Sujet: Noir, blanc & Magenta. [PV Aya] Jeu 26 Mai - 12:44
« Are you ready, are you ready for this? Are you hanging on the edge of your seat? Out of the doorway the bullets rip To the sound of the beat »
Toute la journée, des questions avaient trotté dans la tête de Cassidi Natale – sarabande de mots, d’échos, danse à laquelle s’invitaient des points d’interrogation aux courbes acérées. Alors la jeune femme s’était penchée sur ces réflexions, alors elle s’était perdue dans leur labyrinthe, dédaignant presque le bureau. Presque, car les dix heures passées au journal n’en avaient pas moins été dignes d’intérêt. Et d’une certaine façon, cette journée aurait dû lui paraître, sinon agréable, au moins stimulante. Cassidi n’aimait pas particulièrement s’éterniser à la rédaction. Aux fauteuils à roulettes, elle préférait le confort du terrain ; c’était lorsqu’elle interviewait, interrogeait, enquêtait, et que l’on la lançait sur des grosses affaires, qu’elle était heureuse. A sa place. C’était dans ces moments-là qu’elle se sentait comme l’orfèvre devant un arrivage de pierres précieuses – car c’était là qu’elle œuvrait, artiste chargée de peindre la vérité, chirurgienne aux prises avec le cancer du mensonge, et se rendait utile. Dans ce cas de figure, il semblait évident que Cassie ne vouât pas un culte au bureau sur lequel ses coudes, des heures durant, avaient reposé. Non pas qu’elle n’aimât pas rédiger des articles, surtout avec le temps qu’il avait fallu pour qu’on lui en confiât certains, mais l’ordinateur … L’ordinateur et son écran impavide, l’ordinateur et son clavier désagréablement tiède …
Le PowerBook, certes, constituait un bel objet, qui plus est un outil offert par sa boîte en guise de cadeau de bienvenue, mais c’était tout ce qu’il était. Un gadget. Un véhicule de l’information. A choisir, Cassidi passerait ses journées à mener à bien des interviews, à pousser jusqu’au fin mot des affaires que lui confiaient ses patrons. Elle préférait être payée à ça qu’au temps qu’elle perdait dans ses tête-à-tête avec les logiciels de traitement de texte. Ces derniers restaient nécessaires, elle le savait bien ; et c’était volontiers que Cass s’en serait chargée chez elle, en dehors de ses horaires de travail. Le journalisme, plus qu’une profession, restait sa passion et sa religion – argent ou pas à la clé, elle la prêchait avec plaisir. Les mots ne trouvaient pas moins de grâce à ses yeux que les informations qu’elle soutirait à des connards.
Et pourtant. Aujourd’hui, Cassidi avait eu la tête ailleurs. Tout avait commencé le matin même, lorsque, pour se rendre au journal, elle avait emprunté l’itinéraire habituel. A savoir celui qui lui faisait traverser l’une des grandes rues marchandes de Milan – de celles où l’on trouvait tout le monde et personne à la fois tant elles voyaient du passage. Cassie avait depuis longtemps saisi que les secrets les mieux gardés étaient ceux qui pendaient au nez et à la vue de tous ; c’était un peu pour ça qu’Othello, après tout, ne soulevait pas la moindre question. Des secrets, la miss Natale en avait. Elle en trimballait toute une palanquée derrière elle, même. Il lui semblait parfois que ceux-ci, à force d’envahir la moindre parcelle de sa vie, finiraient par l’engloutir ; elle les gardait à l'esprit comme ces nuages bas que l’on ne peut ignorer en dépit du toit au-dessus de nos têtes. Aya Murazaki était l’un de ces secrets, au même titre qu’un certain nombre de contacts officieux. Ces derniers représentaient une part importante du carnet d’adresses de Cassidi – à ceci près que les noms ne figuraient pas ailleurs que dans sa tête bien organisée. Lesdits contacts n’étant pas toujours des gens que la société aurait jugés honnêtes, ils préféraient, pour la plupart, rester invisibles, et n’avoir ainsi rien à voir avec l’existence aux apparences soignées que menait la pactisante. On pouvait dire, globalement, que l’inverse était réciproque. Si quelqu’un se mêlait de découvrir dans quels milieux trempait la jeune femme, elle aurait tôt fait de perdre son boulot, ou tout du moins d’écoper d'une suspension. Ce n’était pas là des risques qu’elle pouvait se permettre de prendre – le journal était trop important à ses yeux. Alors, la relation qu’elle entretenait avec ces contacts-là était tissée d’ombres. Elle se plaisait à y voir une forme de secret médical : rien ne filtrait du cadre de leurs échanges. Chacun taisait l’existence de l’autre et tout le monde s’en portait mieux. C’était une espèce de contrat, aux termes et à la clause muets, que les deux partis connaissaient par cœur. Il allait de soi que Cassidi avait placé une confiance toute particulière en ces personnes. Elle se fichait de savoir d’où ils venaient, ou ce qu’ils faisaient ; seule comptait leur propension à offrir la vérité. Elle n’aurait évidemment pas fricoté avec des criminels pervertis sous prétexte qu’ils ne mentaient pas, mais en dehors de tout ça, elle se moquait de la toile sur laquelle on avait dépeint les faits passés. La vérité, la vérité, rien d’autre ne comptait. Blanc. Et ces gens-là, ces mêmes être qu’on lui aurait déconseillé de côtoyer, pouvaient la lui proposer. Alors elle gardait le contact. Alors elle allait au-devant des apparences et s’attardait sur ce qu’elle pouvait retirer de cette connexion.
