La vostra identità
NOM; Fazzio
PRÉNOM; Isaia
SURNOM; Izzy, mais il déteste ça. Isa-Isa. Il aime pas non plus. Iz, à la limite.
SEXE; masculin.
DATE DE NAISSANCE; 1er février ; 22 ans.
LIEU DE NAISSANCE; Naples
SITUATION SOCIALE; célibataire
MÉTIER; professeur de piano
NATIONALITÉ; italienne.
La vostra persona
INTÉRIEUR;
"Je ne crois pas en Dieu, je crois en moi. Remarque, ça revient au même."
Modestie ? Il ne sait même pas ce que ça veut dire. Quel besoin Isaia aurait-il d'être modeste quand il est tout sauf ordinaire ? Et il le sait – bien sûr, qu'il le sait. On le lui répète depuis l'âge de ses premiers souvenirs : "Isaia est trop mignon !" "Isaia a la bouille d'un ange!" "Isaia est remarquablement précoce pour son âge. Il savait lire à un an et demi seulement !" "Isaia est toujours le premier de sa classe !". Il y aurait de quoi continuer encore un bout de temps. Il faut dire qu'avec sa bouille blonde et ses grands yeux bleu-gris, Isaia était le bébé qui faisait se retourner tout le monde sur lui dans la rue. Ses gazouillements et son joyeux babillage incompréhensible provoquaient des orgasmes chez les jeunes femmes.
C'est vrai, petit, Isaia était loin d'être bête. Mais comme tout enfant, il était crédule. À sa décharge, s'entendre répéter cent fois par jour qu'il était le plus beau, le plus intelligent, le plus doué, a fini par l'en persuader pour de bon, et peut-être un peu trop pour son bien. Par contre, et ce depuis son plus jeune âge, il s'est rapidement rendu compte que sa bouille d'ange lui donnait un passe illimité pour le pays des bêtises, et il ne s'est pas privé d'en user, ça non. Surtout quand quelqu'un était là pour payer ses pots cassés, et il y avait toujours quelqu'un pour payer ses pots cassés. À la maison, c'était son grand frère Tullio. À l'école, c'étaient tous les autres élèves : il lui suffisait de faire son regard de Bambi pour que tout le monde se laisse prendre, ce qui a dû certainement contribuer à développer chez lui un machiavélisme relativement vicieux pour un garçon de cet âge.
Il prit donc l'habitude de faire retomber sur les autres toutes les conséquences de ses bêtises. C'est fou ce qu'on s'y habitue rapidement... En quelques années, il était déjà un pro de l'accusation portée injustement à autrui.
À sept ans, il n'avait pas fini d'étonner son monde (et accessoirement, de détruire celui de son frère). Ses parents, pleins de bonnes intentions, eurent l'idée d'inscrire Tullio au cours de piano de l'école de musique locale, et louèrent pour l'occasion un piano d'études qu'ils installèrent dans la maison. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, en échange, c'est qu'Isaia tomberait aussitôt amoureux de l'instrument de musique. Le petit écoutait sagement son frère répéter ses morceaux, puis lorsque la place était libre, il se glissait sur le tabouret encore chaud pour jouer à l'oreille les notes qu'il venait d'entendre. Inutile de dire que s'il s'attirait une fois de plus l'admiration de ses parents et du professeur de son frère, qui était persuadé, dans son enthousiasme, d'avoir affaire au nouveau Mozart, il n'en allait pas de même pour Tullio, qui après sa nomination au rôle de bouc émissaire, se voyait relégué au second plan dans le domaine que ses parents avaient choisi pour lui. À sa décharge, Isaia, pour une fois, ne faisait pas ça par méchanceté : le piano exerçait sur lui une fascination telle qu'il n'en avait jamais connue avant. Les touches blanches, les touches noires, le mécanisme du piano, le tout le jetait dans une telle admiration qu'il en oubliait de faire des bêtises. S'il était mal parti, jusque là, pour devenir un garçon bien élevé, le piano fut l'élément fondamental qui lui permit de ne pas devenir insupportable. Bien sûr, la rédemption n'alla pas jusqu'à le transformer en type bien, mais le piano, en devenant le centre de son monde, lui fit presque oublier que jusque là, tout avait toujours tourné autour de lui seulement.
