Sujet: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Sam 30 Avr - 18:33
Metamorphosis : Stellanatural
Ce soir-là, la nuit était déjà tombée depuis au moins quatre heures sur la petite banlieue de Milan. Les maisons cossues s’alignaient les unes à côtés des autres, leurs fenêtres éclairées de l’intérieur illuminant les jardins soigneusement entretenus et la rue. Le hasard avait réuni à cet endroit suffisamment de maisons et de clients pour que quelques commerciaux s’y soient installés. On y voyait ainsi quelques enseignes prometteuses ; l’artisan-boulanger qui plaçait son pain de carton dans un antique four en briques, la médicale croix vert-menthe d’une pharmacie, le cochon dodu suspendu au-dessus du nom façonné en fil d’acier de la boucherie. Nous étions au début des vacances d’octobre, et comme un prélude à la soirée d’Halloween qui arriverait prochainement, un vent froid s’engouffrait dans l’allée, tel le souffle lugubre de la Camarde encagoulée. Portées par les bourrasques qui entraînaient les feuilles mortes, les enseignes oscillaient au-dessus du trottoir avec lenteur, produisant pour celle de trop mauvaise qualité de la boucherie-charcuterie un grincement régulier. Toutes les boutiques voyaient leurs vitrines dissimulées au regard d’autrui par des stores en acier et ici, au rez-de-chaussée, aucune lumière ne filtrait pour éclairer le badaud tardif. Aucune ? Non. Une devanture résistait à la coutume. C’était presque imperceptible, tant les volets des stores étaient étroits, mais lorsque l’on s’approchait, on pouvait deviner un infime éclat. En effet, si la salle de vente de ce lieu de hautes-œuvres animalières était éteinte, ce n’était pas le cas de l’arrière-boutique, d’où se faisait entendre des bruits hachés et précipités pour le moins écœurant. Un homme était penché sur son établi, cachant par sa stature imposante ses activités pour quiconque venait derrière lui. Dans l’encadrement d’une seconde porte, par laquelle on apercevait un coquet couloir, se découpait une silhouette plus en rondeurs et en féminité. Néanmoins, les courbes dessinaient de mignonnes poignées d’amour que les lignes épurées d’une fière poitrine et de hanches fermes.
Roberta Abatucci s’était tenue jusqu’à présent dans le salon de l’étage, devant sa fidèle télé. Ecran plat tout neuf, datant de son anniversaire de mariage, qui déversait aux yeux ravis son quota de séries télés où Naomi tentait de déjouer les pièges de son malveillant professeur et violeur et où Debbie se tapait un type au restaurant pour oublier son ennui avec son rendez-vous du soir. Mais son passionnant rôle de téléspectatrice avait été gâché, puis stoppé par une question énervante dans le coin de sa tête. Où donc était passé Mario, son mari ? Ils avaient dinés ensemble vers vingt heures, des restes d’un gigot dominical farci, délicieusement à point. Son mari en avait dévoré littéralement plus de trois-quarts, en se resservant abondement des patates crémeuses qu’elle avait préparé. La salade s’était vue engloutie, le camembert aussi, et quand à la corbeille de fruits, Mario l‘avait dédaigné pour s’emparer dans le frigo d’un énorme pot de rillettes qui se réduisit bientôt comme peau de chagrin. Jamais Roberta ne lui avait connu un tel appétit. Ces derniers temps, son boucher de mari mangeait comme quatre, sinon dix. Bah ! Cela ne pouvait que lui donner de bonnes couleurs à ses joues rebondies comme des pommes ! Mais mystérieusement, après le dîner, son mari avait disparu. Il n’était ni au lit à lire sa revue gastronomique, ni sous la douche et encore moins à ses côtés, savourant les péripéties de Silver. D’abord intriguée, voir agacée, puis inquiète, Roberta avait fini par éteindre Titine à la fin de son troisième épisode pour s’aventurer au rez-de-chaussée. Dans l’escalier, elle avait entendu les bruits bizarres qui provenaient de l’arrière-boutique et s’y rendant, avait découvert avec stupéfaction Mario… attablé.
Attablé, autant que l’on pouvait appliquer ce terme à un homme debout devant un comptoir. Il était tout de même absorbé dans la découpe au hachoir d’un quartier de bœuf saignant dont le jus dégoulinait sur le carrelage. « Mario ? » demanda-t-elle en s’approchant à petits pas, resserrant frileusement autour de ses épaules son gilet. Son homme ne réagit pas, courbé au dessus de l’établi. Ses épaules tressautaient sous l’effort. « Mario, que fais-tu donc à une heure pareille ? Ca ne pouvait pas att… ». Roberta s’interrompit et poussa une exclamation horrifiée de stupeur. « Mario ! » cria-t-elle en lui agrippant le dos.
En s’approchant, elle avait en effet découvert que son mari n’était PAS en train de découper la viande fraîche… mais de la dévorer comme si sa vie en dépendait, avec les doigts, les mains et la bouche rougies par le sang de la chair crue. De petits morceaux gluants glissaient le long de son menton avant de s’écraser sur la surface du comptoir avec un bruit écrasé. Les dents déchirant la matière produisaient un bruit répugnant, un abject chuintement qui s’accompagnait des sons de la mastication intensive et de la déglutition.
Au contact de sa femme, Mario abandonna vaguement la côte déchiquetée par ses soins pour se tourner, l’air hagard, vers la bouille effarée de Roberta. Son regard fou s’accrocha aux yeux qui roulaient dans leurs orbites. Alors qu’elle bafouillait des mots sans suite, les iris avides se colorèrent d’une nouvelle expression et se teintèrent sous l’effet d’un soudain désir, d’une nouvelle volonté inébranlable. Mues par ce changement impérieux, les mains lâchèrent le quartier qui s’écrasa sur le sol. Les bras ensanglantés, parcourues de bouts de chair collés, se tendirent vers Roberta. Mario fit un pas, tel un zombi. Sa femme en recula de deux. « Mario, que se passe-… » voulut-elle bredouiller. Mais avant qu’elle puisse achever sa question, son mari se jeta sauvagement sur elle. Un long hurlement suraigu se mêla alors aux bruits de mastication qui résonnèrent de nouveau dans la petite boutique, dans la rue obscure qui frissonnait sous le vent automnal, dans la nuit de la banlieue milanaise…
- Le dernier cadavre est celui d’Alessia Mercante, une fille de dix-neuf ans. On l’a retrouvé dans son studio à moitié dévorée par ce qui semble être une bête sauvage. Auparavant, on avait déjà trouvé plusieurs corps ; celui d’une autre jeune fille, de vint-quatre ans celle-là, celui d’une femme de trente-et-un et le tibia rongé d’une de quarante dans la niche de son bouledogue. La première victime semble être une bouchère de cinquante-deux ans. Toutes ont connues un funeste sort alimentaire en étant grignotées par une bestiole inconnue. La police n’a relevé aucun crocodile ou lion sociopathe évadé d’un zoo milanais… résumait Milo Wincessero tout en conduisant sur la route de campagne sa superbe Chevrolet Impala dont la marque était attestée par le fameux logo apposé sur le devant de la voiture.
Le soleil encore chaud malgré l’automne avancé brillait dans un ciel bleu clair. La départementale empruntée n’était pas trop fréquentée et le coupé sportif pouvait ainsi s’en donner à cœur joie et avaler le bitume à qui mieux-mieux. Evidemment, le jeune homme de vingt-sept ans ne se parlait à lui-même. Il s’adressait en réalité à sa demi-sœur Cassidi, assise sur le siège passager à ses côtés. Le fait qu’ils ne partageaient que la moitié de leur sang était évident. Cassidi était aussi mate de peau que Milo était pâle, aussi typée méditerranéenne par exemple. Son visage en méplats, hérité de sa mère qui n’était pas celle de son frère, n’a rien à voir avec le visage de ce dernier. De taille moyenne pour une femme, elle n’en reste pas moins petite aux côtés de son aîné. Les rares choses qu’ils ont en commun, ce sont les yeux noirs et la chevelure brune. En fait, on n’aurait pas pu les prendre pour une fratrie ; trop différent, de leur corps à leur façon de se vêtir. Cassidi n’hésitait pas à dévoiler sa peau dorée aux regards d’autrui, adepte des tenues légères qu’elle était. Milo préférait les chemises, les vestes et les impers de teinte sombre. En fait, les inconnus pensaient plutôt d’un couple pas du tout accordé, une sorte de bizarrerie de l’amour. Cela leur aurait fait une belle jambe, eux qui se connaissaient depuis la tendre enfance.
Le père de Milo, âgé alors de six ans, était revenu un beau jour d’une de ses longues et fréquentes disparitions en tenant par la main une minuscule créature de quatre années. D’où la petite sortait, son père resta vague dessus, mais la confia aux bons soins de son fils en lui expliquant que la mère de la nouvelle venue venait de mourir et qu’il fallait être très gentil avec celle qui était sa demi-sœur. Comme Milo avait lui aussi perdu sa mère au même âge, il adopta rapidement la fillette, malgré son caractère difficile. Les grands yeux noirs et la moue perdue, le physique étrange très différent du sien l’avaient intrigué puis attendri.
- Donc à moins qu’il s’agisse d’un nouvel Hannibal Lecter particulièrement affamé, je pense que ça nous concerne, poursuivit Milo tout en doublant une voiture trop lambinarde à son goût. En plus, c’est dans le coin. Ca nous changera de nous balader du Nord au Sud à tout bout de champ.
Il réfléchit à ce qu’il savait d’autres sur cette affaire. Il était tombé dessus en feuilletant le journal ce matin, alors que Cassidi avait passé la nuit il ne savait où. Sitôt celle-ci rentrée, Milo l’avait poussée dans la voiture et entraînée sur les routes en direction de la banlieue où avaient eu lieu les morts. Il ajouta :
- Ils disaient aussi que le mari de la première victime a disparu le soir de sa mort. On n’a pas retrouvé de corps. Si la bestiole en a fait son plat principal, ca expliquerait pourquoi elle n’a pas fini ensuite le dessert. La femme n’a été dévorée qu’à moitié. Tu en penses quoi, Cassie? Ca peut être pas mal de choses… dont un fan trop zélé du Silence des Agneaux. J’en sais rien, j’ai pas lu les bouquins.
Il eut un petit haussement de sourcils moqueur, autant que puisse être quelque chose un haussement de sourcils. Milo n’avait jamais été un cancre, mais du fait de certaines spécialités de Cassidi, celle-ci était la plus au fait de ce genre de choses. Enfin, après, tout dépendait du sujet. Le bestiaire des saloperies monstrueuses étaient suffisamment vastes pour que chacun ait son sujet de prédilection, mais d’une façon générale, Milo considérait Cassie comme une encyclopédie sur pattes, une Cassipédia vocale très pratique.
Dernière édition par Milo Vasco le Dim 16 Oct - 21:01, édité 1 fois
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Dim 1 Mai - 17:32
« On the road again, again »
Cassidi Wincessero voyait la route sans la voir. Et s’il fallait lui reconnaître qu’elle ne s’entêtait pas à tirer la tronche, elle n’en conservait pas moins des traits fermés que toute autre personne que son frère aîné aurait reçus comme une invitation à ne pas engager la conversation. Mais non. Milo, au volant à ses côtés, parlait, parlait et parlait encore. Il déversait un flot de paroles là où Cass aurait accepté avec joie qu’il n’en fût rien, et qu’un silence – même gênant – emplisse l’habitacle. Elle aurait pu se concentrer sur l’été qui se fanait, sur les courbes de ce paysage de campagne qu’elle ne se lassait pas de voir. Ou, quitte à sembler moins poétique, sur la conduite de barbare de Milo. Milo et les efforts qu’il déployait pour dépasser les limites de vitesse autorisée. Milo et ses goûts musicaux tout ce qu’il y avait de plus arrêtés. Milo et ses phases de mutisme. Pas Milo et sa diarrhée verbale.
A dire vrai, Cassidi en voulait encore un peu à son frère. Une fois leur dernière affaire en date résolue – un cas de changelings globalement anxiogènes –, elle avait proposé qu’ils bénéficient d’une nuit de plus de la chambre réservée au motel. Histoire de faire un break. De fait, l’idée de quelques heures de répit était tentante, et Cass avait mis cette dernière à profit pour se détendre. Ce qui signifiait qu’elle avait passé la nuit au bar, en compagnie d’amis qu’elle avait glanés du peu de temps perdu sur les bancs de la fac. Elle avait été heureuse de les revoir ; le moment passé avec eux, d’autant plus agréable qu’il s’était épanoui dans une trop rare normalité. Là où le bât blessait, c’était qu’une fois de retour au motel, au matin, elle n’avait pas fini de se brosser les dents que Milo la traînait déjà vers l’Impala. Sans lui laisser le temps de se reposer, donc, contrairement à ce qu’elle avait espéré. Elle n’avait pas jugé pertinent d’en faire la remarque à son frère, lequel frétillait en chargeant la voiture, journal en main, comme quoi il leur avait déniché un job. Elle s’était retrouvée embarquée avant même d’avoir eu le temps de regretter de ne pas avoir dormi quelques heures. Lorsque le moteur avait démarré, Cassidi avait décidé qu’elle ferait payer ce manque d’attention à Milo en l’ignorant durant le trajet.
Elle ne fut pas longue à comprendre, toutefois, que c’était peine perdue. Le sommeil avait beau lui manquer, et quelques heures seraient nécessaires avant qu’elle ne se soit faite au brouillard dans lequel elle évoluait, Cass n’en avait jamais longtemps voulu à son frère. Il pouvait être bourru, il savait être con, il était passé maître dans l’art du manque de tact, mais il n’était pas méchant. En un peu plus de vingt ans, elle avait appris à le connaître, à l’apprécier, et surtout à ne pas faire grand cas de ses manières d’ours. En outre, Milo devait faire partie du peu de personnes capables d’accueillir dans sa famille une demi-sœur dont il ignorait l’existence la veille encore. Mieux encore, Milo était sa famille. Demi-frère seulement ou non. Et il savait la dérider sans dépenser la moindre calorie pour aboutir à ce résultat. Cassidi cessa de contempler la route et prêta une oreille plus attentive à Milo, qui continuait :
« Le dernier cadavre est celui d’Alessia Mercante, une fille de dix-neuf ans. On l’a retrouvé dans son studio à moitié dévorée par ce qui semble être une bête sauvage. Auparavant, on avait déjà trouvé plusieurs corps ; celui d’une autre jeune fille, de vint-quatre ans celle-là, celui d’une femme de trente-et-un et le tibia rongé d’une de quarante dans la niche de son bouledogue. La première victime semble être une bouchère de cinquante-deux ans. Toutes ont connues un funeste sort alimentaire en étant grignotées par une bestiole inconnue. La police n’a relevé aucun crocodile ou lion sociopathe évadé d’un zoo milanais… »
Cassidi pinça les lèvres. Le temps faisait bien les choses. Passé un certain seuil, franchie une invisible ligne jaune, on apprenait à faire avec la matière dans laquelle notre quotidien se trouvait tissé. On finissait par considérer que c’étaient là des choses normales – les choses de la vie. Mais ce n’était pas parce que l’unique fenêtre de votre baraque donnait sur un dépotoir que vous en arriviez à apprécier la vue des ordures. Et le boulot de chasseur, c’était un peu ça. On ne tombait jamais sur des trucs plaisants, certes ; il y avait pourtant des peintures un peu plus difficiles à encadrer que d’autres. Cette histoire de femmes transformées en plateaux repas et centres de liposuccion en était une. Comme il était clair que c’était cette affaire qui intéressait Milo, Cass en était réduite à espérer que leur enquête ne les conduirait pas à une créature trop tordue. Les changelings revêtant l’apparence de gosses de huit ans lui avaient suffi pour la semaine. Et, inutile d’y revenir, elle était fatiguée.
La jeune femme profita de la pause que marqua son frère dans son monologue pour lui jeter un coup d’œil. Lui-même ne semblait pas plus perturbé que ça – elle esquissa un sourire. Ça la rassurait. On lisait bien une forme de dégoût sur les traits de son aîné ; pourtant, ils savaient l’un comme l’autre qu’ils avaient pris le coup. C’était sans doute là l’un des seuls points venus clamer qu’ils appartenaient à la même famille : l’habitude qu’ils avaient pris, cette facilité avec laquelle ils pouvaient discuter les faits divers. Sans quoi, il ne coulait pas de source qu’ils partageaient quelques gènes. Quand bien même auraient-ils eu en commun leur couleur de peau, Cassidi aurait douté de leur habilité à passer pour une fratrie. Et dans le fond, elle s’en foutait un peu. Tout ce qu’elle demandait, c’était qu’on ne les prenne pas trop souvent pour un couple – c’était un ressort comique dans les séries TV, pas dans la vraie vie. Milo doubla une voiture, et le mouvement de balancier de l’Impala ramena Cass à la réalité.
« Donc à moins qu’il s’agisse d’un nouvel Hannibal Lecter particulièrement affamé, je pense que ça nous concerne, poursuivit Milo. En plus, c’est dans le coin. Ca nous changera de nous balader du Nord au Sud à tout bout de champ. »
Cassidi ne put qu’acquiescer. Plus tôt ils arriveraient, plus vite ils pourraient se mettre à bosser, et plus cela la rapprocherait d’un bon lit.
« Ils disaient aussi que le mari de la première victime a disparu le soir de sa mort. On n’a pas retrouvé de corps. Si la bestiole en a fait son plat principal, ca expliquerait pourquoi elle n’a pas fini ensuite le dessert. La femme n’a été dévorée qu’à moitié. Tu en penses quoi, Cassie? Ca peut être pas mal de choses… dont un fan trop zélé du Silence des Agneaux. J’en sais rien, j’ai pas lu les bouquins. »
Occupée qu’elle l’était à scruter le visage de son aîné, Cassidi nota le haussement de sourcils imbécile qu’il lui adressa avant même de se pencher sur le contenu de ses paroles. Elle lui retourna une moue sarcastique et néanmoins amusée ; il n’était pas nouveau que Milo la taquine sur des questions de culture générale. Lui-même n’était, heureusement, pas aussi con qu’il en avait l’air, mais il lui manquait parfois un peu de matière à réflexion dès qu’on sortait des voitures et de la chasse. Et puis, dans un duo, tout le monde savait qu’il fallait des muscles et un cerveau. Je vous laisse deviner qui, de nos deux héros, incarne qui.
Oubliant toute velléité de bouderie, ne relevant pas l’emploi de son surnom, Cassidi tortilla une mèche de cheveux au bout de ses doigts, et réfléchit quelques instants. Il était facile de déceler un schéma récurrent dans les agissements de celui – ou ce – qui semblait nourrir une affection particulière pour la chair humaine et féminine. Ce n’était pas là la question, d’ailleurs. Il s’agissait de pêcher quelques idées quant à la possible nature du prédateur dans la soupe tiède qui semblait avoir remplacé son cerveau.
« Ce que j’en pense, c’est que si tu avais lu du Thomas Harris, tu saurais qu’il n’y a qu’un seul roman pour le Silence des Agneaux, et que le véritable ennemi, dans cette histoire, ce n’est pas Hannibal Lecter, mais Buffalo Bill. Mais je t’avoue que je n’ai pas d’idée précise en tête, là … Enfin, il n’y a pas tant de créatures bouffeuses d’humains que ça, mais de ce que j’en sais, ça pourrait être un peu n’importe laquelle d’entre elles. On devrait trouver quelques indices sur place. » Elle se mordilla la lèvre inférieure. « Un truc qu’on peut avancer sans se tromper, par contre, c’est que plus ça va, et plus la bestiole se tourne vers de la chair tendre – récente. Donc on peut penser qu’elle est suffisamment intelligente pour commander à la carte, et que ce n’est pas une créature sans cervelle. Il serait judicieux de l’arrêter avant qu’on n’en arrive à devoir monter la garde dans les maternités. »
Il n’y avait qu’un truc qui clochait dans tout ça. Pour se donner une contenance, Cassidi feuilleta le journal de bord de leur père, laissé sur le tableau de bord de l’Impala en compagnie d’autres carnets de notes. Elle ne le lisait pas vraiment ; elle n’était pas sûre de ce qu’elle souhaitait y chercher, ni même de si elle allait y dénicher une information, mais ce laps de temps laissait à sa cervelle la possibilité d’accrocher le détail qui la turlupinait. Lorsqu’elle mit le doigt sur ce dernier, Cassidi fit claquer le journal dans ses mains en le refermant.
« Juste une chose, ajouta-t-elle. La bestiole a l’air de préférer les femmes. Alors, il sort d’où, le type dont tu as parlé ? Tu as dit qu’il avait disparu. Si la créature ne s’est pas emmerdée à dissimuler les autres cadavres, pourquoi l’aurait-elle fait avec ce qui pourrait être sa première victime ? On ne peut pas exclure la possibilité qu’il s’agisse de notre petit monstre. T’en dis quoi ? Il peut très bien avoir contracté une saloperie qui lui aurait fait oublier qu’il est humain. »
Même si cette perspective n’était pas exactement ce que Cass avait prié de se dégotter dans cette nouvelle affaire. Même si elle aurait de loin préféré une banale histoire de … Ah, non, pardon – dans la famille Surnaturel, il n’y avait pas grand-chose de banal.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:59, édité 1 fois
Milo abandonna brièvement la route du regard pour poser ce dernier sur le visage de sa sœur, animée d’une moue éloquente mais qui daigna néanmoins faire un effort. Effort fortement relatif :
« Ce que j’en pense, c’est que si tu avais lu du Thomas Harris, tu saurais qu’il n’y a qu’un seul roman pour le Silence des Agneaux, et que le véritable ennemi, dans cette histoire, ce n’est pas Hannibal Lecter, mais Buffalo Bill. Mais je t’avoue que je n’ai pas d’idée précise en tête, là … Enfin, il n’y a pas tant de créatures bouffeuses d’humains que ça, mais de ce que j’en sais, ça pourrait être un peu n’importe laquelle d’entre elles. On devrait trouver quelques indices sur place. Un truc qu’on peut avancer sans se tromper, par contre, c’est que plus ça va, et plus la bestiole se tourne vers de la chair tendre – récente. Donc on peut penser qu’elle est suffisamment intelligente pour commander à la carte, et que ce n’est pas une créature sans cervelle. Il serait judicieux de l’arrêter avant qu’on n’en arrive à devoir monter la garde dans les maternités. »
Milo se renfrogna et pour faire bonne mesure, accéléra. Et gnagna, gnagna. Elle se payait gentiment de sa figure, mais Milo préféra retenir le verbe plutôt que l’adjectif.
- On n’a pas tous du temps à perdre en lisant des navets, aussi, répliqua-t-il d’un ton plus acide qu’une pluie dans la campagne chinoise. Et si c’était pour que tu me dises quelque chose d’aussi brillant que « On devrait trouver des indices sur place » ou « ça pourrait être un peu n’importe laquelle d’entre elles », tu aurais pu économiser ta salive pour humidifier ta gorgée asséchée par la gueule de bois.
Un bref abaissement des paupières, un soupir. De toute façon, il ne pouvait pas se froisser comme ça contre elle. Chez n’importe qui d’autre, Milo aurait fait payer au centuple son mécontentement en se transformant en huître sauvage et en incarnation du Mépris, avec un « M » majuscule s’il vous plait. Et puis, Cassidi avait fait l’effort de donner une réponse, pertinente qui plus est. Milo avait bien conscience qu’il ne lui avait en aucun cas demandé son avis avant de partir ce matin, mais il fallait bien gagner sa croûte, pensa-t-il en toute mauvaise foi –on ne gagnait rien du tout à ce petit jeu-.
- Ceci dit tu as raison pour les deux points suivants. Personnellement, je pensais à un potentiel loup-garou ou bien un fantôme, tout simplement. Ca leur arrive de faire des choses aussi bestiales pour éliminer leurs victimes, voir lancer sur une autre piste.
L’aîné des Wincessero sentait bien que sa première théorie était bancale ; ce n’était pas le mode opératoire habituel des lycanthropes qui, eux, possédaient la délicieuse coutume d’arracher le cœur de leurs victimes pour s’en repaître les babines. Mis à part ça, ils n’avaient pas d’affection particulière pour la chair humaine. Cependant, les articles des journalistes ne disaient certainement pas tout ; il était fort bien possible que d’autres éléments relevés par la police n’avaient pas été révélés. Disparition d’organes, substance étrange et autres détails macabres que pouvaient relever une autopsie étaient monnaie courante sur ce genre d’affaires. D’où l’intérêt de se rendre sur place, de discuter avec la personne chargée de l’enquête ou de subtiliser les dossiers du coroner. Et puis, il pouvait très bien s’agir d’un loup-garou original qui n’avait pas décidé de faire comme ses congénères pour une raison X. Plus d’appétit, peut-être ?
Quant à l’histoire du fantôme, elle tenait plus la route, mais restait néanmoins étrange. Les esprits vengeurs avaient milles façons de tuer. On aurait même pu dire que pour chaque esprit, on avait une technique. Tout dépendait de leur histoire lors de leurs vivants, de leurs velléités, de leurs traumatismes et souffrances. Si un type s’était fait bouffer il y a vingt ans par une panthère enragée, il avait fort pu décider d’expier sa souffrance en faisant subir la même chose à d’autres. Restait à comprendre le choix de ses victimes.
Un mouvement sur le côté tira Milo de ses théories. Cassidi, qui s’était plongée dans le feuilletage du journal de leur père, venait de relever son minois –qu’elle avait fort joli, d’ailleurs- et reprenait la parole :
« Juste une chose. La bestiole a l’air de préférer les femmes. Alors, il sort d’où, le type dont tu as parlé ? Tu as dit qu’il avait disparu. Si la créature ne s’est pas emmerdée à dissimuler les autres cadavres, pourquoi l’aurait-elle fait avec ce qui pourrait être sa première victime ? On ne peut pas exclure la possibilité qu’il s’agisse de notre petit monstre. T’en dis quoi ? Il peut très bien avoir contracté une saloperie qui lui aurait fait oublier qu’il est humain. »
- Je n’en sais rien. Peut-être a-t-il commencé par un homme et qu’il a trouvé ça ranci. Ou qu’il en a fait une indigestion et depuis, qu’il n’ose plus que manger qu’à moitié de jolies jeunes femmes à la chair tendre ? Mais oui, on ne peut pas exclure la possibilité, comme tu dis. Après… Pour les saloperies, je ne vois pas. Une possession, ou j’en reviens à mes deux suggestions.
Milo fouilla un instant dans sa mémoire. Quel sort, virus ou autre chose pouvait transformer un habitant en bête assoiffée de sang, un lourd problème psychologique mis à part ? Il avait beau retourner la question dans tous les sens et faire appel à ses souvenirs les plus lointains, Milo ne voyait pas plus que sa sœur.
- J’ai l’adresse du studio d’Alessia. Je te propose qu’on commence par-là, on verra bien si on trouve des indices. Sinon, il suffit de nous séparer ; tu iras voir avec tes charmes le commissariat et moi les autres lieus où sont mortes les victimes.
Le petit semblant de ville où avaient eut lieu les crimes n’était guère loin de leur position actuelle, quelques kilomètres tout au plus. Peu de temps après, après quelques minutes que nous ellipserons, l’Impala s’engagea dans l’allée bordée de maisons et de commerces. Repérant une place libre, Milo gara la voiture près du trottoir, exécutant par la même occasion un créneau arrière brillamment exécuté.
- C’est ce studio, là-haut, indiqua Milo d’un coup de menton en sortant du véhicule. La police a dû en finir maintenant.
Le studio en question était un meublé loué au-dessus d’une épicerie. Comme à leurs habitudes, le frère et la sœur avaient décidés d’un commun accord qu’ils utiliseraient leurs fausses cartes d’agents policiers afin d’accéder au lieu de ce qui convenait d’appeler pour l’instant un décès suspect. Rôdés à l’exercice, les deux savaient parfaitement se mettre dans la peau d’un inspecteur ou d’un lieutenant de police et montrer leurs plaques d’un air négligeant, protégés des regards scrutateurs par leurs manteaux sombres et les costumes utilisés pour l’occasion. Malheureusement, leurs revenus ne leurs permettaient pas de s’offrir autre chose qu’un ensemble bon marché. Eh oui ! Le métier de chasseur ne payait guère, à part en balles et autres coups et blessures.
En fait, c’était carrément un job ingrat ; non-reconnu, il ne rapportait ni argent, ni reconnaissance. Et pourtant, que de saloperies obscènes éliminaient-ils par an, sauvant par la même occasion les innocents citoyens italiens ? Les esprits vengeurs, les répugnantes goules et autres créatures issus de ce large univers qu’était l’imaginaire collectif pas si imaginaire. Bien entendu, qui de saint d’esprit aurait accepté sans penser à une grosse blague à l’existence de fantômes, de sorcières, de monstruosités et de, nommons-la ainsi, magie ? Comment expliquer autrement les phénomènes surnaturels que ces choses laissaient dans leur sillage comme un exquis relent de pourriture ? Milo avait beau être blasé par toutes ces créatures, il ne pouvait s’empêcher d’être répugné par certaines. Son père, lui-même chasseur, l’avait fait baigner depuis tout petit dans ce milieu. Il avait dû vite renoncer à la protection illusoire d’une couette moelleuse et tiède, à la présence bienfaitrice des poupées de chiffon qui accompagnaient normalement le sommeil des plus jeunes, à l’assurance du placard vide. N’était resté que le sentiment de père tout-puissant qui pouvait prévenir de tous les dangers. Et encore ! Son travail dangereux obligeait Giovanni Wincessero à laisser de longues périodes Milo seul, chez des amis, à la garderie ou bien n’importe où mais pas près de lui. Quand Cassidi était arrivée, Milo s’était vite senti investit de la même mission que son père ; protéger des gens, protéger Cassie. N’était-il pas son seul rempart contre l’horreur quand son père partait ? Et son père ne lui faisait-il pas justement confiance quant à ce point ? Alors, l’innocence enfantine, Milo l’avait vite perdu, oublié comme un souvenir de la toute petite enfance où l’on ne se rend compte de rien. Il en avait fait une boulette de papier jetée négligemment à la poubelle et même pas recyclée.
Vu l’humeur de Cassidi depuis ce matin –ou plutôt, vues les conséquences de sa courte nuit-, la jeune femme allait lui tirer la tronche toute la journée après leur discussion sur la route. Elle ferait sa mine renfrognée et son air mauvais, un truc qu’ils avaient tout deux du hériter du paternel. Ce n’était pas trop grave ; dans ce domaine, Milo était lui-même un champion et de ce fait, avait bien de l’expérience en la matière. Seulement, ce n’est pas parce qu’on est le premier de la catégorie qu’on supporte mieux voir les autres lorsqu’ils s’y essaient ; surtout en matière de bouderie. Si jamais Cassidi lui faisait sa tête de cochon toute la journée, Milo sentait qu’il serait irrémédiablement étreint par l’envie de lui ladite tête dans il ne savait trop quoi encore ; un gros gâteau à la crème, peut-être. Au pire des cas, si Cassie n’avait vraiment aucune envie de l’aider sur ce coup là, il se débrouillerait sans elle après l’avoir plantée dans la rue. Sa sœur était maintenant suffisamment grande pour utiliser elle-même une carte de crédit, si fausse soit cette dernière, et pour trouver seule le chemin d’un hôtel.
Pas une fois lui vint à l’esprit que Cassidi était une charmante représentante du genre féminin et que sa jeunesse pouvait faire d’elle un casse-croûte gourmet pour la bestiole qui rôdait dans le coin.
Néanmoins, Cassidi avait fait preuve d’une remarquable bonne volonté sur le trajet et Milo espéra que cet état d’esprit perdurerait, malgré ses réponses acerbes.
Restait le problème de pénétrer dans le studio. Le décès était trop récent pour que la police ait enlevé toutes ses affaires et de toute façon, on devait traverser l’épicerie pour découvrir l’escalier qui menait dans les étages. Il leur faudrait sûrement passer par derrière, en espérant qu’il y ait quelque chose, un escalier de secours ou une porte, par exemple, pouvant les mener jusqu’en haut. Certes, ils avaient leurs plaques ; mais la police avait en général ses façons d’entrer et si Milo et Cassidi traversaient l’épicerie alors que jusqu’à présent, le tenancier avait l’habitude que les enquêteurs passent par derrière, la fratrie allait perdre en crédibilité. Milo prit donc quelques minutes pour observer le bâtiment avant de faire quoique ce soit.
Cassidi fit mine de ne pas relever le ton bougon dont usa Milo pour préserver sa fierté suite à la pique qu’elle lui avait lancée. C’était un truc de mecs, paraissait-il, cette propension à se vexer pour un oui ou pour un non – souvent pour des non. Un sourire n’en joua pas moins avec ses lèvres ; sans sacraliser les instants où il lui arrivait de rembarrer son frère, elle trouvait touchante la mortification qui suivait. D’autant que, pour l’heure, il méritait bien une réplique un peu plus verte qu’une autre. Même s’il était évident qu’elle ne laisserait pas tourner le manège beaucoup plus longtemps. Pas avec Milo. Elle devait reconnaître, pourtant, qu’elle n’allait pas détromper son aîné quant à une hypothétique gueule de bois. Elle n’en souffrait que rarement et cette présente journée n’échappait pas à la règle. L’avantage résidait dans le fait que Milo, gentil de nature, la prendrait peut-être en pitié et accepterait de se charger des corvées qu’elle aurait d’ordinaire boudées. Alors, elle avait beau trouver vexant d’être prise pour une pocharde par un frère n’ayant besoin de nulle aide pour se mettre minable de son côté, elle n’en dirait rien. C’était un juste retour de bâton.
Et puis, d’une façon générale, ils s’engueulaient rarement. Voire jamais. Il y avait des éclats, il y avait des bouderies, mais rien de bien méchant. Ils avaient passé suffisamment de temps à se soutenir mutuellement pour deviner que l’autre ne tardait pas à regretter. Et, du peu de cas de disputes sérieuses qu’ils avaient rencontrés, pour savoir quand il devenait nécessaire de lâcher la grappe à l’autre. A leur décharge, la dernière guerre mondiale entre les jeunes gens remontait au temps où ils s’étaient battus afin d’obtenir le droit de nettoyer un certain colt pour leur père. Cassidi devait avoir neuf ans. Elle s’était vexée, avait hurlé un moment, avant de menacer Milo de lâcher sur lui un chien de l’Enfer. Evidemment, la bravade n’avait pas porté – pas tout à fait. Milo avait paradé dans son coin. Papa avait assuré à la petite, en contrepartie, que la prochaine fois serait pour elle. Avant d’aller se coucher, Cass avait renversé une grande partie de la réserve de sel du chef de famille dans les draps de son frère. Elle avait estimé avoir ainsi lavé l’affront, et l’histoire en était restée là dans sa tête quelque peu simplette. Ç’avait été là le paroxysme de la mésentente entre les petits.
Il fallait garder à l’esprit, concernant les frère et sœur Wincessero, qu’ils n’avaient pas été élevés dans les mêmes préoccupations que des gosses du même âge. Là où une fratrie ordinaire aurait jugé judicieux de se chamailler à propos du lave-vaisselle à ranger, ou des feuilles à balayer, Cassidi et Milo n’avaient jamais bénéficié de ce temps-là. Leur quotidien avait été tissé de déménagements, de motels parfois miteux, de brefs aperçus de ce qu’était la vie d’un écolier ; avec, en charnière de leur existence, un père qui brillait par ses absences. Si la DDASS avait eu vent de leur situation, il ne faisait nul doute que ces braves gosses auraient décroché leur bac ailleurs qu’entre deux traversées des Etats-Unis. Tout ça pour dire qu’il était évident que, dans ce cas de figure, les liens unissant les enfants fussent à l’épreuve des prises de bec usuelles. S’il avait fallu clore ce chapitre dans le gnangnan le plus total, j’aurais ajouté que Cass aimait son frère plus que quiconque.