Encore fallait-il lui donner les moyens d’exister, à cette connexion. C’était la partie compliquée. De même que Cassidi Natale n’était pas prompte à donner le sésame chiffré, ses fréquentations préféraient, en général, passer sous silence leur numéro de téléphone. Pareil pour les adresses e-mail – avec l’informatique, à moins d’installer un canal crypté, et encore, on n’était sûr de rien. Quant au lieu de résidence de ces individus, la question ne se posait même pas. D’ailleurs, s’il était bien un mensonge que Cassie autorisait à chacun, il portait sur le véritable nom de ce beau monde. Certains contacts, même au bout de deux ans, ne lui avaient jamais fait part des mystères sommeillant derrière les pseudonymes. Ça aussi, Cassidi s’en foutait. Si elle l’avait voulue, cette vérité, elle l’aurait obtenue. Il lui suffisait de demander. Des recherches au bureau, en outre, auraient pu lui fournir les réponses qui lui manquaient. Mais comme elle faisait confiance à ces relations particulières, elle leur passait ce genre de détails. Pour permettre au contact d’exister, donc, Cassidi avait dû trouver autre chose. Rapidement, elle avait imaginé un stratagème inspiré de ceux déployés par les résistants au cours de la dernière guerre mondiale. C’était-à-dire une astuce à l’ancienne, et par là infaillible. Les rues marchandes de Milan, dont celle, donc, par laquelle elle était arrivée au journal ce matin, avaient de l'âge. Les façades des bâtiments, elles, se voyaient fréquemment rénovées – pas suffisamment pour voir leur apparence changer, mais assez pour les garder en état. Par conséquent, les vieilles pierres les constituant étaient d’époque. Cassie usait des interstices découverts entre certaines de ces briques comme de boîtes aux lettres. Une par contact. Chacune localisée à une adresse précise. Via Montenapoleone, mur à droite de la bouquinerie, troisième brique en partant de la devanture, à hauteur de hanche. Elle les vérifiait toutes deux fois par semaine, avec la rigueur d’un métronome. Quartiere de la Fiera, mur en face de l’église, une brique en-dessous du rebord de la fenêtre bleue … C’était ainsi que, en début de journée, Cassidi était allée relever le courrier d’Aya Murazaki.
Aya était une figure à la fois ordinaire et singulière parmi les contacts officieux de Cassidi. Ordinaire, parce qu’elle ne changeait pas exactement des autres ; ils avaient en commun l’amour de la tranquillité et le soin mis à arrondir les angles des secrets. En outre, la nippone appartenait à la même catégorie de personnes que Cass – celle des pactisants. Ces êtres humains qui, peut-être par prétention, s’étaient révélés assez audacieux pour passer un pacte avec une étoile. Cela, Cassidi l’avait rapidement soupçonné, mais elle n’avait jamais titillé son informatrice – et cliente, à l’occasion – sur le sujet. Ç’avait payé ; une fois un climat de confiance installé, l’information était tombée. Non pas comme un couperet, plutôt à la façon de ces barrières que l’on abaissait au fur et à mesure que la relation sous-jacente évoluait. La journaliste, certaine de trouver une oreille attentive en la personne d’Aya, avait fait le premier pas. Elle lui avait signifié, à mots voilés, qu’un évènement l’avait rendue capable d’extorquer la vérité à qui que ce fût. Ce fut en utilisant de semblables périphrases qu’Aya évoqua Sky et un conte à propos d’électricité. Le sujet ne revint plus jamais sur le tapis. Les jeunes femmes s’en tinrent aux affaires, des informations en échange d’informations. La dernière en date concernait une personne qu’Aya avait voulu retrouver ; en retour, la fille à l’abeille en avait appris un peu plus sur le GDP. Murazaki, en revanche, trouvait sa singularité dans son côté réglo. Et dans le fait que Cassidi Natale lui faisait confiance. Sans avancer qu’elle ne se posait jamais de questions existentielles à son égard – on parlait de Cassidi –, elle ne passait pas son temps à remettre en question les mots d’Aya. C’était comme ça. Si la japonaise disait un truc, la reporter l’acceptait. Presque aveuglément, quand on y pensait. Tant et si bien que, à aucun moment, elle n’avait ressenti le besoin de recourir à Othello. C’était à peine si, de temps à autre, elle voyait ses échanges avec Aya comme un mouvement de pions sur l’échiquier. Une aubaine, donc.
C’est pour cette raison que le contenu de la boîte aux lettres avait surpris Cassidi. Comme il ne fallait pas exclure la possibilité que quelqu’un tombât dessus par erreur, le courrier, que ce fût avec Aya ou quelqu’un d’autre, se limitait à l’essentiel. Tous veillaient évidemment à ne pas y glisser d’informations compromettantes. La boîte aux lettres, sans servir à communiquer purement et simplement, était là, dans la majorité des cas, pour fixer des rendez-vous, en un lieu que le contact et Cassie avaient établi à l’avance. Pour Aya, c’était le bar où elle bossait – le Magenta. Et dans le mot d’aujourd’hui, elle réclamait une entrevue : « Il faut qu’on se voie. Tu auras tes informations. » Oh, c’était simple, comme message. Succinct et clair. Peut-être un peu trop. Cassidi y lut surtout ce que les lettres, calligraphiées d’une main leste, ne pouvaient dire. A savoir une procession de questions. La note était trop neutre pour l’être réellement, et la journaliste, sans s’en inquiéter, s’en trouva préoccupée. L’aura de ces deux petites phrases ne laissait rien augurer de paisible. Toute la journée, à la rédaction, elle y réfléchit. Les non-dits étant la porte ouverte aux problèmes avant même de donner sur les mensonges, elle préférait en avoir le cœur net le plus tôt possible. C’est pourquoi elle décida de se rendre au Magenta le soir même, à la sortie du boulot. Othello ne s’était pas manifestée, pas même pour se fendre d’un commentaire, mais ça n’était pas un grand changement dans la partition. Othello parlait peu – état de fait, blanc. Après tout, n’était-elle pas un bête insecte ?
Peu avant vingt heures, la fin de la journée de travail de Cassidi s’annonça. Elle ne traîna pas comme il pouvait lui arriver de le faire lorsque le cœur lui en disait. Elle salua une associée, destina une politesse à son patron, et quitta la rédaction, sans prendre le temps de grignoter un morceau au coin cuisine du journal. Les collègues présents sur les lieux, loin de s’en offusquer, avaient tôt fait d'intégrer que le comportement de Cassidi Natale ne répondait à des règles connues que d’elle seule. Alors ils ne s’étonnaient plus de la trouver cordiale un jour et fuyante le lendemain. A leurs yeux, elle était la fille à l’abeille, et la fille à l’abeille avait ses habitudes. Vous n’imaginez pas les excentricités que l’on passe aux gens dont le travail se révèle exemplaire.
Une fois dehors, la pactisante prit le chemin du bar, en songeant que, au pire, elle mangerait quelque chose sur place. Elle traversa le centre-ville de Milan, portée par de rapides enjambées ; et le casque sur les oreilles, encore, pour ignorer les badauds, toujours. En parvenant devant l’enseigne du Magenta, qu’une ruelle dérobait aux regards, Cassidi abandonna à l’appétit de son sac Mp3 et accessoires. Ses doigts trituraient le feuillet laissé par Aya dans la boîte aux lettres tandis que ses yeux, à l’affût, cherchaient à percer les mystères de la vitre. Cet examen ne lui apprit rien de plus que ce qu’elle savait déjà – le bar était ouvert. Alors elle en poussa la porte, décidée à tirer cette histoire au clair, vaguement consciente de l’insecte bourdonnant à hauteur de son oreille.