Bien entendu, il ne fallait pas compter sur les adultes pour le remettre sur le droit chemin. Entre son professeur de piano qui lui assurait qu'il n'avait jamais vu un gamin aussi doué que lui, entre ses parents qui disaient amen à tout ce qu'il faisait, et en rajoutant par-dessus le marché ses propres capacités qui lui donnaient la possibilité d'être premier partout sans avoir besoin d'étudier vraiment, il aurait été vraiment étonnant que l'adolescent Isaia devienne humble et modeste. Aussi grandit en même temps que lui, et en même temps que son inévitable égoïsme, une assurance vis-à-vis de lui-même, une confiance en lui qui, c'est bien malheureux à dire, avait beaucoup de succès auprès de ceux qu'il fréquentait. Dans sa classe de musiciens, il était le pilier, le pivot central, celui vers qui tous les regards se tournaient, celui sans qui il était impossible de s'amuser. Et comme son esprit vif lui donnait un sens de la répartie tout à fait appréciable, qui allait avec une bouille d'ange, il faisait sans nul doute partie des élèves les plus populaires du lycée. Entre temps, toutefois, il avait appris, lors de certaines altercations de collège, qu'il valait mieux ne pas dire tout haut ce qu'il pensait de sa supériorité sur le reste du monde.
Aussi adopta-t-il à cette époque l'attitude qu'il adopte encore actuellement, qui consiste à se montrer charmant envers tous, alors qu'intérieurement, il désespère d'avoir affaire à une telle bande de cornichons. Bien peu de gens trouvent grâce à ses yeux, ce qui explique peut-être pourquoi il n'est jamais tombé amoureux de personne : tel Narcisse, il a une opinion beaucoup trop haute de lui pour pouvoir poser les yeux sur quelqu'un d'autre.
Bon, cette description le ferait passer pour un connard fini – eeet... eh bien, en fait, c'est le cas. Mais il est quelque chose qu'il faut lui reconnaître : Isaia aime profondément sa famille. Bon, bien sûr, ça ne veut pas dire qu'il ne les considère pas comme des crétins ; mais ils ont la caractéristique d'être les seuls crétins qu'il est capable d'aimer sincèrement. Il considère ses parents comme des imbéciles qui font toujours des fautes d'orthographe (et pour lui et son snobisme, faire des fautes d'orthographe, c'est rédhibitoire : ça montre bien une intelligence limitée, n'est-ce pas ?), mais il les aime malgré tout. Quant à son frère Tullio, c'est une bonne poire incapable de se faire entendre, qui dit Amen à tout, même si ça devait lui attirer les pires ennuis : et en cela, il le trouve profondément stupide... Mais c'est tout de même son frère, et il l'aime… probablement.
Une autre étrange caractéristique de sa part : il est étonnamment attaché aux enfants, envers lesquels il est capable de faire preuve de beaucoup de patience et de gentillesse (deux mots qui lui sont inconnus quand il s'agit d'adultes). Il aime chez les eux l'innocence et la candeur, deux choses dont qui lui fait cruellement défaut quand il était lui-même petit – non qu'il ait l'impression d'avoir subi un manque, cela dit... Quoi qu'il en soit, cette facette de lui en fait un bon professeur de piano, à l'écoute de ses élèves, et très pédagogue.
En dehors de ça, il est typiquement le genre de type avec qui il est déconseillé de fricoter si vous voulez du sérieux, que vous soyez un homme ou une femme, car il se fera un plaisir de déchiqueter vos sentiments comme des confettis et de les jeter au vent, officiellement parce qu'il n'est pas celui qu'il vous faut (ce qui est loin d'être faux, finalement) – officieusement, parce que vous êtes un parfait abruti à ses yeux. Vous voilà avertis.
EXTÉRIEUR;
"Je suis fleur et toi la bouse, je suis la bombe et toi le déchet radioactif !"
Si Dieu avait voulu plaider la cause des humains auprès d'autres espèces intelligentes, il aurait sans doute envoyé Isaia comme représentant. Histoire de tous les arnaquer. Isaia, c'est le genre où vous le voyez, vous signez tout de suite, et après, vous vous rendez compte, pour votre plus grand malheur, qu'il n'y a pas que le physique qui compte dans la vie. Mais ça, il saurait presque vous le faire oublier, en un seul sourire.