La concernée s’étira sur le siège passager, réfléchissant à la remarque qu’avait faite Milo. Bien sûr, il était automatique de penser à un loup-garou. Elle n’aimait pas cette idée plus que cela, mais ç’aurait été une bonne base de travail. Il allait de soi que la partie la plus éprouvante serait restée la traque ; il ne fallait pourtant pas cracher sur le luxe de savoir sur quelle piste se lancer. Celle du lycanthrope semblait toutefois exclue. Il manquait quelques détails au tableau dépeint par les journaux. Milo lui-même, à son ton hésitant, s’en rendait bien compte. Quant au fantôme, Cassidi trouvait que l’idée se cassait la gueule à l’instant même où l’on la mettait sur le tapis. Ç’aurait été une première – un fantôme assez intelligent pour se montrer original et capable d’induire en erreur deux chasseurs … Non, ça manquait de crédibilité. Ils s’en tenaient généralement à des techniques de massacre plus ou moins inédites, et basta. Et puis Cass imaginait mal un fantôme trouver une quelconque utilité à ce qui restait de la viande.
A côté d’elle, Milo faisait écho à sa dernière réflexion : « Je n’en sais rien. Peut-être a-t-il commencé par un homme et qu’il a trouvé ça ranci. Ou qu’il en a fait une indigestion et depuis, qu’il n’ose plus que manger qu’à moitié de jolies jeunes femmes à la chair tendre ? Mais oui, on ne peut pas exclure la possibilité, comme tu dis. Après… Pour les saloperies, je ne vois pas. Une possession, ou j’en reviens à mes deux suggestions. »
Cassidi haussa les épaules, indécise. D’aussi loin que remontaient les souvenirs qu’elle avait du journal de Giovanni, elle ne trouvait pas de point de comparaison avec l’histoire que son frère et elle tentaient de démêler. Ou alors, elle était trop fatiguée pour y voir clair. Ou les deux. Elle restait persuadée de l’importance de la disparition du mari de la première victime dans l’affaire ; les intonations mielleuses de Milo venues ponctuer ses âneries à propos de nanas ayant meilleur goût que les mecs n’y changeaient rien. Elle choisit de réfléchir à voix haute.
« Je ne sais pas, Milo. Ça paraît un peu tiré par les cheveux, ton histoire de fantôme. Et je sais que ce n’est pas parce que l’on n’a jamais entendu parler d’une chose que cette dernière n’existe pas, mais je vois mal un loup-garou faire cavalier seul sur un changement de régime. Mais une possession, pourquoi pas ? Il ne faut pas toujours tout mettre sur le dos des démons, mais ils ont plus que leur part dans les trucs sur lesquels on a enquêté jusque-là … Rien n’indique qu’ils ne sont pas concernés. »
Il serait intéressant, s’ils en avaient la possibilité, qu’ils dénichent le rapport d’un médecin légiste à propos des corps retrouvés – surtout si les empreintes dentaires restantes les éclairaient sur la nature de la créature. Si c’était effectivement une possession, ça risquait d’être moche. L’exorcisme avait alors des chances d’impliquer de tuer le pauvre bougre ; ce dernier gagnait plus à mourir qu’à ne vivre que pour affronter les conséquences d’horreurs qui n’étaient pas de son fait. D’autant qu’il se souviendrait de ces dernières. Les dénouements de cas comme celui-ci trouvaient un écho plus douloureux encore que les autres car cela revenait, d’une certaine manière, à terminer sur une défaite.
Milo continuait : « J’ai l’adresse du studio d’Alessia. Je te propose qu’on commence par-là, on verra bien si on trouve des indices. Sinon, il suffit de nous séparer ; tu iras voir avec tes charmes le commissariat et moi les autres lieus où sont mortes les victimes. »
La jeune femme retourna un regard mauvais à son aîné, avant d’émettre un gloussement. Il avait beau, la plupart du temps, se comporter comme un ours à qui il aurait manqué quelques jours de cuisson à la naissance, il n’en était pas moins capable de se montrer drôle, à défaut d’être civilisé. Elle hocha la tête, sa mauvaise humeur oubliée, et laissa à Milo le soin de les mener à bon port. Elle occupa la fin du trajet à parcourir les notes de leur père ; les feuillets familiers filaient entre ses doigts tant il lui suffisait de déchiffrer un mot pour reconstituer de mémoire le restant de la page. Elle ne gagna rien de plus à l’entreprise qu’un voyage dans les souvenirs qu’elle avait de Giovanni Wincessero – pas grand-chose, au final. Il coulait de source qu’elle lui vouait une grande affection, doublée d’une admiration sans bornes ; pourtant, elle ne pouvait pas se voiler la face. L’image qu’elle avait de lui était celle d’un père absent. Il y avait des jours où elle s’interrogeait sur ce qu’aurait été sa vie si, en arrivant chez son géniteur, elle n’y avait pas trouvé Milo. Qu’aurait-elle fait de son existence ? L’aurait-elle passée à arpenter les routes, au volant de l’Impala, en ignorant tout des bienfaits de la compagnie ? Aurait-elle fini comme ces chasseurs qu’elle avait pu voir en compagnie de son père, avant de ne plus les voir du tout – tuée avant l’heure, parce qu’il n’y aurait eu personne pour couvrir ses arrières ?
Lorsque Milo coupa le moteur, Cass fut la première à abandonner la voiture. A la voir, on n’aurait pas cru qu’elle n’avait pas fermé l’œil depuis près de vingt-quatre heures. Ce fut sans faire d’histoires qu’elle se chargea d’ouvrir le coffre, et d’en sortir des affaires qu’elle fourra dans un grand sac. Dans le doute, elle avait opté pour un large panel d’armes ; celui-ci allait de l’eau bénite aux fusils à pompe chargés de sel, en passant par les pieux, les balles d’argent et deux lames du même métal. Nul n’avait jamais souffert d’un surplus de préparation.
Milo la rejoignit à l’arrière du véhicule, où elle achevait de boucler la besace.
« C’est ce studio, là-haut. La police a dû en finir maintenant. »
Cassidi jeta un coup d’œil à l’appart en question. C’était le sud de l’Italie ; la petite ville n’était pas plus florissante qu’une autre dans la même région. Quant au bâtiment lui-même, il semblait vieux, et Cassie en déduisit que les rénovations ne devaient pas être monnaie courante dans le coin. Il restait à espérer qu’il en irait de même pour les serrures et autres moyens de sécurité, et qu’ils n’auraient pas à défoncer la porte, même si cela restait une solution.
« Ca marche. Je crois que c’est à mon tour de m’occuper de la serrure. » Elle lui fourra le sac dans les bras sans lui demander son avis, avec un sourire mutin. « Toi, tu portes ça. Moi, j’ai mes charmes à préserver. »
Le coffre fermé, l’Impala bouclée, les Wincessero se présentèrent dans le hall de l’immeuble, qu’aucun code de sécurité ne protégeait de la venue d’un type qui n’y aurait pas logé. Eux-mêmes ne détonaient pas dans le décor : ils ressemblaient à n’importe quels frère et sœur rentrés de vacances. Ou n’importe quel couple, mais l’idée était déjà plus étrange. Une fois à l’étage, ils n’eurent aucun mal à trouver la porte du studio d’Alessia ; les policiers y avaient tendu des straps jaunes, Keep out, pour signaler que le lieu était interdit d’accès le temps de l’enquête. Cassidi tira un jeu d’épingles du sac qu’elle avait confié aux bons soins de Milo et se pencha sur la serrure, avec la maîtrise que conférait l’habitude. Comme prévu, le mécanisme était ancien, peu avancé ; il eut tôt fait de céder face aux biseaux conjugués de deux broches. Satisfaite, Cass prit la peine d’écarter les straps, sans les briser, et la porte pivota sur ses gonds, donnant sur l’appartement qu’ils souhaitaient examiner.
Cela faisait des années que Cassidi ne comptait plus le nombre de logements où Milo et elle avaient dû se frayer un passage, toujours de façon illégale – que ce fut en clandestin, comme aujourd’hui, ou en usurpant l’identité d’un inspecteur. Ils en avaient si souvent explorés qu’ils ne ressentirent pas le besoin de se concerter pour optimiser leurs agissements ; Cassidi partit de son côté, et laissa Milo examiner ce que bon lui semblait du sien. En soi, l’endroit semblait tout à fait normal. Rien ne suggérait qu’il s’y soit déroulé un festin qu’aurait servi, à contrecœur, l’hôtesse disparue. Tout ce qui pouvait être nettoyé sans nuire au déroulement de l’enquête l’avait été, et il ne subsistait pas de trace olfactive du massacre. C’était là un détail bienvenu. Cassidi commença par examiner la fenêtre, rechercha des signes de lutte ; après quoi elle s’empara du détecteur de champ électromagnétique. Elle promena le gadget dans l’appartement, concentrée, sans prêter attention à ce que pouvait faire son frère non loin d’elle.
Plus l’examen progressait, et moins il lui semblait pouvoir tirer des conclusions logiques de ce qu’elle trouvait. Ou plutôt, de ce qu’elle ne trouvait pas. Lorsqu’elle en eut terminé, elle rejoignit Milo, et se campa face à lui, une moue perplexe à la clé.
« Ta théorie de la possession tombe à l’eau. Rien d’anormal au détecteur d’EMF. Aucune odeur de souffre. Pas non plus de signe d’effraction – fenêtres intactes, idem pour la porte –, ce qui prouve que nous avons affaire à une créature intelligente. J’ai du mal à imaginer ce que ça peut être, très franchement, et j’en arrive à me demander si ce n’est pas Hannibal Lecter, comme tu l’as dit. Tu as trouvé quelque chose, de ton côté ? »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 11:06, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Ven 6 Mai - 10:55
« Je ne sais pas, Milo. Ça paraît un peu tiré par les cheveux, ton histoire de fantôme. Et je sais que ce n’est pas parce que l’on n’a jamais entendu parler d’une chose que cette dernière n’existe pas, mais je vois mal un loup-garou faire cavalier seul sur un changement de régime. Mais une possession, pourquoi pas ? Il ne faut pas toujours tout mettre sur le dos des démons, mais ils ont plus que leur part dans les trucs sur lesquels on a enquêté jusque-là … Rien n’indique qu’ils ne sont pas concernés. »
Elle avait raison, comme souvent. Les fantômes étaient relativement stupides, dans la mesure où ils représentaient plus l’image d’un disque rayé qui répétait toujours la même scène ou qu’ils relevaient plus du CD de musique qui buguent en répétant indéfiniment un passage de quelques secondes. C’était horripilant. Il y avait aussi le cas des esprits qui rêvaient de faire la peau aux responsables de leur mort ou de se venger de tout ce qu’ils avaient pu vivre ; dans tous les cas, c’était de sérieux obsessionnels névropathes qui auraient sans doute eu besoin d’un psychologue. Malheureusement, les chasseurs étaient rarement aussi compréhensifs et se contentaient souvent de quelques coups de sel et de faire cramer les dépouilles. Moins diplomate, mais efficace. Milo avait un avis partagé sur les fantômes. Ils pouvaient être un travail vite fait, bien fait, qui apportait une douce satisfaction –après tout, on était là pour le plaisir- comme un pénible devoir à accomplir. Ce n’était pas facile, par exemple, d’être contraint de brûler les os d’un de ses anciens amis, encore plus lorsque l’on se rendait compte après qu’il ne s’agissait pas de lui, ou de déterrer des histoires pleines de souffrance avec de pauvres types n’ayant pas eu de chance et encore moins dans leurs morts. Chez les fantômes, c’était rarement tout noir ou tout blanc, sauf pour les psychopathes. Mais ça non plus, ce n’était pas une partie de plaisirs –ils étaient vicieux, ces machins-là-.
Fort heureusement, Milo n’était pas là pour compatir à la vie pourrie d’un mort-vivant ou pour essuyer une larme devant feu sa tragique existence. Quelqu’un l’avait doté à la naissance d’un cerveau immunisé au pathétique, quand bien même il était tenté d’avoir le cœur serré. De toutes façons, il était désormais, pour ainsi dire, blasé par ce genre d’évènements et déterrer la momie de ce qui avait été autrefois une petite fille blonde de huit ans morte noyée ne lui inspirait pour la plupart du temps qu’un battement de cœur en souvenir du temps où oui, peut-être l’aurait-il fait avec moins d’indifférence, en prenant en compte qu’il s’agissait de quelqu’un et non pas d’une énième voiture à monter sur la chaîne de production.
A l’inverse, les créatures exotiques qu’il lui arrivait de rencontrer avaient un côté plus… attrayant, dans la mesure où la fratrie Wincessero faisait face en général à des choses très… poilues, gluantes, hautement pourvues la nature d’une belle dentition et de griffes de la taille d’une main quand ce n’était pas des pseudos-humains aux détestables habitudes. On avait moins de remords à les buter, ceux-là. Wendigo, loup-garou, stryge, vampire, rakshasa, djinn et polymorphe faisaient partie de ce charmant groupe, heureusement moins fréquent que le premier. L’avantage d’un fantôme, c’est qu’il était relativement facile à détruire –quand on retrouvait ses os- et de s’en protéger. Dans les autres cas, selon la réputation de la créature, on mettait un certain temps à l’identifier, et lorsqu’elles étaient rares, on passait un temps fou à chercher comment s’en défendre et l’éliminer. Temps pendant lequel, évidemment, on s’exposait à être victime de leurs méthodes aussi variées que subtiles. L’affaire sur laquelle Milo entraînait Cassidi semblait appartenir à cette catégorie et force était de constater que pour l’instant, ni l’un ni l’autre ne voyaient à quoi ils avaient affaire. Une fois le nom trouvé, tout irait plus vite –en espérant qu’il ne s’agissait pas d’un monstre nécessitant un rite vaudou une nuit de pleine lune autour d’un jambon emballé dans du cellofrais et avec un brocoli planté dans chacune des oreilles, ou du sacrifice d’une vierge blonde trempée dans du sang de coq fraîchement égorgé près d’un vieux chêne centenaire et du méandre d’une rivière-.
Quant aux possessions et aux démons, et bien… Milo ne savait pas trop comment classer ce genre d’affaires. En réalité, il haïssait ces saloperies. Mais il éprouvait une rare satisfaction à les éliminer de la surface de la terre, cela compensant ceci. Rien n’était plus vicieux et entêté qu’un démon. Tant qu’on avait un paquet de sel sous le coude et un magnifique tatouage sur le torse –d’ailleurs, où était celui de Cassie, mmh ?- pour éviter de se faire posséder, tout allait pour le mieux. Politique de l’autruche, on pouvait même passer le restant de ses jours dans une maison avec du sel dans les murs pour être tranquille à vie. Mais cela n’empêcherait pas de laisser les démons accomplir leurs charmantes distractions à l’extérieur sur de naïves et innocentes personnes. Leur esprit tordu, leurs pouvoirs et leur force physique conséquente les rendaient extrêmement difficiles à vaincre lorsqu’on se laissait avoir par surprise. Mais cette difficulté donnait toute sa saveur, goût de cendres, au fait de les renvoyer en Enfer. C’était comme arracher une écharde, un pansement ou des poils ingénus. Douloureux. Néanmoins, une bonne chose de faite. Oh, Milo les voyait très bien s’amuser à faire bouffer des humains à d’autres humains pour d’obscures raisons. C’était dans leur répugnante nature de mettre en scène des morts plus ou moins sanglantes après une longue et pénible agonie. Pourtant, de même que pour les fantômes, il y avait quelque chose de rassurant dans la routine de combattre un démon. En espérant qu’il ne s’agisse que d’un démon basique et pas de ceux plus coriaces qui promettaient un tango avec une mort certaine.
Milo avait émit en conséquence un « hmm, hmm » à la fois approbatif et ronchon, tout à fait à son image, et ne s’était pas étalé pas dans les méandres d’un blabla inutile. Après tout, ils verraient bien sûr place et Milo avait eu l’impression d’avoir explosé son quota de paroles pour un trajet en voiture. Cassidi, quant à elle, avait ponctué la conversation d’un léger rire et s’en était retournée s’absorber dans la lecture du journal paternel. Une fois sur place, elle avait fait leur sac pour la journée. Pas un mignon petit sac à mains gris avec des perles dans lequel s’entrechoquait maquillage, mouchoirs, pansements et cartes, non. Plus gros sac noir à la Matrix, chargé de choses utiles, dans le style fusils à pompe salés et autres artilleries plus ou moins orthodoxes. Elle avait de nouveau acquiescé, sans oublier au passage de lui refourguer le matériel. Milo soupesa d’un bras son nouveau chargement. Ce qui était bien, avec ce métier, c’était qu’on entretenait toujours sa forme. Ce fut donc Cassie qui s’occupa de forcer la serrure. Enfin, forcer. Elle ne s’y prit pas avec une grosse clé anglaise qu’elle aurait assénée de toutes les forces de ses muscles de crevette conte la poignée, non. Tout fut fait avec un tact parfaitement féminin et délicat. Le frère et la sœur pénétrèrent alors dans le petit studio, et chacun vaqua de son côté à ses propres recherches.
Il y avait bien un vase de brisé peu loin de l’endroit où on avait retrouvé le cadavre. Pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’Alessia avait du trébucher et entrainer l’élément décoratif dans sa chute, ou qu’elle l’avait heurté en voulant fuir quelque chose. Cela n’expliquait en rien ce qu’était la chose en question. Alessia était morte en rentrant chez elle un soir comme les autres. Soit on l’attendait, soit on était entré par une ouverture après. Dans un si petit patelin, ce n’était guère étonnant de laisser sa porte déverrouillée. Milo se pencha sur les débris bleutés et aperçut quelques touffes de poils gris. Force était de constater qu’il y en avait un peu partout, traçant un chemin de Petit Poucet du salon dans la cuisine. Là-bas, le frigo était restée la porte ouverte ; tous les aliments avaient disparus, sans doute parce que la police ne les avait pas laissé se réchauffer lentement une fois leurs investigations terminées. Il faudrait consulter le rapport et les photos pour en savoir plus. Il n’y avait pas grand-chose d’intéressant dans les autres pièces ; Milo s’en retourna voir Cassidi dans le salon. Elle semblait être comme lui ; bredouille.
« Ta théorie de la possession tombe à l’eau. Rien d’anormal au détecteur d’EMF. Aucune odeur de souffre. Pas non plus de signe d’effraction – fenêtres intactes, idem pour la porte –, ce qui prouve que nous avons affaire à une créature intelligente. J’ai du mal à imaginer ce que ça peut être, très franchement, et j’en arrive à me demander si ce n’est pas Hannibal Lecter, comme tu l’as dit, résuma-t-elle. Tu as trouvé quelque chose, de ton côté ? »
Milo avait hoché la tête plusieurs fois pour approuver les affirmations de sa sœur. Lui non plus n’avait pas vu quoique ce soit qui aurait pu indiquer la présence d’un fantôme ou d’un démon ici. Il se pouvait qu’il s’agisse d’un spécimen très discret, mais bon…
- J’avais envie de te dire que j’avais de quoi valider la théorie du loup-garou, répondit-il en brandissant sa découverte. Seulement, j’ai vu un panier pour chien dans la cuisine, et de toute évidence, ces poils sont les siens. Sinon, le frigo était ouvert. La police l’a débranché et vidé.
Il haussa les épaules d’un geste maussade en signe d’ignorance. On aurait pu croire que l’auteur d’un tel carnage aurait laissé des traces, non ?
- Peut-être que la police a relevé quelques empreintes. Je pense qu’on ne trouvera rien ici, et que le rapport du médecin légiste et celui des enquêteurs se révèleront plus utiles. Il faudrait que tu ailles au commissariat, d’autant qu’ils ont déjà du faire pas mal de recherches préliminaires utiles, comme par exemple, si les victimes avaient un lien quelconque entre elles. Moi je vais visiter les autres lieux et interroger les voisins.
Il était un peu tôt pour dire que l’enquête piétinait –ils n’avaient pratiquement rien fait encore- mais Milo avait la désagréable impression que les mesures qu’il avait énoncé n’allaient rien rapporter elles non plus. Or, si Milo était un type plutôt du genre ronchon, mais ronchon calme, il n’aimait pas buter contre des obstacles invisibles et être dans le flou le plus total. Cassie aurait peut-être dit qu’il s’agissait d’une façon de compenser –et Milo lui aurait alors jeté son plus mauvais regard avant de lui donner une tape méritée sur la nuque- mais pour l’heure, il se contenta de râler mentalement. Il n’avait pas besoin d’être impatient, après tout. On risquait juste d’avoir la mort d’une gamine sur la conscience. Mis à part ça, rien de grave. En fait, ce manque d’informations en un temps si bref n’aurait pas gêné Milo s’il n’y avait pas la menace d’un autre meurtre flottant pesamment autour d’eux. Mieux valait faire un bon boulot que se jeter tête baissée contre un ennemi inconnu. Mais ici, il y avait l’enjeu de la course contre la montre de la créature –à supposer qu’elle avait un poignet- et étreignait la fratrie Wincessero dans un sentiment d’urgence assez désagréable.
- Ca te va ? reprit-il de sa voix grognonne. Si on ne trouve rien d’ici ce soir, je m’occupe du motel, je t’enverrais un SMS pour te dire lequel. Je t’accompagne au commissariat avec la voiture, j’ai besoin de connaître les autres adresses.
Et voilà, journée arrangée, temps et tâches optimisés, vite fait, bien fait. Un vrai fordiste, ce Milo, qu’une soudaine pensée le fit se raviser. Milo devait sans cesse lutter contre deux volontés lorsqu’il était avec Cassidi. La première, innée, était d’envoyer balader tout ce qui le dérangeait et de se dépatouiller tel un vieux loup solitaire. La seconde, fortuite, était de couver sa sœur alors même qu’il savait qu’elle était parfaitement capable de mettre au tapis un gros malabar imbibé d’alcool et que cette attitude avait un côté assez infantilisant qui devait rapidement agacer Cassidi, comme si Milo n’avait pas confiance en elle et en ses capacités de jeune femme fière et audacieuse. Et si ici Milo était plutôt directif, il glissait lentement mais sûrement dans la deuxième attitude. Bien sûr, il n’y avait pas que ça. Milo venait de penser qu’il pouvait très bien commencer par ici et qu’accompagner Cassidi serait par conséquent une perte de temps. Néanmoins, il hésita tout de même quelques secondes avant de changer d’avis.
- En fait, non. Débrouille-toi pour y aller, je vais commencer avec les voisins d’ici. Tu sauras faire toute seule. Mais ne fais pas ton… truc.
Sa voix venait de se faire plus méfiante, plus sévère. Ah, le « truc » de Cassidi.
Cassidi n’avait jamais nourri d’amour inconsidéré pour la partie enquête des boulots que son frère et elle se tapaient. D’une façon générale, elle préférait la traque – cet instant où la certitude d’avoir mis le doigt sur l’identité de la bestiole qu’ils chassaient s’invitait sous leur crâne. C’était plus facile. Il n’y avait plus de mensonges possibles. L’enquête, c’était autre chose. Il semblait à la jeune fille que les ombres dans lesquelles ils se retrouvaient contraints d’évoluer regorgeaient elles-mêmes d’ombres. Mieux encore, elle restait persuadée que Milo et elle s’exposaient bien plus au danger en enquêtant qu’en passant à la chasse en elle-même. Il y avait trop de variables qu’ils ne pouvaient maîtriser lorsqu’ils ignoraient ce après quoi ils en étaient. En tout premier lieu, bien sûr, ils ne pouvaient se préparer en conséquence. Alors ils avaient beau, comme aujourd’hui, se composer un stand représentatif des merveilles mises au secret par le coffre de l’Impala, ils n’en étaient pas plus prêts à affronter ce qu’ils ne connaissaient pas encore. Il n’y avait pas de filet de sécurité, pas de garde-fou à même de les prévenir d’un faux-pas – rien de tout ça, c’était à eux d’étiqueter l’invisible. Il aurait pu s’en passer, des choses, dans le studio d’Alessia, pendant que les Wincessero erraient, avides d’un indice capable de les mettre sur la voie. L’auteur du massacre aurait pu choisir cet instant pour se pointer, poussé par cette curiosité qu’ont les tueurs en série de revenir sur les lieux du crime au lendemain de celui-ci. Il aurait pu s’étonner d’y trouver deux jeunes gens, devenir incontrôlable. Ç’aurait tout aussi bien pu le rendre fou de joie ; il y avait de quoi baffrer sur Milo, et si Cassidi restait plus délicate, elle n’en demeurait pas moins son plat de prédilection. Et pour peu que la bestiole fût plus exotique que celles qu’ils avaient croisées jusque-là, l’histoire aurait pu mal se terminer. Ou très bien, c’était selon le point de vue.
Une autre chose que Cass détestait, c’était qu’au cours d’une enquête, les mensonges s’offraient le rôle principal dans la pièce qu’eux-mêmes mettaient en scène. Il était presque impossible de se fier aux témoins, car il arrivait que ces derniers soient impliqués dans les affaires qu’ils tentaient d’éclaircir. D’une façon générale, les canulars s’invitaient partout. Dans l’espace entre deux baraquements examinés, entre les lèvres de la polymorphe avec qui ils discutaient – pensant alors qu’elle était humaine –, ou encore dans les rapports de policiers trop zélés ayant occulté des détails en constatant qu’un coupable, même le mauvais, leur apporterait la promotion tant attendue. Le pire dans tout ça, c’était d’en arriver à se mentir à soi-même lorsque l’on partait sur une mauvaise piste. On ne se rendait pas tout de suite compte de son erreur ; et certes, puisque l’on croyait à la toile que l’on avait tissée d’un indice à l’autre, on ne pouvait pas affirmer qu’il s’agissait bien d’un mensonge. Mais ce n’était pas la vérité pour autant. Quant aux implications d’un écart vis-à-vis de cette dernière, elles pouvaient se révéler gravissimes : un être perdait la vie là où il l’aurait conservée si les Wincessero avaient été plus lucides, un autre était blessé ; bref, du sang coulait. Sans compter que les frère et sœur, souvent confrontés à ces situations, prenaient eux-mêmes des risques scabreux. Ce sont les écueils du métier, leur assurait Robertazzo. Ouais. Certes. Ecueils qui n’excusaient en rien de jouer à la roulette russe avec le destin lorsque l’on pouvait maîtriser celui-ci. La vérité, c’était tout ce qui comptait. Pour peu qu’on la trouve.
Cassidi abhorrait l’idée d’avancer à l’aveuglette. Elle était d’autant plus mal à l’aise, ce soir, après examen de l’appartement d’Alessia, qu’il lui était impossible de joindre un nom à la créature qu’ils chassaient – alors même que le seul article du journal aurait dû suffire à susciter des idées tangibles. Mais non. Elle n’avait rien. Elle n’était pas foutue d’imaginer autre chose qu’un loup-garou, encore et toujours. Sauf que plus elle y pensait, et moins elle parvenait à justifier cette théorie boiteuse. Ce n’était même pas la pleine lune, lors du meurtre de miss Mercante. Alors quoi ? Une version italienne du wendigo ? Ou plutôt, un wendigo ailleurs qu’en Amérique du Nord ? Ce n’était plus seulement boiteux, ça devenait débile.
En outre, Cassie ne se faisait pas d’illusions : elle n’était pas une excellente chasseuse. Ni même une bonne chasseuse. Elle était une représentante moyenne de sa classe socioprofessionnelle, point barre. Pas grand-chose de plus. Elle n’avait ni le flair de son père, ni le savoir-faire de Robertazzo. Elle, son truc, c’était de focaliser sur des détails à la con. Des fois, c’était des histoires d’éthique ; d’autres, c’était une obsession qui revenait, de façon récurrente, aux mauvais moments. Lorsque ce n’était rien de tout ça, elle carburait à l’affectif et s’investissait émotionnellement quand il aurait au contraire fallu qu’elle réfléchisse avec sa tête. Tout cela pour dire que, d’elle et Milo, c’était lui, sans contestation, qui remontait la moyenne. Qui faisait en sorte que le navire garde le cap. Et Cassidi avait parfois l’impression de se contenter de suivre, comme si son rôle de passager dans l’Impala s’étendait à la réalité de la chasse ; pendant ce temps, son aîné pilotait. Alors elle compensait, sur le mode du système D, en emmagasinant un maximum d’informations dans sa carte mémoire. Au final, son cerveau ressemblait un peu à une bibliothèque neuronale qui se serait vue munie d’un moteur de recherche plutôt performant. Détail, clic, base de données, clic, trois entrées, clic, à toi de recouper les informations susceptibles de résoudre ta charade. Jusque-là, ç’avait plutôt bien marché. Il y avait eu quelques bugs dans le système, mais l’on pouvait dire que Cass avait su apprendre de ses erreurs. Jusque-là. Et aujourd’hui, elle n’était pas foutue d’assembler les pièces du puzzle d’une vérité n’ayant déjà que trop coûté en vies humaines.
Regard fixe, colonne droite, la jeune femme en était réduite, donc, au rôle de la brave petite sœur qui attend que son frangin lui file la réponse à un exo de physique. Peut-être qu’elle y croyait, à ce rôle. Toujours est-il qu’elle dut se faire une raison lorsque, pivotant vers elle, il s’avéra que l’expression arborée par Milo était le reflet de la sienne. Il semblait tout autant dépité en lui montrant une poignée de poils identifiés comme appartenant au chien d’Alessia. Quant à la remarque qu’il fit vis-à-vis du frigo, elle n’était pas d’une grande utilité. L’examen du studio s’était révélé inutile. Il ne leur restait pas beaucoup d’options. Cassidi pinça les lèvres, déçue, et lissa un pli sur son débardeur. Son cerveau patinait mais le manque de sommeil n’y était sûrement pas étranger. Toujours pas de piste. Dans un coin de sa tête, le postulat du wendigo ricanait sans s’en cacher. Une bestiole de ce genre pouvait certes se révéler coriace, mais pas au point de couvrir ses traces.
Milo n’en avait pas terminé : « Peut-être que la police a relevé quelques empreintes. Je pense qu’on ne trouvera rien ici, et que le rapport du médecin légiste et celui des enquêteurs se révèleront plus utiles. Il faudrait que tu ailles au commissariat, d’autant qu’ils ont déjà du faire pas mal de recherches préliminaires utiles, comme par exemple, si les victimes avaient un lien quelconque entre elles. Moi je vais visiter les autres lieux et interroger les voisins. Ca te va ? Si on ne trouve rien d’ici ce soir, je m’occupe du motel, je t’enverrais un SMS pour te dire lequel. Je t’accompagne au commissariat avec la voiture, j’ai besoin de connaître les autres adresses. —D’accord. Précise bien à la direction du motel que deux lits séparés, c’est tout aussi bien. »
Juste au cas où. Parce que le comique de répétition, au fil des épisodes, avait perdu de son éclat. Cassie, joignant le geste à la parole, commença à remballer les affaires que le sac avait vomies. Elle hésita un instant lorsqu’il s’agit de ranger le détecteur d’EMF, avant de se raisonner : certes, c’était utile, mais il semblait que l’affaire en cours n’ait rien à voir avec des champs électromagnétiques. Elle tendit la besace à son aîné, avec un sourire qui se fana lorsque Milo opta pour un changement de programme.
« En fait, non. Débrouille-toi pour y aller, je vais commencer avec les voisins d’ici. Tu sauras faire toute seule. Mais ne fais pas ton… truc. »
Cassidi se raidit ; un frisson s’invita sur sa nuque, avant d’investir sa cage thoracique, d’emballer sa fréquence cardiaque. Se rendre au commissariat autrement qu’en voiture ne lui posait pas de problème. En arrivant, elle avait prêté attention aux panneaux de signalisation, le temps pour elle de se constituer une carte mentale du village de campagne. L’image qu’elle en avait était suffisamment claire, et le patelin, petit, pour qu’elle s’y rende sans se tromper, quoi que Milo puisse trouver à dire du sens de l’orientation féminin. C’était plutôt le dernier point mentionné par le jeune homme qui perturbait Cassidi. Son « truc ». Inutile de préciser qu’il se serait agi d’un euphémisme si l’on avait voulu dire dudit truc qu’il posait problème. On pouvait plutôt considérer que Milo en parlait avec ce qui ressemblait à du détachement, au vu des circonstances. Presque un ton neutre. Et Dieu savait à quel point l’aîné de Cassie pouvait s’insurger contre son truc …
D’un côté, Cassidi comprenait ce que pouvait ressentir son frère : la pseudo-absence de sens de l’orientation se voyait compensé par l’intuition féminine, après tout. Mais même sans cela, il n’était pas bien difficile de se projeter dans les chaussures de Milo pour avoir une petite idée des grincements produits par les engrenages sous son crâne. Qui aurait accepté que sa sœur soit capable de pousser quiconque à cracher la vérité, jusqu’à celle qu’il souhaitait à tout prix cacher ? Qui aurait trouvé normales les manifestations de ce qui relevait du pouvoir psychique … ? Cass elle-même ne concevait pas de fierté particulière de cet état de fait. Ni de honte, d’ailleurs. Mais si une chose la rongeait, c’était bien l’inquiétude. Le problème n’était pas d’admettre qu’elle avait une particularité. C’était de comprendre celle-ci. Et pour quelqu’un comme la jeune femme, ne pas comprendre, c’était ne pas avoir de prise sur l’obstacle – ne pas avoir le contrôle. Comment accrocher à la réalité lorsque l’on ne parvenait pas à appréhender sa propre vérité ? Sauf qu’elle ne pouvait pas en parler à Milo. Ou plutôt, elle ne voulait pas – pour de multiples raisons. Parce que c’était compliqué, parce qu’il n’arrivait pas à comprendre. Parce que ça le mettait en colère. Sûrement parce qu’il avait peur, lui aussi, à sa façon. Cassidi le rejoignait sur ce point. Là où leurs avis divergeaient, c’était sur ce qu’il fallait faire de ce bordel. Milo souhaitait le ranger dans un placard. Cassie, en revanche, restait persuadée que l’on ne guérissait pas quelque chose en occultant les symptômes. Si elle avait compris l’origine du problème, elle se serait peut-être sentie capable d’aborder le sujet avec son aîné. Mais ce n’était pas le cas ; c’était pourquoi cette espèce de status quo, d’absence de dialogue, ne lui était pas si désagréable – parce que ça lui laissait le temps de faire le point, de cogiter.
Elle acquiesça, prudemment ; et son regard restait verrouillé sur l’épaule de Milo, refusant de rencontrer le sien. Elle savait qu’elle ne pouvait rien lui promettre. Elle savait aussi qu’elle n’hésiterait pas à faire usage de son don – ce don qu’elle ne maîtrisait pas – si cela s’avérait nécessaire. Des vies étaient en jeu, et cela, Milo ne pouvait pas l’effacer en prêchant sa bonne parole. En outre, comment comprendre ce qui faisait partie intégrante de soi-même si l’on cherchait absolument à s’étouffer ? Jusqu’ici, hormis quelques migraines plus ou moins aiguës, rien de négatif ne s’était produit à cause du truc. C’était un peu comme la Force : tout dépendant de l’usage que vous en faisiez, elle n’était qu’un outil. L’étiquette et la classe du sabre-laser en moins.