Elle repéra Aya, derrière le comptoir, dans la seconde qui suivit son arrivée. Il n’y avait pas encore grand monde dans le négoce – trop tôt. Ce qui signifiait que les jeunes femmes pourraient s’entretenir tranquillement, sans que les clients n’entravassent leur conversation. Cassidi s’approcha et gagna le bar, où elle jeta le papier ; ce faisant, elle adressa un sourire à la serveuse ayant gagné son attention.
« Aya. Bonsoir. J’ai cru comprendre que tu avais à me parler … ? »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:47, édité 1 fois
Aya Murazaki [Sky]
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Sujet: Re: Noir, blanc & Magenta. [PV Aya] Sam 28 Mai - 19:22
Mon cœur pleure Ma haine le dévore Et mon regard t'implore Laisse la vérité éclore...
Froides. Rugueuses sous le bout des doigts, aussi âpres que granuleuses, les miettes de sable se logeant sous les ongles, mais gardant cette fraicheur des hauteurs. Le contact des briques de la cave m'offraient cette bouffée d'air factice dont j'avais besoin. Cet appel irrésistible à s'arracher aux regards des autres pour faire tomber un masque noir de douleur, un regard dont l'étincelle quittait pour quelques instants la pupille, se noyant dans des pensées refoulées depuis plusieurs tours de cadran. Un prétexte, une raison valable pour m'isoler au milieu de ce sous-sol aménagé en réserve, datant d'un autre siècle, petit recoin discret parmi les fondations du bâtiment. Ces briques qui quadrillaient de leur présence ancestrale et discrète la ville entière. Leurs jumelles que j'avais frôlées dans la journée pour y trouver, pratiquement invisible, cet interstice dans la pierre, caché aux yeux du monde. Cette petite cache où s'échangeaient plus surement que sur Internet des informations à faire exploser une société. Ce moyen certes, un peu archaïque, mais bien pratique et sur pour un certain nombre d'entre nous. De simples bouts de papiers qui recelaient des secrets monnayés. La valeur d’une chose ne se mesure pas à sa modernité et elle était le parfait exemple. La "boîte aux lettres" de Cassidi.
Il était rare que j'aille moi-même au devant des informations. Elles venaient naturellement, comme si c'était écrit et je choisissais de les livrer au demandeur, d'esquisser un sourire ou un regard noir le faisant reculer. Mais depuis ce fameux jour marqué d'une larme pourpre, je ne pouvais m'empêcher de tourner, retourner les événements dans ma tête. J'en rêvais, la nuit, le jour. Je revoyais le sourire énigmatique de Kelpie, celui désolé d'Hanako, et ses prunelles à jamais fixées sur une immense douleur, en me demandant comment tout ceci avait bien pu arriver ...C’était comme si l’image gravée dans mes rétines pleurait, hurlait silencieusement une réponse. Je revivais les instants passés à la recherche de la moindre trace, du plus infime indice qui aurait pu, qui aurait du, me montrer silencieusement le drame à venir. Il fallait que je sache, et les doutes me rongeaient aussi surement que les cauchemars répétitifs qui hantaient mes nuits, me laissant haletante et en sueur. A bout, au delà de toute douleur physique encore présente avec cette patte folle, mais plutôt un rappel invisible qui vous rappelait à son bon souvenir dès que les mains étaient inactives. Était-il possible que les informations que j'avais reçues de Cassidi n'en soient en réalité que la partie visible de tout ce qui se tramait alors ? M'avait-elle caché un peu de la vérité ? Je savais l'obsession de la jeune femme pour le "vrai", mais l'omission échappait à cette règle stricte, immuable, d'un point blanc ou noir. Elle le contournait de manière si subtile que l'on pouvait s'y tromper, j'en savais quelque chose. Le visage de Cassidi me renvoyait pourtant une vague impression de confiance timide, et c'était pour cela que je n'avais pas dans mes projets de venir lui demander des comptes à ma manière habituelle. De la sincérité, la simple vérité. Un seul souhait, que tout soit dévoilé...
Ainsi, j'avais fait le premier pas, inhabituel dans les échanges qui avaient rythmé nos rencontres successives. Quelques mots simplement, une demande qui en reflétaient tant, écrits à l'aube d'une journée aussi pénible que la précédente. Une demande nouvelle, la trace d'un accord tâché de sang. Un deuil dont le silence tissait le linceul blanc. Depuis la mort d'Hanako, l'absence s'était faite, douloureux bruit solitaire, écho d'une vengeance qui se formait doucement mais surement. On aurait pu se moquer oh oui ! Je n'avais connu la jeune femme uniquement quelques heures, mais elle était l'accomplissement d'un chemin tortueux, d'une dernière volonté soufflée. Une voix à suivre, désespérément. Depuis toutes ces années sans l'apercevoir, sans pouvoir la happer du regard, il m'avait semblé pourtant l'apprendre au fur et à mesure des indices envolés qu'elle laissait sur ses maigres passages. La vision de la vieille photo s'était alors teintée de vives couleurs pour prendre vie sous mes yeux, ajoutant une touche sarcastique et moqueuse au regard empli de volonté qu'elle possédait déjà avant de fuir son père et tout ce qu'il représentait à ses yeux. Un mimétisme dans l'attitude qui m'avait fait sourire dès les premières acidités échangées. A jamais.
Les sourires s'étaient faits plus rares, comme perdus, ne connaissant plus le chemin menant au coin de mes lèvres. Ils étaient vides, détruits, encore destinés à certaines personnes, rares petits privilégiés. L'assurance avait laissé place à la méfiance. Et je ne pouvais la laisser filer dans un désespoir qui hurlait en moi comme le rugissement d'un chien en colère, la gueule plein de flammes. Les pas qui me suivaient dans les rues éveillaient plus vite ma vigilance, plus encore qu'avant. J'étais encore inquiète et pourtant, je tenais à éclaircir les choses le plus vite possible pendant que les choses étaient encore vivaces dans mon esprit, comme marquées au fer rouge, si jamais elles arrivaient un jour à s'estomper...
Cassidi viendrait. Je le savais. C'était comme une certitude ancrée dans mes tripes, peut-être pas aujourd'hui, pas ce soir. Mais elle répondrait à mon appel discret. Poussée par une curiosité qui guidait son existence, son fil rouge marqué par une propension à se mêler des affaires des autres pour en faire éclater les fragments au grand jour. Une justicière ou presque, son crayon et son don comme arme contre un monde de menteurs ... J'avoue, au départ, j'en ai ris intérieurement de voir le combat intérieur qui la tenait. Intriguée, amusée par cette fouine aux principes imperturbables. Mon contraire d'une certaine façon. Mais c'est cet aspect de sa personnalité qui avait fait que l'on s’était si bien entendues, moi lui fournissant ce qu'elle voulait, elle faisant de même. Sans un seul doute, jusqu'à présent. Un échange bon procédé sous le signe de quelque chose qui ressemblait à un semblant d'affection entre nous. Je devais savoir, et elle était la seule à pouvoir y faire quelque chose, combler ce vide aux parois gravées de questionnements. Je lui demandais simplement ce qu'elle exigeait de la bouche des autres.