Bref, Isaia, c'est la carrosserie de Porsche rutilante, qui cache la pollution extrême et la consommation en essence coûteuse. C'est le joli lustre qui fait bling bling dans votre salle à manger quand vous avez des invités, et dont vous êtes ultimement fière, mais qui pompe à lui seul toutes les ressources d'électricité de la maison. Isaia, c'est ce superbe vaisselier en bois de chêne aux vitres Art Nouveau sur lequel vous craquez dans une brocante et que vous payez un bon prix avant de vous rendre compte en l'installant chez vous qu'il est pourri par la vermine. En gros, mieux vaut l'observer de loin, vous vous en porterez mieux. Et en plus, vous aurez droit à un joli spectacle. Mère Nature s'est donné du mal pour cacher les ravages de l'intérieur, ça c'est sûr.
Isaia est blond. Mais alors, pas le blond de quand t'es bébé et que t'as plein de boucles ensoleillées et tout, et qui tire progressivement vers le brun fadasse quand tu deviens plus grand, non. C'est du blond garanti élevé au grain, le genre qui donne vaguement l'impression qu'il a des ascendances suédoises. C'est la couleur du blé dans les champs, du maïs dans son épi, des pièces de monnaie à peine frappées qui rutilent de toute leur force. C'est la première chose qu'on remarque chez lui : bon dieu, ce type est blond.
Après, on peut remarquer que ses yeux sont loin d'être banals, eux aussi. Qu'ils sont bleus quand il fait soleil, et qu'il tendent à devenir gris quand il pleut. Mais si vous pouvez remarquer ça, entre nous, c'est que vous êtes déjà trop proches de lui, et ce n'est pas bon pour vous. La chose étonnante, là où Mère Nature a un peu chié dans la colle, ce sont sans doute ces longs cils noirs qui bordent ces iris à la couleur changeante. Oui oui, pas blonds – noirs. Bizarre. À l'image du personnage, qui n'en pas à un petit paradoxe près. Cette petite étrangeté lui donne un regard bizarrement féminin qui, sans qu'il sache vraiment pourquoi, a un succès fou auprès des femmes.
Par contre, Mère Nature a rectifié le tir pour les sourcils – blonds comme le voudrait la logique.
Après, on peut dire que les traits de son visage ne sont pas exempts de défauts : comme ses lèvres, peut-être trop fines, ou son nez en pointe, ou sa carnation trop pâle qui lui interdit les bains de soleil sans une fabuleuse dose de crème solaire. Mais finalement, ce ne sont pas des détails qui soient vraiment capables de le faire complexer. Il se sait beau, et il en abuse atrocement.
Pour ne pas gâcher les traits fins dont la Nature l'a gentiment doté, il a fait attention au reste de son corps. Qui est aussi pâle que son visage, mais bon, ça, il n'y peut rien. Le véritable inconvénient, c'est qu'il suffit de le fouetter avec une plume pour qu'il nous fasse un bleu. Bonjour l'emmerdeur. Appuyez votre index sur son ventre, et il serait capable de nous faire une hémorragie interne. Bref, sa peau marque très facilement, mais heureusement, prof de piano n'est pas le genre de boulot où vous vous recevez quotidiennement des gnons.
Quoi qu'il en soit, pour que le corps aille un tant soit peu avec le visage, il a pris soin de garder un poids idéal. Il a l'habitude, depuis son arrivée à Milan, de faire du jogging tous les matins, ce qui lui fait un bien fou, mine de rien, et qui entretient sa forme (alors qu'avant, le sport et lui, ce n'était pas vraiment l'amour fou). Son rituel du jogging matinal s'interrompt toutefois le dimanche, car il remplace la course par la natation. Rien de très sportif, il y va juste en tant qu'homme qui a envie de se détendre, et faire quelques longueurs. Au début, il arrivait à peine à en faire trois sans manquer de s'étouffer, maintenant, il enchaîne la vingtaine facilement.
Quant à son style vestimentaire, il est de notoriété publique que les hommes ne sont pas des fous de la mode. Eh bien, celui qui a dit ça n'a jamais rencontré Isaia (et c'est heureux pour lui). Un type aussi imbu de lui, aussi obsédé par son apparence, ne pouvait qu'être un maniaque des fringues. Il en a une quantité proprement phénoménale dans ses armoires ; chemises, pulls, jeans, pantalons, costards, tenues de concert, et chaussures, bien évidemment… Chaussures à bouts pointus, à bouts ronds, vernies, mates, à lacets, sans lacets, chaussures de villes, chaussures d'intérieur, tennis casu, chaussons… Et aussi une collection de chaussettes non négligeable, car notre ami Isaia est un fétichiste des chaussettes. Dès qu'il en trouve qui ont un motif qu'il n'a jamais vu, il l'achète, c'est compulsif. Au moins, il doit être un des seuls hommes sur cette Terre qui n'ait pas le gros doigt de pied qui dépasse d'un trou : ses chaussettes, à lui, sont toujours impeccables.
