20h30, coke moins le quart ; l'heure des aubergines tartinées au Nutella, des cocktails Molotov à la paille.

Mes yeux lancent des appels de phare, mon foie crie stop et ma tête dit aïe. Mais je vais à mon meeting avec deux de mes poteaux et Liam, pour marchander avec les premiers et me foutre de la gueule du second. Ouaip, j'suis un dieu et, même bardé d'une gueule de bois ainsi que de contusions à l'âme, je vais aux rendez-vous.
Je ne dis juste pas à quelle heure. Ca, c'est réservé à la crème. Et Liam, c'est pas une crème. C'est jamais qu'un excrément, un truc qui fait pas honneur aux blonds. Une chose. Une sous-merde qui se prend pour un cupidon, sauf que dans cupidon, y'a cu. Et t'as une gueule de cul, mec. Pis aucune ambition, le gosse, à part mater April nue dans sa douche. Quatorze piges, la tête vide et le slip plus encore.

Sauf que ça va changer. Pas l'absence d'objectifs, pas la uke-attitude. Pas ses allures de majorette échappée d'un cirque. Sa virginité, en revanche, yep, et je ne parle pas de celle de son cerveau. Encore que je me demande encore ce qu'il apporte de déflorer un truc qui n'existe pas, mais Liam, c'est Liam, et mes poteaux, ce sont mes poteaux.

Au détour d'une rue pavée d'obscurité, je rencontre ces derniers - Kronos et Eilenn Goldeyes. Kro', c'est un mec bien. La classe incarnée, le type : tu lui réclames Eil' pour la nuit, il te la refile. Et si ça fait chier Elimoche, il le fait avec d'autant plus de bon coeur. Une perle, je vous dis, et pour un peu, je me le ferais. Eilenn, elle, c'est une gentille fille. Un peu conne. C'est le no man's land dans sa tête, et elle a pas inventé l'eau tiède. Ni l'eau, d'ailleurs. Mais c'est un bon coup et aujourd'hui, c'est ça qui m'intéresse.
Et moi de les embarquer, de les mener à Liam. Lili, lui, il attend qu'on le cueille, roi parmi les autistes du quartier.

Je salue le BG raté d'un signe de tête, je passe un bras sur les épaules de Kro', l'autre autour de celles d'Eil'.

« J't'ai apporté un cadeau, mec. Nan, pas Kronos, j'parle de la nana, là. Histoire de voir ce que t'as sous les Pampers. »

Kronos me lance un regard torve. J'suis d'accord avec lui, d'un autre côté : la pédophilie, c'est moche. Mais Eilenn s'en fout. Eilenn elle a pas de tête. C'est un coup sur pattes, c'est tout.

« Kro', je te parle de la bonne action de ta vie, là ; du genre à te permettre de jouer les vicieux sans états-d'âme. 'Fin t'en as pas, mais tu saisis l'idée. Liam, il a des problèmes, tu sais ? »

Kronos approuve. Kronos, il comprend tout. Même longueur d'ondes, canal débauche. Il mate Lili, il capte ce que je veux dire. En même temps, ça crève l'écran. Et il se marre d'avance. C'est mon pote.
Il jette un coup d'oeil à Eilenn.

« Bon, mon amour, ton roi d'un soir, ce sera le blondinet, là. Car tu es d'accord, n'est-ce pas ? »


Mots à caser : Kangourou, dragon, hyène, petit pois, haricot.

Tout le monde n’a pas le temps de réfléchir avant d’agir. Ou de dire des conneries. Je fais partie de ces gens là. Et j’ai trop peu rarement conscience que c’est le cas. Mais mon cher amour avait le regard vaporeux ce soir là, lorsqu’il avait plongé ses yeux dans les miens. Pas vraiment idée de ce que la soirée nous réservait. J’avais la bride sur le cou pour ainsi dire. Pour la première fois depuis une éternité. Du petit pois dans ma tête, semblait naître un haricot. Magique peut-être.

Malheureusement, cette petite balade dans les rues de Milan by night ne semblait pas m’offrir l’opportunité escomptée. Surtout qu’il me fallait tout de même lutter contre la brume légère qui tentait de s’imposer dans le vide de ma tête.

La destination se matérialisa par l’apparition relativement attendue d’une serpillère à l’allure quelque peu prétentieuse. Clope au bec, il me dévisagea tel un dragon jaugeant son futur repas. Plus rassurant, tu meurs. Ses propos m’échappaient encore, je dus me concentrer pour en comprendre le contenu. Il désignait un gosse du menton.

C’était un môme, il n’y a pas d’autre description possible. Il avait l’air apeuré d’un Simba pourchassé par une horde de hyènes. Il semblait sceptique quant à la proposition de la serpillère fumante.
Idem pour moi, même qu’alors Kronos plongeait son regard incandescent dans le mien.

Mon roi d’un soir ? Il lui manquait la crinière, ce n’était encore qu’un prince. Je ne pu malgré tout empêcher la tentation de me submerger. Of course. Mais l’inhabituelle hésitation de mon ange me laissait une étrange demi-conscience de la situation. Et puis autre chose prit le dessus.

« Ce morveux là ? Plutôt courir dans un champ d’orties au milieu d’un troupeau de kangourous que de dépuceler le pote de la serpillère. »

Oui décidément, il y avait un truc qui collait pas dans ma tête ce soir là.



Mots à caser: boudin, vessie, orteil, demi-tasse, choucroute