En remontant les escaliers lentement, je réfléchissais à ce que j'allais lui dire. La remise en question de sa parole ne serait peut-être pas une chose facile, mais c'était nécessaire. Sans appel. Mais d'abord, faire une pause, faire taire silencieusement l'élancement encore présent dans la jambe, et se parer de nouveau d'un masque de glace. Lever de nouveau le rideau pour laisser les autres admirer un spectacle construit de toute pièce, fait et pensé pour donner le change. Un sourire un peu plus vivant que poli, pour la forme et une attention sans cesse sur le qui-vive. Surtout ne pas se laisser aller dans les méandres de pensées qui verraient mon regard se recouvrir d'un voile de haine pourpre, d'une lueur capable de faire éclater le miroir. Laisser filtrer cette humanité si fine pour atteindre les autres, se glisser entre eux, avec le sentiment d'être étrangère à leur monde en le foulant tout de même, l’éviscérant sous mon passage.
Il fallait bien l'accepter. Je n'avais pas la vie de Mademoiselle tout-le-monde mais ce mode de vie m'aurait-il été véritablement été ? Certainement pas. J'étais comme un animal à moitié dressé, qui ne s'acclimatait pas à tout, et heureusement, le Magenta me laissait suffisamment de liberté, me permettant d'évoluer sans éveiller le moindre soupçon. Un monde coloré où les êtres se perdaient au fond d'un verre doré, où les soucis disparaissaient au son des rires qui s'élevaient pour graver la charpente d'étincelles de vies.
Mes prunelles d'acier balayaient vaguement les rares personnes à être entrées dans le bar à une heure aussi peu avancée de la soirée. Pas de quoi les compter sur les doigts d’une main. Une fin de journée pour certains, le début d'une longue pour d'autres ... Accoudée au bar, je regardais l'horloge égrainer les minutes, suivant les aiguilles comme si elles allaient soudain me montrer une vérité cachée. Mais ce ne furent pas les fines lames de bois qui allaient me l'annoncer, mais une silhouette bien connue. La crinière sauvage, perlée, de Cassidi passa la porte, reconnaissable entre mille. Quelques secondes seulement, et elle était accoudée au bar, se dirigeant d'office vers moi. Comme toujours, ne pas s'encombrer de détours futiles, aller à l'essentiel ... Et pourtant, je savais qu'il n'y avait rien d’agressif dans sa démarche volontaire, juste une connaissance du milieu dans lequel elle avait mis les pieds.
« Aya. Bonsoir. J’ai cru comprendre que tu avais à me parler … ? »
Plantant mes prunelles d'Onyx dans la chaleur des siennes, j'esquissai un sourire et acquiesçais. Les questions me brulaient les lèvres, mais ce n'était certainement pas le bon moyen de mettre les choses au clair, sans éclat de voix.
" Bonsoir Cassidi. Tu veux boire quelque chose ?"
Me détournant tout en écoutant sa réponse, je penchai la tête vers mon collègue, lui demandant silencieusement si je pouvais m'absenter. Travailler depuis un certain temps dans un même établissement avait ses avantages, et les heures sup' effaçait les petites libertés dans le genre, que je n'hésitais plus à prendre. Je savais par avance que j'avais un certain laps de temps où mon absence ne ferait pas grande différence, au vu de l'heure mais aussi de la présence conjointe de deux barmen au Magenta. De quoi me laisser suffisamment de temps pour m'installer un peu à l'écart, créant une bulle bien connue entre Cassidi et moi.
Je fis un léger signe de la main à la demoiselle à l'abeille, l'invitant à me suivre vers une des tables les plus reculées du bar. Une des jambes un peu raide, je gardais pourtant une trace diffuse de cette démarche féline et mystérieuse, qui m'avait d'ailleurs valu pas mal d'habitués ici. Les regards coulants sur moi ne me faisaient plus rien et le comptoir restait parfois une barrière massive bien utile. Surtout pour éviter de nettoyer après.
On y perdait la plus grande luminosité, mais en contrepartie, on y gagnait une certaine intimité et un seul regard suffisait souvent à décourager les téméraires ou les curieux. Déposant deux verres sur la table en bois ancien, dont un Amaretto pour moi, je l'invitai à s'assoir en faisant de même, entrelaçant mes doigts fins et rencontrant pour la deuxième fois et non la dernière son regard d'encre. Un affrontement dans un calme presque irréel, la reconnaissance entre deux êtres liés sous une lune rouge. Entre deux personnes recherchant souvent la même chose, bien que les buts différaient. Une seconde, puis deux s'écoulèrent et je pris enfin la parole. Directe, sans détour. Et pourtant sans sortir une seule fois les griffes.
" Tes informations étaient presque exactes Cassidi ...Qu'est-ce qu'elle t'as dit exactement ?" Une respiration, avalée, happée avant de lâcher.
" J'ai retrouvé Hanako. Mais j'aimerais bien que tu m'expliques pourquoi elle avait le GPD au cul. "
Certes, je n'expliquai pas tout, cela viendrait. Inutile de se charger de détails superflus, d'une introduction factice, de politesse à la conversation. Si elle voulait vraiment parler de mon état mental ou de la pluie et du beau temps, Cassidi l'aurait fait depuis longtemps. Ce n'était plus l'heure et de toute façon, quel intérêt ? J'avais encore une fatigue récalcitrante au fond des yeux, léger reste des nuits d’insomnies et le regard et le corps parfois absents, mais il n'avait jamais été question de ça avec la jeune femme. Elle pourrait comprendre certaines choses d'elle-même.
J'attendrais, patiemment. Jusqu'à ce que les mots sortants de sa bouche finissent par tarir la pluie de doute qui se déversait sur mon esprit. Jusqu'à ce que j'ai mes réponses. Un deal est un deal n'est-ce pas ?