Son style préféré, celui qu'il adopte généralement quand il va travailler, c'est le style casu, décontracté sans faire clochard : un jean délavé, mais pas troué, une chemise retroussée aux manches, mais pas froissée, un pull jeté sur ses épaules, aux manches nouées autour de son cou, dans le style BCBG, et des chaussures selon l'envie du moment. Lorsqu'il doit sortir avec des amis, il aime le côté rebelle de la veste de costard associé avec un jean délavé (un peu troué cette fois), et des Converses, pour bien montrer que même s'il est entré dans la vie active, il est encore dans le coup. Parfois un sweat-shirt à capuche sous la veste, pour le petit côté provocant.
Et lorsqu'il a une réception, c'est pantalon noir, veste noire, chemise blanche, et cravate noire – pas de nœud papillon. On ne la lui fait pas, à lui. Et des chaussettes noires, qui ne sont pas dépareillées.
Mais enfin, si vous voulez le voir dans la splendeur du naturel, essayez de le cueillir vers vingt heures, quand il rentre du boulot, fourbu d'avoir donné cours à une dizaine de gamins incapables de comprendre que la main droite, c'est la portée du dessus, et que la main gauche, c'est la portée d'en dessous, et qu'il se prépare pour une soirée détente. Il passe un tee-shirt noir avec marqué "Orchestre National de Turin" en blanc dessus, accompagné de quelques croches, souvenir d'un stage de musique qu'il a fait lors du lycée, et un pantacourt noir en coton qui attrape les poils de chat comme c'est pas permis, mais qui est ruuudement confortable quand il s'agit de se poser dans son canapé pour regarder la télé. Il passe la main dans ses cheveux blonds, qui n'ont plus besoin d'être rutilants, puisqu'il n'y a plus personne, et qui sont juste d'un blond normal, et c'est peut-être à ce moment de la journée qu'il est le plus humain, et le plus beau : quand il arrête de faire son show perpétuel.
la vostra vita
HISTOIRE;
"Pile, je vous raconte l'histoire. Face, je ne la raconte pas.
Pile."
Les thanatonautes, Bernard Werber.
Isaia Fazzio, le jour de sa naissance, un jour gris et neigeux de février, ne s'appelait pas Isaia Fazzio. Non – à l'époque, il s'appelait Isaia Adelmonte, sans savoir que le patronyme qui était le sien ne lui resterait pas bien longtemps. Bien sûr, il s'en moquait, lui, de toutes ces considérations purement adultes : tout ce qu'il voulait, c'était rentrer à nouveau au chaud, dans le ventre de sa mère, et il hurlait de toute la force de ses petits poumons pour ça. On en conclut qu'Isaia avait de grandes chances de faire une carrière dans l'opéra quand il serait grand.
Ce monsieur Adelmonte qui avait l'honneur d'être son père, Isaia ne le connut même pas. L'homme eut la malchance de mourir d'un accident impliquant une scie circulaire, une voiture téléguidée et un escalier un an à peine après la naissance de son rejeton, et madame Adelmonte (de son nom de jeune fille Paola Assetura), après plus d'une année dédiée à son fiston, décida que de s'occuper toute seule d'un petit garçon (fut-il, comme Isaia, du genre calme et docile) était devenu une charge trop lourde pour elle, et se chercha donc un nouvel homme – qu'elle finit par trouver en la personne d'Antonio Fazzio : le coup de foudre au premier regard.
Isaia avait deux ans et demi lors du remariage de sa mère. À l'époque, ses cheveux blonds poussaient en boucles, et ses yeux bleu-gris rendaient malades d'admiration les adultes qui croisaient son regard. Il passa la cérémonie de mariage à gazouiller gentiment dans son coin pendant que sa mère et son futur père adoptif s'échangeaient leurs vœux et leurs alliances, sans se rendre compte qu'une demi-portion aux cheveux blonds était en train de méchamment leur piquer la vedette.
