Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Sam 30 Mar - 18:36
« J’ai une tête de spécialiste en explosifs et autres flammes ? »
Cassidi retint un gloussement. Venant de la part de Milo, qui restait tout de même, sinon l’as de piques dans le jeu de chasseurs qu’elle connaissait, au moins l’un des rois, la question avait de quoi faire sourire. Lui, qui avait transformé un Walkman en détecteur à EMF. Lui, dont les connaissances en la matière auraient fait le bonheur du plus dévoué des pyromanes. Alors oui, Milo, t’en as la tête. Tête brûlée, tête cramée ; tout ce que tu veux, mais t’en as la tête.
Et Milo de confirmer, par la suite de sa réponse, qu’il en savait malgré tout plus long sur le sujet qu’il ne voulait bien laisser le monde l’entendre. Cassie lui jeta un regard en coin. La plupart du temps, elle se fichait que le monde ignore tout de ce que pouvait vomir la toile synaptique de son aîné - parce qu’elle, elle savait. Elle l’entendait. Elle avait pu constater, presque au quotidien depuis que Dieu-le-père Wincessero l’avait acueillie sous son toit, que Milo avait un cerveau ; et mieux, qu’il savait s’en servir. Bon, bien sûr, l’adolescence avait réclamé son dû de ce côté-là, et il arrivait à Cassidi de croire que cette maladie n’avait jamais cédé devant l’âge, mais globalement, il s’en était bien tiré, et il avait rapidement repris du poil de la bête, pour devenir ce qu’il était aujourd’hui. C’était à dire le trait d’union entre le puits de savoir et l’annuaire du pragmatisme. Oh, il cachait bien son jeu, le Milo - sous ses airs bourrus, les propos injurieux, les monosyllabes -, mais Cassie savait. Tazzo aussi, pour ce que la fierté pointant parfois dans le regard d’un vieil alcoolique valait.
Mais, mais, mais, il y avait des jours où cette certitude, pour trempée d’acier qu’elle était, ne suffisait pas. Un peu comme aujourd’hui. Ce n’était pas une question de manque de confiance, ni de perte de foi en le duo que les Wincessero Junior formaient - Cassidi l’avait, brave qu’elle était. C’était seulement qu’il était des fois où ça ne suffisait pas. Lorsque la situation se présentait mal, n’offrant en guise d’encouragement qu’une grimace, Cassie se sentait acculée, observée. Ce rictus, l’oeil noir d’un chicot - ils la narguaient. C’était aussi simple que cela. Et des fois, un peu trop souvent à son goût, la chasse se goupillait mal. Ca se jouait à peu de choses près, généralement: une poignée de secondes de ci, de là, une arme automatique dont le cran de sûreté refusait de sauter, une victime un peu plus bête qu’une autre. Et l’échec, avec son panel de saveurs - amer, acide, salé, avec cette note pimentée qui piquait la gorge et faisait pleurer les yeux des familles. Des trucs comme ça arrivaient - question de probabilités. Les Wincessero s’y étaient plus ou moins faits. Milo semblait un peu mieux savoir quoi faire de l’after-party que Cassie, ceci dit. Mais c’était peut-être un truc de garçons ; peut-être qu’avec le chromosome Y venait une capacité à compartimenter son esprit, à faire la part des choses, un peu comme on mettrait de l’ordre dans les tiroirs d’un vieux meuble. Le deuil ici, l’ego blessé par là. Et la déception, tout en bas. Sûrement, même. Sauf que s’il était une chose de se retrouver avec le cadavre d’un type de soixante-dix balais sur les bras, celui d’une gosse de dix ans en était une autre, et ce dernier ne pouvait que très mal tenir son rang de poids-plume.
« J’ai envie de dire qu’on avisera sur place mais si la fille est toujours vivante, on risque de la tuer en même temps. Ceci dit, les embouts de nos bombes sont assez précis. Si l’on asperge uniquement Mario et qu’on lance une allumette ensuite, il n’y aura que lui qui en pâtira. La hauteur des flammes peut éventuellement blesser sa victime. On peut toujours se partager la tâche ; j’asperge, tu lances l’allumette, et je la plaque au sol pour éviter qu’elle soit touchée. »
Non, décidément, « poids-plume », c’était un peu glauque, songea Cassie. Elle allait, comme Milo, anesthésier l’aspect organique de la chose, et s’en tenir à l’appellation de victime. Ca rendrait les choses moins difficiles - l’après, également. La jeune femme se secoua, et s’attarda sur les paroles de son frère. Son regard fit escale dans les yeux de Milo, décida qu’il n’aimait pas le point d’interrogation qu’il y trouva, et revint à la route, où le défilé presque militaire des maisons se poursuivait.