Elle se força à sourire : « Pas de truc, d’accord. » Le ton était détaché, les traits détendus. « Si jamais tu trouves quelque chose, tu m’appelles immédiatement. Et dans tous les cas tu me tiens au courant pour le motel. On débriefera en nous retrouvant. »
Cassidi troqua le sac d’armes contre la clé de l’Impala. Indiquant à Milo qu’elle serait de retour dans une minute, le temps de muter en membre des services secrets italiens, elle quitta le studio, dévala les étages, quitta l’immeuble en veillant à rester inaperçue. Une fois au niveau de la voiture, elle dénicha son costume dans le coffre – un ensemble strict, noir, composé d’une chemise guindée, d’un pantalon et d’un veston bien coupés –, qu’elle passa à l’arrière du véhicule. Une brève hésitation, et un holster vint laisser sa silhouette sujette aux devinettes sous le blazer. Cassie noua ensuite ses cheveux en un chignon cadrant avec son nouveau personnage. Elle compléta la panoplie en s’emparant d’un porte-feuilles, auquel elle n’accorda pas plus d’un bref coup d’œil. Elle savait ce qu’il contenait : de l’argent et de faux papiers d’identité, au nom de Luce Laslos, membre de l’Agenzia Informazioni e Sicurezza Interne – l’AISI, l’équivalent national du FBI. Puis elle revint au studio, où Milo l’attendait toujours. Elle lui rendit la clé.
« J’y vais. A tout à l’heure, et … fais attention à toi. »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 11:08, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Mar 10 Mai - 18:15
Le truc de Cassidi était apparu quelques mois plus tôt, tout à fait au débotté. Il avait surgit comme ça, un beau jour, venant dont on ne savait où –et c’était précisément ça le problème-. Appeler ça un « don » aurait semblé excessif à Milo. Déjà parce que cela impliquait que quelqu’un le lui avait donné, et Milo ne croyait ni à Dieu, ni au destin, ni à la Fée Bleue. A l’image de ce cher saint Thomas, Milo avait toujours eu besoin de voir pour croire et rien jusqu’à là ne lui avait donné une raison de se mettre brusquement à penser qu’une entité bienveillante gérait l’univers entier, peu importe le type d’entité. Cela pouvait sembler paradoxal pour un homme qui avait passé la majeure partie de sa vie à courir après des bestioles de contes, des revenants et des démons de tout poil. Mais tout ça, il les avait vus. Tout ça, on le lui avait appris, et d’une façon plus concrète que de fermer les yeux en suppliant qu’un miracle vienne foudroyer l’effarante vision. Dans le monde souterrain où il évoluait, il existait des règles, des lois bien concrètes, des choses indéniables. Et l’une de ces lois devait certainement stipuler que l’on était tout seul sur Terre, point barre. Tellement seul qu’on avait préféré inventer toute une panoplie de légendes et de divinités pour rendre la vérité moins insupportable et faire de ces monstres que l’humanité croisait parfois une réalité moins effrayante. Sans cela, l’homme n’aurait eu aucune raison d ‘exister. Il serait devenu fou, désespéré. Suivant la loi de Darwin, les hommes devaient s’adapter pour survivre et ils l’avaient fait par ce biais là. En illusionnant les gens, on les rendra moins malheureux. Mouais. Pour sa part, Milo n’était pas dupe et tout ce qu’il pouvait y avoir de fantastique dans ce bas monde au sens magique du terme était systématiquement mauvais. Enfin après, tout dépendait du point de vue que l’on adoptait.
Du premier, celui de l’humain, c’était mauvais, indéniablement. Il n’y avait aucun aspect positif à ces créatures ; c’était bien pour ça que Milo et Cassidi les chassaient. Il s'agissait des nuisibles doublés de meurtriers. Le second, du point de vue de la bestiole; tout ça était fort bien. Etaler ses pulsions, quoi de plus naturel –et de non-humain, par la même occasion- ? Enfin, l’observateur objectif ferait remarquer que chacun vivait sa vie comme son patrimoine génétique le lui dictait. Et que tout ça n’était qu’une histoire de sélection. Peu lui importait que les humains disparaissent s’ils étaient trop faibles et qu’une population de démons plus forts les remplaçaient. C’est ainsi que se déroule les choses depuis le commencement. Evidemment, en suivant ce raisonnement, rien n’était bien ou mal, blanc ou noir. Milo haïssait les démons uniquement parce que ceux-ci s’autorisaient à massacrer gaiement et que dans la bonne société humaine, cela ne se faisait pas. Mais les brebis pleuraient-elles en répétant à leurs petits que les loups étaient des abominations, sous prétexte que ces derniers les tuaient ? Non. Bon, certes, Milo ne serait pas allé loin en pensant ainsi. On se demandait ce que Milo fichait ici s’il portait si peu d’intérêt à ce manque de justice. Mais le jeune homme se justifiat en se disant que les humains avaient assez de cervelle pour se défendre contre leurs ennemis. Alors autant le faire, n’est ce pas ?
Trêve de philosophie, revenons –oui, osons le calembour- à nos moutons. Donc, appeler le « truc » de Cassidi un « don » semblait hautement improbable. Cela revenait à penser que quelqu’un le lui avait offert et à part des forces malsaines, Milo ne voyait pas grand-chose d’autres. Un talent, alors ? Mouais. C’est vrai que de pousser les gens à dire la vérité quand ils venaient de mentir, sans utiliser les hautes-œuvres, ce n’était pas courant et ça aurait été utile à plus d’un James Bond ou mafioso. Dans le cas des Wincessero, cela pouvait se révéler pratique mais… mais… Ils auraient très bien pu s’en passer. Dans ce métier, on chassait, on tirait. Ca s’arrêtait là.
Et pourtant, le truc était arrivé un beau jour, et était resté depuis. Si Cassidi avait fini par s’en habituer, ce n’était pas le cas de Milo qui le voyait presque comme un ennemi personnel, quand ce n’était pas une détestable manie à la manière de ces ongles que l’on rongeait. Cassidi pouvait presque maintenant en faire appel quand elle le souhaitait. Presque. En tout cas, elle ne s’était pas avisée de le faire devant Milo et celui-ci ne savait pas trop ce qu’il en était. Quand il tentait d’aborder le sujet, cela finissait invariablement en dispute, qu’elle soit audible ou sous-entendue.
Il n’y avait d’ailleurs pas que l’aspect de l’origine qui dérangeait l’aîné dans cette histoire.
Il y a quelques mois, donc, alors qu’ils tentaient d’interroger un vampire sur la cachette de son nid, il s’était passé quelque chose qui avait marqué un déclic dans leur vie. Leur prisonnier était plutôt du genre récalcitrant et hypocrite. Celui à qui Milo foutait quelques coups bien mérités aux endroits qui faisaient mal. Pas très délicat, mais Milo n’était pas vraiment réputé pour. Pas très intelligent non plus ; néanmoins, interroger quelqu’un d’aussi buté ne relevait pas de ce domaine. Il n’y avait pas besoin d’être subtil avec cette engeance qui finissait tôt ou tard décapitée. Cassidi aussi s’était énervée –comme quoi, avoir du tact féminin ne faisait pas tout- et avait fini par secouer l’individu comme un prunier de la manière la plus improductive qu’il soit. Les bourreaux des temps jadis, ceux qui savaient que la vraie torture pour arriver à ses fins était de causer un maximum de douleur avec un minimum de dégâts, devaient se rouler dans les nuages en pleurant, peut-être de rire. Finalement, après avoir subit les braillements de Cassidi, le vampire s’était mis à débiter toute la vérité, rien que la vérité sans s’arrêter et visiblement, sans l’avoir voulu. A moins que profitant d’un instant de distraction de la part de Milo, Cassidi avait effectuée un semi-strip-tease, rien n’expliquait ce soudain revirement. Sur le moment, la fratrie ne s’était pas plainte ; ils avaient filés achever leur chasse. Ce n’était qu’après coup, en y repensant, que Milo remarqua qu’il y avait quelque chose de bizarre dans tout ça. D’autant que sa sœur s’était plainte de maux de tête particulièrement douloureux toute la journée, alors même que cela faisait plusieurs semaines qu’elle avait constamment la migraine. Au départ, Milo avait misé ce problème sur les gueules de bois de Cassie et sur une tendance génétique. Ils en avaient finalement reparlés, et Cassidi lui avait avoué que cela lui était déjà arrivé une fois. Si Milo avait eu plus l’habitude de montrer ses émotions autrement qu’en se renfrognant, sa mâchoire se serait décrochée. Il ne sentait pas du tout cette histoire là, et le temps lui avait donné raison. La scène s’était répétée plusieurs fois, de manière incompréhensible. Peu à peu, ils avaient acquis la certitude que migraines et cette soudaine envie d’être franc de la part des gens qu’ils rencontraient étaient liées. Ils avaient fini par se rendre à l’évidence ; d’une façon inexplicable, Cassidi pouvait obliger les gens à cracher le morceau s’ils lui mentaient. C’était un pouvoir capricieux, possédant sûrement la forme d’un oursin ou d’un hérisson amateur de tango ; les maux de tête de Cassidi étaient fréquents depuis, que cela soit de façon sporadique tout au long d’une journée ou bien d’une manière plus aigue, sur le moment. Sans qu’elle l’ait demandé. Parce que dès que Milo avait compris que cette capacité de medium obéissait à sa sœur, il lui avait interdi… Poliment conseillé de ne pas l’utiliser. Après tout, ils ne savaient pas, grands dieux, d’où cela venait. Et leur expérience leur soufflait, du moins soufflait à Milo, que tout ce qui était d’ordre fantastique était en général mauvais pour eux, d’une manière ou d’une autre.
Milo pensait que le truc de Cassidi finirait par se retourner contre elle ou contre eux. Il s’en inquiétait d’autant plus qu’il avait connu suffisamment de métamorphoses douloureuses pour savoir que cela commençait en général par de petits symptômes de rien du tout. Et si le truc était vraiment un don, le don d’une créature maléfique ayant un plan quelconque, eh bien… Milo ne souhaitait pas la voir se développer et ronger sa sœur plus que cela ne le faisait déjà. Elle lui était déjà tombée dans les bras, plus blanche que les cachets qu’elle avalait, après que son pouvoir se soit manifesté. Pour toutes ces choses, l’instinct de Milo se mettait à clignoter, bien rouge, dès qu’on abordait le sujet. Il se hérissait, aussi bien physiquement que moralement. Il ne le sentait pas, c’était tout. Pourquoi Cassidi était aussi… légère avec ça ? Est-ce qu’elle considérait réellement que c’était là une capacité normale propre à chaque être humain ? Vivait-elle dans un monde à la Heroes où l’avenir de l’humanité se découvrait des pouvoirs de super-héros ? Elle savait tout aussi bien que lui que les choses bizarres se manifestaient rarement sans… Bordel, sans une raison malsaine! Pas de fumée sans feu, non? Elle connaissait bien ce principe ? Pourquoi ne l’appliquait-elle pas à elle-même alors qu’elle le faisait tout le reste du temps ? Si Milo se mettait brusquement à avoir des visions prophétiques, sautillerait-elle sur place en criant « Chouette, le monde d’Harry Potter existe ! » ? Bien sûr que non.
Prenons l’exemple des sorcières. C’était des humaines manipulant des forces qui ne leurs appartenaient pas. D’apparence, on aurait cru qu’elles maîtrisaient une magie noire. Mais Cassidi comme Milo savait pertinemment que pour ça, elles recevaient un coup de pouce des démons avec lesquels elles passaient des pactes, sciemment ou non. Peut-être qu’à travers leur vie remuante et semée de rituels et de pentagrammes, Cassie avait fait de même, sans s’en rendre compte ?
Autre exemple ; Cela rappelait à Milo une affaire dont ils s’étaient occupés il y a environ un an et demi de cela. Suite à une chasse au fantôme qui avait mal tournée, Milo s’était trouvé très mal au point, suffisamment pour que Cassie perde les pédales et déniche on ne savait où un type dont on prétendait qu’il pouvait guérir n’importe quelle blessure. Le genre de truc sectaire courant aux Etats-Unis, et qui en Italie signifiait souvent trafics mafieux. Il n’y aurait jamais mis les pieds s’il avait été en état de résister à la main de fer de sa sœur. Etrangement,il avait bel et bien été soigné, mais les Wincessero avaient découverts par la suite que tout cela n’était qu’une vaste arnaque inconsciente et révulsante. Le charmant monsieur qui s’en occupait n’avait pas conscience de ce qu’il faisait ; on pouvait lui pardonner, il était aveugle. En réalité, sa femme avait déniché un vieux rite pour échanger la place des mourants avec des vivants. Chaque fois que son mari exécutait son tour de passe-passe, elle psalmodiait dans l’ombre et désignait une personne pour mourir à la place de celle que l’on voulait guérir. Milo avait été horrifié d’apprendre que quelqu’un en bonne santé et plein d’avenir avait eu un arrêt cardiaque par sa faute. C’était une Faucheuse qui s’en occupait ; Milo, qui avait eu l’occasion de la voir au moment où la femme s’était rendu compte qu’on fouillait dans ses affaires, ne l’avait pas trouvé extrêmement sympathique. En tout cas, pas autant que l’autre servante de la mort qu’il avait croisé au détour d’un couloir d’un certain hôpital, mais passons.
Moralité ; à chaque fois qu’un humain semblait avoir un pouvoir cool, il y avait un micmac louche et malsain dessous. Et ce n’était jamais gratuit.
Alors, Cassidi, et son truc ? Définitivement non-humain. Définitivement mauvais. Il y aurait une contrepartie. Peut-être existait-elle déjà, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Et puis, mince ! Et si cela affectait la nature de Cassie, d’une manière ou d’une autre ? Si c’était un prélude à un changement de sa sœur en une sorte de démon ? En résumé ; blarg. Même double-blarg, quoique la principale intéressée en pense. Et puis, Milo voulait bien se couper en quatre, voir en bien plus si nécessaire pour la protéger. Des vampires, loups-garous, démons, fantômes, et n’importe quoi d’autre. Mais il ne pouvait pas la protéger d’elle-même, malgré toute sa bonne volonté. Et il sentait avec un sentiment diffus de malaise que le moment venu, il ne pourrait rien faire, comme il n’aurait rien pu faire dans un cercueil sous des kilos de roches. Cette pensée renforçait son inquiétude et la rendait encore plus vivace. Cependant, la sensation constante d’oppression dans sa poitrine lorsqu’ils abordaient le sujet avait tendance, il le reconnaissait, à le rendre un peu trop sec et irritable.
Fort heureusement, ladite Cassidi approuva d’un signe de tête l’ord… la demande de Milo.
« Pas de truc, d’accord. Si jamais tu trouves quelque chose, tu m’appelles immédiatement. Et dans tous les cas tu me tiens au courant pour le motel. On débriefera en nous retrouvant. »
Milo retrouva l’usage de ses poumons et se détendit. Bon, une bonne chose de dite. De faite, espérait-il. Il arriva même à étirer les commissures de ses lèvres en un simili de sourire et à la regarder sortir pour rejoindre l’Impala en bas. Son regard s’étendit sur le reste de la pièce ; il n’avait plus rien à faire ici. Il sortit en évitant soigneusement de laisser des traces de leur passage-éclair et attendit Cassidi en examinant le couloir, qui ne lui apporta aucune information. Comme pour changer. Sa sœur revint lui rendre les clés ; la main de Milo se referma dessus avec un secret sentiment de satisfaction. Ses clés. Une fois dans la poche de sa veste, elles ne risquaient plus rien ; et l’Impala, en bas, s’en retrouvait protégée dans une certaine mesure.
« J’y vais. A tout à l’heure, et … fais attention à toi. » lança Cassidi en s’éloignant.
Milo fourra les mains dans ses poches, son air maussade revenu au visage.
- Ouaip, à plus.
Ce qui équivalait à un tendre « Toi aussi », supposera-t-on. Enfin, Cassidi connaissait suffisamment son frère pour savoir que l’expression « fais attention à toi » était constamment à son esprit, la concernant. Une fois la silhouette féminine disparue dans l’escalier, Milo se tourna vers la porte qui se situait en face du studio d’Alessia. Il avait sa carte d’agent dans la poche et connaissait parfaitement son rôle ; il frappa avec l’assurance que confère l’habitude.
Bruits de pas, de clés qui tintent, de serrure qui cède. Le battant s’entrouvrit sur un visage méfiant. Il y avait de quoi. L’expression sérieuse innée de Milo aidant, le jeune homme se présenta d’un ton direct presque intrusif :
- Agent Almeida de l’Agenzia Informazioni e Sicurezza Interne. J’enquête sur le décès de votre voisine et je souhaiterais que vous m’apportiez quelques précisions sur ce soir là, monsieur…
Discret regard sur la petite étiquette au-dessus de la sonnette.
- Monsieur Tramonte. Ce ne sera pas long. Vous me faites entrer ?
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Mar 10 Mai - 18:38
Sans avoir à forcer, Cassidi poussa la porte du commissariat et sa silhouette se coula dans le hall d’entrée de ce dernier. L’endroit n’était pas bien grand, ni très beau d’ailleurs ; le bâtiment qui l’abritait aurait lui-même aurait gagné à subir une rénovation. Le poste de police compensait toutefois par une propreté irréprochable, ce qui n’était pas le cas de tous les locaux des forces de l’ordre que les Wincessero avaient pu visiter. Quant au hall lui-même, il œuvrait dans une simplicité toute fonctionnelle. C’était une pièce circulaire, à l’espace optimisé pour faciliter les passages. A gauche, une verrière donnait sur une cour d’intérieur, dont on supposait qu’elle avait été aménagée par un paysagiste n’ayant pas respecté la posologie indiquée sur son ordonnance de Prozac. A droite s’ouvrait une porte qui devait donner sur les coulisses du lieu sacro-saint. Et si le dallage brisé par endroits tutoyait pas les sommets de la crédibilité, il fallait reconnaître que les travailleurs locaux avaient mis un point d’honneur à camoufler les murs par une combinaison douteuse de cadres, de tableaux d’art ou d’affichage, ainsi que des coupures de journaux que l’on devinait élogieuses. Cassidi ne prit pourtant pas connaissance de tout cela en entrant. Non, elle n’accorda pas plus d’un coup d’œil à l’ensemble décrit ci-dessus. Elle ne vit pas la photo du maire serrant la pince à un élu du coin, et sa chance d’admirer l’album dédié au dernier gala de police lui fila entre les doigts. Sans se douter de tout cela, ignorant qu’elle passait à côté de l’occasion de devenir une bête de culture G, Cassie se contenta de cartographier mentalement l’endroit. Toujours dans l’optique qui lui dictait de remplir sa base de données. Le seul élément notable dans ce décor, celui-là même qui accrocha son attention, était le bureau tanqué en regard du vestibule, non loin de la porte susmentionnée.
Le pupitre abritait deux personnes dont les yeux s’étaient levés sur la nouvelle arrivante. L’une d’elles était une jeune femme que Cassidi identifia comme une potentielle stagiaire, air neuneu à la clé, sur qui l’on n’aurait pu compter que pour retourner des dossiers de carte grise aux habitants du patelin. L’autre était un homme aux traits plus perspicaces. Il semblait avoir bourlingué aux côtés de la cinquantaine depuis quelques temps déjà ; et si les empreintes du voyage commençaient à se faire sentir sur son visage, il apparaissait clairement que sa vivacité n’en était pas émoussée. Ce fut sur lui que Cass braqua un sourire poli. Ce fut vers lui, encore, que ses pas la dirigèrent, et le métronome de ses talons rompit le silence une poignée de secondes avant que sa voix n’en fasse de même.
« Bonjour. Je suis l’agent Laslos, de l’AISI. » Elle glissa une main dans sa poche revolver et en retira sa plaque officielle, avant de la présenter sur le comptoir. « On a dû vous prévenir de ma venue – je suis là à propos de l’affaire des femmes dévorées. Mon collègue, l’agent Almeida, est également en ville, mais il est déjà en train d’interroger d’éventuels témoins. Je nous représente, et je sollicite votre coopération. Puis-je parler à un responsable, s’il vous plaît ? »
Il existait des mots magiques, et AISI était l’un d’eux. La stagiaire louchait littéralement sur l’insigne et ne songeait même pas à s’en cacher. Quant au réceptionniste, il se donnait une contenance toute honorable, à ceci près qu’il en oubliait de contrôler les va-et-vient de son regard entre le document et le visage de Cassidi. La concernée ne s’en offusquait pas. Pire, elle était contente de ne plus avoir à laisser le rôle de l’agent de l’AISI à son frère. Après tant d’années passées à le regarder faire, lui qui en imposait physiquement parlant, lui qui semblait sans peine aussi âgé que ce que sa plaque voulait bien suggérer, alors qu’elle-même se trouvait contrainte d’attendre dans la voiture pour ne pas fêler cette image, Cassie était heureuse de prendre les rênes en main. Oh, certes, elle faisait encore un peu jeune, et à moins de forcer sur le maquillage, on ne lui donnait pas plus de ses vingt-six ans. Mais il existait dans toute profession des cas d’élèves brillants, et par là capables d’endosser certaines responsabilités à un âge inédit. Cassidi, sans être de ceux-là, savait se montrer suffisamment sagace et bonne actrice pour laisser croire à ses interlocuteurs qu’un intellect singulier l’habitait. L’image qu’elle donnait était celle d’un agent perfectionniste, là où elle se serait elle-même décerné un prix dans la catégorie « menteurs certifiés ». Et puis, le costume jouait sur l’aspect réaliste de la chose. Tant qu’à mentir, autant bien le faire. Même s’il était probable que la stagiaire éprouverait une profonde déception en apprenant que la tenue de l’agent Laslos n’avait coûté aux Wincessero qu’une poignée d’euros.
Le secrétaire fut le premier à se départir de sa torpeur. L’étonnement ne faisait toujours pas beau jeu avec ses traits, et des rides offraient, sur son front, le lavis relativement fidèle d’un océan tourmenté ; pourtant l’homme reprenait du poil de la bête et il se leva, tendu comme un ressort. Faisant le tour du bureau, il tendit la main à Cassidi :
« Oui, en effet, ça me dit quelque chose. Bonjour, mademoiselle. Suivez-moi, je vais vous conduire au commissaire Nerilla, vous recevoir ne devrait pas poser de problème. » Il indiqua la porte de droite à l’agent Laslos, très prévenant, avant de se tourner vers la stagiaire qui regardait Cassidi remballer la plaque de l’AISI. « Je suis de retour dans deux minutes, Tricia. »
Ladite Tricia hocha la tête, avec l’air intelligent de celle qui ne doute pas une seconde de pouvoir se passer de son mentor. Cassidi s’en trouva vaguement affligée, sans toutefois se départir de son sourire. Elle emboîta le pas au réceptionniste, occupée à se convaincre qu’engager une stagiaire abrutie ne faisait pas de Monsieur Nerilla l’équivalent de celle-ci sur le plan cognitif. Les mauvaises langues avanceraient que ce n’était pas nécessairement là une mauvaise chose. Il était parfois reposant d’avoir affaire à des policiers décérébrés, songeait Cassie en empruntant une volée d’escaliers. Ça limitait la casse en cas de problème. Même si les problèmes survenaient assez rarement avec les flics.
Pas qu’il n’y en avait jamais. Ça restait un risque, après tout. Mais c’était mieux d’éviter d’être pris la main dans le sac ; usurper une identité était une chose, usurper l’identité d’un agent des services secrets italiens et en profiter pour fouiller dans des dossiers confidentiels en était une autre. Il était à craindre que les Wincessero rencontrent quelques peines s’ils en arrivaient à devoir justifier cet écart. Robertazzo avait beau se montrer très convaincant en grand ponte de l’AISI au téléphone, le système n’en avait pas moins de sacrées limites. Lorsqu’elle y repensait, Cassidi trouvait aberrant de ne jamais s’être fait avoir à ce jeu de miroirs. En même temps, c’était logique. Plus le mensonge était gros, plus il passait – peu de situations faisaient exception à la règle, pour peu que l’on ne fût pas doté d’un détecteur de mensonges. Ainsi, l’édifice pouvait ne tenir qu’à un fil, reposer sur des sables mouvants ou vaciller au moindre chuchotement du vent, personne n’aurait l’idée d’aller y regarder de plus près. Parce qu’il s’agissait là de choses auxquelles beaucoup songeaient, mais que personne n’irait mettre en œuvre. Parce qu’il défiait le fragile équilibre de la logique que d’aller jouer les funambules sur le fil de la justice. Parce que pour s’aventurer sur ce terrain-là, il fallait être très bête – ou très intelligent. En tant que narratrice, je manque cependant d’objectivité pour trancher quant à la catégorie dans laquelle se rangent les Wincessero, aussi n’insisterai-je pas plus longtemps.
Le commissaire, Mattéo Nerilla, accueillit l’agent Laslos avec ce qui ressemblait à du soulagement. Si l’officier de police ne semblait pas appartenir à la crème de l’élite, Cassidi apprécia instantanément l’homme. Il devait avoir passé de peu le cap de la quarantaine, et sa santé était aussi éclatante que le sourire qu’il présenta à la jeune femme lorsqu’ils échangèrent une poignée de main. Le physique atypique de Nerilla lui conférait une allure comique : Milo lui-même, pourtant grand, lui rendait presque deux têtes, alors que le policier ne devait pas peser beaucoup plus que lui. C’était d’autant plus surprenant que le baryton de sa voix ne cadrait pas avec le personnage fluet qu’il donnait l’impression d’être.
« Je vous attendais pas avant quatre jours, confia-t-il à Cass, tout guilleret. Mais vous tombez à pic, notre enquête commence à patiner, et certains de nos flics, à paniquer. Les habitants sont inquiets aussi, bien sûr. —Et je comprends bien ce que vous me dites, monsieur, assura la jeune femme. —Nous nous tenons à votre disposition – si je ne le croise pas aujourd’hui, vous transmettrez mes respects à l’agent Almeida. De quoi avez-vous besoin ? —De consulter tous les rapports concernant la série de meurtres en votre possession, pour commencer. Y compris la copie de ceux des médecins légistes. »
Ce fut tout ce que Cassidi eut à dire pour obtenir ce qu’elle avait demandé. Nerilla lui réserva une salle d’interrogatoire où elle put s’installer, et une policière lui apporta une pile de chemises, ainsi qu’un ordinateur qui lui donnait accès à certains rapports numérisés, eux-mêmes compilés dans une arborisation de dossiers. Alors qu’elle s’attelait à la tâche, la cadette des Wincessero estima qu’il lui faudrait trois bonnes heures, au bas mot, pour compléter l’examen. Elle regretta soudain la présence de Milo. Celui-ci appréciait encore moins qu’elle de passer quelques éternités le cul sur une chaise, à déchiffrer des expertises, mais les choses auraient pu avancer plus vite. Nerilla lui avait offert son aide, mais elle avait dû décliner ; il aurait été difficile d’expliquer la sélectivité dont elle faisait preuve à l’égard de certains détails. Détruisant son chignon, Cassidi laissa échapper un soupir, puis se mit au travail.
Il lui fallut effectivement plus de trois tours de cadran à la petite aiguille pour que Cassie voie le bout de sa lecture. Elle avait pu prendre quelques notes sur son carnet, et n’avait été dérangée que par un commissaire soucieux de prodiguer un maximum de confort à son hôte des services secrets. Pour lui faire plaisir, l’agent Laslos avait accepté une tasse de thé, qui fut sans doute dans quelque chose dans sa victoire contre le sommeil. Ses recherches, en revanche, ne lui apportèrent aucune satisfaction. Il y avait bien quelques éléments qu’elle avait jugés d’autant plus intéressants qu’ils titillaient son instinct de chasseuse ; ceux-là, elle les nota. Le plus étrange d’entre eux portait sur les analyses de l’ADN retrouvé sur les corps des victimes. Il était évident que l’être ayant grignoté toutes ces femmes ne s’était pas embarrassé d’un couteau et d’une fourchette ; qui disait bouchées à même l’assiette disait salive. Et qui disait salive disait cellules buccales susceptibles de se prêter à une analyse. Le moins que l’on puisse dire était que les résultats épaississaient le mystère. De fait, les marqueurs retrouvés normalement chez l’homme ne concordaient pas avec le séquençage obtenu ici. Quant au caryotype, il n’évoquait pas d’animal connu, ne serait-ce que par le nombre de paires de chromosomes qu’il comportait – trente-et-une. Les empreintes dentaires relevées achevaient d’exclure la piste humaine. Elles n’orientaient pas non plus vers une créature spécifique. Des crocs, des crocs, encore des crocs. Une grande force, aussi, à en juger par les os brisés. Il n’était pas étonnant que les journaux n’aient jamais eu accès à ces informations.
Et pourtant … Pourtant, les experts avaient conservé un autre détail. Un détail qui pouvait faire la différence, pour peu que l’on sache où chercher. Cassidi n’avait pas pu en tirer de conclusion précise, ce qui l’ennuyait passablement. Mais elle sentait qu’elle avait mis le doigt sur quelque chose. Il fallait qu’elle en parle à Milo.
L’ordinateur éteint, les dossiers rendus à Nerilla, l’agent Laslos salua ce dernier et lui assura qu’ils resteraient en contact, après avoir noté son numéro. Elle quitta le poste de police avec un dernier sourire pour Tricia et son mentor et, une fois dans la rue, décrocha son téléphone.
« Allô, Milo ? Je ne sais pas où tu en es, mais j’ai fini, de mon côté. Je peux toujours t’aider à boucler les interrogatoires si t’as pas terminé. Et je crois que j’ai trouvé quelque chose … Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça peut signifier, mais ça ne m’a pas l’air anodin. Il y avait les mêmes empreintes de pas chez toutes les victimes – celles d’un homme de bonne taille, et d’un poids conséquent … Qu’est-ce que tu en penses ? J’ai d’autres détails sous la main, sauf que si tu viens me chercher, on pourra en discuter. »
Et elle n’avait pas fait usage de son truc, mais ça, elle n’avait pas envie d’en parler. C’était à l’autre abruti de voir par lui-même s’il lui ferait ou non confiance.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 11:09, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Mer 11 Mai - 11:31
Emilio Tramonte était un étudiant, comme feue Alessia. Milo ne savait pas ce qu’il étudiait, mais visiblement, ça ne le dérangeait pas de se taper quarante minutes de route pour rejoindre la faculté milanaise tous les jours. Peut-être que sa matière de prédilection ne nécessitait pas justement de venir à Milan quotidiennement, aussi. Ce n’était pas Milo, n’ayant jamais mis ne serait-ce qu’un orteil à l’université pour étudier, qui allait critiquer. Les deux jeunes hommes discutèrent une vingtaine de minutes autour de la mort suspecte de la voisine. A l’évidence, Tramonte n’était pas vraiment bouleversé par le drame. Il ne connaissait pas Alessia, une fille qu’il décrit comme « distante ». Le soir où cela était passé, elle était rentrée tard, comme lui qui était sorti avec des amis. Il ne s’en souvenait pas très bien. A mots voilés, il avoua qu’il se trouvait dans un état passablement éméché ce jour-là. Milo se contenta de froncer les sourcils d’un air légèrement réprobateur. Les agents de l’AISI se moquaient éperdument de ce que bricolaient les étudiants en soirée. Tramonte avait juste entendu les pas d’Alessia, la porte s’ouvrir puis se refermer, et c’était tout. Il s’était endormi et ne s’était réveillé qu’après avoir entendu ce qui semblait être des cris et des coups. Il pensait avoir rêvé. Au petit matin, il avait découvert que non.
Tout cela n’aidait pas spécialement Milo. Il savait désormais qu’Alessia était rentrée vers trois heures du matin et des poussières, mais tout cela était sûrement indiqué dans les rapports policiers que Cassidi était allée chercher. Il nota juste que Tramonte était présent et n’avait aucun témoin pour confirmer ses dires, à part sa bonne foi. Milo le regarda attentivement. C’était un étudiant banal, cheveux châtains en vrac un peu crasseux, aux yeux noisettes et au large sourire satisfait légèrement imbu de lui-même. Pas de pupilles étranges, d’éléments anormaux. La pièce principale ne recelait qu’un ordinateur portable, des bouquins et des cours, un pack de bières dans un coin, des chaussettes sales dans un autre. A première vue, rien qui n’indique que Tramonte n’était pas ce qu’il semblait être. Bien sûr, il pouvait être un éventuel suspect. Milo en parlerait à Cassie et vérifierait ses relations, mais il n’était pas très convaincu. Il testa néanmoins quelques questions banales. Est-ce que Tramonte avait été témoin de choses anormales, récemment ? Des bruits, l’électricité qui sautait, une odeur inhabituelle… Avait-il vu dans la rue un individu à l’allure surprenante ou douteuse ? Lui-même, avait-il des pertes de mémoire ?
Milo n’écopa que d’un regard soupçonneux et d’une moue négative. Non, quelle question. Sauf si l’agent Almeida souhaitait se reconvertir en électricien et lui changer l’ampoule de sa cuisine. Quant à la rue, il y avait toujours le gigolo du coin, mais à part ça…
- Vous savez, expliqua Tramonte, autant de meurtres dans un si petit bled, ça n’incite pas vraiment à rester dehors pour mater les passants et regarder ce que contient leurs sandwichs. Eh, vous pensez vraiment que c’est un homme qui a fait ça ? Genre Hannibal Lecter ? gloussa-t-il.
Les yeux noirs mauvais de Milo lui clouèrent le clapet et il bafouilla misérablement des paroles sans suite tandis que, prenant pitié, l’ainé des Wincessero se levait pour sortir. Totalement inintéressant, ce type. Il le voyait mal se transformer en loup-garou excentrique. Peut-être mentait-il et savait parfaitement faire l’idiot, aussi. Milo vérifierait auprès des proches des autres victimes s’il y avait un lien, mais cela lui semblait déjà une perte de temps. Néanmoins, Milo ne pouvait ignorer aucune hypothèse. Peut-être qu’Emilio Tramonte était leur Hannibal Lecter, après tout. S’il le mettait de côté sous prétexte qu’il ressemblait fortement à un abruti de vingt ans, et qu’ensuite il réalisait qu’il s’était trompé, il serait l’auteur d’une énorme gaffe dont l’aspect le plus culpabilisant ne serait pas la perte de temps.