De tout ceci, toutefois, Isaia ne se rappelle de rien. Car il est important de mentionner qu'encore à l'heure actuelle, ses parents n'ayant pas jugé utile de lui révéler la vérité, il est persuadé qu'Antonio est son vrai père, et que Tullio, le fils qu'Antonio avait de son côté avant le mariage, est son vrai frère. Lorsque commence la grande rétrospective, Tullio, du plus loin qu'il puisse se rappeler, est toujours à ses côtés. Pour le meilleur, et surtout pour le pire.
Avant le remariage de sa mère, Isaia était un garçon plutôt calme, qui jouait tranquillement dans son parc avec ses cubes et ses doudous, et qui demandait sans cesse à ce qu'on lui fasse la lecture, à tel point que lorsqu'il eut un an et demi, il connaissait par cœur tous ses livres d'enfants, et à deux ans, il savait lire tout ce qu'on lui mettait sous le nez. Peut-être l'arrivée de Tullio excita-t-elle au fond de lui une sorte de jalousie primitive : du jour où il hérita brusquement de son grand frère, Isaia ne fut plus jamais l'enfant sage qu'il avait d'abord été : le petit ange se transforma en démon.
Isaia était un enfant précoce ; il se rendit rapidement compte qu'il était dans ses cordes d'accuser Tullio de toutes les bêtises qu'il faisait lui-même. Peut-être voulait-il redevenir le seul enfant de la famille, choyé et admiré ? Si cette pensée fut effectivement à l'origine de son comportement envers Tullio, elle disparut pendant sa croissance avec ses souvenirs d'avoir été un jour enfant unique, pour faire place à la conviction d'avoir toujours eu un grand frère, et de le prendre pour bouc émissaire parce que c'était le rôle naturel d'un grand frère. Isaia avait beau faire les quatre cents coup, pendant ses sept premières années, il n'écopa de presque aucune punition, contrairement à Tullio, qui prenait tout à sa place. Son tempérament égocentrique et machiavélique n'eut aucun mal à fleurir, dans cet environnement où on lui passait tout, même quand il devenait évident que Tullio ne pouvait pas être à l'origine de toutes les bêtises.
Le point culminant fut atteint le jour où, par jeu, ou par instinct grégaire vicieux, Isaia poussa Tullio dans les escaliers. Comme, à cette époque-là, il n'était pas encore totalement insensible, sa première réaction fut de paniquer à l'idée que Tullio puisse être blessé. Il se précipita vers son frère, et s'assura, les yeux pleins de larmes, qu'il n'avait mal nulle part – ce qui n'était pas tout à fait le cas, car Tullio s'était blessé à la mâchoire en tombant. Mais lorsque les parents, après avoir emmené Tullio à l'hôpital, demandèrent des explications, Isaia ne put pas leur avouer qu'il était à 100% coupable. Il avait trop peur de la réprimande. Il fit donc croire qu'il avait trébuché dans le couloir d'en haut et qu'il avait bousculé Tullio, qui par malheur, avait dévalé les marches. Peu crédible… mais assez aux yeux de parents qui auraient donné à leur fils le bon dieu sans confession. Et il n'écopa d'aucune punition, ce qui le stupéfia…
Dès lors, il ne se gêna plus pour être une parfaite petite peste.
"Que Que, Natura, un jour tu verras
Ton cœur chantera, et tu comprendras."
Pocahontas
Isaia fixait d'un œil ahuri la grosse bête qui venait de prendre place dans le salon. Des pianos, jusque là, il en avait surtout vu dans les livres. Mais celui qui se tenait devant lui, là, tout noir et tout brillant, il était bien réel. Il en était si fasciné qu'il en oubliait de faire ses bêtises habituelles.
Mais le piano n'était pas pour lui. Il était pour son frère Tullio – le si gentil Tullio, la bonne poire, le bouc émissaire parfait. Isaia avait toujours adoré Tullio, même s'il trouvait toujours le moyen de lui faire les pires crasses. Ce jour-là, pour la première fois de sa vie, il en fut jaloux. Pourquoi c'était Tullio qui avait le piano et pas lui ? Il était bien plus mignon que Tullio ! Il le méritait bien plus ! Et puis, d'abord, c'était toujours à lui qu'on faisait des cadeaux d'habitude. Pourquoi pas cette fois ? Pourquoi Tullio ?
Isaia prit rapidement l'habitude d'écouter religieusement Tullio quand celui-ci répétait ses morceaux. Au début, il n'osa pas y toucher – le piano était quelque chose de sacré à ses yeux – puis il finit par obtenir de Tullio la permission de pianoter : de toute évidence, son grand frère était persuadé qu'Isaia aurait autant de talent pour le piano qu'un orang-outan pour faire des maquettes de bateaux à l'intérieur de bouteilles en verre, et qu'il ne risquait pas grand-chose à le laisser essayer.