Cassidi Natale [Othello]
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Sujet: Re: Noir, blanc & Magenta. [PV Aya] Sam 4 Juin - 9:07
Si ses propres pas l’y avaient menée, s’il ne s’était pas presque agi d’un lieu de travail, Cassidi Natale aurait pu apprécier le Magenta pour ce qu’il était. Bien sûr, il n’aurait pas fallu compter sur elle pour fréquenter l’établissement lorsqu’il abritait une centaine d’individus ayant eu l’idée d’y passer la soirée. Mais l’endroit lui-même était doté de ces caractéristiques appréciées par la fille à l’abeille – notamment concernant la luminosité ambiante. De fait, l’éclairage, en fond de salle, permettait tout juste de différencier le contenu des verres lorsque l’on se penchait dessus. C’était un gage de tranquillité ; ainsi, pas de regards venus errer sur votre silhouette, puisque celle-ci demeurait sujette aux devinettes, et nul lourdaud pour se souvenir de vous au point d’être capable d’établir un portrait robot. C’étaient là, outre la bulle de quiétude immédiatement générée par de telles dispositions, des détails qui pouvaient avoir leur importance lorsqu’il s’agissait de passer plus ou moins inaperçu. Trouvait grâce aux yeux de Cassidi une autre particularité locale : l’acoustique du bar. Là où certains auraient jugé l’architecture hésitante, voire bâclée, la jeune femme aimait la façon dont la seule configuration de la pièce étouffait les sons. Le plafond les suffoquait de ses reliefs ; quelques piliers, un ou deux paravents judicieusement placés, les brisaient. Au bout du compte, il devenait possible de converser presque librement, pour peu que le nombre de clients fût inférieur à trente et dépassât la demi-douzaine. Lorsque ces conditions se trouvaient satisfaites, Cassie, en dépit de l’ouïe performante dont elle disposait, échouait à écouter les causeries. Ce qui n’était pas plus mal, puisque cela évitait à une certaine obsession de prendre le dessus. Cet aspect était d’autant plus pratique qu’il permettait à Aya et la journaliste de s’entretenir en toute sérénité.
Aya Murazaki, justement, revêtait à elle seule bien plus d’intérêt que le Magenta dans toute sa superficie. Aussi le regard de Cassie ne s’attarda-t-il pas sur le lieu ; il en revint bien vite à la nippone, qu’elle dévisagea sans vergogne aucune. Au demeurant, les pactisantes ne s’étaient pas vues si souvent que cela. On devait même pouvoir chiffrer le nombre de leurs entrevues au moyen des doigts des deux mains. Et pourtant, Cassidi était capable de noter un changement chez Aya – du genre ténu, bien maquillé mais pour le moins perceptible. Cela tenait à peu de choses, en soi. Tant et si bien que pour un peu, si les souvenirs offerts par sa mémoire n’étaient pas si nets, elle aurait pu croire qu’elle rêvait ces détails. Aurait pu.
Ça commençait par le regard de Murazaki. C’était le même rideau de cils épais qui l’encadrait, les mêmes billes de nuit se heurtant à celles des interlocuteurs, mais il semblait à la journaliste que les yeux d’Aya étaient plus sombres. Certains pourraient arguer, avec raison, qu’il était tout ce qu’il y avait de plus glorieux que de discerner une nuance plus obscure dans l’ébène japonais. Cassidi s’en foutait. Elle avait raison. Du blanc dans le noir. En outre, il n’y avait pas que la couleur qui parlait. Un mariage d’émotions étrécissait les yeux de la pactisante, donnant naissance, aux coins de ces derniers, à d’imperceptibles rides d’angoisse et de colère mêlées. Mais plus que cela, la périphérie immédiate des globes oculaires d’Aya – ses paupières, les sourcils surmontant les disques bruns – semblait figée, et ce depuis un certain temps. Un peu comme si la main d’un sculpteur s’était amusée à ciseler une émotion torturée avant que, paresseuse, elle ne s’arrêtât et laissât son œuvre se calcifier. Et le résultat était saisissant, chez une personne telle qu’Aya. Cassie avait pris l’habitude de trouver à ses traits des accents impassibles, et aujourd’hui, c’était un cocktail explosif qu’elle laissait à ses collaborateurs le soin de distiller. Venait ensuite la bouche. Les lèvres crispées en une moue, les commissures étirées pour dessiner le dégoût. Puis les réserves de son attitude, la tension couvant sous le galbe de ses épaules. Un langage corporel on ne pouvait plus équivoque. Et, finalement, cette agitation qu’Aya peinait à garder pour elle, lame à la fois effilée et émoussée qu’elle était devenue. Autant de pièces d’un puzzle unique qui eut tôt fait d’intriguer la fille à l’abeille : la bartender avait un problème. Confusément, Cassidi se douta que le problème d’Aya allait rapidement devenir le sien.
« Bonsoir Cassidi. Tu veux boire quelque chose ? »
C’était une question simple, en apparence. Sauf que l’on ne posait pas de questions simples avec une voix aussi acérée, à moins que quelque chose ne sommeillât au-delà. Plus qu’un quelconque intérêt pour sa réponse, la journaliste lut en Aya la hâte d’embrayer sur un autre sujet, ainsi qu’un ras-le-bol appuyé des politesses. Avec un haussement d’épaules, Cassidi laissa faire. Alors que son contact officieux réclamait un break dans sa soirée de boulot, elle répondit par la négative. Elle avait beau avoir faim, elle se sentait incapable d’ingurgiter quoi que ce fût tant qu’elle n’aurait pas obtenu une explication de la part de Murazaki quant au petit mot de la boîte aux lettres.
Lorsque la japonaise filiforme lui fit signe de l’accompagner dans un coin plus reculé du bar, où elles pourraient parler, Cassie obtempéra. Elle se coula à sa suite entre les tables vides ; un pli soucieux, qu’elle ne chercha pas à dissimuler, barrait son front. Elle avait remarqué le boitement d’Aya – lequel confirmait qu’il lui était arrivé un ennui autre qu’une chute dans les escaliers –, et réfléchissait. Dans les chaises inoccupées, sous ses yeux, venait s’asseoir une foule de questions, au point où il commençait à lui sembler que la présence de quelques clients au Magenta n’excluait pas qu’Aya lui saute à la gorge afin de l’étriper. Mais quelles raisons pouvait-elle trouver à l’inimitié émanant du dos de la pactisante ? Que lui reprochait-elle, qui pût justifier une telle animosité ? Etait-ce à propos de leur dernier business en date – celui qui avait requis qu’elle retrouvât une personne du nom d’Hanako … ? D’instinct, Cassidi laissa la distance physique entre Aya et elle se creuser. Dans le bourdonnement d’Othello lui-même, elle distinguait des vrombissements plus mordants que la normale. Un peu comme si le rythme du petit cœur de l’insecte s’était emballé, et l’abeille n’avait jamais tort. Tout ceci perturbait la journaliste. D’aussi loin qu’elle s’en souvînt, elle avait toujours accordé, sinon sa confiance, au minimum le bénéfice du doute à la nippone. Othello, à son habitude, ne s’était jamais fendue du moindre commentaire, pas plus qu’elle n’était déjà intervenue pour avertir Cassie de quoi que ce fût. Le stella, dès le début, avait été sans équivoque sur ce point : elle ne se mêlerait pas de ses affaires. Mais voilà que ce soir, contre toute attente, elle semblait inquiète. De quoi troubler la pactisante, dont les convictions se trouvèrent renforcées. Aya, qu’est-ce que tu vas nous faire … ?