« Il craint un peu, ton plan. » Bel euphémisme. Parce que ladite hauteur des flammes, si les accélérants dont Milo avait fait l’emplette valaient quelque chose, risquaient de ne pas poser problème que pour la victime. Si elle pouvait l’éviter, Cassie préférait se tenir loin d’un incendie un peu trop enthousiaste. « Ceci dit, j’ai pas grand-chose de mieux à proposer, et je crois que de toute façon, on va en revenir à la bonne vieille équipe gagnante. »
Toi, moi, et le culot, précisa-t-elle en silence. Parce que, « culot », c’était le nom qu’on donnait à leur fâcheuse tendance à faire un plan, à l’oublier par le menu le moment venu, avant de foncer tête baissée dans le merdier, non? Extrait du dictionnaire Wincessero — culot, nom masculin, synonyme de talent. Ouais, ça devait être ça. Ou pas loin, à quelques conneries près.
« Je ne suis pas sûr que le deuxième plan te plaise, donc… »
La gamine terrifiée qui avait atterri sur le siège passager de l’Impala s’en voulut beaucoup, mais elle ne put empêcher un sourire de papillonner sur ses lèvres. Milo avait raison de ne pas être sûr, parce que non, putain, l’idée ne plaisait effectivement pas plus que ça à sa soeur. Laquelle lui décocha un coup d’oeil perçant, de ceux qui s’alarmaient très fort et hurlaient tout bas. Le sourire demeura, pour sa part. Parce qu’il avait un goût familier. Jouer l’appât, hein? Se séparer, offrir au rugaru la promesse d’un gigot qu’il avait semblé apprécier la première fois qu’il y avait goûté, pendant qu’un tout autre gigot se chargeait de transformer la bête en chair à kebab? Aussi peu alléchante que la théorie fût aux yeux de Cassidi, la jeune femme savait que, dans la pratique, la technique avait porté ses fruits un nombre incalculable de fois. Le plus souvent aux dépens des Wincessero, parce qu’ils n’étaient pas partisans des prises de risques inutiles, mais elle avait marché. Elle elle pouvait fonctionner, cette fois aussi. Après tout, pour le coup, ils savaient que l’un d’entre eux était au goût du rugaru.
Cassie soutint son regard et, l’espace d’une seconde, elle se prit à regretter de ne pas pouvoir tester outre mesure son Truc. Pour ce qu’elle en savait, peut-être qu’il pouvait faire pour elle que de lui apporter la vérité de la bouche de la personne - ou de la chose - qu’elle interrogeait? Réclamer des mots - mieux, les obtenir! -, c’était un pas ; un premier, et un grand. Mais pouvait-elle faire mieux? Avec un peu de pratique et d’abnégation, ne pouvait-elle pas espérer gagner plus à son pari, et formuler des ordres plus tranchés? Par exemple, commander à un ennemi de cesser de bouger, de se figer sur place? Son instinct lui soufflait - désolée, Milo - qu’il y avait là une leçon à en tirer, ou à mettre en application. Peu importait d’où son Truc venait, d’une certaine façon, parce que tant qu’à faire, si elle pouvait en tirer quelque chose, pourquoi pas ... ? « Je peux le faire, donc je le fais » - n’y avait-il pas des exceptions où l’on pouvait se permettre d’appuyer sur un bouton, d’expédier un missile?
« ... Je t’avoue que je crois avoir pigé, et que non, je n’aime pas bien ça, mais ça pourrait marcher, non? Mario m’aime bien, je l’aime bien, y’a moyen de s’entendre. Et de toute façon, on arrive bientôt, donc je crois qu’il va falloir s’en tenir à ce plan. Il me botte pas plus que ça, mais si ça marche ... »
Etrangement, Cassidi sourit. Elle lui renvoya son regard, avec cette façon qu’elle avait de faire, comme si ça lui importait peu. Qui signifiait qu’elle n’était pas prête pour passer l’examen, mais eh, il commençait dans cinq minutes et il fallait bien y passer. Et puis, il y avait une note de fierté, de courage, de défi, ou de tout ça à la fois. Si elle devait le faire, elle le ferait : après tout, c’était ce qu’on faisait dans l’entreprise familiale. Un sale boulot nécessaire.