Ainsi, lorsque la place se libérait, Isaia se glissait dessus et pianotait doucement, tentant de reproduire à l'oreille les mélodies que Tullio jouait, incapable qu'il était de lire la moindre partition. Ses parents furent d'abord très surpris, puis enchantés qu'il s'intéresse à la musique. N'étant eux-mêmes que peu mélomanes, ils ne se rendirent pas compte tout de suite de l'or qu'Isaia avait dans les doigts. Toutefois, quand il eut sept ans, sa mère commença à se dire qu'il était peut-être temps de l'inscrire au cours de l'école de musique locale : il connaissait par cœur le manuel entier "Les premiers pas au piano" de Tullio, et il commençait même à inventer ses propres morceaux..
Il ne se rendit pas compte à quel point son talent pour le piano provoquait du dépit chez son frère, à qui il volait tout : tout ce qu'il souhaitait, lui, c'était jouer, encore et encore. Dès qu'il avait une heure de libre, il la passait au piano. Le timbre de l'instrument faisait courir dans ses veines des frissons de feu, et lui serrait le cœur d'émotion. Il avait trouvé son premier véritable amour (et le dernier, probablement).
Le professeur de piano fut fasciné par Isaia : son don naturel, allié à son enthousiasme quand il s'agissait de travailler son piano, lui fit faire des progrès extrêmement rapides. Isaia ne tarda pas à entrer au conservatoire de sa ville (appelé pompeusement conservatoire, mais qui n'était en fait qu'une école de musique à grande échelle), et parallèlement, il entra dans un collège qui proposait des horaires aménagés pour les musiciens : le matin, les cours, et l'après-midi, le conservatoire. Cet arrangement convenait magnifiquement à Isaia, qui ne recevait que des félicitations et des éloges. Tous les professeurs l'adoraient.
En ce qui concernait les élèves, par contre, le contact passait parfois un peu moins facilement. Il fallait dire qu'Isaia n'était pas du genre à se sous-estimer, et un jour, un de ses camarades de classe, peut-être jaloux, lui lança haineusement :
- De toute façon, tu n'es qu'un vantard !
La phrase surprit Isaia – et même plus, elle le choqua. Il se savait supérieur, mais il n'avait songé que son attitude pouvait être considérée comme de la vantardise. Il se rendit compte brutalement que même lorsqu'on était un être supérieur, comme lui, il valait mieux se mettre à la hauteur des autres si on voulait les avoir dans la poche. La leçon fut bien retenue : il cessa net toute forme de vantardise. Bien sûr, intérieurement, il était toujours sincèrement convaincu qu'il était l'être humain le plus exceptionnel que la Terre ait jamais porté – extérieurement, toutefois, il faisait semblant de n'être qu'un garçon normal, puisqu'apparemment, c'était le seul moyen de se faire apprécier. Il se montra charmant, drôle, gentil : le succès fut immédiat.
"Petit t'es doué, très doué. Mais tant que je serai dans le métier tu ne seras jamais que le second."
The Mask
Après le collège, Isaia décida de continuer sa scolarité dans un lycée qui proposait des horaires aménagés, comme son collège : mais sa petite ville n'était pas pourvue de ce genre d'établissement. Il résolut donc de faire son entrée dans la cour des grands, et passa l'examen pour entrer au conservatoire de Naples, qu'il réussit haut la main, et entra en classe de seconde dans le lycée voisin, qui était en partenariat avec le conservatoire – et où son frère Tullio faisait également ses études (c'était d'ailleurs comme ça qu'il avait su que le lycée proposait ce cursus spécial).
De trente élèves dans sa classe de collège, il passa brutalement à quinze élèves dans sa classe de lycée. Les sections les plus populaires étaient littérature, maths ou sciences économiques et sociales, mais personne n'aurait jamais eu l'idée de vouloir intégrer une classe musique. C'était tant mieux : il y avait moins de compétition comme ça. Le conservatoire, ce n'était plus l'ambiance bon-enfant de l'ENM, non : le conservatoire, c'était la rigueur, la discipline, les examens en fin d'année et les examens en milieu d'année, l'obligation expresse de faire, en plus du piano, de la musique de chambre, de l'écoute musicale, du solfège, du déchiffrage, de l'écriture, et toutes ces matières théoriques qui auraient pu rebuter n'importe qui, à part Isaia, qui était comme un poisson dans l'eau.
