« It’s all in your mind »
La rage. Le désir dévorant de vengeance.
Les jointures de la main d’Elissandre blanchirent alors qu’elle broyait le morceau de papier qu’elle tenait, dont la nature était à présent indéfinissable. Si l’on était arrivé cinq minutes plus tôt, on aurait pu identifier un portrait. Longs cheveux blonds, air torturé. Un homme. Ou ce qu’il en restait. Maddox. Evadé d’où il ne savait plus où, âme perdue au milieu d’un monde qui ne le comprenait pas. Malheureusement pour lui, Elissandre faisait partie de ce monde. Elle le chérissait même, tant les incompris tels que lui, lui faisaient horreur. Abominations vivantes sur une terre où ils n’avaient pas leur place, et où jamais ils ne la trouveraient. Car certaines personnes faisaient tout leur possible pour qu’ils ne la trouve pas. En cela, la jeune femme accomplissait sa tâche à merveille. Le déserteur était très mal tombé. Le destin avait voulu que la mission de récupération soit attribuée à la personne qui le détestait le plus sur cette maudite planète. Quoique la lune le soit encore plus. Pourtant, elle n’aurait pas besoin d’en ratisser toute la surface. Milan suffirait.
Elissandre, le regard dur, s’attarda sur chacun des membres de la petite troupe dont elle avait obtenu la tête, s’assurant que chacun avait bien compris l’objectif de la mission. Trouver l’individu. A tout prix.
De récentes informations leur étaient parvenues, décrivant un adolescent efféminé errant dans les quartiers les moins fréquentables de la célèbre ville italienne. Rachitique, pas adolescent. Et les cheveux devaient lui donner un air étrange, Elissandre se l’imaginait très bien. Mais les informateurs savaient être très mauvais en descriptions. Mais cela n’avait aucune importance. Celui-ci était formel, il s’agissait du dernier déserteur en date du GDP. L’agence n’allait laisser passer un tel affront. Et Elissandre avait d’autres affronts à ne pas laisser passer. Mais ça, le GDP ne le savait pas, et n’avait pas besoin de le savoir.
La photographie rendit l’âme dans une pluie de confettis au pied de la scientifique. D’un mouvement fluide qui fleurait la mauvaise habitude, elle remonta ses lunettes sur son nez du bout d’un doigt manucuré. Sa détermination aurait pu avoir l’air inquiétante, pour qui n’était pas habitué. Mais chaque personne présente dans la pièce connaissait l’antipathique professionnalisme de Mademoiselle H. Leur air blasé lui était insupportable. Comme s’ils pouvaient se permettre de penser qu’ils savaient tout d’elle. S’ils avaient eu la moindre once d’une esquisse d’un croquis d’un semblant de sens de l’observation, ils auraient compris que ce jour n’était pas comme les autres. Que cette mission n’était pas comme les autres. Mais leur simplicité d’esprit et leur habitude à obéir bêtement aux ordres arrangeaient la jeune femme - pour une fois. Et une fois n’est pas coutume. Elle en ferait de fins limiers une autre fois. Quand elle serait motivée. Si elle l’était jamais. Cela risquait d’être pire que de vouloir faire faire de la trottinette à un perroquet. Et puis le GDP avait besoin de gros bras sans cervelles. Et Elissandre avait tapé dans le haut du panier. Le genre armoire à glace qui ricane stupidement lorsque qu’une jolie demoiselle (ou pouf pour dire les choses telles qu’elles sont) remuait du popotin sous leur gros nez. Fort heureusement pour ceux là, ils étaient suffisamment malins - si l’ont peut dire les choses ainsi - pour ne pas en faire de même avec leur patronne par intérim. Dans une telle situation, il valait mieux être un perroquet auquel on tente d’apprendre à faire de la trottinette.
Mais la leçon de dressage n’était pas à l’ordre du jour. Une fois qu’Elissandre se fut assurée que chacun avait bien son rôle dans ce qui leur servait de tête, elle fit monter l’équipe à l’arrière d’une camionnette noire aux vitres fumées. Deux bancs se faisaient face, les mâles musclés s’assirent en rangs d’oignons, les uns en face des autres dans un silence quasi parfait, comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. Leur chef, pour sa part, prit place au côté du conducteur, préférant éviter de baigner dans le nuage âpre de la sueur masculine que le groupe dégageait dans les espaces clos. Le trajet fut rapide, ceci étant dû à l’étrange fait que le QG du GDP ne se trouvait pas si loin des quartiers glauques de Milan. Dès que le véhicule fut arrêté, le commando se déploya dans les rues adjacentes, bloquants ainsi toute échappatoire à leur cible. Elissandre descendit calmement, et alla se poser contre un poteau électrique d’un ait nonchalant.
Une fois le camion parti, la rue n’était plus chichement éclairée que par quelques lampadaires fatigués. Elissandre se tenait précisément en face d’une porte, à l’allure quelque peu décatie. Ce qui, pour être honnête, ne semblait pas faire exception aux règles en vigueur dans le quartier. L’agent du GDP paraissait seule, pour quiconque l’aurait vue en cet instant. Son équipe était disséminée alentour et ses membres avaient pour consigne de ne se montrer qu’en cas d’urgence. La porte en question vibra un court moment, puis se mit à grincer, en tournant lentement sur ses gonds.
Une mince silhouette en émergea. Une tignasse blonde surmontant l’ensemble de l'échafaudage, Elissandre sut qu’elle avait tapé dans le mile. Une sourire triomphant étira ses lèvres. Elle savait qu’il ne pourrait fuir. Il était à sa merci.
«
Salut Maddox. Franchement, question retraite au soleil, t’aurais pu te trouver un coin plus sympa.»
Le frêle individu leva les yeux vers elle. L’obscurité ne permit pas à la jeune femme de distinguer clairement ses traits, mais elle se plut à imaginer un air de profonde surprise et de désarroi se peindre sur le visage du dénommé Maddox.
Elissandre n’avait jamais réellement prêté attention à celui-ci lorsqu’il était encore au GDP. Et sa désertion coïncidait étrangement avec le début des bruits de couloirs courant sur lui et Vito. Peut-être aurait-il mieux mieux valut qu’Elissandre n’en sache jamais rien. Pour tous les trois. Mais voilà, il ne pouvait en être autrement. Le mal était fait, et on ne pouvait plus revenir en arrière. Elle se demanda un cours instant quelle serait la réaction de Vito la prochaine fois qu’elle le croiserait. Un autre homme effleura alors ses pensées, lui faisant connaître un cours instant d’inquiétude. Mais elle balayait tout semblant d’émotion réservée aux faibles. Elle verrait bien au moment venu. A l’heure actuelle, elle préférait savourer ce qui allait suivre, tant elle avait attendu de pouvoir faire face à celui qui se tenait devant elle, la dévisageant, une expression indéchiffrable sur le visage.