« ... Je t’avoue que je crois avoir pigé, et que non, je n’aime pas bien ça, mais ça pourrait marcher, non? Mario m’aime bien, je l’aime bien, y’a moyen de s’entendre. Et de toute façon, on arrive bientôt, donc je crois qu’il va falloir s’en tenir à ce plan. Il me botte pas plus que ça, mais si ça marche ... »
Milo arrêta vulgairement la voiture –on ne pouvait pas véritablement parler de « garer »- le long du large trottoir type banlieusard qui courait d’un bout à l’autre du quartier. Il jeta un coup d’œil par la fenêtre : à première vue, rien n’avait changé depuis qu’il s’était pointé quelques heures plus tôt. Toujours la belle maison un peu ancienne, façade blanche, toit en tuiles, grand jardin laissé en friches et envahi par les herbes folles. Parfait pour ramper lorsque l’on était une saloperie répugnante. Et pour attraper des tiques. Milo soupira, et reporta son attention sur sa sœur. Ils échangèrent un lourd regard, chargé d’éloquence. Evidemment, elle ne respirait pas l’enthousiasme. Pas folle, la guêpe. Ou l’abeille. Regrettant d’avoir fait cette suggestion, Milo grogna :
- Comme tu veux, Cassie. Allons-y.
Parce qu’il n’y avait rien d’autre à dire et qu’il était à court d’idées. Il coupa le contact et sortit de l’Impala, un des lance-flammes de fortune dans les bras.
- Quand je suis passé ici tout à l’heure, confia-t-il à sa sœur, je n’ai rien vu de particulièrement frappant dans le jardin. D’un autre côté, je ne pensais pas y trouver quelque chose et donc je n’ai pas vraiment cherché. Je suppose qu’ils ont fait dans le pratique, lorsqu’ils ont construits la maison. Il devrait y avoir un passage à l’intérieur et une ouverture à l’extérieur, non ?
Si ses souvenirs étaient bons, le passage interne devait être l’entrée de l‘abri ; probablement une échelle dans un gros conduit, moins probablement un escalier. Le passage extérieur serait techniquement rien de plus qu’une bouche d’aération. Dans les deux cas, ce ne serait pas facile d’entrer dans le soi-disant repère du rugaru. Un conduit, qu’il y ait une échelle ou non, ça obligeait de s’y glisser un à un, sans rien voir de la pièce dans laquelle on tomberait. Avec leurs encombrants lance-flammes, ce serait encore moins évident. Et la pièce en elle-même ? Si elle avait été construite dans les fondations de la maison, elle aurait vraisemblablement la même surface en termes de mètres au carré. Et si les propriétaires de l’époque n’avaient pas eu les moyens d’équiper tout cet espace, et bien, ça ferait… quoi ? Dix mètres carrés ? Pas pratique, pratique lorsqu’on se retrouvait face à face avec un monstre affamé et dérangé dans son repas, donc fou furieux. Milo calculait, et les pronostics n’étaient pas bons. Il ne savait même pas ce qu’il préférait. Et puis, quel passage empruntait Mario ? Bedonnant boucher qu’il avait été, il ne s’amusait certainement pas à jouer aux reptiles dans un conduit d’aération qui pourrait être tout juste assez large pour que Milo, lui, puisse y passer. S’il utilisait l’entrée d’origine, le rugaru l’avait forcément camouflé, puisque Milo n’avait rien vu lors de son passage dans la matinée. Donc…
- On commence par le jardin ? proposa Milo. Il surveille sûrement l’entrée principale. Je le vois bien, heu… dîner en regardant sa porte. Je ne suis pas certain qu’on puisse passer par l’extérieur, mais ca vaut peut-être mieux que de défoncer ladite porte à coups de pied et en hurlant pour l’effrayer.