Toujours coulé dans son moule d’agent de l’AISI, Milo vérifia quelques détails avec l’épicier d’en bas et s’empara des coordonnés de la famille d’Alessia. Puis il retrouva son Impala et passa une autre demi-heure à donner quelques coups de fil. Lui apprirent quelque chose de constructif ? Non. Légèrement agacé, il partit se rendre sur le lieu du premier meurtre, la boucherie désormais fermée pour un certain temps. Un charitable voisin lui apprit que rien n‘avait supposé la venue d’un drame. Les Abatucci étaient un couple gentil, souriant, qui livraient de la bonne viande. La chose qui les avait massacrés devait être dotée d’un solide appétit ; la moitié de leur réserve dans la chambre froide avait connu le même sort que ses propriétaires. Il paraissait qu’on avait retrouvé que quelques os brisés dans l’arrière-boutique. De l’avis de la femme, tout cela était l’œuvre d’un bouledogue. Ces bêtes hargneuses brisaient d’un coup de mâchoire le plus solide des bouts de bois qu’on leur lançait. De vrais teignes tout en muscles. Milo se demanda si son interlocutrice savait qu’un bouledogue, à moins d’avoir été dopé aux hormones de croissance dans sa jeunesse, ne devait pas avoir un estomac suffisamment grand pour avaler toute cette nourriture. Il se hâta de réorienter la conversation ; le couple s’entendait-il bien ? Est-ce que le mari avait l’air de quelqu’un pouvant filer à l’anglaise du jour au lendemain ? Au vu de sa corpulence, répondit la voisine d’un ton badin, cela aurait été drôle de le voir filer. Un vrai boucher à la Zola ! assurait-elle. Pour le reste, elle avait déjà tout dit à la police et ce n’était pas grand-chose ; les murs des maisons étaient épais, on n’entendait rien. D’autant que la scène s’était déroulée dans l’arrière-boutique, au cœur du bâtiment. Lassé, Milo s’apprêtait à partir après avoir demandé si les Abatucci connaissaient d’une manière ou d’une autre un certain Emilio Tramonte, mais la voisine ne connaissait pas ce nom et n’en avait aucune idée. L’agent Almeida sentait son humeur professionnelle se dégrader intérieurement de minute en minute. Cet état de fait n’était pas prêt de s’arranger si Milo continuait d’écouter les papotages empressés de mademoiselle Casabelle.
A ce moment, cette dernière se tapa le front de la paume de la main.
- Attendez ! Je me souviens de quelque chose que j’ai confié à la police.
Elle roucoula, savourant son effet. Milo se figea dans son mouvement de fuite stratégique vers la porte. Il était prêt à mettre sa main à couper que son interlocutrice avait attendue précisément ce moment pour dire quelque chose de plus constructif.
- Oui ? demanda-t-il poliment en se recomposant un visage attentif. - Quand j’ai sorti mes poubelles, vers vingt-trois heures, je me rappelle d’avoir entendu des bruits juste à côté. Ce n’est pas mon genre d’espionner mes voisins, hein, mais j’ai tout de même jeté un coup d’œil –on ne sait jamais, ça peut être des voyous s’amusant à renverser les vidoirs ou abîmer les panneaux-. J’ai donc glissé un regard vers la devanture de la boucherie, et c’est à ce moment que j’ai vu une silhouette s’éloigner dans la nuit.
Ah. Voilà un élément plus constructif. Milo prit soin de ne laisser trahir aucun regain d’intérêt sur son visage. Cela pouvait se révéler encore un détail inutile.
- Pouvez-vous préciser, mademoiselle Casabelle ? questionna-t-il. A quoi ressemblait-il ? Quel genre de bruits avez-vous entendu ? - C’était un souffle précipité, agent Almeida, déclara-t-elle théâtralement en penchant sa face de femme mûre et célibataire vers le sien. Rauque. Important.
Elle agitait ses mains pour souligner ses dires. Un souffle important?... Milo retint un haussement de sourcils particulièrement sceptique.
- Il avait une démarche trébuchante. Je crois qu’il portait un grand manteau et un chapeau. Et il se dépêchait. Je suis presque certaine qu’il venait du jardin des Abatucci et qu’il a sauté au-dessus de la palissade. Il a dû me sentir car il s’est retourné ; la lumière blafarde de la lune a éclairé brièvement son visage avant qu’il ne se fonde dans la nuit ; la moitié de sa face dégoulinait de sang !
Bon. Si on supposait qu’elle disait la vérité et ne faisait pas qu’uniquement son intéressante, cela pouvait se révéler la première piste sérieuse que les Wincessero avaient depuis leur arrivée. Pourquoi Cassie n’était jamais là qu…
- Avez-vous vu autre chose ? C’est très important, mademoiselle Casabelle. Avez-vous reconnu un visage familier ? Pourriez-vous le reconnaître sur une photo ? Est-ce qu’il avait… une apparence anormale ? Avez-vous eu l’impression qu’il était anormalement grand, ou velu, n’importe quoi ? Quelque chose que vous n’avez pas voulu confier à la police du fait de son étrangeté, ou que vous n’étiez pas sûre d’avoir bien vu ?
Avez-vous déjà eu l'impression d'être un perroquet?
- A part le fait qu’il était couvert de sang, vous voulez dire ? s’étrangla la femme. Je ne sais pas. Il était pâle, le visage congestionné. Je n’ai pas vu ses yeux, ils étaient… comme deux puits sombres, acheva-t-elle sur un ton rêveur.
Très poétique.
- Eh bien, je vous remercie, mademoiselle Casabelle, déclara Milo. Si vous vous rappelez de quoi que ce soit d’autre, n’hésitez pas à le confier aux inspecteurs.
Fuite. Il fila et se rendit sur deux des autres lieus de meurtre les plus proches, là où avaient connues un funeste destin la femme de quarante ans et celle de vingt-quatre. Il posa quelques questions, une fois encore, inspecta les maisons ainsi que la fameuse niche. Recoupant les témoignages, il découvrit que les dernières affirmations de Casabelle étaient confirmées. On avait plusieurs fois aperçu une silhouette s’enfuyant, mais elle était si rapide que dans le noir de la nuit, personne n’avait pu l’identifier. Visiblement, Milo et Cassidi chassaient ce qui avait l’apparence d’un humain, comme l’avait supposé la sœur en décrétant que seul un quotient intellectuel supérieur avait pu pénétrer dans l’appartement d’Alessia. En tous cas, Milo pouvait désormais exclure le loup-garou, définitivement. Si ces derniers, contrairement à la légende, ne prenaient pas totalement une apparence animale, leurs corps subissaient suffisamment de transformation pour qu’on ne puisse les confondre avec un simple humain. Un démon, par contre, restait fort possible ; ils ne modifiaient pas leurs hôtes et pouvaient même cacher le signe distinctif –les yeux entièrement noirs-. Un esprit, par contre, n’aurait pas été décrit de cette façon.
Quant à Emilio Tremonte, la femme de vingt-quatre, visiblement, ne le connaissait pas. Par contre, celle de quarante avait été son professeur durant un semestre ; Milo avait retrouvé dans sa maison un ancien devoir. L’agent Almeida s’apprêtait désormais à se rendre aux derniers endroits qu’il lui restait quand l’intro d’une des chansons de Niagara retentit dans l’habitacle de l’Impala. Son portable. Il décrocha.
- Pronto?
« Allô, Milo ? fit la voix de Cassidi. Je ne sais pas où tu en es, mais j’ai fini, de mon côté. Je peux toujours t’aider à boucler les interrogatoires si t’as pas terminé. Et je crois que j’ai trouvé quelque chose … Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça peut signifier, mais ça ne m’a pas l’air anodin. Il y avait les mêmes empreintes de pas chez toutes les victimes – celles d’un homme de bonne taille, et d’un poids conséquent … Qu’est-ce que tu en penses ? J’ai d’autres détails sous la main, sauf que si tu viens me chercher, on pourra en discuter. »
- J’ai fais le tour de quatre meurtres sur cinq. On peut toujours aller voir ensemble le cinquième mais je ne suis pas certain qu’il apporte d’autres informations supplémentaires. Pour les empreintes, ça ne m’étonne pas. J’ai plusieurs descriptions d’une silhouette qui s’enfuyait, je suppose qu’il s’agit de la même personne. Tu es où ? Je passe te prendre.
Après que Cassidi lui ait répondu, Milo raccrocha et s’employa à la rejoindre. Comme il n’avait rien avalé depuis le petit-déjeuner de ce matin auquel sa sœur avait refusé de participer –le goût de vodka trop présent encore, peut-être ?-, il s’arrêta rapidement acheter deux casse-dalles. Il était assez content d’échapper aux pesants interrogatoires où des tas d’inepties sortaient quand ce n’était pas des ondes hostiles venant le frapper. Décidemment, Milo préférait l’autre partie du travail, au risque de passer pour la brutasse de service. Mais déjà qu’il n’était pas très bavard ni bienveillant envers les autres représentants de l’espèce humaine par nature, tirer péniblement des similis réponses finissait par devenir une véritable corvée. Quelques minutes de conduite plus tard, il repérait sur le trottoir la jolie silhouette de l’agent Laslos. Il immobilisa la voiture à son niveau.
- Le panini sauce à l’oignon doux de madame est servi. Si elle daigne monter dans son cabriolet… lui lança Milo à travers la vitre qu’il venait d’ouvrir.
Oui, ça lui arrivait d’être galant quand il était heureux de trouver une excuse pour ne pas interroger de rétifs témoins.
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Jeu 12 Mai - 13:44
4h57 — plus tôt dans la matinée
Silvia Berlusconi avait la réputation d’une fêtarde. Ce qui ne signifiait pas que ladite réputation était nécessairement bonne – en fait, c’était loin d’être le cas. Très loin. Elle faisait partie de cette catégorie de gosses sur lesquels les parents n’avaient jamais eu d’emprise et n’en auraient jamais. Certains parlent, dans cette situation, d’enfant incontrôlable, de crise d’adolescence. Entre nous, il s’agit plutôt de laxisme parental. Les géniteurs de cette gamine n’avaient pas jugé utile de poser des limites ; sans doute avaient-ils secrètement espéré que leur rejeton serait un génie à la science infuse, qu’il reconnaîtrait les lignes jaunes à ne pas franchir, ni même approcher. Manque de pot, Silvia avait une conception très vague de ces dernières. Les faits parlaient d’eux-mêmes. A dix-sept ans, Silvia en paraissait dix de plus, et le foie qu’abritaient ses entrailles avait accumulé l’expérience du même organe chez un type alcoolique ayant atteint la quarantaine. Avancer que l’ado abusait de la bouteille ne relevait donc pas de l’exagération. « Ça la tuera », gloussaient ses potes, dans son dos. « Ça, ou autre chose. » Ce fut autre chose. Autant pour eux.
Le terme d’autre chose pouvait se rapporter à de nombreuses situations. Il y avait toute une palanquée de façons, parfois originales, parfois décevantes, de passer l’arme à gauche. Il y avait ceux qui, un beau jour, trébuchaient sur leur sécateur ; ceux dont l’anévrisme se rompait alors qu’ils savouraient le confort de la cuvette de leur pipi room. Ceux, encore, qui confondaient sirop au citron et eau de Javel. Tout ça pour dire que c’était rarement un instant de gloire – que c’était toujours moche. Pour Silvia, ce fut très moche. Un heureux hasard avait voulu que, dans le patelin où elle vivait, la miss Berlusconi trouve des gens suffisamment intelligents pour lui reconnaître sa véritable valeur. Comprenez ici compagnons de beuverie. Elle les avait rencontrés un peu par hasard, entre deux bouteilles de Gold Strike à une soirée. Il paraît que le fait de se bourrer la gueule rendait cool ; alors ils avaient trouvé Silvia très cool. Depuis, ils se retrouvaient régulièrement, à raison de trois ou quatre fois dans la semaine, pour des raves organisées chez X ou Y. Il fallait dire que la jeune fille, en plus de donner l’impression d’être majeure, n’était pas désagréable à regarder : les boucles aux reflets auburn, la bouche en cœur, la taille de guêpe, tout cela plaisait aux étudiants qu’elle côtoyait. Elle avait pris l’habitude de passer des vêtements qui dévoilaient plus qu’ils ne recelaient en se rendant à ses soirées. Et ce soir, dans le genre, c’était réussi. Un peu trop, puisqu’une certaine créature la repéra alors qu’elle rentrait chez elle.
Une fois n’était pas coutume, Silvia avait forcé sur la descente. Mais c’était cool, ça mettait dans l’ambiance. La brume qu’il lui semblait fouler prolongeait la sensation de félicité, et si elle avait conscience de se trouver plus éméchée encore que d’habitude, elle n’y voyait pas d’inconvénient. Le seul problème qu’elle rencontrait dans l’immédiat était de retrouver le chemin de sa maison. Elle aurait pu dormir sur place ; le souvenir des mains baladeuses d’un certains Boris l’avait toutefois refroidie – Silvia avait entendu dire que c’était un mauvais coup. Pas la peine. Rentrer lui semblait plus approprié. D’autant que si elle devait faire l’after du côté des WC, ça lui éviterait des remises en question d’ordre existentiel.
Elle jugea intelligent de passer par le parc de la mairie. L’endroit était sympa, de jour. Une belle pelouse, des arbres, quelques massifs de fleurs et des papillons, tout ça. Elle regretta lorsque, empêtrée dans des buissons qu’elle ne se souvenait pas d’avoir déjà vus, elle crut entendre des bruits dans son dos. Un coup d’œil jeté par-dessus son épaule lui apprit qu’elle hallucinait certainement. Ça n’avait rien de rare – pas avec un alcootest qui aurait regretté d’avoir existé. Pour certains, c’était les éléphants roses. Elle, c’était l’illusion de branchages écartés du chemin par la patte griffue d’une créature burlesque. Chacun trouvait son bonheur là où il le pouvait. Silvia retourna donc à ses histoires de buissons. Ces saloperies, non contentes de la ralentir, lui dézinguaient les mollets. La dernière chose qu’elle découvrit cette nuit-là fut que le houx avait une vie active en-dehors des fêtes de fin d’année. Trop occupée à éviter les rameaux concernés, Silvia ne vit rien venir. Elle n’entendit pas la respiration rauque dans son dos. Elle ne vit pas une ombre se rapprocher de la sienne jusqu’à l’occulter. Elle ne sentit pas de regard étranger peser sur sa nuque. Pas plus qu’elle ne comprit ce qui lui arrivait lorsque des crocs la cueillirent à la gorge. Elle était déjà morte quand ses organes connurent la douceur de l’air en cette fin de nuit. Vous admettrez qu’il est relativement égoïste de dénier à une pocharde le droit de mourir d’une hépatopathie à trente ans. Vilain, vilain monstre, quoi que tu sois.
Dix heures plus tard, un gamin répondant au nom de Flavio, quatre ans, retrouva le corps. Et perdit temporairement ses capacités d’élocution. L’Etat, par la suite, prit en charge toutes les dépenses résultant des visites – nombreuses – de Flavio chez la psychologue du coin. Comme quoi tout était bien qui finissait bien.
15h03 — présent
A la voix de son frère, Cassidi comprit qu’il n’avait pas passé trois heures très palpitantes, et que s’il n’était pas bredouille, il ne devait pas se trouver plus avancé qu’elle quant à l’affaire en cours.
« J’ai fait le tour de quatre meurtres sur cinq. On peut toujours aller voir ensemble le cinquième mais je ne suis pas certain qu’il apporte d’autres informations supplémentaires. Pour les empreintes, ça ne m’étonne pas. J’ai plusieurs descriptions d’une silhouette qui s’enfuyait, je suppose qu’il s’agit de la même personne. Tu es où ? Je passe te prendre. »
La jeune femme resta pensive un instant avant de répondre, et son regard se porta sur la ruelle qui s’ouvrait en dérivation de la route principale, celle-là même qui la voyait déambuler. Les précisions apportées par Milo tenaient la route lorsqu’on les recoupait à celles dont elle venait de lui faire part. Et surtout, elles donnaient matière à réfléchir. Il était compréhensible que les policiers n’aient pas laissé les journaux mettre la main là-dessus – compréhensible, mais d’autant plus inquiétant. Cela signifiait que les experts commençaient à se poser des questions ; les analyses de l’ADN du tueur n’auraient pu les orienter d’une autre façon. Ce qui n’augurait rien de bon pour les Wincessero. C’était lorsque le mystère se parait d’un linceul d’ombres que le gouvernement en arrivait à faire effectivement appel aux agents de l’AISI. Tout portait donc à croire que cette situation n’était pas loin de survenir, et lorsqu’elle leur tomberait dessus, il faudrait que Cassie et Milo se trouvent déjà loin. Ce qui impliquait de boucler l’affaire d’ici-là. Nerilla avait beau être gentil, il risquait de ne pas plus apprécier qu’un autre commissaire de recevoir un coup de fil du Ministère des affaires intérieures l’informant de la venue de véritables agents. Les frère et sœur n’avaient donc plus qu’à prier pour que la personne qui décrocherait le téléphone soit Tricia. Ça leur laisserait quelques années avant que quelqu’un ne fasse le rapprochement – en particulier si c’était à elle de faire celui-ci.
L’autre problème, dans tout ça, c’était que Cassidi n’arrivait même plus à se focaliser sur la moindre hypothèse. Ils manquaient de temps et d’éléments de réponse. A moins d’une mutation génétique très sévère, tout ceci n’avait pas de sens. Encore un peu, et Cassie finirait par se découvrir l’envie d’aller militer aux côtés des verts pour la fermeture des centrales nucléaires.
« Compris. Ça se tient, même si j’ai l’impression qu’on passe à côté de quelque chose d’énorme. Je t’attends devant le commissariat. »
Milo mit étonnamment longtemps à la rejoindre. Dans le fond, un court laps de temps s’était écoulé entre le moment où Cass avait raccroché et celui où elle avait pu apercevoir l’Impala – l’espace d’un battement de cœur, elle avait pu se demander si Milo ne s’était pas perdu. L’idée laissa errer un sourire sur les lèvres de l’agent Laslos. S’il y avait bien une chose qu’elle espérait, c’était que l’homme virilement viril se plante de route. Ce jour-là, elle rigolerait. Elle harcèlerait son aîné avec ça. En attendant, Cassidi en était réduite à bougonner sur le trottoir en regard du commissariat, adossée à un lampadaire. La fatigue commençait à lui peser ; la migraine menaçait et son ventre grognait pour deux. Son impatience croissante trouva pourtant un exutoire lorsqu’elle vit Milo, à peine arrivé, lui présenter un sandwich.
« Le panini sauce à l’oignon doux de madame est servi. Si elle daigne monter dans son cabriolet … —Ah, merci, Milo, gloussa Cass en embarquant. Tu devais crever de faim aussi pour en arriver à jouer les grands frères responsables, mais tu me sauves la vie. »
Elle eut tout juste le temps d’attacher sa ceinture que Milo démarrait déjà. Sans doute afin qu’ils se rendent ensemble à l’interrogatoire des voisins de la dernière femme assassinée. Cassie se sentit soulagée de constater que le froid jeté par l’allusion au « truc », quelques heures auparavant, n’était plus d’actualité. Il était des thèmes plus graves, dans l’immédiat, dont ils devaient discuter. Elle se doutait bien que le sujet finirait par revenir sur le tapis ; pour l’instant, ce dernier les dissimulait. Et c’était très bien comme ça. Avec un soupir satisfait, la jeune femme gratifia le panini d’un coup de dents. Ce fut sans cesser de grignoter, parfois la bouche pleine, qu’elle rapporta à Milo dans le détail les découvertes qu’elle avait faites – ou non – au commissariat. Elle conclut en lui disant que si Nerilla avait tout d’un chic type, sa boîte allait connaître à l’avenir des dysfonctionnements en raison d’une certaine future réceptionniste. Bref, Cassidi allait réclamer à son aîné un compte-rendu détaillé de son début d’après-midi lorsqu’une sonnerie, en provenance de sa poche, indiqua que quelqu’un cherchait à la joindre.
« Ouais ? jeta-t-elle en décrochant. —Agent Laslos … ? Matteo Nerilla à l’appareil. —Heu, oui, elle-même, assura la concernée, avalant sa bouchée. Un problème, monsieur ? —Plutôt, oui. » Le ton du commissaire était soucieux. « Il y a eu un autre meurtre, cette nuit. On vient seulement de retrouver le corps – vraisemblablement dévoré, comme tous les autres. Je me disais que vous pourriez participer à l’enquête, avec votre collègue … Ca s’est passé au parc municipal. Je vous y retrouve avec le reste de mon équipe. —Entendu, on s’y rend sur le champ. Encore une femme … ? —Oui. Une ado, cette fois. Silvia Berlusconi. Ce n’est pas très beau. »
En raccrochant, Cassidi se pinça l’arrête du nez, et prit quelques secondes pour elle. Pour s’empêcher de se flageller. Le meurtre s’était déroulé avant que Milo et elle n’arrivent sur les lieux ; ils n’auraient donc rien pu y changer. Mais elle avait vu les photos des corps ayant précédé celui de Silvia, et elle peinait à accepter l’idée que, en arrivant vingt-quatre heures plus tôt, son frère et elle aient pu faire mentir le destin. Pour cela, elle s’en voulait. Elle était celle qui avait choisi de prolonger la location de la chambre au motel. Intérieurement, elle pesta. Quitte à écoper de pouvoirs psychiques, pourquoi ceux-ci ne jouaient-ils pas dans une catégorie plus utile ? N’aurait-il pas pu s’agir d’un truc capable de lui laisser écarter le rideau sur l’avenir ?
Affligée, Cassie coula un regard à son aîné.
« C’était Nerilla. Une gamine a été tuée cette nuit – Silvia Berlu-quelque chose. Il nous demande de le rejoindre sur le lieu du crime. Tu peux filer au parc, s’il te plaît ? C’est du côté de l’appart d’Alessia … et en arrivant, passe ton costar ; tu fais pas sérieux, là. »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 11:12, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Ven 13 Mai - 17:27
Cassidi badinait de contentement face à sa pitance du jour, la brave petite bête :
—Ah, merci, Milo. Tu devais crever de faim aussi pour en arriver à jouer les grands frères responsables, mais tu me sauves la vie.
Mais pas du tout. Milo était au-dessus de tout ça. Il le faisait très gentiment, parce qu’il était un être juste et magnanime envers ceux qui lui prouvaient leur loyauté. Et puis oui, il avait faim. Comme il était de coutume chez les Wincessero de penser à nourrir l’autre quand on achetait de la nourriture… Certes, ils mangeaient rarement équilibrés. Mais de toute façon, le nombre de calories qu’ils avalaient dans leurs aliments gras, sucrés et salés était dépensé en repas sautés ou en folle course-poursuite derrière le revenant du coin. La forme olympique, aucune artère encrassée, rien. Ce n’était pas aujourd’hui qu’ils mourraient d’une crise cardiaque, bien que Milo ait dû en faire au moins deux depuis ses vingt ans. Mais ceci était une autre longue histoire qu’il est inintéressant de citer ici, d’autant qu’il en a déjà été fait mention auparavant.
Cassidi lui fit donc son rapport dans le menu détail. Milo, lui, se demandait pourquoi il n’avait pas un agent Scully avait lui, qui aurait fait elle-même l’autopsie et lui aurait révélé l’ADN de l’agresseur –Fais médecine, petite sœur chérie- Le doute n’était plus permis désormais ; il s’agissait bel et bien de meurtres et non pas d’un cas rare de… dévoration spontanée… quelque chose dans ce goût-là. Milo repensa vaguement à Tramonte. Etait-il seulement possible de l’imaginer comme agresseur ? Cassidi lui avait expliqué tout à l’heure que les empreintes suggéraient un poids conséquent. Sans trop se tromper, on pouvait s’avancer que la corpulence allait de paire –s’il s’agissait d’une créature humaine, ou d’un être humain tout court-. Tramonte, avec son air de fil de fer surmonté de touffes bouclées… Lui-même savait que la chose ne connaissait pas de trop grandes transformations, puisqu’elle conservait un vague visage et une silhouette reconnaissable. Peut-être devait-il téléphoner à mademoiselle Casabelle pour lui demander des préci… non. Hors de question. En dernier recours, il filerait le combiné à sa sœur.
Le compte-rendu de cette dernière clôt, Milo s’apprêtait à faire de même avec son propre après-midi quand la sonnerie du portable de Cassidi retentit. Elle décrocha, et Milo prêta l’oreille.
- Ouais ? Heu, oui, elle-même. Un problème, monsieur ? Habituel petit silence téléphonique. Entendu, on s’y rend sur le champ. Encore une femme … ?
Visiblement, il s’agissait de ce Nerilla qu’elle avait mentionnée quelques minutes plus tôt. Un coup d’œil du côté du siège passager lui dévoila le visage un brin figé de Cassidi. Mauvaises nouvelles, visiblement.
- Qu’y a-t-il ? la questionna-t-il dès qu’elle eut raccroché. - C’était Nerilla, confirma Cassidi. Une gamine a été tuée cette nuit – Silvia Berlu-quelque chose. Il nous demande de le rejoindre sur le lieu du crime. Tu peux filer au parc, s’il te plaît ? C’est du côté de l’appart d’Alessia …
Ah. Un nouveau meurtre. Il comprenait mieux l’ombre qui était passée sur le visage de sa cadette –à part ses cernes, hein, qui lui mangeaient les joues à qui mieux-mieux. Moi d’abord, moi d’abord ! Peut-être faisaient-elles une course de fond-. Milo se morigéna ; ce n’était pas le moment de plaisanter avec les idées absurdes et dénuées d’intérêt qui lui venaient à l’esprit. Une fille était morte. Il se demanda quel âge elle pouvait avoir.
- … et en arrivant, passe ton costar ; tu fais pas sérieux, là.
Milo baissa brièvement les yeux vers sa chemise et sa veste sombre de tous les jours. Elles étaient très bien, par ailleurs. Il ne voyait pas ce que Cassidi leur reprochaient, à ces pauvres petites. Mais, certes, il le concédait, cela ne faisait pas très sérieux comparé au splendide agent Laslos moulé dans son tailleur professionnel, prêt à faire tomber de grosses mouches boutonneuses d’un battement de cils.
- Ce n’est pas moi qui affiche des cernes profondes comme des cratères, murmura-t-il en changeant de route d’une voix coupante. On y va.
Et puis, ça existait les agents laxistes. Avec des piercings sur l’arête de l’oreille. Almeida n’avait pas eu le temps de se changer, voilà tout. Et l’air sérieux de grizzli mal réveillé de Milo faisait le reste. Magie, magie. Milo attrapa son regard dans le rétroviseur et s’amusa –oui oui- à se faire les gros yeux. Voilàà.
On avait découvert le corps à quelques pas d’ici ; Milo eut tôt fait de s’arrêter sur un parking un peu avant pour troquer sa tenue vestimentaire contre le costume plus ou moins bien coupé de circonstances. Il observa brièvement son reflet pour coiffer quelques mèches rebelles ; il possédait des cheveux suffisamment longs pour un agent pour qu’en plus il se permette de les laisser vagabonder de part et d’autre de son crâne en épis mutins et surtout mutinés. Il retint un pompeux « j’ai l’air de quoi ? » à l’adresse de sa sœur, que seul un individu tristement épris de lui-même, égocentrique et vaguement monomaniaque, tenant le rôle du méchant psychopathe, aurait prononcé. Fort heureusement pour ses fans, Milo ne correspondait pas à cette description. Sur un petit écran, il aurait été le personnage qui où qu’on le place sur la scène, encrassait le tout par son unique présence ténébreuse. Le pouvoir des mauvaises ondes invisibles. Quoi qu’il en soit, après avoir renoué le dernier lacet de son mocassin premier prix, il était fin prêt pour affronter le regard critique de Nerilla.
- C’est bon, jeta-il machinalement à Cassidi en s’engageant avec elle sur l’allée principale du parc.
Ils n’eurent pas à chercher beaucoup pour trouver l’endroit où on les attendait ; les policiers bourdonnaient autour de la scène comme les mouches avaient dû le faire autour du cadavre. De nouvelles banderoles jaunes avaient été déployées ; quelques passants curieux jetaient des coups d’œil tandis que d’autres usagers du parc chuchotaient anxieusement du banc d’où ils se trouvaient. Milo réalisait de grandes enjambées qui lui firent dévorer les quelques mètres le séparant du lieu de crime. C’était le privilège des grands frères que d’avancer de leurs longues jambes pour faire trottiner leur sœurette en talons.
- Agent Almeida, se présenta-t-il sommairement en exhibant sa fausse plaque.
Cassidi avait dû le faire à sa place lorsqu’elle s’était rendue au commissariat et Milo supposait Nerilla suffisamment fin pour faire le rapprochement. Derrière l’épaule de l’homme, on pouvait apercevoir ce qui avait dû être les tibias de charmants mollets étendus entre les buissons. La terre était rougie de tout le sang aspiré. Contournant son interlocuteur qui retrouverait avec plaisir Laslos, Milo alla s’agenouiller près du cadavre qu’un policier prenait en photo. Derrière l’appareil, son visage était tout blanc. Sûr qu’ici, dans la banlieue bourgeoise de Milan, on ne devait pas voir des macchabés aussi immondes tous les jours. Il compatit au teint lunette de toilettes, avant de se ré-intéresser à ce qu’il avait sous les yeux.
Une longue habitude des morts les plus exotiques possibles avaient blindés Milo contre ce genre de chose aussi sûrement que si elle l’avait enrobée d’une couche de béton armée pour bunker. Il ne pâlit pas, ne fit pas de « Oh » dégoûté et ne se détourna pas pour aller vomir son panini derrière le chêne décennal. Certes, il lui était parfois arrivé de se trouver écœurer et d’en rêver plusieurs nuits entières. Encore aujourd’hui, certains des cas les plus horribles qui lui avaient été donné de voir venaient hanter régulièrement ses cauchemars, mêlés à ses regrets. Pourtant, même lorsqu’il avait vu son premier cadavre, au tendre âge de huit ans, il n’était pas allé convulser dans sa chambre. Au contraire, mu par cet instinct de curiosité qu’ont les enfants, il avait observé avec intérêt ce machin verdâtre et raidi. Aujourd’hui, il se permit son fameux haussement de sourcils –il développerait à force des rides bien profondes sur le front- pour marquer le coup. Cela restait tout de même un corps passablement abimé et désagréable à contempler. Il ne restait plus grand-chose de Silvia Berlusconi ; le squelette rongé, où l’on trouvait des empreintes de dents, les ligaments et les lambeaux sanglants de chair, le faciès figé dans un rictus horrible. Le sang avait plaqué des mèches filasse sur les morceaux de chair à vif ; la moitié de l’arête de la mâchoire avait connu un triste sort. Les vêtements avaient été dédaignés. Arrachés à certains endroits, sans doute pour dévoiler la peau tendre et craquante des flancs, d’autres morceaux de tissus recouvraient ce qu’il restait de corps. D’une façon générale, les jambes et tout le tronc avaient connus le sort d’un sanglier rôti dans la bouche d’Obélix. Tous les os de la cage thoracique étaient visibles. Bref, c’était assez révulsant.
Milo se pencha sur l’un des bras ; il y avait des empreintes dentaires, mais le jeune homme doutait que cela serait très utile. Les rapports qu’avaient consulté Cassidi n’indiquaient pas de dentition particulière, de type vampire. Quant à identifier l’auteur de cette boucherie avec… Bonjour monsieur, vous voulez bien me dévoiler votre dentition ? Plus près ? Encore plus pr… Bref. Le regard de Milo suivit la forme du bras jusqu’à la main ; la terre était griffée là où Silvia s’était débattue. A ce rythme là, ils devraient effectivement monter la garde devant les maternités. Milo était à court d’idée, et il ne pouvait rien dire d’autre à Cassidi tant que Nerilla était là. Il se redressa, abandonna le cadavre et glissa quelques banalités devant le commissaire pour donner l’impression que l’AISI était efficace. En général, faire des « Hmm, hmm » plus ou moins approbatifs, garder l’air sombre et gribouiller des mots sans suite dans son carnet fantoche faisaient l’affaire. Il attendit que Cassidi finisse ses propres inspections pour l’attirer par le bras dans un coin.
- Je ne sais pas pour toi mais à mon avis, on ne trouvera rien de nouveau. On sait qu’il s’agit d’un homme doté d’une spécifié inconnue, ou d’une créature à l’apparence humaine. Ca bouffe les humains, peu importe l’endroit, c’est assez imposant. Soit on fait le tour de tous les individus répondant à cette vague description, ou on se résigne à faire vraiment comme dans X-Files pour le retrouver à partir de sa dentition. Mais je suppose que ça prendra du temps, alors je pense vraiment à appeler Robertazzo pour voir si ça ne lui dit pas quelque chose. On a qu’à rester avec le commissaire jusqu’à ce que leurs investigations finissent jusqu’à là, et je téléphone ce soir, suggéra Milo. Qu’est ce que tu en penses ? Une idée ?
Appeler Robertazzo, c’était vraiment être contraint à la dernière extrémité. L’ami de Giovanni Wincessero avait une longue expérience du paranormal et du fantastique ; sûrement ce que Cassidi serait dans quarante ans, si elle survivait jusque là. S’il effectuait moins de chasses concrètes, Robertazzo était une bible de connaissances et guidait efficacement le frère et la sœur lorsque ces derniers ne savaient plus à quels dieux se vouer. A part le fait qu’il lui arrivait de les traiter allègrement d’abrutis lorsqu’ils passaient à côté de quelque chose d’évident, il était toujours ravi de leur donner un coup de main. Cette dernière carte jouée, il ne resterait plus qu’à Milo et Cassie de suivre une procédure désespérément lente et normale en espérant que le monstre avait calé son creux à l’estomac et qu’il ne recommencerait pas de sitôt. Et puis, évidemment, qu’au bout du compte, ils ne tomberaient pas sur une chose dont ils seraient incapables de se débarrasser.
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Sam 14 Mai - 17:38
Cassidi ne commenta pas plus la remarque de Milo à propos de ses cernes que le manège qui fut le sien avec le rétroviseur. Elle en conclut simplement, en silence, qu’elle n’était pas la seule à être fatiguée. Elle pouvait le lui pardonner, même si elle comptait bien lui faire part, un jour ou l’autre, de ce qu’elle avait vu – un truc effrayant. Le patelin étant tout ce qu’il y avait de plus ridicule en matière de superficie, la durée du voyage jusqu’au parc municipal le fut tout autant ; Milo en profita pour suivre les conseils de sa sœur et se changer, alors que celle-ci patientait, adossée à l’Impala. Si elle se fichait depuis longtemps de voir Milo en slip, ce n’était pas pour autant que le spectacle lui était agréable, aussi préféra-t-elle déporter son attention sur le lieu du crime.
Ce dernier grouillait d’individus en tous genres. C’était un peu comme si la ville au complet se tenait là, d’un côté ou de l’autre des straps jaunes tendus autour d’un corps. Les mauvaises langues auraient saisi l’occasion pour pointer du doigt le fait que, justement, il manquait quelques habitants à l’attroupement en question. Toujours était-il que le fait divers devait avoir rassemblé plus de gens que lors de la dernière fête nationale. Cassidi n’aimait pas spécialement la foule. Elle avait été habituée à vivre avec pour seules compagnies celles de Milo, à l’occasion de Robertazzo, ou encore de son père – de façon plus sporadique encore. Le style de vie des Wincessero n’était pas une porte ouverte aux relations stables. Ces dernières étaient condamnées par la récurrence des déménagements, des voyages, des changements d’écoles ; toute une palanquée vies qui s’étaient succédées sans avoir le temps de se voir ou d’exister. Néanmoins, ce que l’on ne connaissait pas ne nous manquait pas. C’était un peu ça pour Cassidi. Oh, bien sûr, il existait des personnes qu’elle avait rencontrées, avec qui elle aurait souhaité faire un bout de chemin. Les amis auxquels elle avait sacrifié sa dernière nuit de sommeil étaient de ceux-là.