Levant la main, Cassidi invita l’abeille à s’y poser. Elle choisit de se loger sur l’index de la jeune femme, où elle demeura même après qu’elle se fût assise en face d’Aya, les mains posées en évidence sur la table. La bestiole resta là, en observatrice attentive de la scène en tournage sous ses yeux. L’humaine dont elle réalisait le vœu, elle, ne prêtait plus attention qu’à son interlocutrice – interlocutrice qui s’empara enfin de la parole :
« Tes informations étaient presque exactes Cassidi … Qu’est-ce qu’elle t’a dit exactement ? »
Ainsi, le problème portait bien sur la mission Hanako. La première réaction de la journaliste, en entendant Aya, fut de s’insurger, de façon épidermique. Faux, faux, faux et archi-faux. Noir ! Les informations qu’elle lui avait fournies étaient exactes. Elles n’étaient pas seulement le reflet de la vérité : elles étaient la vérité, fin de la discussion. Hanako elle-même n’aurait pas pu mieux renseigner Murazaki quant au nom d’emprunt qu’elle utilisait et à sa localisation dans Milan si elles avaient discuté de cela au téléphone. Que lui fallait-il de plus ? En quoi pouvait-elle se permettre de penser que Cassidi lui avait occulté des informations ? En réponse à l’accusation implicite, la jeune femme fronça les sourcils. Cass n’était pas souvent étonnée. Ou plutôt, elle n’était pas impressionnable, et du moment qu’il ne s’agissait pas d’un mensonge, elle était capable de tout entendre. Du moins l’avait-elle cru, jusqu’à cet instant précis. Elle se trouvait surprise, bien sûr, voire interloquée, mais surtout, elle était en colère. Elle se savait lunatique et sujette à des sautes d’humeur, en particulier lorsque son intégrité était remise en question. Elle n’ignorait pas non plus qu’il lui fallait éviter de donner libre cours à ses émotions. Mais ce soir, elle manqua de peu de se lever et de quitter le bar en claquant la porte. Deux choses, sans doute, firent qu’elle resta là, tendue et arborant un masque rageur. La première était une raison pratique : il coulait de source qu’Aya ne lui aurait pas donné ne fût-ce que le temps de se lever. La seconde fut que la japonaise enchaîna, et que les mots balancés frappèrent Cassidi de plein fouet.
« J’ai retrouvé Hanako. Mais j’aimerais bien que tu m’expliques pourquoi elle avait le GDP au cul. »
GDP. Un acronyme magique, apte à scotcher la plus furibonde des journalistes sur sa chaise. Capable, également, de faire perdre à Cassie le peu de contenance qu’elle possédait encore. Sur son visage, la colère avait cédé la place à une surprise totale. Elle en restait pour ainsi dire comme deux ronds de flan. Les implications de ce qu’Aya venait de jeter dépassaient le seuil de l’entendement. Elle n’était pas certaine de pouvoir tirer de ces quelques mots toutes les conclusions vers lesquelles son instinct la dirigeait. Elle était capable de faire le calcul, pourtant. Elle ignorait juste jusqu’où elle devait le pousser. Elle ne s’était donc pas trompée dans les infos qu’elle avait filées à Aya, pas plus qu’Hanako n’avait pu lui mentir – pas sous l’influence d’Othello. Sauf qu’il y avait eu un problème, et non des moindres … Le GDP, bien sûr, mais pas uniquement. Il devait s’être passé autre chose. Un truc qui expliquait les changements opérés en Aya Murazaki. En outre, l’emploi de l’imparfait par cette dernière, lorsqu’elle avait évoqué Hanako, était prétexte à de multiples interprétations. Son utilisation était rendue obligatoire par une syntaxe correcte, mais … mais.
Cassidi croisa les bras, soudain glacée. Othello avait anticipé le mouvement ; elle gagna le creux laissé par la fourchette sternale de son manubrium, au niveau de la double terminaison de ses clavicules. Comme un avertissement. La pactisante fixait toujours Aya.
« Hanako a juste … répondu à mes questions, Aya. Tu voulais t’assurer que c’était bien elle et connaître l’endroit où elle vivait dans Milan, alors c’est ce que je lui ai demandé, et ce que je t’ai rapporté. Comme prévu. Il n’y a pas une chose qu’elle m’ait dite et que je ne t’aie pas rapportée. Elle marqua une pause, pensive. Je ne savais rien du GDP. Elle non plus, je pense. Elle a semblé plus surprise qu’inquiète quand je l’ai retrouvée. Pas l’attitude de quelqu’un qui redoute d’avoir une brigade anti-pactisants au cul. Et s’il y avait une raison particulière pour que ce soit le cas, tu ne m’en as pas parlé, Aya. »
La fille à l’abeille savait bien que ce n’était pas là le fond de la conversation. Murazaki jouait là-dessus, elle s’en doutait ; elle devait guetter ses réactions. Ou plutôt, à tourner ainsi autour du pot, elle avait sûrement établi, dans un coin de sa tête, la culpabilité de Cassidi Natale. Celle-ci avait conscience de tout cela. Le problème n’était pas de trouver les mots qui viendraient étayer son innocence. Il s’agissait plutôt de faire en sorte qu’Aya comprît d’elle-même que son informatrice n’était en rien connectée à l’étiquette de délatrice dont elle l’avait affublée. Ce qui n’était pas exactement plus simple.
Cassie adopta une moue pincée. Ne la contrarie pas plus qu’elle ne l’est déjà.
« Qu’est-ce qui te fait penser que je l’ai balancée au GDP ? Et qu’est-ce qui vous est arrivé ? »
Aya Murazaki [Sky]
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Sujet: Re: Noir, blanc & Magenta. [PV Aya] Dim 12 Juin - 20:53
Et les pions devinrent noirs, envahissant le blanc du plateau.
