« Essouffle toi jusqu’à en crever. Ainsi tu n’auras plus la force de pleurer.
»Le rythme cardiaque lui battait dans la tempe, heurtant ses tympans en un rythme dérangeant, forçant ses muscles à se serrer un peu plus sur eux-mêmes, roulement des articulations à la bordure de l’os. La sangle de son sac lui arrachait l’épaule, le forçant à se pencher un peu plus en avant, alors qu’il passait les portes vitrées de la galleria Vittorio Emmanuele II. Une grimace lui pinça le visage. Il n’avait jamais aimé les magasins de modes, trop pauvre pour même espérer acheter le plus petit des accessoires. Rentrer dans cette galerie, c’était la pointe d’ironie dont sa vie l’avait couronné. Car, sans le savoir, il mourrait dans le lieu qu’il hait le plus, pour cette cause qu’il déteste le plus.
Tsubaki serra un peu plus fort la main qu’il avait déposée dans la sienne. Elle le rassura d’un sourire, ainsi qu’un brin de malice dans ses yeux verts. Il soupira. Elle était trop heureuse, trop décontractée pour ce qu’ils allaient faire. Lui, la sueur lui tachait déjà le t-shirt jaune qu’il portait et ses mains moites peinaient à tenir la poignée de son autre sac. Et sa compagne, qui semblait imperturbable à l’arrivée du but fixé. Il faillit en rire. Elle le tira vers la vitrine d’un antiquaire, pointant un vieux service à thé. Dante, jeune homme aux cheveux noirs, secoua la tête.
« Votre objectif est simple les jeunes. Vous entrez dans la boutique d’un magasin de Thé « Divine Comédie », vous prenez une boisson. Et vous oubliez votre sac en partant. Simple comme le jour. »
Il détourna son regard de la vitrine, où le reflet lui renvoyait son air blasé, cachant si bien le stress lui mordillait les veines. Il se mordilla la lèvre, alors qu’il détaillait, une poignée de bâtisses plus loin, le commerce en question où ils devaient se rendre. La montre de sport à son poignet bipa trois fois avant qu’il ne coupe l’alarme. Il se retourna vers sa partenaire, se penchant sur elle, comblant la distance que sa grande taille imposait.
«
On va devoir y aller. C’est l’heure. »
Son ton se fait plus grave, alors qu’aucun trait sur son visage ne change. L’incapacité de s’exprimer avec son corps. Il se gratta la tête rapidement, geste nerveux. Tsubaki rigola, le poussant de ses mains fines vers la boutique en question. Il ne comprenait toujours pas d’où venait cette bonne humeur permanente.
Ce fut elle qui choisit les places, près de la porte, derrière cette vitrine où ils pouvaient observer les touristes à leur aise. Détailler cette asiatique à l’air ennuyé qui passait, plus loin un jeune noiraud, avec ce même air blasé sur le regard. Se faire presque surprendre par une furie blonde qui trombe juste devant eux. Dante leva les yeux au ciel. Tsubaki arriva avec les commandes, déposant les boissons encore fumantes sur la table en verre et en fer forgé. Elle lui sourit, une dernière-fois. Pour le rassurer. Tout irait bien.
« C’est la planque du groupe de July. April a été claire : on tape les premiers. Et on tape fort. Il y a quelques membres influents dedans. Pas les hautes sphères. Mais pour le premier coup d’éclat, ce sera parfait. »
Ils auraient pu parler de tout et de rien. De ce qu’ils feraient après –certainement un cinéma. De ce qu’ils feraient si jamais il se mettait à pleuvoir. Entretenir une discussion sans importance, dans une vie sans importance. Mais ça n’allait pas ainsi. Et les imprévus se présenteront sous leur forme la plus dérangeante. Le tintement de la cloche n’attira pas leur attention, ni le deux individus qui s’invitèrent dans le magasin. Ce n’est que quand ces nouveaux clients en question s’installèrent à la même table qu’eux que Dante les dévisagea réellement, qu’un pointe d’expression perça enfin le masque de glace du pactisant. Tsubaki, elle, se fit moins souriante, le front soudainement plissé par un peu d’anxiété.
«
Vous n’irez pas plus loin. Vous venez avec nous. » Le noiraud fit tenta de se lever. La main d’un des agents se posa sur son bras. «
Je ne ferais pas ça à votre place. Au moindre mouvement hostile, you’ve got a bullet in your head ♪ »
« Et surtout, ne vous faites pas attraper par la GDP. Vous pouvez vous permettre de vous frotter à ceux du camp de July. Mais pas eux. Ce serait trop dangereux pour vous. April ne se soucie pas des sacrifices, mais nous oui. Soyez pas con. »
Le briefing leur revint en mémoire, au même moment. Les yeux bleus de Dante se plantèrent dans ceux de sa partenaire, insistant sur le message qu’ils s’échangeaient. Ils se connaissaient depuis assez longtemps. Si Tsubaki cessait de sourire, c’était la fin de tout. La fin de son monde. La tristesse se lut dans le regard des deux italiens. Elle ne souriait plus. Il ferma les yeux, avait compris. Sa main, son énorme main se déposa sur le bras qui le retenait. Il se mordit la lèvre, brisa l’os du membre du GDP.
Le reste, ne fut qu’une succession de flash, provoqués par l’adrénaline lui montant à la tête. Il perçut une détonation, le bruit de la fenêtre qui se brise, le choc d’un corps qui se projette sur le sien. Il reconnut Tsubaki. Une épaule en sang, l’expression profondément désolée qui lui marqua le cœur en un dernier sursaut. D’abord il trembla. Serrant le plus fort possible le corps qui s’éteignait de sa vie. Il cria aussi. Sans qu’il ne s’en soucie vraiment. Alors c’était ça, la guerre ? Il eut un réflexe, le dernier de son histoire. Il saisit sa montre et la tint. Avec toute sa force. La brisa… La bombe explosa.