Des fois, il lui arrivait de se demander quelle destinée elle aurait connue si Giovanni Wincessero, après que Tout le Mal soit arrivé, n’avait pas volé à son secours. Les services sociaux auraient fini par se rendre compte de la disparition de sa mère. Peut-être que quelqu’un, comme le petit garçon de cinq ans avec Silvia Berlusconi, aurait retrouvé le corps et passé le coup de fil providentiel à la police. Les services sociaux seraient entrés dans la danse ; la petite Cassidi aurait atterri dans un foyer. Avec un peu de chance, une famille en quête d’enfant à adopter lui aurait trouvé un côté touchant, avant de la prendre sous leur aile. Le décès de sa génitrice passé sous silence, Cass aurait connu une existence plus ou moins normale – la sainte trinité école-collège-lycée, des études si le cœur lui en disait, et des amis autour desquels axer la trajectoire de sa comète. Les seuls monstres qu’elle aurait connus auraient revêti l’apparence de ceux qui peuplaient les cauchemars d’une gamine de dix ans. Elle n’aurait pas eu à se soucier d’exorcismes, de faits divers sortant de l’ordinaire, ou de l’évolution de ses réserves de sel. Aux journaux retraçant les hauts faits de son père dans le monde du surnaturel, elle aurait opposé des bouquins de cours. Ses élans d’inquiétude auraient trouvé leur source non pas dans des exorcismes ratés, des affaires résolues trop tard, mais dans des devoirs sur table et autres partiels. Ou des concours. Cassidi peinait, en revanche, à imaginer une vie sans Milo. Elle ne gardait pas de souvenir précis de sa mère, et si elle aimait son père, elle l’avait trop peu vu pour que leur relation dépasse les liens qu’un homme et sa fille développaient par défaut ; alors il était moins difficile de se projeter. Concernant Milo, c’était différent. Cassie se faisait parfois l’effet d’une addict qui aurait oublié d’inclure une cure de desintox à son programme. Et surtout, il lui arrivait de croire que son frère et elle n’étaient jamais qu’une seule entité – une créature bizarre, dotée du don d’ubiquité. Un peu comme une pièce de monnaie : deux devantures – pile ou face, Milo ou Cass ?, pour une tranche – un patrimoine génétique. C’était là une chose dépassant de loin les capacités de compréhension de la jeune femme et, loin de chercher une raison, elle s’en était faite une. On retrouvait le terme de frère en celui de demi-frère, alors il n’y avait pas à fêler le miroir de cet état de fait pour saisir l’importance que Cassidi accordait à Milo.
Et c’était ça, sa vie. Milo. L’Impala. Les traversées de l’Italie au diapason des colonnes dans les journaux. Les cimetières, tard dans la nuit ou tôt le matin … La discrétion avant tout. Pas la foule, songeait Cassidi, alors que ses yeux allaient d’un badaud à l’autre. Elle n’avait rien contre la compagnie de personnes qu’elle ne connaissait pas – c’était plutôt le contraire, elle avait eu vingt ans pour se faire à ces situations –, mais elle lui préférait ses tête-à-tête avec Milo et les créatures qu’ils chassaient. Trop de gens, c’étaient trop de paramètres. Trop de sourires à distribuer de façon industrielle. Trop de mots à retenir en leur présence, trop de regards qu’elle devait se contenter de lancer à Milo en guise d’explications. Trop de mensonges en latence. Lorsque Milo se mit en route vers l’attroupement, Cassidi le suivit, iris résolument braqués sur l’un des straps jaunes. Comme si elle était déterminée à ne croiser le regard de personne – elle ne pouvait nier qu’il n’y avait un peu de ça. Cassie ne voulait pas voir. Elle ne voulait pas lire leurs traits comme elle aurait tourné les pages du premier bouquin venu. Elle aurait même préféré ne pas les entendre. Avant de rejoindre le cercle d’enquêteurs, elle eut pourtant le temps de saisir au vol quelques conversations :
« Ca en fait une de plus. Je suis contente de n’avoir eu que des fils. —Dis pas ça, t’es égoïste.Dis plutôt que tu approuves à mille pour cent. —… sais bien que Silvia c’était pas un cadeau, mais quand même …Mais quand même, c’est mieux comme ça, c'est ça ? —J’espère que les flics se décideront à faire leur boulot. Ça devient inquiétant. »
Cassidi laissa son aîné se présenter et investiguer de son côté. Elle ne pouvait peut-être pas se passer de lui dans la vie de tous les jours, cela ne l’empêchait pas d’être capable de mener une enquête de son côté. Elle ne passa pas beaucoup de temps du côté du cadavre. Une dizaine de secondes lui suffirent pour appréhender l’ensemble du tableau. Elle constata, au passage, que si la bête qui s’était rendue coupable du massacre appréciait la chair humaine, elle se fichait des plaisirs d’une autre nature que celle-ci pouvait apporter : nuls sévices sexuels n’étaient suggérés. Et d’une certaine façon, le corps n’avait aucune importance. Cassie avait lu les rapports, épluché les comptes-rendus, vu les photos ; lorgner du côté du cadavre d’une jeune fille ne lui aurait rien appris de plus, sinon que la vision de chair exposée et le souvenir gustatif du panini formaient un couple étrange. En fait, ça donnait presque faim. Aussi se dirigea-t-elle plutôt du côté des experts.
Cass dut reconnaître, en son for intérieur, en dépit du respect qu’elle leur portait, que ces derniers exhalaient plus d’intelligence au travers de leur rapport que soumis aux rigueurs de la vraie vie. Ils semblaient paumés plutôt qu’autre chose, dépassés par l’affaire. Lorsqu’elle leur posa la question, ils confirmèrent qu’un individu imposant s’était trouvé dans la zone du parc où l’on avait retrouvé Silvia. Ils ajoutèrent qu’ils s’intéressaient de près aux éventuels échantillons d’ADN que les buissons et autres bouquets de houx avaient éventuellement pu recueillir. « C’est comme Les dents de la mer sur la terre ferme. On a presque envie de croire aux monstres », lui confia l’un des types de la police scientifique, avec un sourire qui dissimulait mal son trouble. A cette assertion, l’agent Laslos répondit par une grimace crispée ; elle se détourna sans relancer le sujet. En ce qui la concernait, elle avait presque envie de lui conseiller de rentrer chez lui. D’oublier cette histoire.
Elle discuta avec un policier, et s’attarda un moment sur son cas. Le mec, vingt-sept ans à tout péter, était dans la force de l’âge. Il jouissait de la carrure de ces gens qui jugent plaisant de soulever des kilos de fonte, et Cassidi devina qu’il devait passer plus de temps que ses collègues en salle de sport. La corpulence pouvait donc correspondre. Mais surtout, il était anormalement tendu : Luce Laslos nota que ses mains tremblaient, qu’un tic nerveux agitait l’une de ses commissures, et qu’il lissait compulsivement ses cheveux. En outre, il passait plus de temps à refouler sa nervosité qu’à s’occuper de l’avancement de l’enquête. A peine Cassie l’eut-elle salué que son état d’agitation passa du simple au double. Il cachait quelque chose ; son visage, lui, trahissait un mélange de peur et de honte qui alarmèrent la jeune femme. Elle n’eut pas besoin d’en recourir à son truc pour le pousser aux aveux. Confronté au badge de l’AISI, le type vomit la vérité sans se faire prier. Boris – c’était son nom – expliqua qu’il avait des amis à l’université du coin, plus jeunes que lui, et que ceux-ci l’avaient invité la veille à une fête. Celle-ci s’était déroulée dans un appartement du patelin ; il y avait du peuple, de la musique, de l’alcool, et … Silvia Berlusconi. Les mots, l’espace d’un instant, se tarirent dans la bouche de Boris lorsqu’il en arriva à évoquer la jeune fille. Un regard de l’agent Laslos le poussa à poursuivre, et il passa aux aveux : il l’avait draguée. Voire collée de près toute la soirée – comprenez ici pelotée –, avant qu’elle ne l’éconduise et ne quitte les lieux. Cassidi était trop estomaquée pour contenir une réaction.
« C’était une gamine, elle avait dix-sept ans ! Qu’est-ce que vous croyiez faire ? —Justement, je n’en savais rien ! C’était sombre, j’avais bu, elle était fringuée pour allumer tout ce qui traînait et semblait bien plus âgée que ses soi-disant dix-sept ans. Mais je ne lui ai rien fait ! Si vous ne me croyez pas, vous pouvez demander à Maria, j’ai passé le restant de la nuit avec elle. —Ah, parce que vous avez une copine ? Elle va être contente, tiens, d’apprendre que vous avez cherché à attirer une gosse dans votre lit. —Mais c’est tout ce que j’ai fait ! Je ne l’ai pas tuée ! —Ouais. En attendant, vous allez filer voir Nerilla et lui expliquer vous-même. Je pense que ça vaut mieux pour votre poste s’il l’apprend de votre bouche et pas de celles de témoins qui viendront de toute façon parler de cette soirée. »
Le dénommé Boris fila, penaud. Cassidi l’écarta immédiatement de son esprit – ce type ne pouvait pas avoir fait quoi que ce soit. Il aurait pu se rendre coupable de détournement de mineure, d’adultère s’il était marié avec Maria, mais pas de meurtre. Il n’avait pas menti en disant qu’il n’avait rien fait à Silvia – Cassie le croyait. Il aurait juste plus de mal à convaincre ses collègues et son chef de tout ça, mais c’était son problème. Milo rejoignit sa sœur peu de temps après, l’air sombre, et la prit à l’écart.
« Je ne sais pas pour toi mais à mon avis, on ne trouvera rien de nouveau. On sait qu’il s’agit d’un homme doté d’une spécifié inconnue, ou d’une créature à l’apparence humaine. Ca bouffe les humains, peu importe l’endroit, c’est assez imposant. Soit on fait le tour de tous les individus répondant à cette vague description, ou on se résigne à faire vraiment comme dans X-Files pour le retrouver à partir de sa dentition. Mais je suppose que ça prendra du temps, alors je pense vraiment à appeler Robertazzo pour voir si ça ne lui dit pas quelque chose. On a qu’à rester avec le commissaire jusqu’à ce que leurs investigations finissent jusqu’à là, et je téléphone ce soir. Qu’est ce que tu en penses ? Une idée ? »
L’allusion à la vieille série télévisée coula sur Cassidi sans l’atteindre. Elle savait que son frère nourrissait une tendresse particulière pour X-Files et qu’il avait tendance à s’étaler sur le sujet pour peu qu’on lui en donne l’occasion. Le nom de Robertazzo retint déjà plus l’attention de Cass. Oui. Robertazzo, c’était une solution. Il aurait sans doute, sinon un diagnostic, au moins une hypothèse à proposer. Ce type, peut-être plus encore que Giovanni, était l’idole de la jeune femme. Elle aspirait à posséder ne serait-ce qu’un quart de ses connaissances lorsqu’elle atteindrait son âge. Elle acquiesça.
« Non. Robertazzo, c’est très bien. J’ai hâte que tu l’appelles, là je suis à court d’arguments. Rien à signaler de mon côté, hormis un gros dégueulasse de flic qui aurait adoré avoir Silvia sous sa couette – presque trente ans, le mec, t’imagines ? Elle était outrée. Bref, il ne lui a rien fait, et j’en suis certaine. Je te propose d’aller choisir un motel, j’ai vraiment besoin de dormir. »
Un miracle fit que Milo accepta cette proposition. Ou le fait qu’ils étaient désœuvrés. Après avoir salué Nerilla et un ou deux officiers, ils prirent le chemin de l’Impala, puis du premier motel qu’ils trouvèrent. Celui-ci semblait correct, et les prix qu’il affichait l’étaient tout autant ; de toute façon Cassidi aurait accepté de roupiller un peu n’importe où. L’endroit lui garantissait une nuit tranquille : les clients n’étaient pas nombreux à en juger par le peu de clés absentes dans la vitrine de la réception. Quant à l’immeuble, il donnait sur une espèce de parc privé miteux. Les Wincessero louèrent deux chambres contiguës, avec balcon. Le grand luxe. L’équivalent local d’une suite dans les plus beaux hôtels. Cass indiqua à son aîné qu’elle était claquée et qu’elle souhaitait ne pas être dérangée. A moins que Robertazzo lui apporte une information vitale, Milo devait la laisser dormir, ne serait-ce qu’un tour de cadrant :
« Tu pourras même me parler d’X-Files quand j’aurai récupéré. »
La récompense ultime.
Cassie investit sa chambre et troqua son costume contre l’antique débardeur géant qui lui servait de pyjama. Consciente de la nuit qui serait bientôt là, elle ne gaspilla pas d’énergie à fermer les volets ; elle se contenta d’entr’ouvrir la fenêtre donnant sur le parc, histoire de bénéficier d’un peu de fraîcheur pendant qu’elle dormirait. Puis elle rejoignit le matelas, tira sur elle les couvertures. Elle s’endormit à l’instant même où sa tête atteignait l’oreiller.
— fade to black —
Mario Abatucci, une fois qu’il en avait eu fini avec Silvia, n’était pas rentré chez lui. En fait, il n’avait même pas quitté le parc. En tant que boucher, il connaissait pas mal de gens en ville, mais il était pressé. Et son esprit était un peu embrouillé par la faim. Il lui devenait difficile de repenser clairement aux filles qui venaient lui acheter un gigot une fois par semaine ; il s’était souvenu de Silvia parce qu’elle était belle, parce qu’elle était alléchante, parce qu’elle était jeune, mais c’était tout. Le reste était flou. Il s’était dit que le corps de sa dernière victime ne tarderait pas à être retrouvé, et avait choisi de profiter de l’attroupement qu’un parc municipal permettait d’accueillir pour choisir sa victime. Sa patience lui avait fait raison. Du haut d’un pin parasol, à l’abri dans le feuillage que l’automne ne balaierait pas, il avait pu faire son choix dans la foule venue assister à l’enquête. Il avait d’abord eu l’impression qu’un supermarché était venu à lui ; en premier lieu, son choix s’était porté sur une étudiante. Puis il l’avait vue. Elle. La policière en costume chic, celle aux cheveux de nuit et la peau mate. Quand on était boucher, on avait l’œil pour jauger la viande que l’on nous proposait – les pulsions meurtrières d’Abatucci avaient converti ce don en excitateur de faim. Et, bon dieu, la flic cadrait parfaitement avec ses critères.
Alors Mario l’avait suivie. Jusqu’au motel. Discrètement – les impers beiges faisaient bien les choses. Il n’avait conçu qu’une vague méfiance à l’attention du type qui l’accompagnait : il semblait autrement plus solide que sa proie. Assez pour maîtriser un assassin normal. Mais pas assez pour le maîtriser, lui. Au pire, il constituerait un casse-croûte, s’il avait encore faim après la fille.
C’était ce que notre vilain monstre avait en tête en se faufilant dans la chambre de Cassidi Wincessero, désormais endormie. Il changea toutefois d’avis en apercevant un coin de chair dépasser du drap. Non, il n’aurait pas besoin de casse-croûte après ça. la flic suffirait amplement.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 11:14, édité 1 fois
Cassidi, pour une raison inconnue qui lui serait sans doute dévoilé bientôt, semblait énervée. Ses sourcils légèrement froncés, sa moue sévère et ses yeux abritant un orage ne trompaient pas.
- Non. Robertazzo, c’est très bien, approuva-t-elle d’une inclinaison de la tête. J’ai hâte que tu l’appelles, là je suis à court d’arguments. Rien à signaler de mon côté, hormis un gros dégueulasse de flic qui aurait adoré avoir Silvia sous sa couette – presque trente ans, le mec, t’imagines ? Bref, il ne lui a rien fait, et j’en suis certaine. Je te propose d’aller choisir un motel, j’ai vraiment besoin de dormir.
Aah, c’était ça. Tout d’abord, Milo fut tenté de sourire mentalement devant la véhémence de sa sœur. Peut-être parce qu’il était un homme, il avait du mal à partager l’indignation de Cassidi. Pour sa part, il ne voyait rien de surprenant à ce genre de choses. C’était courant dans les fêtes étudiantes, après tout et il estimait qu’une fille de dix-sept ans, surtout ce type de fille, savait très bien ce qu’elle faisait. Ou pas, mais elles n’étaient pas obligées de se vêtir uniquement d’un débardeur moulant et d’une jupe aussi courte. Il préféra ne rien ajouter et se contenter de…
« J’en suis certaine » ? Plait-il ? Pardon ? Avait-il eu un soudain accès de surdité que son inconscient avait tenté de lui masquer par d’autres mots ou bien venait-il vraiment d’entendre ce qu’il venait d’entendre ? Ses iris se braquèrent sur sa sœur qui s’éloignait tandis que ses poings se serraient. Certaine, vraiment ? Il n’y avait pas que lui à qui il arrivait des accès de surdité, apparemment. Ne s’étaient-ils pas dit quelques heures plus tôt qu’il était hors de question pour Cassidi d’utiliser, ne serait-ce que de penser d’utiliser son satané truc ? Pour se mettre dans un tel état, quel sens cela pouvait-il avoir ? C’était juste aberrant et Milo ne comprenait pas que sa sœur ne puisse pas avoir cette même vision évidente des choses. C’était comme… Enfin, comme ne pas mettre sa main dans le feu ou sous un hachoir !
Milo ravala péniblement sa bouffée de colère en même temps que sa salive. Non seulement, cela n’aurait eu aucun sens de piquer brusquement une crise devant tout le monde mais de plus, Cassidi était déjà partie et dodelinait de la tête. Le visage fermé, son frère se promit qu’elle ne perdait rien pour attendre. Milo était l’une de ses personnes qui emmagasinaient un certain temps avant d’exploser. Une parfaite cocotte-minute que Cassidi-la-vapeur alimentait régulièrement, Dieu la bénisse.
Il lui emboita le pas, la mine sombre. Ils prirent congé de la clique de policiers avant de s’en aller en quête d’un hôtel. Ils ne tardèrent pas à en trouver un qui leur convenait parfaitement, où ils prirent deux chambres. Cassidi se hâta de s’enfermer dans la sienne, en quête d’un long sommeil réparateur. Milo n’avait pas décroché plus de quelques mots depuis le parc, juste ce qu’il fallait pour communiquer. Il savait que Cassie ne s’en étonnerait guère ; elle avait l’habitude des périodes ermites de son frère l’ours. Il lui souhaitât bonne nuit avant de descendre en bas. Pour sa part, il n’avait pas sommeil et il désirait appeler Robertazzo.
Il composa machinalement le numéro. Leurs portables, finalement, étaient assez inusités. C’était bien simple ; Milo, pour sa part, utilisait son téléphone essentiellement pour être en contact avec Cassidi lorsqu’ils étaient séparés. Il confiait rarement son numéro lorsqu’il se faisait passer pour l’agent Almeida ou tout autre pseudonyme. Ensuite, quelques chasseurs et amis le contactaient par ce biais ; mais finalement, il ne possédait pas la longue liste interminable qu’ont les gens d’aujourd’hui dans leur répertoire. Comme les Wncessero passaient leur temps à se déplacer, ils n’avaient guère le temps de se faire des amitiés durables, à part pour les personnes qu’ils côtoyaient depuis leur enfance ; soit les personnes de leur milieu, des chasseurs, tout comme eux. Et à part discuter avec eux de chasse, justement, on ne faisait pas grand-chose. Pas de « Bon anniversaire », « Salut, comment ça va depuis le temps ? ». Plus des « Eh, t’aurais pas un tuyau ? » « Je suis sur un coup là, un gros, ça vous dirait de passer ? », des « tenez, il se passe ça dans le coin, vous devriez vous en occuper » quand ce n’était pas des « Ben alors, il est où Giovanni ? On ne le voit plus ! ». Les diverses petites amies que Milo avait pu se faire étaient quant à elles passagères ; il n’avait pas assez de temps à leur consacrer, elles n’aimaient pas son mode de vie, ou l’ignoraient et n’auraient pas pu s’y faire si elles la connaissaient. Enfin, elles voyaient Cassidi d’un très mauvais œil. Il n’y avait pas de place au développement des relations personnelles dans tout ça.
Disons que leur relation la plus solide restait Robertazzo. Depuis la mort de Giovanni –Milo sentit son estomac se contracter-, ils s’étaient d’autant plus rapprochées que l’ancien ami de leur père était la seule chose qui restait de lui et ressemblait de loin à un membre de la famille. Milo savait que Cassidi admirait beaucoup Robertazzo.
Bientôt, une voix familière succéda à la tonalité.
- Ouaip ? - Salut Berto, c’est Milo, commença ledit Milo machinalement. Quoi de neuf ? Je t’appelle d’un bled près de Milan, là. Cassidi et moi séchons un peu sur une affaire… Il s’agit d’un homme qui aurait dévoré plusieurs femmes, au moins six. Il y aurait peut-être une septième victime… Je suis certain qu’il s’agit d’une créature humanoïde, puisque nous avons eu plusieurs descriptions de témoins et des empreintes… Les corps ont été dévorés et rongés comme s’il s’agissait d’un animal sauvage. Nous avons pensé à diverses choses mais nous n’avons trouvé aucun indice les confirmant. Une idée ?
Pris à court, son interlocuteur lui confia que cette description lui rappelait quelque chose mais qu’il n’était sûr de rien. Il demanda quelques précisions à Milo avant de lui promettre qu’il rappellerait dès qu’il aurait la confirmation de son intuition, soit d’ici une heure ou deux. Un peu plus optimiste quant à l’affaire, Milo commanda un verre au comptoir miteux et se prépara à attendre. Il en profita pour compléter le carnet paternel de quelques notes ; c’était toujours utile. La barman, qui s’ennuyait ferme, vint s’installer avec lui. Il se laissa tenter par le badinage et discuta un peu avec elle, surveillant son portable par de petits coups d’œil scrutateurs, comme si regarder intensément le téléphone allait déclencher la sonnerie. Enfin, alors que Milo s’apprêtait à regagner sa chambre en bouillant d’une impatience contenue, Robertazzo rappela.
- Allô ? - J’ai trouvé ce que vous cherchez.
Milo en devint presque fébrile.
- C’est vrai ? De quoi s’agit-il alors ? - D’un rugaru.
Un rugaru ? Nulle trompette, nul tambour ne vinrent ponctuer cette révélation peut-être censée déclencher l’arrivée d’un flot de lumière dans la boite crânienne de Milo. Ce ne fut pas le cas. Il ignorait absolument l‘existence d’une telle créature et se borna donc de répéter :
- Un rugaru ? - Il s’agit d’un humain qui subit une métamorphose, comme une larve de mouche. Ou une chenille, si tu veux une image plus poétique. Pour ma part, j’appellerais plutôt ça une larve de mouche. A viande, la mouche. - Qu’est ce qui entraine la métamorphose ? demanda Milo, en ignorant cette oeuvre d'art de l'humour. - C’est de famille. Cela commence par une faim vorace, qui devient tellement insupportable qu’ils se mettent à désirer la chair humaine, expliqua Robertazzo d’un ton docte. Dès qu’ils plantent leurs dents dedans, hop, les yeux, la peau, les dents, tout y passe. Ils changent et ne sont plus véritablement humains. Ils deviennent pour de bon des monstres et ne pourront jamais faire marche arrière. C’est une transformation définitive. - Sacré boulimie, râla Milo, enchanté de toute cette histoire. Qu’est ce qu’il faut qu’on sache d’autre ? - Pas grand-chose, à part le moyen de les tuer. Vous n’avez pas le choix, comme pour les loups-garous. Et le seul moyen de les éliminer, c’est de les brûler. Les frire. J’ai passé quelques coups de fils, en général les chasseurs utilisent des lance-flammes maison, ce genre de chose. Un peu d’essence, une allumette, c’est très bien aussi.
Milo digéra l’information avant de répondre :
- Très bien, merci beaucoup Robertazzo. - Faites attention, Milo ; ce sont de sales bêtes méchantes. Et elles ont vraiment faim. - J’y penserais, ne t’inquiète pas, assura Milo. Au fait… - Oui ? s’enquit Robertazzo.
Le jeune homme hésita. Il avait mis Robertazzo au courant quelques mois plus tôt au sujet de Cassidi, mais se demandait s’il était vraiment utile d’en parler maintenant. Après tout, que pourrait faire Robertazzo de Trieste où il se trouvait en ce moment ? Et puis, il n’y avait pas eu vraiment de changement. C’était juste que…
- Cassidi n’écoute pas quand je lui dis d’arrêter avec son truc, marmonna-t-il aussi vite que possible en se donnant l’impression d’être un jeune père de famille se sentant dépassé qui demanderait conseil à sa vieille mère. J’ai beau lui dire, elle n’a pas l’air de comprendre…
Il s’était éloigné des chambres une fois arrivé dans le couloir et c’était assis sur le rebord de la fenêtre de la galerie déserte. Au vu de la chape de nuit qui était tombée dehors –il pouvait à peine distinguer les arbres du parc minable-, il devait être un peu plus de vingt heures, quelque chose dans ce goût-là. De cet endroit, Milo pouvait également voir la porte fermée de la pièce où se trouvait sa sœur. Certain que personne et surtout pas elle ne pourrait l‘entendre ici, il discuta longuement avec Robertazzo.
- Fondu et musique menaçante –
Cela devait faire une minute que Mario regardait ce joli petit bout d’épaule qui dépassait délicieusement du drap, avec ce plaisir emprunt de douleur que l’on a à admirer son morceau de steak tartare au restaurant avant d’enfin y plonger notre fourchette. La peau bronzée promettait d’être légèrement craquante, comme pour celle du poulet rôti au four. C’était presque comme s’il décelait la couleur dorée de l’huile couler le long de l’épiderme. Ses mains tremblaient en s’agrippant au drap. Il voyait, non, il sentait déjà ses canines se refermer sur un morceau de chair, percer la fine protection de l’enveloppe avant de fondre sous la douceur d’une bouchée de viande fraîche et sanglante. Mario prenait le temps de contempler la belle jeune fille, muet, presque étonné de la trouver si appétissante. Elle était pourtant plus âgée que celle récemment dévorée. Mais depuis, il avait de nouveau tellement fait qu’il aurait mangé n’importe quoi, même une grand-mère. Bien sûr, cela ne serait pas aussi tendre, aussi juteux que son précédent menu. Il n’y aurait pas cette saveur inégalée de la viande en lait ; même avant, Mario avait toujours adoré le porcelet. Les saucissons d’Arles et de Lyon, les langues et le petit salé cuit à l’eau, la tête de cochon en gelée, les rillettes, tout cela ne parvenait pas au pied de la viande des jeunes filles, seule apte à combler ce trou qui béait de son estomac, sans cesse, lancinant. Il se délectait autant par le soulagement de son désir que par l’appétence que cette consommation lui apportait. La chair saignante, le goût salé de la graisse, le fumet qu’exhalaient les corps et qui montait doucement à ses narines par bouffées d’effluves, le souvenir et le futur proche produits par ces évocations emplissaient l’esprit du rugaru affamé. A travers la coloration de l’épaule offerte, il revoyait les tons tendres de ces jambons qu’il découpait autrefois, et des nuances cuites des rôtis de bœuf. Il se sentait fébrile, à la fois intimidé et impatient. L’excitation le gagnait peu à peu tandis que toute pensée logique de son esprit disparaissait pour ne laisser qu’une seule idée ; la faim. La nourriture. Manger. Il se plut à faire durer cette tension le plus longtemps possible, à s’en laisser entièrement emplir et baigner. Ces lignes rondes, cette gorge palpitante qui s’avançait, cette chair crue offerte lui firent rapidement perdre la tête. Ses doigts tremblant qui hésitaient alors à se poser sur le bras tiède furent saisies d’un spasme ; alors, avec un grondement sourd, il plongea dessus et enfin, enfin, ses dents se refermèrent sur sa proie et arrachèrent un lambeau de peau. Félicité. C’était comme il s’en souvenait Comme il l’avait imaginé.
Un hurlement lui vrilla les tympans.
La suite fut un peu confuse. Comme d’habitude, réveillée par la douleur, la fille se débattait. Comme d’habitude, elle criait, se déhanchait, le frappait de sa main libre pendant qu’il prenait des bouchées de son épaule, avidement, ignorant les coups qui pleuvaient sur lui. Une main ferme se posa sur les lèvres framboise pour la bâillonner. Le sang chaud ruisselait sur sa langue, suintait par ses lèvres étirées, coulait sur son menton et gouttait sur les draps déjà tachés par une tache qui s’agrandissait de plus en plus. Bientôt, perdant son emprise, il s’attaquerait à ce cou frémissant, tel le bon prédateur qu’il était, là où battait la veine jugulaire que convoitaient tant les carnassiers. Un coup profond sectionnerait également l’artère et il pourrait s’abreuver de l’hémoglobine si tiède, si suave, si délectable sous les spasmes de sa victime agonisante. Après cela, il pourrait attaquer le met principal du repas et satisfaire cet appétit qui le rongeait. Une bouchée, encore, encore, enc…
Sans comprendre comment, Mario se retrouva brusquement projeté à bas du lit. Son front heurta de plein fouet la table de chevet. Malgré sa force nouvelle, décuplée par la faim, il fut brièvement étourdi. Des coups pleuvaient sur son visage, mais il se ressaisit bien vite ; saisissant le premier bras qu’il sentit, il renversa violemment son adversaire en roulant et saisit l’occasion pour se relever. Reculant de quelques pas, il comprit que le collègue de la flic était intervenu. Le rugaru fut secoué par une vague de colère ; il n’avait jamais encore connu l’atroce souffrance d’être interrompu en plein repas et se sentait presque insulté. De quel droit osait-on le priver de sa victime ? La faim mêlée à la rage lui tordit l’estomac. Peu importe, il lui suffisait de tuer le type et d’achever la fille ; il pourrait ensuite la manger en toute paix si personne d’autre n’avait été alerté par ses cris stridents, puis, à la rigueur, finir avec l’autre. Sinon, même plan. Sauf qu’il emporterait son casse-croûte avec lui ; ce n’était qu’une partie remise. Mais cette brillante stratégie fut prise à court par un obstacle imprévu, qui prit la forme d’un canon de revolver pointé sur sa tête. A ce moment précis, le rugaru comprit que tout était foutu ; son plan, sa pitance, sa vie. Plusieurs personnes avaient du entendre désormais ; et il était moins certain de parvenir à vaincre deux personnes à la fois, surtout armées. Bondissant en avant, il décocha un uppercut à son adversaire pour l’écarter de sa trajectoire ; puis il courut et sauta par la fenêtre. Se rétablissant sans trop de peine sur l’herbe humide, il se hâta de gagner la protection obscure du parc tout proche. Il était passé maître dans l’art de s’enfuir.
Dans la pièce où nous nous trouvions un instant auparavant, Milo se releva, persuadé que sa mâchoire venait d’être déboitée et qu’il serait condamné à la soupe et à la compote pour le restant de ses jours. Il se précipita sur le balcon ; une silhouette s’enfuyait dans les fourrées et disparue bientôt de son champ de vision. Furieux, il abattit son poing sur la barrière. Il regretta immédiatement son geste. Sachant qu’il ne pourrait plus rattraper la créature, il se souvint de Cassidi et fit volte-face.
- Cassie, Cassie, tu vas bien ? questionna-t-il anxieusement, tout en sachant pertinemment la réponse.
Il s’assit sur le bord du lit, alluma la lampe de chevet. Sa main qui s’était posée brièvement sur le drap était rougie et visqueuse. Il saisit Cassidi par son autre épaule et le menton, examina l’affreuse plaie, les lèvres serrées. Il ne lui semblait pas qu’elle ait d’autres blessures ; en tout cas, bien que son cou soit ensanglanté, il n’y avait rien. Milo se sentit un tout petit peu mieux. Son souffle se relâcha et son cœur reprit ses fonctions.
- Je vais appeler le médecin, ne t’inquiète pas.
Se faisant, il se tourna vers la porte du couloir restée ouverte depuis son entrée ; la lumière avait été rallumée, le réceptionniste, un client et le responsable de l’hôtel se tenaient là, hagards.
- Qu’est ce que vous attendez ? s’énerva-t-il. Appelez un médecin !
Son regard noir et son ton ne toléraient aucune réplique. L’un d’eux s’exécuta tandis que Milo s’employait à bander sommairement sa sœur pour limiter les dégâts avec ce qui restait de drap.
Lorsque l’on dormait à poings fermés, il était rare que l’on ait conscience de profiter au maximum de profiter de cet état de semi-coma. A la rigueur, on constatait cela au réveil ; on le devinait à l’état détendu de ses muscles, à la certitude d’avoir sommeillé d’une traite, sans souffrir d’une panne de marchand de sable durant la nuit. Cassidi semblait bien partie dans cette direction, et sans doute aurait-elle atteint le terminus si un certain rugaru n’avait pas profité de l’instant pour passer à l’action. La jeune femme, en temps normal, ne dormait pourtant presque jamais sur ses deux oreilles. Il y a avait toujours chez elle, indépendant de sa volonté, un infime fragment de conscience se refusant à baisser la garde. A lâcher prise. Alors elle rejoignait le pays des rêves, oui, mais à la manière des alpinistes – bien assurée par une corde qui se tendrait au moindre problème, afin de la ramener sur Terre. D’ailleurs, si elle n’avait pas été si fatiguée, il n’aurait fait aucun doute que Cassie aurait glissé un revolver sous son oreiller, un peu comme le faisaient les gamins avec leurs dents de lait en attendant la petite souris. Manque de pot, Cass avait oublié le flingue. Le monstre choisit toutefois d’être sympa ; pistolet ou non, dent ou pas, il passa tout de même. Charitable, le type.
Avant que ses crocs ne se referment sur l’épaule de Cassidi, il y eut une infime déchirure dans le temps, un fragment de seconde plus poli qu’un autre, plus éclatant aussi, où la chair ne fut que frôlée par la dentition. Comme une caresse oubliée là par un amant de passage, comme un baiser volé ; ce fut si bref que l’instant se perdit, humilié qu’il l’était par la jubilation des secondes. Pourtant, pourtant, Cassie ouvrit les yeux à cet exact moment. Et si elle n’identifia pas le problème, pas plus qu’elle ne comprit ce qui allait lui tomber dessus, elle put pleinement profiter, bien éveillée, de la douleur qui explosa dans son épaule. En fait, ce fut bien mieux que cela : de cette dernière, elle saisit la moindre nuance, le plus ténu des accents, et la réalité revêtit une robe carmine qu’elle ne lui avait encore jamais vue sur le dos. Le monde explosa à ses yeux. Plus rien ne subsistait, si ce n’étaient la fatalité de l’épreuve et la certitude d’avoir toqué à la mauvaise porte du destin. Il n’y avait plus qu’une petite fenêtre libre que sa conscience maintenait ouverte ; de là, la jeune femme pouvait survoler les évènements. Et encore, ce n’était pas si clair. Ce qu’elle avait vaguement connaissance d’observer semblait imperméable à son regard, et finalement, il n’y avait pas grand-chose qu’elle put saisir. Le clair-obscur ciselait un visage à quelques centimètres du sien, un poids pesait sur son corps — quelque chose, oui quelque chose s’acharnait sur la chair de son épaule. Lorsqu’un son parvint à Cassidi, achevant d’écorcher ses sens malmenés, il lui fallut un moment avant de comprendre qu’il s’agissait de son propre cri.
