas être relâché de sitôt. Milo n’en avait pas fini avec lui, même si le meurtre de Mariano était élucidé dans ses grandes lignes.

Cela avait forcément un rapport avec le motif du meurtre. Pourquoi supprimer un banal adolescent ? Quel bénéfice en retirait ceux qui avaient commandités ce meurtre ? Et puis… Pourquoi passer de l’enlèvement à la suppression pure et simple, aussi ? La question venait de surgir dans son esprit et il l’entoura aussitôt de tout son intérêt. Les enlèvements et les meurtres étaient forcément liés, n’est ce pas ? Livio ne travaillait sûrement pas pour deux employeurs différents, non, pas à ce niveau. La menace augmente. La pression augmente. Ils ont changés d’avis… Non, ça ne menait nulle part tant qu’il ne savait pas qui était les antagonistes de cette histoire. Si Livio ne lui donnait pas une réponse plus précise à ce sujet, Milo n’aurait pas d’autre choix que de retourner aux bonnes vieilles méthodes et de chercher par lui-même les connexions entre les différents dossiers. Il avait déjà trié, grossièrement, ceux qu’il pensait être liés et les autres. Facile : il mettait toutes les affaires bizarres ou irrésolues dans le même panier. Peut-être qu’en les mettant en vis-à-vis et en prenant du recul, Milo découvrirait une nouvelle vision d’ensemble.

Donc, oui, l’inspecteur était toujours dans le flou. Mais finalement, une chose le consolait. Par son comportement – qui, bon dieu, agaçait Milo au plus haut point-, Gianelli confirmait ses soupçons. Milo n’était donc pas juste un gros paranoïaque qui faisait une fixette sur une banale histoire de meurtre dans une ville corrompue où la mafia pouvait danser la samba avec leurs valises pleines de fric devant le commissariat. Il était le seul à prendre ces « accidents » au sérieux ? Tant pis. Il n’avait pas besoin des autres –quoique un tout petit peu de coopération de la part de l’administration serait la bienvenue-.

Il n’était pas sans ignorer qu’il serait un jour confronté à un choix difficile. Céder et fermer les yeux, faire ses bagages si c’était trop dur, ou bien persister et devenir un de ces fonctionnaires obsessionnels qui raterait sa vie et la finirait frustré et ridicule. Il eut une pensée éphémère pour Marica en se demandant si de toute façon, elle serait toujours là le moment venu. Emettre des doutes à ce sujet était peut-être un peu insultant pour elle. Elle n’était pas si méchante que ça, la blonde, et à sa façon, elle était sincère.

Ca lui portait quand même sur le système. Tout comme le petit manège de Gianelli qui, s’il continuait se balancer sur sa chaise en baignant dans une béate autosatisfaction, finirait avec une canette de Coca vide pendant que Milo en buverait une bien remplie et fraîche. Chacun son tour.

- Et si je ne veux répondre qu’avec quelque chose à boire ?

Ben tu attendras . On verrait bien lequel des deux était le plus têtu.

- Eh bien, on se regardera dans le blanc des yeux jusqu’à ce que tu te déshydrates complètement, suggéra sèchement Milo.

Honnêtement, ça lui ferait plaisir, même si l’inspecteur avait tout de même d’autres projets pour sa nuit. A commencer par dormir, comme tout bon employé qui arrive à la fin de sa semaine. Quelle heure était-il ? Peut-être minuit. Il y en avait eu du temps écoulé, entre l’annonce pleine de promesses de Cataldi, l’arrestation de ce sombre type et le début de l’interrogatoire. Allez, une inspiration profonde. Courage. Un jour, l’abnégation de Milo serait récompensée, c’était évident. Il raconterait cette soirée comme un vétéran de la guerre du Vietnam tapotant fièrement une médaille soigneusement briquée à sa petite fille blonde en jupe bleue, quelque part sur la côte. Mais pas en Sicile. Il ne s’occuperait plus de mafieux, et se contenterait de signer des papiers pendant que des pauvres idéalistes idiots trimeraient à sa place. Un verre de limonade fraîche à la main, il se souviendrait de cet instant et en rigolerait comme lorsqu’on évoque le bon vieux temps et ses bons vieux ennemis, enterrés depuis belle lurette. Oui, oui, il devait y croire. Sinon, il irait se jeter sous les roues de la première voiture en sortant.

- Ah, ça t’intéresse maintenant. Tu reviens à des choses plus pragmatiques, inspecteur, C’est pas mon genre, c’est clair. Mais si j’avais tout prévu, je ne serai pas là. Parce que tu n’aurais jamais pu remonter jusqu’à moi. Je ne suis là que parce que je le veux.

C’était désormais officiel, la suffisance du militaire ne connaissait aucune borne. Rêver de l’étrangler n’était plus suffisant. Qu’est ce qui pouvait apporter autant de satisfaction qu’un étranglement en bonne et due forme ? Hmm. Briser les vertèbres, peut-être. Comme dans les films d’horreur où le monstre a suffisamment de force dans le poignet pour faire effectuer un 360° degré à la tête d’un imbécile. C’était sans doute trop radical et ça manquait de piment. Milo se contenterait donc de cette histoire de Coca. Allez, le match continuait.