Toutefois, le problème vint de sa classe, et d'un de ses membres en particulier : jusque là, personne n'avait jamais osé lui voler la vedette. Comment est-ce que ça aurait été possible, de toute façon ? Personne n'était assez bon pour se mesurer à lui. Jusque là, du moins. Car Valentino Viglione était le genre de garçon qui avait tout pour lui ; il était aussi beau qu'Isaia (voire peut-être plus, mais il était brun, ce qui lui conférait un style très différent), aussi doué, et surtout, lui, sa gentillesse n'avait pas l'air d'être feinte, ce qui lui conférait une authenticité dont Isaia était totalement dépourvu. Et ça se sentait : les gens tournaient plus volontiers autour de Valentino qu'autour d'Isaia. Le blond fut terriblement vexé de ce crime de lèse-majesté, et il décida de passer à l'action : il ne pouvait pas y avoir deux soleils dans une seule classe.
Toutefois, le problème fut résolu de manière tout à fait improbable. Ayant été invité à une fête chez une camarade de classe, Isaia eut la mauvaise surprise de voir que Valentino était là aussi. Après quelques verres, il jugea qu'un coup de poing bien senti lui ferait certainement comprendre qui était le maître, par ici ; mais le coup de poing n'eut jamais lieu. À la place, et sans qu'il comprenne trop comment ils en étaient arrivés là, ils passèrent la soirée à discuter de choses et d'autres, à se découvrir des milliards de points communs, et Isaia tint même à bout de bras la bassine dans laquelle Valentino, à deux doigts du coma éthylique, régurgita tripes et boyaux. De ce jour, une amitié particulièrement solide se noua entre eux : il faut dire que tenir la bassine pendant que quelqu'un dégobille son repas du soir dedans, ça crée des liens.
"Tu connais le slogan, si Juvabien, c'est Juvamine ? Eh bien, pour eux, si Juvabien, c'est qu'on m'aura laissé torturer mon prochain."
Host Club, Bisco Hatori.
À quinze ans et demi, Isaia était bien parti pour obtenir le titre de plus jeune Connard en Chef que le monde ait jamais connu. Il ne savait pas trop d'où ça lui venait : mais ce qu'il savait, c'était que s'il était en son pouvoir de tourner quelqu'un en ridicule et qu'on lui en offrait l'occasion, ça serait bête de se priver. La jeunesse est toujours cruelle.
Il fréquentait à cette époque les bancs du même lycée que Tullio, ce qui ne le réjouissait ni ne le désespérait particulièrement. Tullio était un anonyme dans cette foule, il avait ses propres amis, sa propre vie, et leurs cercles de relation n'avaient même pas un seul membre en commun. Personne ne savait que Tullio était de sa famille, et Tullio, de son côté, n'avait sans doute pas dit à beaucoup de gens que le blondinet le plus populaire du moment au bahut était en fait son petit frère. Ça n'avait pas d'importance : au lycée, Tullio n'existait pas pour Isaia.
Mais il y eut cette fille. De quelle façon Isaia apprit-il que Tullio était amoureux d'elle, il ne s'en souvenait plus. Mais ça importait peu : il tenait là une fabuleuse occasion de ridiculiser Tullio. Et ridiculiser Tullio était ce qu'il y avait de plus amusant au monde : son manque de réaction en faisait un véritable challenge. Le but de ce jeu douteux était d'arriver, un jour, à le mettre en colère.
Sauf qu'Isaia, lorsqu'il décida de briser en morceaux la vie sentimentale de son frère, ne se rendit pas compte à quel point les enjeux le dépassaient. En vérité, il ne s'est même jamais vraiment rendu compte des conséquences que son acte stupide a entraînées. Tout ce qu'il a su, c'était que sa petite blague avait poussé Tullio à un changement de personnalité plutôt ahurissant.
Mais ne brûlons pas les étapes, et relatons toute l'affaire depuis le début. Lorsqu'Isaia apprit que Tullio était amoureux de cette fille – plutôt banale, aux yeux du blond, mais chacun ses goûts – il agit presque spontanément. Isaia était passé maître dans l'art de blesser Tullio ; il n'eut pas besoin de réfléchir longtemps à son plan.