Et soudain, le tangible de la situation la rattrapa. Le monstre. Un terme simple, qui fit l’effet d’une seconde bombe H dans son esprit. Alors elle hurla, se débattit, sacrifia toute son énergie dans des tentatives pour se dégager de l’emprise de la créature, cependant que celle-ci la plaquait de plus belle sur le matelas. Cassie paniqua, purement et simplement. Elle céda à ce sentiment qui vous privait de toute maîtrise ; elle y versa comme ce sang qu’elle sentait lui échapper, fuir, laisser sa place à l’horreur. Et elle découvrit, sous le voile rouge, une cathédrale de vérités. Un peu comme si un type les avait laissées là à son attention. Elle découvrit que l’adrénaline ne suffisait pas à faire mentir les statistiques. Elle découvrit qu’il existait un stade où un larynx, à force de peur, de contorsions musculaires et de vasoconstrictions secondaires à une élévation de la tension artérielle, échappait au contrôle de son propriétaire. Tant et si bien qu’elle s’était déjà tue quand le meurtrier la bâillonna d’une main griffue. La suite parut confuse à la victime. Le silence, loin d’être revenu, brillait par son absence. Elle n’entendait plus que les battements affolés de son cœur. L’écho assourdi des coups qu’elle assenait à l’agresseur. La mastication appliquée du monstre penché sur elle. Ce dernier ne s’était pas embarrassé de fioritures en la muselant ; et l’air, d’abord raréfié, avait cessé de lui parvenir, pour ne plus constituer qu’un souvenir. Mais les pensées, elles, se bousculaient dans sa tête. Elles étaient plus claires que jamais, à leur façon. Plus colorées. Il n’y avait plus de place pour les doutes et autres interrogations d’ordre existentiel. Seule une regrettable conscience des choses subsistait, doublée d’une lucidité qui ne se connaissait pas d’exutoire. Il y avait les crocs, il y avait la douleur. Il y avait la chair que l’émail fouillait, fouaillait de son biseau ; il y avait l’ombre de la Faucheuse qui s’invitait à la scène. Et elle devait rire, rire de voir Cassidi se tortiller — comme si cela allait dévier la course de sa petite existence ! Comme si ç’allait changer quelque chose à l’état de ses muscles. Comme si ç’allait ressusciter le deltoïde et le trapèze, clamper les veines mises à mal par l’assaut. Mais ce n’était pas là l’ensemble du tableau, ce n’était pas là toute l’image qu’une main avait peinte dans le sang. Parce qu’il y avait la peur, aussi. Les loups-garous. Les wendigos tapis dans les grottes. Les polymorphes au sourire gouailleur. Les démons. Les monstres sous le lit. Les croque-mitaines dans les placards. Les yeux jaunes dans les conduites d’aération. C’était là ce qui se tramait sous le crâne de Cassie : un spectre consistant, venu remplacer l’hémoglobine perdue et glacer son âme.
Milo !
Puis tout alla très vite. A l’horloge, la trotteuse retrouva sa vigueur ; le temps, lui, reprit son vol. Et soudain, Cassidi se retrouva seule sur le matelas. Quelques bruits sourds lui parvinrent. Elle entrevit, par-delà la brume rouge, la silhouette de son frère aux prises avec une autre, plus imposante, qu’elle identifia comme l’agresseur. Mais Cassie n’en était pas sûre. Elle ne parvenait pas à focaliser son attention sur la lutte s’étant engagée à quelques mètres d’elle. Elle ne vit pas Milo sortir son arme, ni la bête prendre la fuite. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’un linceul l’enveloppait d’un voile chaud, chaud comme l’hémoglobine dont s’abreuvaient les draps.
L’instinct lui commandait de quitter le lit, d’abandonner les draps souillés de sang, pour aller s’enfermer dans la salle de bains. A double tour et recroquevillée sur elle-même. Elle n’en fut pas capable. Ce fut tout juste si elle put remuer un orteil ; son bras valide, en revanche, se déplaça de façon à ce qu’elle atteigne, du bout des doigts, la zone de chair endommagée. La bile lui monta aux lèvres lorsque son index épousa les contours de ce qui ressemblait à des fossés. Cassidi comprit, en outre, que le ruissellement glacé sur ses joues devait être des larmes. Et ce cœur qui ne se calmait pas, et cette pompe qui s’emballait encore, lui ôtant la vue et la reléguant au rang de poupée de son. Et soudain Milo fut là, assis à ses côtés, à répéter son surnom, à l’interroger sur son état de santé — ses traits lui apparaissaient vaguement. Ne pose pas de questions débiles, voulait-elle lui dire. Mais ne t’inquiète pas trop. Arrête de tirer cette tête-là. Une lampe s’alluma. Dans sa confusion, Cassie sut que son aîné s’inquiétait de ce qui restait de son épaule. Si tu me dis que oui, ça va aller, je te croirai. « Oui », c’est rassurant. Elle faisait confiance à son frère. Si tu ajoutes « absolument », je t’en voudrai. « Absolument », c’est tout sauf rassurant. Toujours indistinctement, elle pouvait entendre Milo évoquer un médecin, la rassurer, parler à des gens. Elle profita de ce qu’il nouait un pan de tissu autour de la blessure pour fermer les yeux, l’espace d’un instant. Le temps de récupérer un peu.
Lorsqu’elle les rouvrit, Cassidi se sentait un peu mieux. Le visage de Milo lui apparaissait plus distinctement et, comprit-elle, l’état de choc s’estompait. L’état de torpeur demeurait, elle avait toujours la sensation d’évoluer dans un monde cotonneux, mais elle retrouvait une conscience moins aiguë de ce qui pouvait se passer autour d’elle. Un peu comme si la caméra s’éloignait afin d’englober la scène dans son ensemble, ou que la part d’attention accordée par son cerveau à un détail — le feu dans ses membres — passait par le filtre de la réalité. Mais elle n’eut pas la bêtise de bouger. Elle savait que c’était certainement la chose la plus débile à faire dans ces circonstances, d’autant qu’un médecin semblait en chemin pour le motel. Alors elle s’appliqua à demeurer éveillée, à sourire à son aîné ; un murmure lui échappa même, inaudible mais synonyme de remerciement. Intérieurement pourtant, elle tremblait encore. Les couvertures pesant sur son corps ne suffisaient pas à dissiper ses frissons. Elle savait les crocs disparus. Elle ne comprenait juste pas pourquoi le froid, lui, s’acharnait à la dévorer ; sur ses pieds, sur sa tête et partout, la glace, le givre, le gel. Il y avait beau n’y avoir que quelques mètres entre Milo et elle, elle ne parvenait pas à se sentir rassurée — même en sachant la créature partie. Les Wincessero avaient eu affaire à des monstres au point d’être incapables d’énumérer les situations où cela s’était produit, et souvent, ç’avait été physique. L’un comme l’autre, ils avaient reçu leur lot d’ecchymoses, de coupures, ou même des plaies plus sérieuses. Ils avaient l’habitude. Cassidi n’avait jamais trouvé spécialement traumatisant d’être prise à la gorge par un truc comme un démon. Toutefois, il y avait une différence entre s’attendre à une attaque et se faire presque égorger dans son sommeil. Une sacrée différence, qui faisait tout le jeu de l’état d’esprit de Cassie.
La visite du médecin raidit un peu plus la jeune femme. Oh, pas qu’il ait l’air méchant. Il se présenta, Chuck Profete. Son visage chevalin, les pattes d’oie autour de ses yeux alors qu’il lui souriait, la voix douce dont il usa pour lui parler ; tout poussait à lui accorder sa confiance. Sauf que Cassidi n’était pas exactement partante pour qu’un inconnu s’occupe d’elle. A la rigueur, elle préférait encore se vider de son sang, tant que cela n’impliquait pas de se justifier auprès d’un type avec un nom bizarre. Et le soignant devait posséder un certain sens de l’empathie, car il n’insista pas vraiment. Il se contenta d’une vague explication à propos de la bête qui avait attaqué les filles dans les journaux. Pendant ce temps, Milo discutait avec Nerilla. Profete fit son boulot sans investir la sphère privée de Cass autrement que par les soins qu’il prodigua. Les plaies, localisées à la base du cou et au niveau du galbe de l’épaule, étaient profondes ; il les nettoya à l’eau claire, à l’aide de compresses stériles, qu’il appuya fermement sur les zones concernées. Au terme de quoi Cassidi fut étonnée et rassurée de constater que le flot de sang finit par se tarir, même si les draps témoignaient de la quantité perdue. Une fois que le médecin eut désinfecté au moyen d’un antiseptique, il constitua des pansements solides. Cassie lui assura que ses vaccins étaient à jour et, après qu’elle ait mentionné faire partie de l’AISI, Profete parut rasséréné.
« La peau a été largement arrachée, expliqua-t-il, sûrement très content d’avancer cet état de fait. Et même si ça semble impressionnant, ça n’est pas si grave. Ça reste globalement superficiel, hormis concernant deux ou trois petites zones que les crocs ont mieux imprégnées. J’ai fait ce que je pouvais pour désinfecter, mais je — —Je n’ai pas le temps de me rendre à l’hôpital, coupa Cassidi. —D’accord. Libre à vous, je ne peux pas vous y forcer. Néanmoins, je vous conseille de consulter un médecin au cours des vingt-quatre prochaines heures, afin de vérifier que ça ne dégénère pas. Des points de suture n’ont pas l’air très utiles, et c’est tout aussi bien, mais mieux vaut se méfier, mademoiselle Laslos. »
Cassidi hocha la tête, en coulant un regard à son frère. Elle préférait éviter de laisser une trace trop tangible du passage des agents Laslos et Almeida. Chuck Profete confia à Milo un kit de compresses, d’antiseptiques et de nécessaire à pansements, en lui expliquant comment changer ces derniers et à quels moments. Il déconseilla à Cassie l’usage d’anti-inflammatoires, déconseillées lors d’un saignement prolongé, et lui fila une boîte d’antalgiques plus adaptés à sa condition. Il ajouta qu’il fallait qu’elle se repose et que, en cas de douleur trop aiguë, il était impératif qu’elle se présente dans un centre de traitement des infections. Luce Laslos assura qu’elle comprenait. Et enfin, avant de quitter les lieux, Profete laissa sur la table de chevet un tube de comprimés. « N’hésitez pas à en prendre un si vous vous sentez anormalement stressée. » Cassidi eut un sourire tendu. Il n’y avait pas de raison pour, voyons.
Enfin, les frère et sœur se retrouvèrent seuls. L’agitation dans le motel était visiblement retombée. La porte refermée, Cass se leva, prudemment, et enfila un pantalon sous son débardeur, histoire de cesser de claquer des dents. Elle retourna à son lit, s’y assit en tailleur ; après quoi elle dévisagea Milo en triturant les pansements.
« Merci, lui lança-t-elle. Vraiment. J’ai cru que j’allais y passer. Donc merci. » Sa voix tremblait un peu et elle se savait au bord des larmes. Elle s’en foutait. Elle changea de sujet, sans doute afin d’éviter à Milo un instant de gêne, qui aurait requis une étreinte de sa part. « Tu as pu parler à Robertazzo, alors ? »
Elle ne s’était pas départie du sourire par lequel elle avait répondu à Profete à la mention du stress post-traumatique. Elle savait que Milo verrait au-delà — elle le savait bien. Et pourtant, c’était plus facile comme ça. Même si ça supposait de se mentir à soi-même.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:58, édité 1 fois
Milo du faire appel à des choses qu’il ne se soupçonnait pas, ou plutôt que les gens ne soupçonnaient pas, afin de rassurer sa sœur toute tremblante. Il cacha une colère exponentielle sous une voix plus douce que d’ordinaire pour lui dire des mots dont il ne se rappelait plus une minute plus tard. De toute façon, il aurait parié que Cassie ne l’écoutait pas vraiment, bien qu’elle le regardât de temps à autre. Très vite à court de paroles réconfortantes, il entreprit de la couvrir de son épais manteau d’agent Almeida et s’occupa d’elle jusqu’à l’arrivée du médecin, un type répondant au nom improbable de Chuck Profete. Après lui avoir brièvement expliqué la situation, il lui confia Cassidi, à qui il se contenta de dire qu’il reviendrait bien vite. Milo aurait pu faire une blague cocasse à l’humour évolué en lui recommandant de ne pas mordre le médecin, mais en plus du fait qu’il n’était pas du genre à plaisanter d’un ton léger, cela lui semblait d’assez mauvais goût. Aussi relégua-t-il cette improbable idée au rang de pensée mort-née redevenue poussière dans les tréfonds de sa boite crânienne avant d’aller s’acquitter de tâches encore plus contraignantes ; rassurer le proprio, lui expliquer la situation en révélant le moins d’informations possibles, gérer Nerilla qui devait depuis être au courant et trépigner à l’autre bout du fil.
Il était hors de question que le commissaire et sa bande rapplique alors qu’il était au moins vingt-trois heures et que Cassidi mourrait de fatigue. Elle avait besoin de se reposer et de se ressourcer après l’épreuve et de toute façon, Milo s’estimait parfaitement capable de gérer la situation tout seul. Aussi pria-t-il poliment le policier de ne pas intervenir ce soir, de rester dans son lit douillet auprès de sa charmante femme et de ne s’inquiéter de rien. Il y avait eu plus de peur que de mal et la bête avait dû profiter de la nuit pour se cacher ; ils ne la retrouveraient pas, même avec une battue. Lorsque Nerilla demanda quelques détails supplémentaires sur l’agresseur, Milo resta très vague, arguant la pénombre pour ne pas compromettre l’existence du rugaru. Il ne voyait pas très bien comment expliquer le phénomène à son interlocuteur, même si ce dernier était compétent et ouvert d’esprit. De plus, il préférait éviter toute discussion prolongée. Sa couverture pouvait craquer à n’importe quel moment et tant qu’à faire, Milo préférait rester un ou deux jours de plus, juste le temps qu’il fallait avant l’arrivée des véritables agents de l’AISI, pour trouver la bête, la tuer et pour permettre à Cassidi de se remettre. Là, il ne se voyait pas trop lui faire subir les affres d’une conduite de nuit. Il remercia néanmoins Nerilla pour sa sollicitude et lui promit de le laisser faire son enquête le lendemain matin. Puis il raccrocha –il avait dû torpiller son budget téléphone en une soirée-. Son regard tomba sur sa main. Et sur l’autre. Elles étaient pleines du sang de Cassidi, transformé en fine pellicule qui s’effritait dès que l’on grattait un peu. Il gagna alors la salle de bain pour se laver les mains tandis que le docteur Profete en finissait avec ses soins.
A vrai dire, il ne se sentait pas très bien. Cela n’avait rien à voir avec la douleur sourde qui s’installait dans sa mâchoire sous la forme d’un hématome noirâtre. Il pensait à Cassidi, dans un mélange d’angoisse concrétisé après sa discussion avec Robertazzo et d’émotions post-accidentelles. Il avait eu peur pour elle, vraiment. Pas le genre d’inquiétude qu’il pouvait avoir pour sa propre personne quand il était condamné à ramper dans un boyau sombre à la recherche de on ne sait quelle immondice. Mais la crainte viscérale et dévorante de voir sa sœur en danger, en danger de mort. Il aurait du avoir l’habitude avec toutes ces chasses plus dangereuses les unes que les autres. Cassie se prenait autant que lui des pains monumentaux, des coups divers, des balles ou des éclats de verres quand ce n’était pas des blessures d’origine plus exotique. Mais même lorsqu’ils étaient aux prises avec chacun un ennemi, il ne s’en faisait pas vraiment. Il avait confiance en ses capacités, en la force de son poing et en ses talents de tireuse. Et parce qu’il était présent, aussi. A côté, prêt à intervenir, supervisant du coin de l’œil ce qui se passait. Doté de la capacité à l’aider. Capacité qu’il ne possédait pas quand il était absent et en l’occurrence, il l’avait presque été. Que ce serait-il passé si Milo avait choisi de rester en bas, dans le salon, à conter fleurette à la barman ? S’il était parti se coucher, ou si… Enfin bref, s’il n’avait pas été devant la porte au moment même où le cri de Cassie retentissait ? Ce son strident lui vrillerait les tympans longuement encore, bien après que les ondes se soient évanouies. Peut-être était-ce ça, la différence. Entre une bagarre « normale » et ce qui venait d’arriver. Dans le premier cas, Cassidi ne criait pas. Outre cette peur, il y avait celle de l’avoir vu blessée, couverte de sang, l’épaule bien mal en point, le regard hagard. Ces visions qui vous hantaient et qui bordaient vos cauchemars ; la crainte toujours proche d’avoir un jour à voir Cassie allongée sur le sol, livide, les yeux à peine entrouverts, un filet de sang coulant le long de ses lèvres. Et de, une fois encore, ne rien pouvoir faire ; car il serait trop tard.
A cela se superposait, par intermittence, dès qu’il fermait les paupières, le souvenir d’une face véreuse congestionnée, tellement blanche qu’elle en paraissait grisâtre et dont le bas était barbouillé de sang. De ces veines bleutées qui saillaient sous la peau tendue. De ces iris très clairs, cerclés de noir comme celles des chats, assombries par une idée bestiale et obsessionnelle. De la langue luisante et poisseuse d’hémoglobine qui jurait avec les lèvres desséchées couleur craie, entourée d’une rangé de dents pourries.
En fait, Milo n’en avait pas vraiment eu peur. Ca, ce genre de créatures, il connaissait. Il était blasé par leurs apparences, comme quelqu’un écœuré des thrillers après en avoir trop vu et connaissant par cœur chaque scénario possible, chaque ressort, chaque élément caractéristique. Mais dans de ce visage, il reconnaissait celui de l’agresseur, celui qui avait failli le lui enlever Cassidi. Celui qui avait été autrefois un humain et par un comportement anormal, s’était écarté de la voie que lui dictait la nature. Il s’est laissé tenter et il a payé. Il ne redeviendra jamais un homme. Il n’en est plus un. Ce faciès, en réalité, était celui qui se postait au bout d’un chemin, le masque qu’il faudrait revêtir et qui collerait bientôt à la peau. Qu’il serait désormais impossible d’enlever. Et ce chemin… Etait-ce celui qu’empruntait Cassidi ? Voilà, Milo l’avait fait. Il l’avait dit, pensé. Oui, c’était ce qu’il craignait en outre mesure, ce qui accentuait sa sensation d’étouffer. Ce petit bout d’angoisse lui serrant la gorge, qu’il avait eue au téléphone avec Robertazzo. La cerise sur le gâteau de l’horreur.
Milo prit son temps. L’eau glacée qui jaillissait du robinet avait quelque chose d’apaisant qui lui permettait de se recentrer. De combler la légère fissure, de consolider le mur lézardé. Milo n’aimait pas se sentir brusquement fragilisé. Les traces écarlates disparurent bientôt, emportées par le flot. Il garda les mains sous le jet plusieurs minutes avant de tourner la poignée et de s’adosser au mur de l’étroite pièce. Ses yeux se fermèrent. Cassie allait bien, c’était l’essentiel. Il avait vraiment cru, pendant de douloureuses secondes, que ce fluide épais provenait de son cou. Que son souffle s’était tari en même temps que ses actions. Qu’il était intervenu trop tard, que la gorge était ouverte, que la plaie béante laissait échapper la vie de sa sœur adorée. Bâtard. Sale bâtard. Milo le retrouverait, il lui ferait sa peau –littéralement, avec un couteau- et verserait du sel sur ce qui resterait. Après quoi, il le ferait rôtir tel un immense gigot pascal, assaisonné à point.
Il n’avait pas menti lorsqu’il avait expliqué à Nerilla que peu importe ce qu’ils feraient, ils ne retrouveraient pas le rugaru cette nuit. Ces bêtes étaient passées maîtres dans l’art de se camoufler, de se cacher et de se faire oublier. Un wendigo, par exemple, était extrêmement discret. De plus, le noir était leur élément ; elles se fondaient dedans, une fois le forfait accompli, et pouvaient aisément vous semer, vous pister, vous traquez et vous piégez tout en vous faisant croire que durant tout ce temps, vous dominiez la situation. Mario avait du se terrer dans une cachette soigneusement préparée avant. Etre obsédé par la nourriture ne signifiait pas qu’il était devenu abruti.
Ah oui ; Milo avait bien reconnu le visage du sympathique boucher dans les traits du monstre. Aucun doute n’était possible. C’était logique, après tout ; il s’en voulait de ne pas avoir réalisé plus tôt, ou de ne pas avoir accordé autant de crédits qu’il l’aurait fallu à cette théorie. La bouchère avait été la première à y passer ; la chambre froide avait été vidée. On n’avait pas retrouvé le corps du mari. Chacune des victimes étaient passées au moins une fois dans la boucherie auparavant. Bien sûr que c’était Mario. Il répondait aux descriptions, correspondait aux empreintes. Ainsi, la seule chose positive que l’on pouvait tirer de cette soirée, c’était d’avoir un coupable désigné, autant par sa nature que par son nom. Dès demain, Milo irait acheter le nécessaire pour tuer le rugaru et n’aurait plus qu’à le débusquer. Il se massa les tempes ; la pulpe de ses doigts était glacée. Enfin, après un instant de réflexion, il quitta le local exigu pour retrouver Chuck Profete et Cassidi dans la pièce voisine. Il s’approcha du lit où se trouvait toujours sa sœur, et se sentit rassuré à la vu des bandages propres qui couvraient désormais son encolure. Le doc’ avait fait du bon boulot. Les Wincessero, abonnés aux coups et blessures, avaient depuis longtemps appris à faire les soins maisons. On n’avait pas forcément le temps ou l’occasion d’appeler un médecin. Ni l’envie d’expliquer d’où provenaient les étranges plaies. Bonjour monsieur, je viens de me faire boxer par un démon qui m’a démit le bras, vous ne voudriez pas tout remettre en place et envoyer la facture à mon assurance ? Alors, à moins qu’un camion ne leur passe sur le corps –et, hélas, c’était déjà arrivé- et que leur état soit vraiment inquiétant, Milo et Cassidi ne fréquentaient pas les hôpitaux et le corps médical qui allait avec. Ils possédaient leur brevet des premiers secours aux chasseurs ; le fil pour se recoudre, la pince pour retirer l’éclat ou la balle, le pansement et le mercurochrome. Hop. Vite fait… bien fait ? En tous cas, à part leurs collections de cicatrices, ils n’avaient pas à se plaindre.
Dans le cas présent, Milo préférait voir Cassidi entre de bonnes mains qui veilleraient à la bonne guérison de son épaule. Elle lui adressa un regard, il lui retourna un demi-sourire qu’il souhaitait encourageant. Cela ne lui posait pas de problèmes qu’elle refuse de se rendre à l’hôpital ; lui aussi préférait la discrétion et ils n’avaient vraiment pas de temps à perdre après ça. Il prendrait soin d’elle en attendant, veillerait à ce qu’elle prenne correctement ses cachets. Pas d’inquiétudes, doc’.
Il déchanta sec quand Profete lui refila tout un tas de babioles que les deux bras de Milo peinaient à contenir. Il s’efforça néanmoins d’écouter attentivement les recommandations du médecin et hocha plusieurs fois la tête dans un signe d’approbation. Enfin, l’éminent docteur prit congé après un dernier conseil à l’adresse de sa patiente. Milo referma la porte derrière lui. Il vint s’asseoir près de sa sœur qui avait mis ce temps à profit pour se couvrir plus chaudement. Elle souriait, mais tout son corps indiquait son haut degré de nervosité. Logique. Milo la considéra gravement.
- Merci, fit-elle en rompant le silence nocturne. Vraiment. J’ai cru que j’allais y passer. Donc merci.
La fragilité de sa voix était un marteau venant fracasser la lézarde. Il tressaillit tandis que Cassie embrayait immédiatement :
- Tu as pu parler à Robertazzo, alors ?
Milo aurait bien aimé répondre ; seulement, il ne pouvait pas. Les mots restaient coincés dans sa gorge en même temps que son souffle. Il ouvrit les lèvres, s’apprêta à parler, les referma. Finalement, sa main vint se poser sur celle de Cassidi et l’ôter de l’épaule blessait où elle vagabondait, tremblante. Il ne la lâcha pas mais passa délicatement son autre bras, le plus proche de Cassidi, autour de sa taille. D’habitude, il l’enlaçait plutôt par le haut, mais au vu des circonstances, c’était impossible.
- Arrête avec ça, dit-il doucement. Ils viennent juste d’être faits et je n’ai aucune envie de les changer.
Il l’attira délicatement contre lui et posa son front contre ses cheveux.
- Je suis content que tu n’aies rien de grave.Et oui, j’ai pu lui parler. Je venais juste de le quitter quand je t’ai entendue. Ce qui t’a attaquée est un rugaru.
Milo lui révéla alors tout ce que Robertazzo lui avait dit sur la bête. Il sentait Cassie frissonner contre lui, mais il la tenait fermement. De toute façon, il était évident qu’il n’allait pas la laisser seule ici ensuite ; Cassidi viendrait dormir dans sa propre chambre –pour une fois qu’ils en avaient deux séparés et pas un lit double pour jeunes mariés coquins…-, il fermerait soigneusement les volets –quelle idiote, aussi- et resterait sur le fauteuil pendant qu’elle se reposerait. Il n’avait aucune envie que Cassie avale à la place les cachets de Profete qui le narguaient depuis la table de chevet.
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Jeu 19 Mai - 14:51
Cassidi guettait quelque chose sur le visage de son frère. Elle ne savait pas quoi, mais elle guettait. La courbe de la mâchoire qui se durcit, la bouche qui se tait, le regard qui chuchote ; elle voyait tout ça, et elle attendait, comme mise sur la touche par l’instant. Elle-même gardait le silence. Parce qu’il n’y avait pas de mots à jeter comme on lâcherait une horde, parce que Milo était déjà au courant. Il savait que, paroles rassurantes du médecin ou non, présence fraternelle ou pas, elle crevait encore de trouille – telle la petite fille qui n’aurait pas aimé ce qu’elle avait découvert en grattant la couche de peinture. Et d’une certaine façon, il lui semblait qu’elle avait honte. C’était comme si elle craignait d’avoir peur pour de mauvaises raisons. Ou plutôt, comme si elle avait plus peur de la peur elle-même que du reste. Elle n’ignorait pas qu’il était impossible de bien vivre une attaque, d’autant que les conséquences de celle-ci auraient pu trouver une issue bien plus tragique que celle de quelques lambeaux de peau. Mais soudainement, ce n’était pas le soulagement d’avoir survécu – grâce à l’intervention de Milo – qui la saisissait ; c’étaient les souvenirs qui tenaient le rôle principal. Ceux des clichés qu’elle avait visionnés et mémorisés plus tôt dans l’après-midi, ou encore des photos que son propre cerveau avait prises des restes de Silvia Berlusconi. Dans cette mare boueuse, il n’y avait qu’une certitude qui surnageait. Une seule. Alimentée par l’anxiété. Les derniers instants vécus par ces filles avaient dû être un enfer. Bien malgré elles, elles avaient eu droit à leur tragédie ; leur grand moment de gloire, leur étoile de sang sur le Walk of Fame de l’horreur. Aux oreilles de Cassidi sifflaient encore la lourde respiration, le crissement des crocs fouillant la chair … Et pourtant, cette affaire, quel que fût le coupable, ne changeait pas tellement de ce dont les Wincessero avaient pris l’habitude de s’occuper. Presque toujours, des gens mouraient – et ce n’était jamais ni beau, ni agréable. La seule différence, c’était que Cassie, sur ce coup, avait pu voir par les yeux de la victime. Eprouver le doute dans son organisme. Tenir la distance du tête-à-tête avec la mort. La suffocation dans l’horreur, le feu dans les veines, le raz de marée qui submerge le cœur ; tout cela, Cassidi en avait fait l’expérience.
Ça n’impliquait pas uniquement de comprendre la trouille de la victime, pour Cassie. C’était en devenir une. Sauf que ça n’avait jamais été son rôle. Elle, elle traquait, d’aussi loin que remontaient ses souvenirs ; elle n’était pas traquée. Ça changeait la donne – les piques remplaçant les cœurs –, et les gonds s’ouvraient sur une zone d’ombre du placard qu’il ne lui semblait pas avoir connue avant ce soir. Alors, pour une chasseuse, est-ce que c’était grave d’avoir peur d’avoir peur ? Est-ce que ça ne renversait pas un équilibre sacro-saint, est-ce que ça ne venait pas tout remettre en question ? Pire, Cassidi savait déjà qu’elle ne brillait pas par ses talents de chasseuse. Réussirait-elle à mettre tout ça derrière elle, afin que cela ne nuise pas plus à ce qu’elle ne maîtrisait pas comme Milo le faisait ?
Alors elle scrutait le visage de ce dernier ; elle le scrutait comme si, en accrochant son regard, elle pouvait se soustraire à l'emprise de la peur. Ses doigts s’acharnaient sur un bout de strap aseptisé. Il fallut encore quelques secondes à la jeune femme pour comprendre que les questions qu’elle se posait n’avaient pas de fondement. Qu’elles étaient débiles, qu’il ne s’agissait jamais que d’une litanie rimant avec des si. Il n’y avait rien d’anormal, au contraire. C’était plutôt comme si, le temps d’un battement de cœur à l’échelle de son existence, le hasard lui avait rendu sa place. Parce que dans le fond, avant d’être une chasseuse, avant d’être capable d’arracher la vérité à un coffre-fort organique, elle était une gamine. Petite, on l’avait balancée sur un échiquier, en lui demandant de choisir une case – et de s’y tenir. A ceci près qu’une règle n’avait jamais passé la barrière de sa conscience : on ne pouvait pas toujours gagner. C’est à l’instant même où cette vérité – sa vérité ! – la frappait que Milo leva la main vers la sienne, l’éloignant des pansements.
« Arrête avec ça. Ils viennent juste d’être faits et je n’ai aucune envie de les changer. »
Cassidi acquiesça faiblement, les lèvres pincées afin d’en endiguer les tremblements. Le ton employé par son frère était sans équivoque – elle n’avait pas été la seule à avoir peur. Et s’il y avait une chose qu’elle se savait autorisée à se reprocher, c’était bien d’avoir eu la bêtise d’ouvrir sa fenêtre. Cette ânerie tutoyait les sommets de la connerie, dans le genre. On ne pouvait pas être parfait, mais quand on chassait des créatures surnaturelles depuis près de vingt ans, il y avait des erreurs que l’on n’était pas censé faire. En son for intérieur, Cassie doutait qu’une vitre eût stoppé le monstre ; le bris du verre aurait pourtant suffi à l’éveiller, à lui rendre prise sur la réalité. Et Milo aurait eu moins peur. Elle lui adressa un regard désolé. Lorsqu’il l’attira à lui avec une délicatesse qu’elle ne lui connaissait pas, Cassidi en oublia ses doutes. Elle les boucla dehors, derrière la fenêtre close, avec la bête ; puis elle se laissa aller dans les bras de son frère. Le geste était attentionné – il veillait à ne pas lui faire mal –, et l’étreinte, source d’une chaleur qui la changeait des frissons. En retour, elle passa son membre valide dans le dos de son frère. Ses frémissements, la crispation de ses doigts sur la chemise de Milo, son attitude tendue, tout trahissait un malaise qui ne s’embarrassait pas de suaire, et pourtant, Cassidi allait déjà bien mieux. Il était parfois bien de ne pas être une chasseuse, de ne plus être la fille au détecteur de mensonges. D’être seulement la petite sœur pendue au cou de son aîné. On pouvait désormais deviner, à l’imperceptible étirement de ses commissures, qu’un sourire jouait avec les lèvres de Cassie.
Milo éleva de nouveau la voix, sans la lâcher : « Je suis content que tu n’aies rien de grave. Et oui, j’ai pu lui parler. Je venais juste de le quitter quand je t’ai entendue. Ce qui t’a attaquée est un rugaru. »
Cassidi fronça les sourcils. Un souvenir lui revenait. Quand ils étaient petits, il arrivait que Milo et elle, lorsque Giovanni partait en chasse plus longtemps que prévu, soient gardés par Robertazzo. Ce dernier, une fois, avait chopé Cassie sur le fait, à la cuisine, en pleine nuit et la main dans un pot de bonbons qu’il avait achetés pour les deux gamins. Il avait accepté les excuses de la fillette avec un sourire et lui avait conseillé de retourner se coucher, en la traitant de petit rugaru, avec ce qui devait être sa façon d’exprimer son affection. Cass n’avait pas saisi la référence, pas plus qu’elle n’avait posé de questions à ce propos. Elle avait pensé qu’il s’agissait là d’un jeu de mots visant à minimiser son méfait. Apparemment, c’était bien plus qu’un jeu de mots. Avec le recul, elle regrettait de ne pas s’être penchée sur cette affaire. Mais ça ne faisait rien. De la part de Tazzo, Cassidi aurait été prête à croire n’importe quoi, et s’il affirmait aujourd’hui qu’un rugaru l’avait attaquée, alors ça lui convenait. Les informations apportées par le vieil homme, avec celles de Milo, étaient sans doute les seules qui ne se retrouvaient pas soumises à la méfiance de Cassidi. Ils auraient pu s’y mettre à deux pour lui expliquer que la Terre n’était pas ronde qu’elle les aurait crus. L’analyse de la balance mensonge-vérité ne s’appliquait tout simplement pas aux paroles de ces zigotos, qu’elle prenait pour ainsi dire pour argent comptant.
En outre, il était soulageant de mettre enfin la main sur la nature de la bête qu’ils avaient prise en chasse. La traque se parait ainsi d’une autre couleur, et Cassidi, bien qu’effrayée par la teinte en question, se sentait capable de mettre ses doutes de côté. Milo enchaîna en lui rapportant dans le détail ce qu’avait dit Robertazzo ; les tremblements de la cadette des Wincessero, eux, s’estompèrent. Maintenant qu’elle comprenait, tout allait mieux. Tout devenait plus clair. Ils n’avaient plus seulement une piste mais une base, et surtout, un nom. Celui de Mario Abatucci, le mari de la première victime. Mais ça, c’était pour la forme. Dans le fond, la situation n’en était pas moins intriquée, voire alarmante. La créature promettait d’être autrement plus difficile à éradiquer qu’un fantôme de bas étage, ou même qu’un loup garou. Là où ces derniers n’étaient guidés que par l’appel du sang ou de la revanche, les rugarus semblaient avoir conservé leur intelligence. Ça posait problème. Comme s’il n’allait pas déjà être compliqué d’approcher la nouvelle nature de Mario ! Il ne se laisserait pas exactement rôtir avec la quiétude d’un écolier terrifié par la maîtresse.
Cassie finit par se dégager de l’étreinte de son aîné. Bien qu’attentionnée, celle-ci n’était pas des plus confortables sur le long terme, en raison du sort qu’avait subi son épaule. Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle se serait endormie là – la fatigue la rattrapait, plus rêche encore que celle ayant émoussé son attention un peu plus tôt. Sauf que la douleur, elle, était tenue en éveil par la position actuelle. La jeune femme laissa sa main reposer sur l’avant-bras de son frère ; elle hésitait encore à le lâcher, de peur de finalement craquer. Un pli soucieux barrait son front lorsqu’elle parla.
« Ça va pas être de la tarte, commenta-t-elle. Même si on le retrouve, même s’il ignore que nous le traquons et que nous avons les moyens de l’abattre, il ne se laissera pas faire. A ce propos, Mario doit bien avoir une planque. Les bêtes de son acabit en ont toutes une. Il faudrait qu’on se renseigne sur lui, histoire de se faire une idée des endroits où il va habituellement. Il est possible qu’il ait choisi le plus évident – celui où personne n’aurait idée d’aller regarder justement parce qu’il est le premier auquel on penserait. J’espère juste qu’on arrivera à la griller, littéralement, avant que quelqu’un n’aie des soupçons à son propos. » Cassidi baissa les yeux, pianota un instant sur le bras de Milo. « Ou avant qu’il ne se dégotte un pique-nique de consolation. »
Ce n’était pas parce qu’Abatucci avait compris qu’il valait mieux pour lui de ne pas revenir rôder du côté du motel qu’il en allait de même de sa perception du restant de la ville. Le rugaru devait se trouver fort mécontent à l’heure actuelle ; on lui avait piqué son plateau-repas alors qu’il l’avait tout juste commencé, et il avait sûrement faim. Au vu de son historique, il était à craindre qu’à ses yeux, la revanche ne fût pas un plat qui se mangeait froid.