Une tempête. Un tourbillon d’émotions qui se bousculaient dans son regard brun. Voilà ce que j’avais provoqué, ce que j’attendais, bien consciente de l’effet de mon accusation sous-jacente, parcelle d’un doute qui restait toujours présent. J’avais observé suffisamment Cassidi pour savoir que l’impulsivité guidait ses pas, comme la raison pouvait les retenir et c’était un véritable jeu d’influence qui se jouait entre nous. Une volonté bafouée qui se heurtait au calme trompeur d’un regard onyx. Une colère grondait en elle, écho au hurlement silencieux de la mienne, immobile et pourtant frémissante d’indignation devant l’acier de mes prunelles. Mais toute la rage ressentie ne lui permettrait pas de faire une sortie remarquée, furieuse, se drapant dans un manteau de rage. Je ne lui permettrais pas, et Cassidi Natale n’était pas une idiote. J’avais ce que je voulais. Que jaillissent des émotions trop fortes pour être contenues, un jet de vérité aux couleurs sombres. Que ressorte une transparence dans la réaction brute d’une vérité mise en défaut. Qu’elle me montre par le langage du corps autre chose que des mots jetés en guise de protection, de protestation. Les mots mentent, les frémissements de ses lèvres non. Une colère aux teintes sombres oui. Mais une colère sincère, sans faux-semblants, tellement forte qu’elle ne pouvait être le fruit d’une comédie grotesque. Il y aurait eu de la retenue, de la méfiance dans les mots à venir, comme si la jeune se serait attendue au retour de bâton, conséquence d’une trahison. Sans mentir, j’aimais provoquer cela. Cette rupture, cet instant où le contrôle disparaît au profit de réactions brutes, pures et instinctives, noyées par des sentiments qui envahissaient tout et laissaient à la vue offerte apparaitre autant d’ouvertures que de rage. Le moment où frapper, où percevoir la vérité d’un être, tromper le trompeur et lui dérober sa cape pour le mettre en pleine lumière. La seconde propice où la lame entamait la chair de l’autre pour l’éclairer d’une étincelle mordante et froide, sur son erreur. Fatale.
Mais non, Cassidi était bien trop furieuse, trop bonne actrice pour quelque chose qui lui enserrait les tripes de rage. Je venais de toucher un point plutôt sensible. La remise en question de sa propre intégrité est une chose que peu de personne supporte, se révoltant avec véhémence contre l’impudent qui oserait mettre en doute leur parole. D’autant plus avec cette jeune femme qui me faisait face, adepte, fanatique de la vérité, de la sincérité. J’émettais par mes mots des doutes sur son existence même, sur la véracité de son pouvoir de pactisante. Je pouvais comprendre la rage qui se lisait sur son visage, creusant ses traits dans une mimique colérique, sombre. Je n’aimais pas faire cela, la pousser dans ses retranchements malgré la nécessité qui pulsait dans mon esprit. Cassidi était un de mes contacts « professionnels » les plus sympathiques, pas amies, non ennemies, juste un peu plus que des connaissances. Une relation complexe, dans un cadre qui l’était tout autant. Et même si je me délectais intérieurement de voir le masque tombé, je n’en avais pas fini, brisant par une simple évocation la froide fureur qui l’animait.
Après les doutes et les accusations silencieuses perçues, la vérité crue, jetée comme on crache une chose détestable, comme on la rejette. Un coup de tonnerre dans l’intimité de notre table. Des mots qui saisirent Cassidi, brisant ce faciès de rage, l’obligeant à prolonger cet affrontement et plonger son regard teinté d’une stupéfaction qui me sembla sincère dans le mien, toujours légèrement agité sous un châle de tranquillité factice. Un indice tacite qui me fit froncer légèrement les sourcils. Les pions se retournaient lentement … retrouvant leur pâleur. Mais pas totalement. Mes lèvres n’esquissèrent rien de plus, laissant le silence faire son œuvre. C’était au tour de Cassidi de jouer, les bras croisés, d’avancer sur le terrain, infirmer ou confirmer les doutes que je faisais poser sans concession sur ses épaules. Le ciment de notre arrangement, sous une autre forme. Une véracité, une sincérité mordante, abrupte mais emprunte de vérité, malgré les fiertés égratignées.
« Hanako a juste … répondu à mes questions, Aya. Tu voulais t’assurer que c’était bien elle et connaître l’endroit où elle vivait dans Milan, alors c’est ce que je lui ai demandé, et ce que je t’ai rapporté. Comme prévu. Il n’y a pas une chose qu’elle m’ait dite et que je ne t’aie pas rapportée ».
Protestation, justification inutile de la jeune femme à l’abeille. Que le rapport était exact n’était pas le point d’ancrage de mes hésitations quand à l’implication ou non de l’informatrice. Pas un geste, juste une pensée agacée qui chassa ces mots, dans l’attente d’une véritable réponse.
« Je ne savais rien du GDP. Elle non plus, je pense. Elle a semblé plus surprise qu’inquiète quand je l’ai retrouvée. Pas l’attitude de quelqu’un qui redoute d’avoir une brigade anti-pactisants au cul. Et s’il y avait une raison particulière pour que ce soit le cas, tu ne m’en as pas parlé, Aya. »
Je passai légèrement ma langue sur mes lèvres, dessinant sans en avoir conscience les bords du verre du bout des doigts, intégrant ce que me disait Cassidi, imaginant une nouvelle fois ce qu’avait dû être la rencontre entre les deux pactisantes. La surprise et l’agressivité naturelle d’Hanako contre le calme quasi-professionnel et la curiosité de la jeune femme à la chevelure sauvage. Ses derniers mots sonnaient comme un pique vengeresse, me renvoyant la faute comme un joueur de tennis tentant de faire chuter son adversaire. Ce qu’elle ne comprenait pas encore, était mon but final. Trouver un coupable à éviscérer de rage oui, laisser court à une sauvagerie sans commune mesure, mais surtout comprendre ce qui c’était passé, leur présence, leur traque sans relâche. La terreur que je revoyais encore danser dans les prunelles cristal d’Hanako confirmait la version de Cassidi. Si elle avait eu la connaissance de ce qui la surveillait surement depuis un moment, elle aurait joué la carte de la prudence. Hanako était loin d’être une idiote écervelée, butée et rebelle oui, mais elle avait été aussi bien formée que moi, du moins le supposais-je.
« Qu’est-ce qui te fait penser que je l’ai balancée au GDP ? Et qu’est-ce qui vous est arrivé ?»