Pendant une récréation, alors que Tullio était dans un coin de la cour, et bavardait avec la fille en question, ainsi qu'avec d'autres amis à lui, Isaia s'approcha et salua son grand frère. C'était la première fois depuis son entrée au lycée qu'il lui adressait la parole à l'intérieur de l'établissement, et aussi bien Tullio que les autres personnes présentes, qui ignoraient leur lien de parenté, en tombèrent des nues. Le plan de base du blond était de compter plus ou moins sur l'admiration qu'il forçait chez les gens pour se faire apprécier, et ainsi séduire la fille en question, et les autres aussi, si c'était possible – et il ne fut pas déçu : tout le monde insista pour parler avec lui – comment, Tullio, c'est ton petit frère et tu nous l'as jamais dit ?
Et là, alors qu'il était le centre de l'attention, alors que Tullio désespérait silencieusement dans son coin, il eut cette idée absurde, qui, lorsqu'il se repenche dessus à l'heure actuelle, lui apparaît comme vraiment ignoble, mais qui, sur le coup, semblait juste fabuleusement drôle. Il lui suffit de deux ou trois allusions bien placées et de quelques gestes, quelques regards, pour que toute la troupe d'amis de Tullio, y compris la fille qu'il aimait, soit totalement convaincue que le jeune homme était gay, irréfutablement gay, et qu'il en pinçait en plus pour son blondinet de petit frère – au point qu'il ait décidé de vous cacher, à vous ses plus proches amis, notre lien de parenté !!
Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Isaia comptait sur une réaction plus violente que d'habitude : il fut servi. Mais il pensait que l'accès de colère se résorberait et que Tullio redeviendrait doux et calme comme il avait l'habitude de l'être. C'était une erreur. Il devait certainement avoir brisé quelque chose à l'intérieur de Tullio (probablement la petite fibre familiale qui, jusque là, le poussait à aimer Isaia malgré tout), car à partir de ce jour, son grand frère se montra irritable, nerveux, et parfois, il n'hésitait pas à lui assener bien franchement ce qu'il pensait de ses combines minables. Le reste du temps, il l'évitait.
Si Isaia avait pu revenir dans le temps, aurait-il évité de sortir cette phrase idiote ? Probablement. Il n'avait pas prévu que ça ferait tant de dégâts. À ses yeux, c'était juste pour s'amuser…
Toujours est-il que Tullio ne tarda pas à s'éloigner pour de bon une fois son bac obtenu : il quitta l'appartement qu'il partageait avec son frère pour en prendre un autre, et coupa presque tous contacts avec Isaia, pour qui le seul moyen d'avoir des nouvelles était de passer par leurs parents. Il tenta bien de se rabibocher avec lui, mais Tullio ne voulait plus en entendre parler.
Lorsqu'Isaia eut son bac, à 17 ans, il décida de passer le concours d'entrée pour le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, la pointure dans le domaine musical ; après des mois et des mois de travail acharné, il passa le concours, et fut accepté au CNSM, où il passa les quatre années suivantes à travailler assidûment, logeant dans un appartement parisien, et revenant à Naples quand il en avait l'occasion.
L'appel de l'Italie se faisait sentir, toutefois. Après l'obtention de son diplôme du CNSM, du haut de ses 21 ans, il revint à Naples, chez ses parents, où il apprit les derniers potins, à savoir que Tullio était parti habiter à Milan, où il était sommelier. Isaia songea que c'était une occasion parfaite d'essayer de se réconcilier avec lui : d'autant que le conservatoire de Milan proposait un poste de professeur de piano, pour lequel il postula, et qu'il obtient assez facilement.
Une nouvelle ville et un nouveau boulot : c'était l'occasion rêvée pour tout remettre à zéro avec Tullio.
Il futuro
RUMEURS, RUMEURS; N'a jamais entendu parler de quoi que ce soit qui sorte de l'ordinaire..
NON ? OUI ? ; Non : pourquoi faire ? Il a déjà tout ce qu'il souhaite.
voi
Prénom ou pseudo habituel; Sanashiya, ou Sana si vous avez la flemme ou si vous m'aimez bien.
Avatar; Yuki Inoue, The Sleepy Residents of Birdcage Manor, de Rihito Takarai.
Avez-vous lu le règlement ? Voui o/ Validé par The killeuse de pnj :p
Comment avez-vous connu le forum ? par Nid, alias Elio, alias... etc. :3
Un mot à dire ? Enchantée d'être parmi vous, j'espère me montrer à la hauteur =o='''