Les yeux étrécis, Cassidi réfléchissait à voix haute.
« Et puis, Nerilla et ses flics sont aux aguets. Il faudra se débarrasser de Mario aussi discrètement que possible, sans éveiller les soupçons. J’ai moyennement envie d’être coursée par des poulets à qui on aura sans doute sauvé la vie. »
Ni par des types pour qui j’aurais pu crever. A cette pensée, Cassie rétracta sa main et se leva d’un bond ; elle trouvait à la bile qui montait un goût d’angoisse et de colère mêlées. Elle n’ignorait pas que son agacement se trompait de cible. Les flics n’étaient pas le problème – c’était Mario, et c’était encore Mario qui avait bouffé toutes ces filles. Et pourtant, était-ce bien de sa faute ? Il était coupable, certes. Mais coupable d’avoir dérapé, pas d’être né comme ça, bombe à retardement qu’il ignorait être. Et cette idée glaçait Cassidi, pour une raison qu’elle ne voulut pas identifier. Le mouvement d’humeur l’ayant mise sur pieds avait été brutal, et le sang, dans la seconde qui suivit la bascule du centre de gravité de Cassie, n’eut pas le temps de monter à son cerveau. Pas tout de suite, du moins. Alors elle pâlit, alors elle sentit ses oreilles bourdonner ; ce fut presque par hasard qu’elle trouva le réflexe de se rasseoir. Ce ne fut qu’en retombant sur le matelas qu’elle prit conscience du sang qui le maculait, et elle revint à Milo, dont il lui semblait qu’il avait esquissé un geste à son attention.
« T’occupe, ça va. Bref, si tu as une idée pour piéger ce cher rugaru, je t’écoute. Et, euh … Ça n’a aucun rapport, mais mon lit est foutu. Est-ce que je peux dormir dans ta chambre, cette nuit ? »
Parce que tout ce sang, c’est dégoûtant, tu comprends. Pas parce que j’ai peur. Pas parce que je crève de trouille à l’idée de me retrouver toute seule dans les heures qui viennent. C’est juste le matelas, Milo.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:57, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Jeu 19 Mai - 19:37
Milo n’aimait pas le regard de chien battu que lui adressa Cassidi à travers le voile de ses cils. Il lui contractait l’estomac. Une raison introduisant systématiquement une conséquence, il s’efforça de barrer le passage à ce regard en se redressant un peu. Il devait compenser Cassi, comme elle comblait les vides qu’il laissait derrière lui. Des fois, Milo se sentait un peu comme un frère siamois. Une partie de lui-même était soudée à sa sœur, tandis que l’autre côté était libre de ses mouvements et venaient compléter l’autre côté libre de Cassidi. Une espèce de monstre bizarroïde qu’on aurait pu appeler le Wincessero. Parce qu’ils n’avaient qu’un point commun, un point d’attache en la personne de Giovanni, et que tout le reste était différent, quoiqu’on en dise. Pourtant, cela ne les rendait pas d’autant plus proches ? Plus que des frères et sœurs normaux, qui partageant en tout point le même sang, se ressemblent trop pour être deux faces d’une même pièce ? Cette moitié de gènes qu’ils n’avaient pas en commun, n’était-ce pas en quelque sorte un nouveau type de combinaison ? Too much information, Milo, se morigéna-t-il en baissant les yeux. La fatigue, le stress post-accident et la situation bizarre dans laquelle ils se trouvaient faisaient naître en lui des pensées dénuées non seulement d’intérêt mais en plus de sens.
C’était vrai que la scène avait l’air anormal, presque déplacée. Que Milo avait l’impression d’être passé dans une autre dimension, ou de regarder ça à travers l’écran d’une télé, ou que quelqu’un s’était amusé à effacer ce qui venait se passer avec une gomme géante toute-puissante. On parlait toujours du calme avant la tempête ; mais plus rarement de celui qui survenait après. Après, quand tout est déraciné, que les immeubles sont tombés, que les gens ont cessés de hurler, quand on se retrouve péniblement blottis contre ses proches à la lueur d’un réchaud, l’air hagard, secoué mais toujours vivant. Et du calme serein qui survenait : J’ai survécu. On a survécu. Cette nuit, il ne s’agissait pas de victimes rescapées d’une tornade américaine ou d’un tremblement de terre nippon –ou encore, dans le menu local, des survivants du Vésuve-. Milo en lui-même n’avait jamais eu à craindre pour sa vie. Il n’y avait que celle de Cassidi qui avait été jetée sur la table ce soir là. Mais il fallait croire que ces évènements extrêmes pour le corps et le cœur attisaient l’âme, l’aiguisaient, la sensibilisaient à ce qui l’entourait d’ordinaire à tel point que tout devenait plus ou moins indifférent. Milo prenait conscience, comme à chaque fois, à quel point il tenait à cette petite poupée devenue grande qu’était sa demi-sœur. Il savourait presque la quiétude de la sentir se blottir contre lui, de pouvoir toucher une peau chaude et vivante, de respirer l’odeur fruitée de ses cheveux. Tous ces petits détails, Milo les connaissait par cœur. Pourtant, ils ne faisaient que partie de ces éléments qui nous entourent quotidiennement, au même titre que le goût de l’eau, l’air que l’on respirait ou les sensations de notre propre corps. En général, on s’en fichait éperdument. Ils étaient invisibles. Mais ce soir-là, ces « détails » signifiaient une vérité absolue que l’on ignorait trop souvent : elle était vivante, elle allait bien. Il n’effleurait pas un corps glacé, rigide, que tout parfum, toute vibration avait quitté.
Et malgré la peur, malgré le malaise diffus, malgré l’accident, Milo se sentait bien dans ce moment de paix et de complicité silencieuse. Pas besoin de pouvoirs psychiques ou d’extra-lucidité pour sentir couler d’une personne à l’autre une compréhension mutuelle. Il savait que Cassidi était effrayée mais qu’elle aurait préféré se jeter par la fenêtre plutôt que de l’avouer autrement que par ce laisser-aller. Et elle savait, elle, que Milo avait eut peur et qu’il tenait à elle. Peut-être Milo aurait-il pu trouver ça gênant ou incongru, et d’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’étaient d’ordinaire enclins aux démonstrations sentimentales autrement que par des sarcasmes affectueux. Plus Milo que Cassidi, sans doute. Parce qu’elle était une fille, et que, c’était bien connu, ces dernières n’hésitaient pas à serrer n’importe qui dans leurs bras, du petit bébé mignon à leurs copines en passant par les parents et les petits amis. Mais ce soir, ils se l’autorisaient, parce que la circonstance le permettait.
Trêve de sentiments. Milo se donna quelques secondes de répit avant de s’obliger à être ce qu’il devait être ce soir ; quelqu’un de rassurant et de solide. Et il l’était d’autant plus, il le savait, quand il se comportait normalement –la mâchoire un peu serrée, les yeux sombres et tout le tralalala-. De toute façon, c’était comme ça qu’il était le mieux, au sens où il s’agissait de ses réactions normales, qu’il n’avait pas besoin de se forcer pour le faire et que Cassidi savait pertinemment que cela ne signifiait pas qu’il était froid ou distant. Cassidi en fit de même –la nature reprenait le dessus, la sensibilité nouvelle s’envola- et rompit l’étreinte en se redressant. Milo essaya de ne pas avoir trop l’air de quelqu’un réveillé en plein milieu de son sommeil et continua à la regarder attentivement, attendant sa réponse.
- Ça va pas être de la tarte. Même si on le retrouve, même s’il ignore que nous le traquons et que nous avons les moyens de l’abattre, il ne se laissera pas faire.
Première remarque très pertinente. Milo approuva d’un hochement de tête la seconde. L’entreprise serait d’autant plus difficile qu’il voyait mal Cassidi piloter un lance-flamme ou même tirer avec son revolver avant un petit bout de temps. L’aîné se doutait bien qu’il serait finalement seul face au rugaru ; du moins le seul à pouvoir le tuer. Il n’était pas vraiment certain, par contre, de la réussite d’une telle entreprise. Il avait réussi à effrayer la bête avec son pistolet, tout à l‘heure ; Mario ne se flairait pas encore qu’il n’avait plus rien à craindre des lames et des balles. Par contre, Milo avait bien senti dans leur brève lutte celui d’entre eux deux qui possédait le plus de muscles. Et ce n’était pas le jeune homme. Qui plus est, il ne bénéficiait pas non plus d’une rangée de dents bien aiguisées. En gros, la tactique du bourrin ne marcherait pas ici. Elle avait réussi tout à l’heure uniquement grâce à l’effet de surprise. Milo n’en bénéficierait plus. Comme pour traquer un loup-garou, un vampire ou un démon –bref, comme dans la plupart des cas que connaissaient les chasseurs- il faudrait ruser et vaincre la chose avec son cerveau plutôt qu’avec ces biceps. Pas de problèmes, Milo et Cassidi étaient rôdés à l’exercice, peu importe lequel d’entre eux tenant le rôle de l’exécuteur.
- A ce propos, Mario doit bien avoir une planque. Les bêtes de son acabit en ont toutes une. Il faudrait qu’on se renseigne sur lui, histoire de se faire une idée des endroits où il va habituellement. Il est possible qu’il ait choisi le plus évident – celui où personne n’aurait idée d’aller regarder justement parce qu’il est le premier auquel on penserait. J’espère juste qu’on arrivera à la griller, littéralement, avant que quelqu’un n’aie des soupçons à son propos. Ou avant qu’il ne se dégotte un pique-nique de consolation. Et puis, Nerilla et ses flics sont aux aguets. Il faudra se débarrasser de Mario aussi discrètement que possible, sans éveiller les soupçons. J’ai moyennement envie d’être coursée par des poulets à qui on aura sans doute sauvé la vie.
De nouveau, Milo acquiesça, cette fois-ci usant d’un « ouais » de rigueur. Trois possibilités dans cette histoire : la première, c’était que Mario fasse un remake de La Lettre en se cachant au nez et à la barbe de tout le monde. La seconde, misant sur un côté plus stupide de la créature, serait qu’il se choisisse une planque assez évidente, un lieu anciennement fréquenté de préférence sombre et humide. Enfin, que le rugaru décide qu’il serait plus judicieux pour lui d’aller se dissimuler dans un endroit sans rapport avec lui-même, comme un dégoût, une tanière dans la campagne ou un dépotoir à l’écart de la ville. Tout dépendait de la… personnalité de la bête, de ses rituels. Les vampires prenaient un nid discret capable d’accueillir du monde, un wendigo un repaire ténébreux et effrayant, un polymorphe les sous-sols de la ville où il pouvait muter à son aise… Le rugaru, nouveau spécimen dans l’expérience des deux Winceserro, était pour le moment imprévisible. La tactique que proposait Cassidi était la plus sensée, la plus logique. Elle convenait à Milo –l’habituel protocole-.
- Idem. S’il s’agit d’une cabane de jardinage, ça sera facile, jugea Milo. Il suffit de la faire brûler, il mourra dans l’incendie, on ne retrouvera pas son corps, pas de problèmes avec la police. Par contre, s’il se tanque dans une maison ou quelque chose de plus visible, ça ne sera pas évident pour le tuer dans le dos de Nerilla. D’ailleurs, à ce propos, on a intérêt à se dépêcher. Je suppose que les véritables agents de l’AISI ne vont pas tarder à arriver si Nerilla leurs a adressé une demande. Il faudra être loin à ce moment là.
Il s’apprêtait à poursuivre quand Cassie décolla du matelas, comme piquée par une guêpe. Par habitude, Milo porta la main à sa hanche, prêt à dégoter son revolver. Mais un regard adressé à la pièce vide, puis un second au visage de sa sœur lui appris que rien ne se passait. Sans se détendre le moins du monde, il observa la moue des lèvres, le roulement des yeux, le dessin des sourcils. Ca ressemblait à de la colère. Milo ne comprit pas son geste et l’administra sur le compte de l’angoisse qu’elle ressentait, en tout légitimité. Son inquiétude grandit quand il la vit pâlir. Ce n’était que du sang quittant les pommettes, mais cette nouvelle couleur avait la marque de la fatigue, du stress et du poids des blessures. La sentant à deux doigts de tourner de l’œil, Milo faillit se lever pour la soutenir. Mais Cassidi eut l’intelligence de se rassoir et ce ne fut que lorsqu’un peu de rouge gagna de nouveau ses joues que Milo cessa un tantinet d’être sur le qui-vive. Ses épaules s’abaissèrent, plus en signe de défaite que pour signaler le repos qu’il autorisait à ses membres. Sa sœur était plus que crevée, elle avait besoin d’autre chose qu’une discussion stratégique à bientôt minuit.
- T’occupe, ça va, garantit-elle avec indifférence. Bref, si tu as une idée pour piéger ce cher rugaru, je t’écoute. Et, euh … Ça n’a aucun rapport, mais mon lit est foutu. Est-ce que je peux dormir dans ta chambre, cette nuit ?
Pulsions Milo, pulsions. Cassidi est une grande fille, elle était libre de faire ce qu’elle voulait, d’assurer sa protection seule sans avoir une baby-sitter sur le dos. Mais, néanmoins… Oh, et puis zut.
- J’ai quelques idées, oui, répondit-il sur le même ton. Mais on verra ça demain.
Et d’ici demain, peut-être Mario aurait-il croûté d’une autre jeune fille. Milo n’y croyait pourtant pas trop ; la police avait été alertée et connaissant désormais les goûts du tueur, elle devait veiller les rues de la ville à sa recherche. Il serait sûrement difficile pour Mario de trouver cette nuit une victime isolée.
- Pour le lit, tu rêves, reprit-il, cassant. Chacun sa croix, je n’ai pas envie de dormir sur la carpette.
Il leva les yeux au ciel.
- Évidemment que tu vas dormir dans ma chambre, cette nuit. Je ne vais pas te laisser là. Je suis peut-être un grand frère indigne, mais pas à ce point, quoique tu en penses. Allez, viens*.
Milo se leva et soutint Cassidi tout en s’efforçant de ne pas avoir l’air de trop y toucher jusqu’à la chambre voisine. Il alluma consciencieusement les lumières, jeta un coup d’œil circulaire dans la pièce pour y dénicher les éventuelles bestioles affamées de chair humaine tapies, puis alla fermer les volets et la fenêtre tandis que Cassidi se plongeait dans les délices des draps propres et frais dénués de sang. Avisant le confortable fauteuil dont la pièce était meublée, Milo déplaça le meuble près du chevet de sa sœur et s’y installa, repliant nonchalamment une jambe dessus.
- Extinction des feux, et je ne veux rien entendre, ordonna-t-il. Demain, je parie qu’on aura Nerilla sur les bras dès potron-minet alors, tâche de te reposer. Si tu as envie de râler, tu le feras au réveil.
Il lui adressa un bref sourire avant de tendre la main pour éteindre la lampe. Ne resta plus que ce noir épais que voient les yeux non-habitués et le silence d’une tranquille nuit italienne. Avec les minutes, Milo put distinguer les courbes du drap sous lequel était mottée sa sœur, l’encadrement plus clair de la fenêtre, les meubles de la pièce. Il sentait dans sa main la présence rassurante du revolver. Il ne comptait pas vraiment veiller toute la nuit, mais juste rester éveillé le temps que sa sœur s’endorme et d’être certain qu’aucune bestiole, pas même une sourie, ne se glissât dans la pièce pour la grignoter. Après quoi, relativement bien installé dans le confort de son épais manteau d’agent Almeida, il s’autorisa à somnoler jusqu’à ce que sa tête aille s’affaisser à mi-chemin d’un accoudoir et du dossier où il s’endormit pour de bon.
* : Le lecteur s’abstiendra de faire une remarque loquace en complétant cette affirmation par un « Allez, viens là ! Viens avec moi, ne pars paas sans moi… », etc.
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Ven 20 Mai - 9:03
Cassidi repensa un instant à ce qu’avait dit son frère à propos de la planque du rugaru. Une cabane de jardinage … Ah, si seulement ça pouvait être aussi simple ! Elle ne ricana pas – trop fatiguée –, mais le cœur y était. En revanche, elle acquiesça à la mention de l’AISI. L’affaire prenait une ampleur que le gouvernement ne pourrait laisser plus longtemps aux mains de simples flics ; encore un peu, et Mario Abatucci se taillerait une bonne place dans la triade des plus grands tueurs en série italiens. Un record que le pays, ne serait-ce que pour des raisons statistiques, ne devait pas crever d’envie d’afficher : mauvais pour les affaires. Même s’il ne fallait pas cracher sur la publicité, car c’eût été mettre sur la touche une autre forme de tourisme, celui de ces gens qui se découvraient un jour ou l’autre une fascination pour le glauque. Si l’on pouvait trouver des débiles prêts à se cosplayer au nom d’une série de bouquins au nom qui craignait, il y en aurait forcément pour faire un pèlerinage axé sur la conduite du tueur local. Bon, évidemment, ce serait pour après, tout ça – après que ledit meurtrier atterrisse derrière les barreaux ou six pieds sous terre. Cons, mais pas fous, les gens.
« J’ai quelques idées, oui, lâcha Milo en réponse à sa question. Mais on verra ça demain. » La jeune femme avait à peine ouvert la bouche pour protester que l’aîné enchaînait : « Pour le lit, tu rêves. Chacun sa croix, je n’ai pas envie de dormir sur la carpette. »
Si Cassie avait eu vent des blagues de mauvais goût que Milo avait retenues un peu plus tôt, elle se serait abstenue de lui lancer un regard noir. Une part d’elle-même n’ignorait pas que son frère plaisantait ; l’autre, au contraire, était trop fatiguée pour céder la place à des conclusions n’impliquant pas de tomber dans le panneau. Milo, lui, leva les yeux au ciel, et elle ne fut certaine qu’après coup qu’il plaisantait.
« Évidemment que tu vas dormir dans ma chambre, cette nuit. Je ne vais pas te laisser là. Je suis peut-être un grand frère indigne, mais pas à ce point, quoique tu en penses. Allez, viens. —Gros abruti », marmonna-t-elle en retour.
Ce fut avec sa superbe habituelle que Milo l’ignora, bien sûr. Lorsqu’il se leva, Cassidi suivit le mouvement ; cette fois-ci, elle se montra plus prudente et prit soin de ne pas aller trop vite. Peut-être justement parce qu’il se laissait aller à blaguer, il était clair pour Cassie que son frère n’avait pas fini de raccrocher les wagons de la réalité, tout comme elle. Alors, inutile d’alimenter sa pétoche – toute touchante qu’elle fût – par un malaise. La cadette Wincessero ne cracha pas sur l’aide que Milo lui apporta pour rejoindre la pièce adjacente, en revanche. Une fois dans le couloir permettant de rejoindre cette dernière, Cass, au contraire, affermit sa prise sur l’avant-bras de Milo. Elle se sentait mal. En temps normal, un corridor mal éclairé n’aurait même pas donné lieu à une pensée sous son crâne. Elle l’aurait traversé sans réfléchir ; tout au plus, pour peu qu’elle eût un début de migraine, elle aurait béni les lumières vacillantes. Ce soir, c’était différent. Oh, son cerveau tournait très bien ; il remarquait que la moquette aurait tout eu à gagner à être changée, il notait la teinte crème des murs. Le problème était son subconscient – un peu trop envahissant, un peu trop prompt à imaginer des silhouettes là où les ombres se prêtaient aux devinettes. Et son cœur, lui, s’emballait désagréablement. Aussi Cassidi remercia-t-elle son frère d’un signe de tête quand, dans la chambre, il prit soin d’allumer les lumières.
Alors que Milo prenait le temps d’examiner la pièce, Cassie, avec une démarche d’automate, rejoignit le matelas. Elle s’y vautra avec toute la liesse que son épaule lui autorisait – s’enterrant sous les couvertures, se blottissant entre les oreillers. L’hôtel n’était certainement pas un cinq étoiles, mais les draps qu’il fournissait avaient le mérite d’être en coton pur. Dès lors qu’ils n’étaient pas maculés de sang, leur contact comptait parmi les plus enviables qui soient ; les nerfs de Cassidi appréciaient le changement de stimuli après ceux de la soirée. Rabattant l’édredon sous son menton afin de voir ce qui se tramait dans la chambre, Cassie chercha son frère du regard, et le trouva assis non loin d’elle. Il avait pris place dans le sempiternel fauteuil dont se dotait chaque motel ; les talons en appui sur un meuble bas, il s’était installé du mieux qu’il le pouvait, et surveillait la jeune fille. Par bien des façons, c’était touchant, comme scène. L’ours qui s’attendrit au point de sacrifier son sommeil à sa petite sœur, le mec qui se veut à tout prix bravache mais prend on ne peut plus au sérieux son rôle d’aîné. Mais c’était au sacrifice du matelas que l’on reconnaissait la véritable abnégation. Si c’était pas mignon, ça.
« Extinction des feux, et je ne veux rien entendre. Demain, je parie qu’on aura Nerilla sur les bras dès potron-minet alors, tâche de te reposer. Si tu as envie de râler, tu le feras au réveil. »
Cassie grogna, mais pas à l’encontre de l’extinction des feux, qui lui semblait justement très adaptée à la situation – plutôt contre Nerilla. A l’idée d’affronter ce type zélé le lendemain, elle se sentait capable d’hiberner. Elle n’aimait pas l’idée d’avoir à mentir à un type gentil ; ils n’en rencontraient que trop rarement, des flics comme lui, pour penser autrement. Mais surtout, le commissaire serait au courant de l’attaque. Alors il risquait de tenir son rôle de good cop, et par là de coller de près ses précieux agents de l’AISI. S’ils devaient mener leur petite enquête de leur côté, ça n’allait pas faciliter les choses. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il se souviendrait d’être, techniquement parlant, leur inférieur hiérarchique, et qu’il leur foutrait la paix. Cassie voulut faire part de cette pensée à Milo – il faudrait qu’ils donnent à Nerilla un hoax à se mettre sous la dent, histoire de l’occuper –, mais il éteignait déjà la lampe de chevet, coupant court à la conversation. Il eut bien raison. L’heure avancée rendait les débats inutiles, et ils avaient tous deux besoin de sommeil. A l’abri sous les couvertures, consciente de la présence de son frère à ses côtés, Cassidi commença à se détendre.
« Bonne nuit, Milo », lança Cassidi dans l’obscurité.
Manquait un je t’aime pour parfaire le tombé de rideau sur cette scène d’amour fraternel. Il planait de toute façon dans les esprits ; aussi Cassidi choisit-elle de se taire, et de garder ça pour les grandes occasions. Avec précaution, la cadette Wincessero bascula sur le flanc que les crocs de Mario avaient épargné. Les antalgiques donnés par Chuck Profete tenaient leurs promesses, constata-t-elle. Deux oreillers vinrent caler sa tête et ses paupières se fermèrent toutes seules, sans qu’elle eût d’effort à fournir pour passer un deal avec le marchand de sable. Un quart d’heure plus tôt, elle se serait jurée incapable de trouver le sommeil ; sans doute se serait-ce passé ainsi s’il n’y avait pas eu le souffle de Milo, à deux mètres de là, pour calmer son cœur. Et bientôt, sa propre respiration suivit la cadence toute indiquée. Cassie s’endormit comme une masse, incapable de veiller un instant de plus, avec une pensée pour ces filles qui n’avaient pas eu la chance de posséder un garde du corps aussi dévoué.
— 8h03 à l’horloge murale. —
Au matin, ce furent les élancements jetés par son épaule comme autant de plaintes qui firent émerger Cassidi. La première chose qu’elle fit fut de se lever, en prenant garde à ne pas réveiller son frère, qui dormait à poings fermés sur le fauteuil. En quittant son lit, elle le couva d’un regard attendri ; ce brave Milo, blotti dans son manteau, en travers du dossier, bavait presque sur l’accoudoir durant son sommeil. Ce fut en veillant à ne pas faire de bruit que Cassie, sur la pointe des pieds, quitta la chambre. Elle se faufila jusqu’à la sienne et rassembla, sur la table basse, les affaires qu’elle y avait laissées la veille – sac, téléphone portable, vêtements, médicaments et autre matériel médical fournis par Profete. Elle se sentait le besoin de prendre quelques minutes pour elle. Le temps de faire un brin de toilette, ou de noyer dans le lavabo le souvenir de rêves plus colorés que d’habitude.
Prestement, Cass enfila son costume d’agent de l’AISI, sans accorder un regard aux draps tachés d’hémoglobine qui la narguaient. Inutile de préciser que sa chemise lui posa quelques problèmes d’ordre existentiel, d’autant que son corps endolori n’aspirait qu’à dormir quelques heures de plus. Elle la boucla néanmoins du mieux qu’elle le pouvait, et noua tant bien que mal la veste assortie autour de sa taille, avant de passer à la salle de bains. Son reflet lui arracha une grimace. Le seul intérêt que Cassidi trouva à son teint cireux et aux cernes lui bouffant les joues, outre qu’ils puissent figurer dans un livre des records, étaient qu’ils la vieillissaient de deux ou trois ans – et par là, la crédibilisaient en tant qu’agent Luce Laslos. Mais, passés ces détails, le tableau d’ensemble était tout sauf mélioratif. Elle se passa de l’eau sur le visage et se lava les dents, en priant pour que Mario n’ait pas planté les siennes dans la gorge d’une autre fille. Son portable lui avait appris que Nerilla n’avait pas tenté de l’appeler, mais cela ne signifiait pas qu’il ne s’était rien passé. Le corps éventuel pouvait très bien ne pas avoir été encore retrouvé. Cela fait, Cassie alla fouiller dans sa trousse de maquillage ; un trait de crayon vint encadrer de noir ses yeux fatigués. En jetant un nouveau coup d’œil au miroir, elle constata que, si ce n’était pas parfait, le résultat semblait déjà plus probant. Elle compléta la séance d’ablutions en se nattant les cheveux, après quoi ses effets personnels retournèrent à la besace prévue, et elle-même à la chambre de Milo.
Cassidi ne s’embarrassa pas de silence en se coulant dans la pièce. Son sac posé dans un coin, elle alla ouvrir fenêtre et volets, et réveilla Milo en lui ébouriffant les cheveux.
« Debout, princesse Aurore », le secoua-t-elle. Elle déposa un baiser sur le front de son frère. « On a un rugaru à buter, si ça te rappelle quelque chose. »
La jeune femme se trouvait plus ou moins reposée. La tension de la veille, elle, ne s’était pas envolée au cours de la nuit. Mais rien ne l’empêchait de sublimer cette dernière en détermination, et c’était ce qu’il lui semblait arriver. Milo peinait à faire surface et Cassidi accéléra les choses en le tirant par le bras, sans oublier de ménager son épaule estropiée. Plus tôt ils s’y mettraient, plus tôt ils arrêteraient Mario Abatucci ; l’équation était simple et suffisait à insuffler à Cass l’énergie qui lui manquaient. Elle parvint finalement à traîner son frère hors de la chambre, en usant de l’argument du petit déjeuner compris dans la formule qu’ils avaient prise avec la location des chambres. Il ne fut pourtant pas de tout repos d’amener Milo au réfectoire. L’ours mal léché avait le sommeil lourd et le gérant de l’hôtel vint tourner autour des deux jeunes gens, en les pressant de questions quant à leur état de santé et au sommeil que ses murs leur avait permis de trouver. Le type ne pensait pas à mal. Son inquiétude était authentique, jugea Cassidi, et il ne voulait pas qu’il y ait de malentendu vis-à-vis de l’intrusion. Mais il restait collant. La cadette Wincessero se débarrassa de lui en arguant qu’ils étaient fatigués et qu’ils pouvaient se passer, en tant que membres de l’AISI, d’un interrogatoire quant au sujet qu’il leur revenait de maîtriser. Intérieurement, elle savait qu’il n’y avait pas que ça. Elle refusait purement et simplement, en fait, de parler de l’attaque avec une personne autre que Milo ou Robertazzo.
Elle poussa le premier à une table et prit place en face de lui. Il n’y avait qu’un autre couple dans la cafétéria, ce qui signifiait qu’ils ne pourraient pas compter sur le brouhaha pour masquer leur conversation. Cassie fit signe à une serveuse de s’approcher et revint à Milo, qui n’avait pas décroché une parole intelligible depuis son réveil.
« J’espère que tu as bien dormi, parce qu’on doit décider de pas mal de choses, aujourd’hui. A commencer par ce qu'on va dire à Nerilla, et par les recherches qu'on va devoir se débrouiller pour faire sans éveiller l'attention sur Mario », avança-t-elle à voix basse.
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:56, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Ven 20 Mai - 19:25
Nous ne parlerons pas des rêves que fit Milo cette nuit là pour la bonne raison que leur propriétaire les oubliait systématiquement à son réveil, ce qui l’avait persuadé depuis longtemps déjà d’être doté de l’imagination psychique d’un champignon moyen. De ce fait, à part le dérangement systématique causé par un réveil, Milo ne souffrit pas tellement de la voix de Cassidi lui ordonnant d’ouvrir les yeux. Son grognement de pure forme fut plutôt dû à l’arrivée brutale de lumière dans la pièce pour ses iris trop habituée à l’obscurité. Le léger bisou qu’il reçu peu de temps après adoucit néanmoins ce pénible moment.
- Debout, princesse Aurore. On a un rugaru à buter, si ça te rappelle quelque chose, entendit Milo à travers sa brume matinale.
Qui ? Un ruga quoi ? Il se frotta les yeux tel le garçonnet de trois ans moyen. Ah oui. Le machin véreux avec des crocs jaunes, là. Difficile à oublier pourtant. Sa sale gueule prenait un malin plaisir à réapparaitre dans sa tête, comme inscrit sur les paupières. Oui, voilà. Le cannibale à brûler, amateur de cerises conf… De Cassidi. C’est bon. Point fait. La référence à « Princesse Aurore », par contre… Encore un savoir typique des filles, sans doute. Genre Barbie. De toute façon, Milo n’eut pas le temps de s’abimer dans une recherche intérieure à la « Google it ». Sans cérémonie, il se fit tirer du confr… -ouille, le dos- fauteuil sur lequel il avait passé sa nuit. Il ne pu même pas se changer ou se rafraichir le visage. Prise de frénésie, Cassie souhaitait les voir descendre au plus vite et usa du prétexte de la nourriture pour amadouer son frère. Genre. Genre, Milo était un mignon écureuil qu’on attirait en agitait un sac de noisettes et en déposant tout au long du chemin un peu du précieux contenu. Genre, ça allait marcher et éviter à Cassidi la mauvaise humeur mat… L’idée de se plonger dans un grand bol de café coupa court aux récriminations de Milo qui se laissa emmener, bon gré, mal gré. Il se disait qu’une fois assis dans le réfectoire, il pourrait de nouveau dormir à moitié tout son soul. C’était sans compter l’arrivée intrusive du gérant de l’hôtel. Sans s’en préoccuper plus de lui, comme s’il n‘était qu’une abeille enquiquinante vrombissant gaiement près de ses oreilles, il laissa Cassidi s’en occuper. Elle paraissait parfaitement réveillée elle. Tant d’énergie. Milo bailla et considéra vaguement la table en abaissant le regard. Vide. Le sentiment de surprise mit beaucoup de temps à imprégner son esprit. Il se frotta un peu la joue. Passa la main dans ses cheveux –sa tignasse, pardon-. Une vague de mauvaise humeur succéda. Bla, bla, à côté. Il jeta un bref regard de serial killer à la source de ce bruit. Devait-il prononcer un « Vos gueules » adapté ou bien les ignorer superbement et s’en retourner à son café ? Ah oui. Pas de café. Fallait vraiment tout faire ici. Quel service pourri. Pas de pourboire, ça, c’était clair. Ceci dit, la question ne se posait même pas ; Milo et Cassidi n’étaient riches que de leurs fausses cartes bancaires. Finalement, la personne en face de lui tenta d’entrer en communication. Milo lui adressa son regard le plus grincheux, puis fit retomber sa tête entre ses mains. Les mots lui passèrent dessus à l’image de ces dizaines d’avions qui volent au dessus de nous dans le haut ciel bleu radieux sans que l’on s’en aperçoive. Quelque chose en lui intima que les sons produits par son… interlocuteur ? attendait une réponse. Il grogna. Ca pouvait convenir à n’importe quoi, ça un grognement. Une approbation, une négation, une suggestion. Que l’individu choisisse l’interprétation qui lui plaisait le plus pour ce borborygme.
Une main charitable posa devant son nez un immense bol de café. Milo manqua de faire tomber sa tête trop lourde dedans. Il huma les délicates nuances corsées avec délice et s’abandonna dans l’absorption du contenu.
Il émergea cinq minutes plus tard, les idées plus précises. Cassidi souhaitait faire un brainstorming avant l’arrivée de Nerilla. Soit. Il se concentra quelques secondes, puis la regarda enfin, toute brume disparue.
- Déjà, on peut ou le décrire le moins possible, ou transformer la description. Et lui raconter une histoire bidon, ou le laisser piétiner. Tu pourrais rester avec lui comme hier, il t’aime bien et sera trop content de veiller sur son précieux agent spécial. De mon côté, je peux chercher une idée de repère ou nous armer contre le bestiau au cas où il reviendrait ce soir, mais j’aimerais autant éviter.
Ca faisait beaucoup de « ou ». Ouais ben, eh il n’allait pas tout trouver seul, hein. Pour sa défense, il venait juste de se faire réveiller –assez brutalement-. Son esprit n’était pas encore bien rôdé aux délicats rouages que nécessitent les machinations et les mensonges. Bien sûr, il avait dit hier soir que quelques idées lui étaient venues à l’esprit. Mais à l’éclat de cette nouvelle journée, la plupart lui paraissaient dénuées d’intérêts. Trop capillotractées, trop vaseuses ou bien impossibles à réaliser à seconde vue. Il reprit après s’être beurré un toast :
- D’ailleurs, pour le griller, Robertazzo m’a filé des tuyaux pour nous faire nos propres lance-flammes de bricoleur du dimanche, mais on peut tout aussi utiliser un simple bidon d’essence et un paquet d’allumettes. J’opterais plutôt pour cette solution, c’est plus discret si jamais les flics nous collent toute la journée.
Ouais, il imaginait bien la scène. « Dites, agent Almeida, vous faites quoi avec votre artillerie à la Men in Black ? ». Bonne question, Barilla. Non, Nerilla.
- En outre, ça nous demandera moins de préparation et on pourra plus s’occuper de la planque du rugaru.