Insensée. Voulait-elle réellement le savoir ? Cassidi était-elle conscience que sa soif de savoir pouvait la mener à sa perte ? J’avais parfois l’impression qu’elle occultait cet aspect des choses. En miroir à la moue qui s’était formée sur ses lèvres, un pli se forma sur les miennes, entre une grimace et un fin sourire moqueur. Plus désabusée qu’à l’ordinaire, surement après tout ça, j’avais du mal à concevoir qu’elle ne puisse s’imaginer les raisons qui aurait pu la pousser à se bafouer elle-même, ne serait-ce que pour sa sécurité. La jeune femme à l’abeille frémissante connaissait aussi bien que moi les horreurs que l’on racontait sur ce qui ce tramait dans les sous-sols du GPD, où que soit basé leur « quartier général ». Je lui avais promis de lui révéler ce que je savais de cette organisation dont le secret n’en était plus vraiment un, les rumeurs se vérifiant bien trop souvent pour n’être seulement que les élucubrations de quelques esprits trop imaginatifs. Me redressant sur ma chaise, je me fis la réflexion qu’elle aurait peut-être dû accepter le verre offert, mais soit.
« Tu savais tout. Le peu que je savais d’elle, ce que j’avais pu récolter en un an de recherche. Ce qui est logique avec le talent dont elle disposait pour se fondre dans la foule et tromper son monde. Je te rappelle qu'elle était une pactisante polymorphe...»
Ce que ne pouvait ignorer Cassidi puisqu’avant d'avoir l'information par elle-même, je ne soupçonnais pas non plus que la jeune femme recherchée faisait partie de ces fous ayant fait un pacte avec une lune rouge. Ces fous dont nous faisions parties. Autant courir après du vent, avec une personne capable de changer de visage en un battement de cils. Elle aussi faisait partie de cet échiquier à taille humaine dans lequel les pactisants jouaient les pions, les fous et les chevaliers, sacrifiés.
« Crois-tu que seuls les pactisants ont leur réseau d’information ? Le GPD est lié d’une manière ou d’une autre à la police, possède des pions un peu partout et plus important, il y a des pactisants dans leur rang. »
Je venais d’amorcer la bombe à venir et sourit intérieurement en entendant presque les rouages de l’esprit de mon vis-à-vis. Comprenait-elle maintenant d’où pouvait me venir les doutes la concernant ? Mais ce n’était pas tout et je lui livrai la pièce manquante, sanglante au puzzle de cette affaire. De simples présomptions n’auraient pas suffi à éveiller une méfiance plus alerte envers elle …
« J’ai fini par la coincer et c’est là que ça s’est nettement compliqué. Le GPD nous est tombé dessus, avec la volonté manifeste de lui mettre le grappin dessus. Ils nous ont traqué jusqu’à la tuer… »
Ma respiration se fit plus difficile, les mots se coinçant dans ma gorge, malgré le côté glacial du ton que j’employais, détaché de toute chose, comme on observe des gens s’entredéchirer sans broncher. Sauf que là, ça m’avait touché de trop près, touchant à des origines que j’avais tenté de préserver. En vain. Le nom de Murazaki était tâché de sang, c’était indéniable et j’en trempais mes mains sans cesse. L’espace de quelques secondes, mon esprit avait quitté cet espace rassurant et connu, en retrait de toute autre présence, pour replonger dans la douleur de cette fin de journée. Le soleil rougeoyant en avait été le signe, laissant le pourpre de ses contours se noyer dans une course ténébreuse. Avalant la gorgée brulante d’alcool et d’amande, je revins à l’instant présent, les prunelles encore un peu dans le vague pour revenir se planter sans sourciller dans celles de Cassidi. J’hésitai une seconde sur quoi révéler ou non, puis laissai filtrer un léger soupir avant de continuer.
« Ils savaient où la trouver, et comment la repérer malgré le changement d’apparence. J'ignore comment, mais ils devaient l'avoir à l’œil depuis un bon moment. J’ai tenté de la protéger … »
Je m’interrompis, une grimace de déception me barrant le visage. Echec et mat. Le chevalier noir avait été mis à terre et le pion derrière lui abattu sans l’ombre d’un doute, d’une hésitation. J’avais échoué, en ayant parfaitement conscience de ce que cela avait impliqué pour elle, et pour moi. Et ce sentiment d’avoir fait défaut, malgré les lourdes pertes qu’ils avaient subi, brulait toujours, ravivant sans cesse le trou béant que provoquait sa perte. Drôle de sensation que de se sentir liée profondément à une inconnue, une silhouette que l’on a côtoyé quelques minutes seulement, mais assez pour souffler sur les braises d’un mince espoir, dispersé dans une étincelle pourpre. La sueur, la douleur et le sang versé n’avait pas suffit, le regard d’Hanako voilé par un destin sanglant. Je luttais contre l’idée que sa mort avait été inévitable au vue des conditions de son stella, une culpabilité mêlée d’une rage sourde grondant dans les tréfonds de mon cœur meurtri. Cassidi comprendrait-elle tout ça au travers des deux puits sans fonds qui la fixaient, comprendrait-elle la terreur qui avait animé nos pas, nous faisant aller toujours plus loin, sur le chemin d’un destin déjà tout tracé par des balles sifflantes ? Ferait-elle le lien entre cet affrontement et la rigidité, la méfiance et la fatigue de mon corps ?
Je n’en savais rien, et au fond, j’avais conscience que ce n’était pas le plus important, que la jeune femme à l’abeille ne pourrait jamais totalement comprendre le spectacle pourpre qui se dessinait au fur et à mesure que les mots coulaient de ma bouche comme une rivière tumultueuse, charriant des flots de sang. Je lui laissais imaginer les événements, lui racontant seulement la balle perdue et la vengeance qui avait suivi l’écroulement d’Hanako. Pas besoin de plus, pas de Kelpie non plus.
Jouant avec mon verre à présent vide, je penchai la tête sur le côté, faisant tomber une ou deux mèches devant mes yeux vifs, et retrouvai ce ton sans réplique, incisif, et pourtant d’un calme effrayant.
« Tu étais la seule à savoir avec exactitude qui elle était et ce dont elle était capable. Également où la trouver. Tu comprends mes questions ? »
Elle avait toujours été réglo. Mais là … J’avais besoin de plus qu’une confiance basée sur une entente et du business pas si clair que ça. Cassidi pouvait-elle réellement jouer sur plus de deux tableaux ? Mon instinct me disait que non, les arguments apposés par la jeune femme, l’attitude d’Hanako ce soir-là me poussait dans ce sens. Mais il restait cet indicible doute, ce besoin d’encore plus de sincérité. Comme si c’était encore possible.
Une seule. Une seule preuve qu’elle ne pourrait jamais travailler de concert avec le GPD et cette pensée insidieuse, fragile, se tairait.
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Sujet: Re: Noir, blanc & Magenta. [PV Aya]
Noir, blanc & Magenta. [PV Aya]
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