- Bien sûr. Donc en plus de tuer des gamins, tu bâcles ton travail, maintenant ? Ca fait beaucoup de changements. Des problèmes sentimentaux ? Ou tu es devenu tellement prétentieux que tu ne prends même plus le temps d’y mettre les formes ? Ta cote doit avoir régressée. Ta réputation ne va plus être ce qu’elle était. En même temps, les militaires dans ton genre…

Ouais. On ne pouvait pas demander à un boucher de faire de la dentelle de son steak, quoi. Au moins, c’était direct. Relativement propre. Livio n’avait pas un mode opératoire qui indiquait autre chose que ce qu’il semblait être : un soldat qui faisait ça d’une manière aussi soigneuse que définitive, tout en étant on ne peut plus radical. Un type qui ne devait méditer sur son geste que dans l’obscurité de son appartement, une fois face à face avec lui-même. Un soupçon de culpabilité, comme tous les soldats. La morgue, c’était autant pour la galerie que pour eux-mêmes. Ils ne voulaient pas se voir comme des monstres, c’était bien normal.

- Allez, dis-moi, on pourra partir plus vite tous les deux, soupira Milo-. Pourquoi tu as fait ça ?

Il ne savait pas quelle heure il était, mais la tension d’un interrogatoire frustrant lui tiraillait la nuque. Aussi, son portable lui offrit une distraction bienvenue lorsqu’il se mit à vibrer discrètement dans sa poche. L’inspecteur y jeta un coup d’œil. Ca venait de Marta Cataldi, bien sûr, qui suivait de loin la discussion. « On n’arrive à rien ». Merci, cocotte, j’étais au courant. « On a tout ce qu’il nous faut, qu’est ce que tu fiches ? Fais lui écrire ses aveux et basta ».

Carrément. Après tout, qui se souciait du pourquoi quand on savait déjà comment les faits s’étaient déroulés, qui en était l’auteur et que ce dernier se présentait pieds et poings liés, comme un gentil agneau ? Le juge s’en ficherait. Il estampillerait une décision au tribunal et les parents du mioche se sentiraient vengés. Et ne sauraient jamais que dès le lendemain, l’assassin de leur fils serait sorti de prison et irait recommencer ailleurs. Gianelli le trouvait insensible ? Et lui, alors, qui ressentait une culpabilité tout juste suffisante pour le faire bondir de sa chaise une seule fois avant de s’en moquer comme de l’an quarante ? Qui n’avait même pas assez de dignité et de tripes pour prendre la responsabilité de ses actes et accepter sa condamnation ? Milo expédiait les dossiers comme les vulgaires feuilles qui les composaient, c’était vrai. Mais Livio faisait exactement la même chose avec les meurtres et enlèvements qu’il commettait. C’était des ordres, voilà tout. Il se contentait d’exécuter, il n’avait pas son mot à dire. Un autre nom rayé dans un carnet, caché quelque part dans son appart.

Néanmoins, lorsque Milo parcourait du regard ses notes, il ne pouvait s’empêcher d’émettre une hypothèse douteuse. Et si Gianelli, au contraire, se sentait concerné par ses assassinats ? Et s’il ne disait rien, ne protestait jamais, justement parce que ce qu’on lui disait de faire l’arrangeait bien ? Sa phrase, là. « Quand on demande l’impossible il faut être prêt à en payer le prix et à en subir la désillusion ». Il se prenait pour un ange vengeur, ou quoi ? C’était à explorer. On ne savait jamais, après tout. Et Milo se devait également de replonger dans le passé saumâtre du militaire. Il trouverait peut-être des connexions qui lui ouvriraient une nouvelle porte. Miam, encore plus de recherches ! Dès lundi, ça allait être saignant. Au moins, il n’aurait plus de temps à perdre à faire du corbeille-basket. S’il désirait réellement coincer Livio à l’ombre pour quelques mois, Milo devait agir vite. Avec un peu de chance, puisqu’on était le week-end, Livio ne sortirait pas avant lundi matin. Et avec encore plus de chance –aujourd’hui, il s’agissait d’un meurtre avec témoin, pas d’un enlèvement et de doutes-, on le garderait sous les verrous jusqu’à la fin de la semaine. Si seulement durant ce laps de temps, Milo pouvait mettre la main sur les éléments manquants… Le juge n’aurait pas d’autre choix que de le laisser croupir en prison jusqu’à la résolution de toute cette histoire. Et ici, Milo ne pensait pas uniquement au cas du jeune Mariano.

Vendu pour vendu, l’inspecteur tenterait sa chance encore quelques minutes. Après quoi, ils feraient une pause. Milo pourrait consulter Marta, requérir son avis et étudier les résultats de l’autopsie qui seraient sûrement arrivés. Et puis ils reprendraient, et si entretemps Livio reviendrait à son mutisme moqueur, Milo se contenterait de sa déposition avant de se libérer. Il y aurait toujours l’inspecteur de garde pour cuisiner le militaire jusqu’à l’aube. Ca ne dépendait que du concerné. On verrait si Livio se montrait toujours aussi gentil que jusqu’à présent. Et puis, il avait une large marge d’amélioration. Ca devait autant le gonfler que Milo d’être là, voir plus. Il avait déjà du tirer un trait sur cette affaire, et alors qu’il aurait pu être toujours calé au fond du fauteuil où la police l’avait cueilli, à siroter sa bouteille comme le militaire à cervelle de singe aux tendances maniaco-dépressives qu’il était, il se faisait harceler par l’antipathique lieutenant Vasco. C’est vrai que Milo lui-même aurait eu d’autres plans, à sa place. Mais bon. En appuyant sur la gâchette, Livio avait signé pour ce rendez-vous. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. La police n’obligeait personne à commettre des crimes pour occuper ses vendredis soirs désœuvrés.
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