Quoique… Tout en lui faisant part de ces réflexions, il marchait à grands pas dans l’herbe, pressé. Lorsque les Wincessero faisaient face à ce genre de situations, le mot « chasse » prenait tout sa signification. Il s’agissait d’être rapide et d’agir immédiatement, et dans ces conditions, on n’avait pas forcément l’occasion de réfléchir. Alors, oui, des fois, la chasse consistait à courir tête baissée derrière une créature menaçante, quitte à être soi-même poursuivi l’instant d’après. De toute façon, les monstres qu’ils traquaient fonctionnaient exactement sur le même principe. Parfaitement conscients qu’ils jouaient leurs peaux, ils pouvaient se montrer retors ou carrément pervers, mais ils agissaient toujours rapidement. Les démons étaient en général plus malins et mieux préparés, ce qui n’était pas le cas des créatures comme Mario. Philosophe, Milo tentait de ne voir en eux que de simples fauves : certes plus dégoûtants et capables de vous arracher un bras, mais lorsqu’on était prévenu et qu’on faisait abstraction de l’apparence, c’était du pareil au même. Ah, et certains pouvaient se rendre invisibles. Ou changer de peau. Ou vous hypnotiser. Ou encore tout plein de choses merveilleuses et tout aussi charmantes.
Bon, alors, un conduit d’aération, n’importe quoi ressemblant à une bouche d’égout avec une grille, sous les hautes herbes. Ooh, oui, Mario aurait pu trouver refuge dans les égouts, aussi. Combien de fois Milo avait du se laisser tomber dans un de ces tunnels nauséabonds aux parois gluantes ? Sans compter l‘absence relative d’éclairage, qui donnait tout son pittoresque à l’endroit et pimentait la chasse. Même pas peur, les Wincessero les visitaient dès l’adolescence, en guise de cahiers de vacances… ah, peut-être que c’était ça.
Derrière un buisson qui s’était développé sauvagement en envahissant l’espace vital de ce qui avait été des parterres fut une autre époque, une grille toute simple, récemment dégagée de la terre qui s’y était accumulée, protégeait un trou qui semblait aussi large qu’un conduit de cheminée. Un trou particulièrement noir et incertain : on n’apercevait aucune lumière au fond. Tout cela était fort engageant, mais Milo s’accroupit néanmoins et s’appliqua à dévisser la grille avec le tournevis qu’il avait pris soin d’emmener. Il entendait les pas souples de Cassidi qui le rejoignait, derrière lui. Pas besoin de lui intimer l’ordre de se taire : la longue habitude de leurs chasses en commun les avait formés à agir de concert sans discussions, comme une machine bien huilée. Du moins, lorsque la connexion se faisait entre leurs deux humeurs –ce qui n’était pas toujours le cas-. Combien de fois Cassidi avait pris des initiatives dans le dos de son grand frère ? Milo avait en horreur les initiatives de Cassidi, quand elle sortait de sa trajectoire de petite sœur mignonne et obéissante pour faire sa tête de brûlée de « j’suis grande, j’peux le faire moi-même ». Ouaip, fillette, mais préviens-moi avant. Milo haïssait les surprises.
Délicatement, il ôta la grille, le plus silencieusement possible. Peut-être prenait-il des précautions pour rien. Peut-être que Mario et sa victime n’étaient pas au fond de cette cheminée, et peut-être que tout ça ne serait qu’un énième coup d’épée dans l’eau. Mais inversement, peut-être que la fille était vraiment là, au mieux dans les vapes, au pire ligotée et parfaitement consciente de ce qui se passait autour d’elle –et plus particulièrement du regard avide et des chicots jaunis du rugaru-.
- Je devrais descendre le premier, murmura Milo à Cassidi. Je ne pense pas que l’abri soit enterré profondément, le conduit doit faire quatre à cinq mètres, tout au plus. Tu pourras m’envoyer les lance-flammes une fois que je serai en bas.
Bien entendu, Milo n’envisageait pas de sauter les pieds joints : déjà, la cheminée était à peine assez large, et deuxièmement, Milo avait beau avoir de robustes tibias, il n‘était pas sûr que ces derniers tiennent le choc. Non, il n’avait pas d’autre choix que de descendre le dos calé contre une paroi, recroquevillé comme une gigantesque grenouille en costume d’agent de l’AISI. Cassidi aurait sûrement fait une meilleure acrobate, mais justement, elle le rejoindrait rapidement. Si Mario était en bas et que Cassidi partait en éclaireur, il aurait tout le temps de lui arracher quelques bouchées de chair avant que Milo puisse lui porter secours.