En fait, Milo avait bien une idée plus précise sur le pourquoi du comment, mais il hésitait à en faire part et espérait que Cassidi aurait une solution plus intelligente que la sienne. Le jeune homme partait du constat que Mario souhaiterait en finir avec son repas d’hier soir. Il ne fallait jamais laisser de restes, après tout. Et ça faisait des traces en moins, s’il n’était pas totalement abruti par la faim. Du coup, Milo pensait qu’il ne tarderait pas de nouveau à convoiter la chair de Cassidi et accessoirement, à se venger d’avoir été interrompu par la même occasion. Si on mettait innocemment Cassidi en évidence dans un lieu stratégique… Ceci dit, cela revenait tout bêtement à utiliser la manœuvre de l’appât et cette idée ne plaisait que très moyennement à Milo. Il mâchonnait pensivement son morceau de pain grillé. Instrumentaliser Cassie le dérangeait encore plus, mais cela valait mieux qu’utiliser une mignonne gamine de dix ans, bien potelée, bien appétissante. Cette pensée lui coupa brusquement l’appétit et il s’étrangla à moitié avec les miettes. Et puis, encore une fois, Milo avait une confiance absolue en Cassidi pour ce genre de chose. Elle était parfaitement apte à gérer ces situations lorsqu’elles dégénéraient et que Milo se retrouvait bloqué ailleurs. Habituellement.
Aujourd’hui, le contexte était différent. Cassidi n’était plus dans l’optique d’une chasseuse, il le savait. C’était complètement différent de se poster quelque part, prêt à piéger une sordide créature, que de l’attendre en sachant ce qu’elle pouvait faire –et savoir, surtout, ce qu’elle pouvait vous faire à vous-. Milo ne voulait pas demander à Cassidi de faire ce travail si c’était au-dessus de ses moyens. Il comprendrait parfaitement.
Alors, il préféra ne rien dire et se resservir du café. Généreusement. Histoire de ne pas retomber dans un état catatonique dès l’effet de la première tasse disparue. Que pourraient-ils donc raconter à Nerilla lorsque celui-ci se pointerait, sans doute dans quelques minutes ? La vérité, peut-être, tout simplement. Laslos agressée, méchant mis en fuite, rien vu dans le noir. Rester flou. Indiquer une vague direction dans le parc. Seulement, être aussi évasif pouvait soulever des soupçons que tant qu’à faire, Milo préférait éviter. Il ne comptait plus les fois où les Wincessero s’étaient mis à dos la police ou les autorités. Les fois où les agents, les vrais, les attendaient devant tel égout ou tel maison sombre. Il devait y avoir plein de mandats d’arrêts pour usurpations d’identité, délits de fuite et compagnie quand ce n’était pas pour meurtres. Beh oui, comment expliquer à quelqu’un de sensé le cadavre de telle personne sans lui dire « Ca ? C’était un vilain loup-garou » ? Heureusement, Cassie et lui possédaient de nombreux noms qui leurs évitaient la plupart de ces tracas dirons-nous… administratifs. Néanmoins, le jour où un inspecteur ou un véritable membre de l’AISI un peu plus fin que la moyenne ferait le rapprochement, ils seraient cuits. C’était quelque chose de pouvoir louvoyer dans cinquante états différents, c’en était une autre de se contenter des quelques 301 336 kilomètres carrés de l’Italie. Peut-être qu’un jour, Milo et cassie émigreraient aux Etats-Unis, après tout. Ou étendraient leurs fonctions à l’Europe entière, histoire de moins rester à respirer le même air vicié.
Mais, pour l’heure, avant de faire de jolis projets, les Wincessero avaient un rugaru sur les bras et un Nerilla zélé sur le dos. Et une Cassie blessée. La balle semblait plutôt dans leur camp. Oh, il ne s’agissait pas d’une situation dramatique, ils avaient connus bien pires. Des chasses qui se terminaient en débandade pour la vie avec les deux blessés. De plus, Mario, malgré son côté anciennement humain, restait diminué par son envie obsessionnelle de nourriture. Il serait sûrement aisé de le piéger, sans forcément se montrer soi-même malin. Sauf s’il se révélait teigneux et coriace, mais tant que Cassie et lui restaient maintenant avec un spray à essence et un briquet dans leurs mains… La seule chose délicate était de réussir à l’abattre avant qu’il ne se mette à convoiter une collégienne par dépit, si ce n’était déjà fait.
Bref, dans tout ça, l’essentiel était d’éloigner Nerilla. Agiter un vieux squelette dans un placard moisi ferait l’affaire. Restait à trouver le placard et Milo consulta ce qui restait au fond de sa tasse dans l’espoir d’y lire un message occulte lui donnant sinon la solution, du moins un indice. La tasse se montra particulièrement récalcitrante à l’exercice.
- Tu pensais à quoi, toi, pour Nerilla ? demanda-t-il alors. Pour Mario, j’ai établi une rapide liste des lieux où il pourrait se cacher, en partant du principe qu’il se tapit dans un endroit en rapport avec son ancienne vie. Il y a sa maison, bien sûr, surtout le grenier, et la cave de la boucherie. Je ne vois pas grand-chose d’autre ; le bled est petit, il a toujours mené une vie tranquille… S’ils ont déménagés, peut-être leur ancienne maison ? Après, il a peut-être préféré s’installer dans un endroit à proximité d’une nourriture fraîche et pas trop surveillé par la police… Une école en bordure du village ? Si jamais on y trouve un bâtiment vide, avec vu sur la cour de récré ou la ruelle étroite qui mène chez papa, maman… Je pense qu’il y sera.
Après tout, la lente régression dans le choix de ses victimes l’amènerait fatalement à goûter les fillettes de quatrième, maintenant. Cassidi étant l’exception qui confirme la règle.
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Dim 22 Mai - 8:18
Enoncer que Milo n’était pas disposé à discuter eût été verser dans l’euphémisme. Cassidi avait l’habitude, de toute façon. Milo, c’était ce type que l’on représentait par un ours mal réveillé dans les vieilles pubs pour Ricoré. C’était aussi et surtout l’archétype du mec incapable d’émerger le matin venu à moins que son existence ne se trouve directement menacée. Et il fallait reconnaître que Cassie, avec ses soixante kilos un jour de ski, n’était pas exactement des plus menaçantes. Aussi n’eut-elle d’autre choix, pour l’heure, que de se montrer patiente. On ne raisonnait pas l’aîné Wincessero au saut du lit ; point, barre, retour à la ligne. A la serveuse, elle demanda un bol de café – Milo fit de même –, et ajouta à la commande un panier de croissants et quelques tartines. La boule d’angoisse logée dans sa cavité abdominale lui nouait les entrailles, un peu comme l’aurait fait un bloc de glace, brûlant et anesthésiant tout au passage. Elle n’avait donc pas spécialement faim, et si ça n’avait tenu qu’à elle, elle se serait passée de petit déjeuner et aurait planté là Milo, non sans lui avoir subtilisé les clés de l’Impala. Elle savait toutefois que, pour une fois qu’ils pouvaient s’offrir un petit dej décent, il leur fallait en profiter. Et d’autant plus le savourer qu’ils risquaient d’avoir besoin de leurs forces et de toute leur tête dans les heures qui suivraient. La jeune femme demeura donc sagement assise sur sa chaise, et adressa un sourire poli à la serveuse lorsque leur commande leur fut apportée. L’employée du réfectoire les quitta avec une ultime touche de curiosité dans le regard ; l’ignorant, Cassie poussa l’un des bols de café sous le nez de son frère. Milo ne tarda pas à en percevoir les effluves et il s’abîma dans le breuvage brûlant. Il s’appliquait à engloutir sa boisson, et pourtant, il sembla à sa sœur qu’il envisageait sérieusement de s’endormir dans le bol. Elle hésita même, l’espace d’un instant, à lui envoyer son talon dans le tibia. Mais elle n’en fit rien. Cassidi, pour sa part, piocha deux croissants dans la jatte – un par main – et s’appliqua à les dévorer, s’autorisant de temps à autre une lampée de café.
Ce faisant, elle réfléchissait. On ne pouvait pas en dire autant de Milo, certes, mais elle réfléchissait. A Nerilla. A son sourire agréable, son esprit ouvert. Il aurait été plus pratique qu’ils le mettent au parfum de l’affaire en cours – tellement plus pratique. Au point où Cassie voyait plus d’avantages à prendre le risque de griller leur couverture en lui parlant qu’à ne pas le faire. L’homme était authentiquement préoccupé ; tout portait à croire qu’il souhaitait arrêter le rugaru presqu’autant qu’eux. Mais voilà : le problème était qu’il était droit. Sûrement trop. La cadette Wincessero avait beau l’apprécier en tant que commissaire et être humain, elle ne pouvait pas se voiler la face. Matteo Nerilla était de ces gens qui, en dépit d’un intellect suffisant, s’astreignaient à emprunter les routes que la Loi dessinait. By the book. Rien ne laissait présager que Nerilla, plus qu’un autre, soit capable d’évoluer hors des sentiers battus. C’était même le contraire. Lorsque l’on avait déployé tant d’énergie à s’ancrer dans la réalité et autres représentations utopistes de justice, on ne choisissait pas comme ça de retourner sa veste. Et puis, Nerilla ferait un meilleur flic en ignorant l’existence de ce qui sommeillait dans l’ombre. Cassidi reposa son bol sur un coin de table, une fois qu’elle l’eût vidé. Sa décision était prise. Si quelqu’un mettait Nerilla au courant de quelque chose, ce ne serait pas elle. Et tant pis si cela leur compliquait la tâche – ils avaient déjà eu à se frotter à des situations bien plus complexes que celle-ci. Ses petites angoisses existentielles ne devaient pas entrer en ligne de compte, aussi Cassie laissa-t-elle tomber ses réflexions.
Presque au même moment, Milo braqua sur elle des yeux déjà plus réveillés. Un coup de peigne n’aurait pas nui à l’image débraillée qu’il donnait – RIP, l’AISI –, mais au moins, il avait trouvé une voie de sortie à son univers brumeux. Alors qu’il parlait, Cassidi tendit la main vers un autre croissant. Elle acquiesça en constatant que Milo et elle se rejoignaient sur le sujet de Nerilla : ils lui serviraient la version édulcorée de l’histoire. Restait à trouver laquelle en particulier. Il semblait plus simple de lui parler d’une créature sauvage qu’ils n’auraient pas réussi à identifier. Sauf que rien ne garantissait que le motel n’était pas doté de caméras de surveillance – ce matos électronique était une pourriture, décidément –, et il leur faudrait être prudents dans leurs assertions. Un homme étrange, dont l’allure cadrerait avec l’ADN inhumain retrouvé sur les victimes, alors ? Pourquoi pas. La peur du nucléaire pouvait faire des miracles ; les scientifiques auraient tôt fait de voir ce qu’ils souhaitaient voir dans la séquence d’acides nucléiques, et on songerait à une mutation génétique. Les articles à ce sujet promettaient d’être sympas. « Tchernobyl, en 1986, ne s’est pas arrêté aux frontières italiennes, et c’est aujourd’hui qu’il frappe à la porte des bons citoyens. » Ouais, ça devrait suffire. Quant au corps du rugaru, les Wincessero s’en débarrasseraient, et un professeur de biochimie viendrait évoquer la théorie de la combustion spontanée ne laissant pas de traces. Comme c’était pratique.
Le plan que proposait Milo plaisait déjà moins à Cassidi. Elle n’avait aucune envie d’être séparée de son frère tant qu’elle ne serait pas certaine que la bête ne traînait plus dans le coin. Elle savait bien que, loin de vouloir se débarrasser d’elle en suggérant qu’elle rejoigne les rangs des policiers, Milo cherchait à lui offrir une protection. Sauf que l’uniforme d’un flic n’était pas exactement ce que Cassidi aurait appelé un facteur rassurant. Les explications de Tazzo le prouvaient ; si seules les flammes pouvaient venir à bout d’un rugaru, les flingues des policiers n’auraient pas de grande utilité en cas de confrontation. Elle se souvint toutefois que Mario avait eu peur du revolver de Milo, la veille. C’était une bonne chose, et la jeune femme dut reconnaître, d’un hochement de tête, que le raisonnement de Milo se tenait. Même s’il prenait au rugaru l’envie de récupérer son repas cassidien, la vision d’une patrouille de flics suffirait à le décourager. Momentanément, certes, mais on ne crachait pas dans la soupe. Mais qui couvrirait les arrières de Milo ? Le rugaru avait suivi Cassidi jusqu’au motel – car il avait dû la repérer dans la journée, peut-être même au parc –, il n’avait pas pu ignorer son frère. Si cela n’avait pas suffi à Mario, sa confrontation avec l’agent Almeida, dans la chambre, avait dû ancrer son souvenir dans sa mémoire. Rien ne l’empêchait de l’attaquer quand il se retrouverait seul, en proie facile. D’après Robertazzo, les rugarus avaient faim ; le leur préférait la chair féminine, mais des pulsions revanchardes pouvaient le pousser à s’orienter vers des hommes. Et cela, Cassie l’appréhendait.
Elle baissa les yeux sur son croissant, inquiète et cherchant ses mots. Déjà Milo continuait :
« D’ailleurs, pour le griller, Robertazzo m’a filé des tuyaux pour nous faire nos propres lance-flammes de bricoleur du dimanche, mais on peut tout aussi utiliser un simple bidon d’essence et un paquet d’allumettes. J’opterais plutôt pour cette solution, c’est plus discret si jamais les flics nous collent toute la journée. En outre, ça nous demandera moins de préparation et on pourra plus s’occuper de la planque du rugaru. »
Une nouvelle fois, Cassidi hocha la tête. Elle aurait trouvé plus tranquillisant de manier un lance-flammes géant, mais c’était une question de goûts. Elle termina son croissant sans croiser le regard de Milo. Elle savait que la trouille qu’elle avait de Mario Abatucci commençait sérieusement à nuire à son objectivité. Elle savait aussi que son frère était capable de se débrouiller seul. Ce n’était pourtant pas un problème de confiance ; d’inquiétude toute justifiée, plutôt. Ils avaient déjà bêtement perdu leur père, ce même père qui avait résolu des énigmes autrement plus ardues que celle d’un camion piloté par un démon et lancé sur leur bagnole, au beau milieu de la nuit. Ils n’auraient rien pu prévoir, certes. Les mauvaises choses avaient une propension bien plus élevée que les bonnes à survenir lorsque l’on travaillait dans ce milieu. Mais ç’avait été avertissement. Et Cassie comptait bien le garder en tête jusqu’à la fin de ses jours – petit post-it rouge, agité par une brise rieuse en périphérie de son champ de vision. Aussi refusait-elle de voir Milo mourir à cause d’une connerie. Quand ce dernier se mêla d’ajouter quelques questions à propos de la planque du rugaru, Cassidi se secoua, et investit la discussion.
« On n’a qu’à dire à Nerilla que tout est allé trop vite pour qu’on voie bien l’agresseur. Qu’on a juste remarqué qu’il n’était pas tout à fait humain, et que ça correspond à ce que l’ADN suggérait. Genre mutation génétique qui survient au mauvais moment et a fait péter une durite à un homme X ou Y … Et pour la planque, je pense qu’avant de chercher des trucs évolués, il faut regarder du côté de l’ancienne vie de Mario, s’intéresser aux endroits qu’il fréquentait. Ça semble plus plausible. Ce type est un tueur en série, mais pas un génie. » Cassie faisait un effort pour que les intonations de sa voix ne jouent pas aux montagnes russes lorsqu’il lui fallait faire une référence directe au rugaru. Elle ramena une mèche de cheveux derrière son oreille, histoire de se donner une contenance. « Va pour que je reste avec Nerilla et ses potes … mais fais attention de ton côté, Milo. Abatucci préfère les filles mais il pourrait changer de bord pour te faire payer ton intervention d’hier », ajouta-t-elle, indifférente au double-sens dont se dotaient ses paroles.
Elle allait insister sur le fait qu’il devait être prudent – attacher sa ceinture, faire un double-nœud à ses lacets, tout ça –, quand la porte du réfectoire s’ouvrit sur Nerilla, dans le dos de Milo, accompagné par trois policiers. Cassidi fit de son mieux pour conserver un visage neutre, et elle indiqua à son frère les nouveaux arrivants d’un discret signe du menton. Les quatre hommes les repérèrent dans la seconde qui suivit leur arrivée ; ils se dirigèrent vers eux. Cassie se leva et lui serra la main, un sourire pincé jouant sur ses lèvres.
« Bonjour, lança Nerilla à ceux qu’il prenait pour des agents. Le gérant du motel m’a averti de votre réveil. J’espère que vous avez tout de même réussi à dormir, et je suis sincèrement désolé pour ce qui s’est passé – et ce qui a failli se passer. Je venais voir si tout allait bien … et si vous avez pu glaner quelques informations, malgré tout. Il indiqua les trois officiers, derrière lui. Je suis venu avec mon équipe. D’autres attendent devant l’hôtel. Je me demandais si vous souhaitiez vous joindre à nous pour l’enquête, aujourd’hui ?
Les subordonnés de Nerilla affichaient l’air curieux de ceux qui hésitent à intervenir devant deux agents émérites de l’AISI. Ils observaient les Wincessero à la dérobée, et Cassidi nota que l’un d’eux la fixait avec intensité, visiblement à la recherche des blessures infligées par le tueur dont il avait entendu parler. L’instinct commanda à la jeune femme de porter une main sur son épaule, comme pour la dissimuler aux regards.
« Bonjour, monsieur. Ne vous faites pas trop de souci, c’est allé. Plus de peur que de mal, et le docteur Profete s’est montré compétent. En revanche, je suis désolée de vous annoncer que nous n’avons pas pu identifier le tueur. Il faisait trop sombre, et tout ce dont nous avons pu nous rendre compte, c’était qu’il n’était pas tout à fait … normal. Disons que ça confirme les analyses de vos experts. Ce qui n’était pas un mensonge. L’agent Almeida et moi avons pu discuter, et je me joindrai à vous pour une partie de la journée. Lui-même doit s’entretenir avec nos supérieurs et doit achever les interrogatoires entamés hier auprès des voisins des victimes. Et puis, il en profitera pour consulter les participants de la fête à laquelle Silvia se trouvait avant de passer par le parc. A ce sujet, du nouveau ? Et pourriez-vous fournir à Almeida une liste de ces personnes ? —Aucun problème. Monsieur Almeida, vous n’avez qu’à vous présenter au commissariat pour récupérer la liste en question, avec les adresses de ces gens. Vous … —Merci, commissaire », coupa Cassidi.
Elle tapota l’épaule de Milo, en tournant le dos à Nerilla, de façon à ce qu’il ne voie pas ses traits. Je vais avec eux, disait son regard. Toi, tu t’occupes des préparatifs pour le cocktail Molotov, et tu me fais signe lorsque tu en as terminé. Et tu fais attention, aussi. Vraiment attention. J’ai pas envie d’avoir à enquêter sur ta mort.
« Vous me tenez au courant. »
Après quoi elle pivota de nouveau vers Matteo Nerilla, et indiqua la sortie du réfectoire.
« Je doute qu’on y trouve quoi que ce soit, mais on peut toujours commencer par examiner la chambre où il m’a attaquée … —On vous suit. »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:55, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Dim 22 Mai - 17:46
L’avantage d’une méchante attaque et d’être blessé, c’était que cela vous creusait l’appétit. Du moins, c’était ce que supposait Milo qui entre l’admiration de son propre petit déjeuner –rien n’était meilleur que le pain craquant du matin avec une fine lamelle de beurre- relevait également l’intérêt de Cassidi pour les malheureux croissants de la corbeille. S’il n’avait pas été réveillé aussi énergiquement et traîné de force jusqu’à la cafétéria, Milo aurait presque pu croire que sa sœur était aussi endormie que lui. En général, c’est ce que témoignait une aussi grande attention pour le contenu des bols. A l’inverse, Cassidi semblait ne pas écouter un mot de ce qu’il racontait. Un brusque retour de fatigue émotionnelle ? Non ; elle réfléchissait juste, conclut Milo lorsque la tête de sa sœur se redressa et qu’elle prit la parole :
- On n’a qu’à dire à Nerilla que tout est allé trop vite pour qu’on voie bien l’agresseur, proposa-t-elle. Qu’on a juste remarqué qu’il n’était pas tout à fait humain, et que ça correspond à ce que l’ADN suggérait. Genre mutation génétique qui survient au mauvais moment et a fait péter une durite à un homme X ou Y …
Ouaip, c’était potable. Et pas très loin de la vérité ; après tout, il se pouvait bien qu’il y ait une explication scientifique à tous les étranges évènements dont les Wincessero avaient été témoins… aurait dit une Dana Scully armée de son bagage médical. D’ailleurs, servir une telle explication fit sourire à demi le jeune homme qui y vit un scénario cadrant à la perfection les habituelles intrigues de sa série télévisée préférée. Une explication qui aurait convenu à Mulder autant qu’à sa coéquipière, d’ailleurs, après quelques moments de doute et de scepticisme. Une explication, qui bien qu’elle fut suffisamment tirée par les cheveux pour qu’on eut dit qu’elle était l’invention d’un auteur de thriller amateur de science-fiction et un tantinet écolo, serait recevable par un esprit ouvert que Nerilla. Si elle était exposée avec l’assurance d’un agent de l’AISI sérieux et rigoureux, qui plus est… Le commissaire, les journalistes et les habitants du village avaleraient ça avec l’enthousiasme d’un mioche devant du sirop pour la toux. Enrobé de cette note caramélisée, elle serait ingérée jusqu’à la dernière goutte. Le sourire de Milo, plus visible dans ses yeux que sur la courbe de ses lèvres, s’agrandit encore un peu devant l’admiration amusée qu’il éprouvait pour Wikicassie.
- Et pour la planque, poursuivait ce même logiciel, je pense qu’avant de chercher des trucs évolués, il faut regarder du côté de l’ancienne vie de Mario, s’intéresser aux endroits qu’il fréquentait. Ça semble plus plausible. Ce type est un tueur en série, mais pas un génie.
Tout à fait d’accord. Milo était intimement persuadé que s’il avait conservé son intelligence d’autrefois, le rugaru restait diminué par la faim et la violence de ses désirs. L’instinct et la satisfaction de ses besoins bruts primaient sur sa prudence et sa logique. Une légère contrepartie en échange de ses muscles décuplés –surtout que le modèle original n’était pas exactement un gringalet maigrichon champion de la catégorie poids plume-, de ses dents coupantes et de sa mâchoire puissante. Merci, karma. La brève de lutte d’hier soir lui en était témoin ; à mains nues, au moindre faux pas, Milo se ferait facilement broyer les os. Littéralement. Donc, tout ça ne l’aidait pas vraiment, sinon à surprendre leur proie avant que les rôles ne s’inversent.
- Va pour que je reste avec Nerilla et ses potes … finissait par concéder Cassidi, mais fais attention de ton côté, Milo. Abatucci préfère les filles mais il pourrait changer de bord pour te faire payer ton intervention d’hier.
Milo ne dit rien à ce sujet, mais il fut surpris. C’était rare que Cassidi lui fasse des recommandations. En fait, il se considérait moins tête brûlée qu’elle et ils avaient l’habitude de se laisser à chacun une grande marche de manœuvre dans les enquêtes. Cassidi pouvait passer une journée toute seule sans que Milo s’en inquiète de son côté, certain qu’il était de la retrouver le soi. Les exhortations à la prudence étaient rarement de mises, sauf face à un ennemi connu et puissant –un gros badass de démon, par exemple, ou bien un nid de vampires-. Néanmoins, un battement de paupières sur ses yeux noirs chassa immédiatement la surprise. Cassidi avait été attaquée, elle voyait Mario d’une façon irrémédiablement différente, maintenant. Et sûrement ferait-elle de même s’ils tombaient, à l’avenir, sur un autre spécimen de rugaru. Milo espérait que non ; la peur entretenue rendait moins fiable, plus apte à l’erreur. Si Cassidi faiblissait, il devrait compenser derrière ; ça ne le dérangeait pas, mais il n’avait pas la possibilité de toujours jouer le rôle du garde du corps avec sa sœur. Enfin, pour l’heure, la question ne se posait pas ; Cassidi serait avec Nerilla toute la journée, pot de miel entouré d’abeilles prêtes à défendre leur labeur face à un grizzli affamé. Milo n’aurait pas de trop gros soucis à se faire de ce côté-là ; la présence de policiers dissuaderait Mario d’intervenir pour finir son repas. Il ne craignait pas les armes à feu, mais le nombre serait un adversaire compliqué. C’était comme avec les cambrioleurs ; une porte fermée ne l’empêchait pas de s’inviter chez vous, mais plus il y avait d’obstacles, plus il y avait des chances que votre visiteur se lasse et préfère se rabattre sur une demeure plus aisée. Pour lui-même, Milo ne s’affolait pas. Il était prévenu et armé comme il le fallait. Sa vigilance serait d’autant plus forte et il n’était pas assez sot pour se compromettre dans des situations inextricables sans une porte de secours ou un allié. De nouveau, les pensées de Milo vagabondèrent jusqu’à X-Files ; quel dommage que l’un des Wincessero ne soit pas un profileur spécialiste du comportement criminel ! Il leur aurait été facile, alors, de savoir si Mario était du genre à vouloir se venger ou à faire une fixation sur ses victimes. Aisé également de découvrir le lieu où il se tapissait. Mais ce n’était pas le cas, et Milo devrait se faire tout ce boulot au petit bonheur la chance –sûr que c’était la méthode la plus efficace de l’univers-. Il se renfrognait déjà à l’idée de passer la journée à se farcir des mademoiselles Casabelle hystériques et phéromonant à qui mieux-mieux devant un séduisant agent de l’AISI. « Bonjour, agent. C’est à vous, cette belle Cadillac ? » « Du thé, agent ? Côôôômme ça doit être fatiguant pour vous de passer toute la journée debout à cavaler ! ». Gloussements, gloussements. Si vous saviez, mademoiselle, répondrait alors, morne, le pauvre Almeida desséché.
- Ne t’inquiète pas, Cassie, répondit-il en achevant son café d’une lampée. Je serais prudent.
Du bruit dans le fond l’incita à se tourner de trois-quarts pour mieux voir la scène, le coude posé sur le dossier, l’air fatigué à l’avance des courbettes que les deux faux agents devraient faire. Repérant Nerilla et ses acolytes, Milo passa rapidement la main dans ses cheveux pour leur donner un semblant de tenu. Il espérait qu’il n’avait pas la trace du canapé sur la joue, incrustée aussi profondément dans sa peau qu’il l’avait été dans le sommeil. Déjà, les policiers étaient sur eux ; Cassidi s’était levée pour les saluer d’une poignée de main virile. Dans son rôle pas trop forcé d’original spécimen de l’AISI asocial, Milo se contenta d’un hochement de tête poli, l’air sombre –pas forcé non plus-. Trop snob pour se fatiguer à accueillir cordialement de simples représentants de l’ordre campagnards, trop occupé aussi. Ca passait comme une lettre à la poste, surtout vu le peu de fois qu’il avait eu à faire avec Nerilla et le fait que Cassidi ne lui avait pas laissé le temps de se changer tout à l’heure.
- Bonjour. Le gérant du motel m’a averti de votre réveil. J’espère que vous avez tout de même réussi à dormir, et je suis sincèrement désolé pour ce qui s’est passé – et ce qui a failli se passer. Je venais voir si tout allait bien … et si vous avez pu glaner quelques informations, malgré tout. Je suis venu avec mon équipe. D’autres attendent devant l’hôtel. Je me demandais si vous souhaitiez vous joindre à nous pour l’enquête, aujourd’hui ?
Blabla, blabla. Heureusement que Cassidi était là pour assurer le côté tact, cordial et relationnel du groupe qu’ils formaient. C’était elle la plus habile à soutirer des informations aux gens qu’ils interrogeaient, avec son sourire aimable et compatissant, ses puppy eyes qui ne laissaient personne insensible et son verbiage plus élevé que celui de son frangin. Elle était parfaite en agent de l’AISI, en assureur ou en n’importe quoi d’autre officiel. Elle inspirait la confiance avec ses paroles mesurées et compréhensives et paraissait plus crédible de ce point de vue là que Milo et son assurance blasée. Milo était bien pour appuyer leur couverture, leur donner un côté d’efficacité rapide, et pour dissuader les plus impétueux de se défier d’une simple et très charmante fille. Dans un pays aussi macho que l’Italie, l’aide était indéniable. Ainsi donc, comme à leurs habitudes, Milo laissa à sa sœur le privilège exquis de se farcir les formalités et les phrases au jargon spécialisé de rigueur. Il suivit la conversation avec une austérité et une retenue plaquées sur le visage toutes professionnelles. Nerilla s’adressa brièvement à lui :
- Aucun problème. Monsieur Almeida, vous n’avez qu’à vous présenter au commissariat pour récupérer la liste en question, avec les adresses de ces gens. Vous … - Merci, commissaire.
Milo hocha la tête pour approuver et agita vaguement sa main pour signifier qu’il passerait au commissariat. Cassie fit volte-face pour lui intimer quelques consignes du regard. Imprimer, même. Avec le support qu’utilisaient les êtres humains pour communiquer, elle préféra un bref :
- Vous me tenez au courant.
Almeida nota dans un coin de sa tête quelques remarques à lui faire en privé, plus tard. Comme, lorsqu’on est un tandem d’agents qui travaillent ensemble depuis plus d’un an, on se tutoie. Cela fait moins rigoureux, certes, mais dans la réalité, les agents de l’AISI se comportaient comme des hommes et non pas comme de froids fonctionnaires. Ils prenaient donc quelques familiarités avec leurs proches collègues. Le jeune homme aurait parié que c’était également le cas pour Nerilla et ses alter-egos. Lorsqu’il n’y avait de rapports de force hiérarchiques, c’était tout à fait usuel.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, Luce, répéta Milo en tapotant la poche qui contenait son portable. N’oubliez pas de faire de même.
Et pas d’utilisation inconsidérée de charmes ou bien… du charme, mais Milo le lui rabâchait tant de fois dans l’Impala que Cassidi devait avoir développé une madeleine de Proust à ce sujet. Ils se séparaient et hop, la voix de Milo, mécontente, retentissait dans sa caboche. Tandis que tout ce petit monde s’éloignait, Milo se leva, engloutit un croissant, unique rescapé du massacre perpétué par un monstre d’origine inconnue, puis jetant sa veste à travers l’épaule, remonta dans sa chambre récupérer quelques bricoles dont il aurait besoin pour sa journée. Il veilla à ce que sa piaule ne laissa pas présupposer à un policier trop méfiant que les deux agents de l’AISI n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être puis gagna l’Impala. Il fit courir ses doigts le long de l’acier de la portière, savourant ces retrouvailles, puis monta. L’odeur de cuir, le contact du volant, tous ces éléments familiers chassèrent momentanément la mauvaise humeur inlassablement présente chez lui. La pensée de revoir Casabelle, elle, anéantit ces efforts. Youpee. Milo prit le temps de se dresser une liste écrite des lieux qu’il tenait à visiter et de quelques suggestions qu’il tenait à vérifier. Mais avant de s’employer à réduire cette liste, il devait tout d’abord passer à la supérette du coin. Il défit sa cravate, ouvrit un peu sa chemise, relégua la veste sur le siège arrière. Pour faire ses emplettes, Milo préférait ne pas ressembler à Almeida ; cela paraitrait bizarre, quand même, qu’un membre de l’AISI acquiert un gros bidon d’essence et quelques allumettes. En fait, même pour un type normal, cela aurait paru douteux. « Vous comptez vous immoler, ou c’est juste une soudaine envie de faire cramer la voiture de votre voisin ? ». Il profiterait de la supérette pour faire quelques courses bidons, et irait ensuite chez le garagiste pour le bidon. Il en profiterait même pour laver l’Impala. Avec sa fausse carte de crédit, il pouvait largement se le permettre.
Lorsque ce beau programme fut accomplit, et qu’il se retrouva de nouveau en tête à tête avec sa dulcinée toute parfumée et rutilante, il réalisa les gestes vestimentaires inverses, fit le nœud de sa cravate, ferma tous les boutons de la chemise, passa de nouveau sa veste. Oh, il n’était pas de dupe. Le village était trop peu peuplé pour que la tête d’Almeida n’en fasse pas le tour, même si tous les habitants n’avaient pas été présents hier au parc. Si le garagiste ou la caissière se trouvaient là, ils auraient vite fait le rapprochement, s’ils étaient un tant soit peu physionomistes. Mais changer son apparence, même aussi peu, était souvent suffisant pour troubler les gens et semer le doute dans leurs esprits. Ce n’était guère qu’une précaution qui ne voudrait plus rien dire demain, lorsque Cassie et lui seraient sur les routes de Milan et que les véritables agents débarqueraient, furieux. Oui, Milo avait pour objectif de réussir à buter la saloperie qui hantait la ville avant ce soir. Il ne souhaitait pas voir d’autres victimes et pourtant, chaque jour en appelait une nouvelle. Finalement, c’était presque étrange que Mario n’avait pas été arrêté plutôt, songea Milo en descendant de l’Impala pour inspecter prudemment la boucherie fermée pas à cause du risque rugaru, hein, mais à cause du risque Casabelle-. A force de sortir se nourrir, les gens auraient réagis comme les plus frustres des paysans –schéma de défense classique d’une communauté-, auraient organisés une battue, l’auraient trouvés puis mis en pièces détachées sans sommation. Sanglant, mais néanmoins assez efficace ; il y avait toujours un plus hystérique que les autres pour avoir l’idée de foutre le feu aux restes. Et si sauvage fut Mario, Milo doutait de ses capacités à vaincre une centaine d’âmes en colère. Voir même à fuir. Pour éviter ce carnage, qui aurait signé son arrêt de mort, Mario avait dû finalement lutter contre la violence de ses appétits ; au lieu de se nourrir une fois par jour, il s’était refréné pour ne casser la croûte que tous les deux, trois jours. A cause de Cassie, il aurait une sacré dalle aujourd’hui… Ce qui fit penser à Milo que Mario devait avoir une cachette de viande non-humaine pour ronger son frein en attendant. Dans ce cas, la boucherie était une planque toute indiquée…
Cassidi Natale [Othello]
Membre- pactisant
MESSAGES : 144
AGE : 33
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Mer 25 Mai - 12:20
Cassidi Wincessero se l’avouait sans peine : elle trouvait reposant d’incarner l’agent Luce Laslos. Evidemment, le fait d’usurper l’identité d’un membre émérite de l’AISI n’allait pas sans amener son lot de préoccupations existentielles, et l’on pouvait – tout aussi légitimement – craindre d’éventuelles représailles, si jamais la couverture sautait. Ça restait une grosse prise de risques. Et puis, les qualités pré-requises sur un CV pour jouer avec ce type de feu avaient majoritairement trait à de la connerie pure – n’usurpait pas qui voulait. S’adonner à de telles pratiques, c’était garder dans un coin de sa tête une idée, une crainte, celle d’être un jour démasqué et envoyé en taule pour quelques millénaires. Mais c’étaient là les inconvénients. Les avantages, eux, suffisaient à éclairer la situation d’un autre camaïeu de lumières. En tout premier lieu, cela revenait à jouir d’une autorité qui faisait force de loi auprès de qui que ce soit. Il était bien plus simple de se faire entendre lorsque l’on exhibait un badge des forces spéciales. Et surtout, rien n’obligeait à justifier telle ou telle action : en plus de vous écouter et de vous obéir, on vous passait tout. Ce qui changeait un peu les chasseurs de leurs habitudes, eux qui se trouvaient souvent obligés d’œuvrer dans l’ombre et, lorsque ce n’était pas le cas, confrontés à un bloc d’incompréhension de la part de Ceux-qui-ne-savaient-pas. C’était donc un luxe que les Wincessero, de temps à autres, aimaient à se payer. Cassidi plus que Milo, vraisemblablement. Il arrivait souvent à la jeune femme de penser qu’elle aurait dû boucler ses études avant de suivre son frère et tenter de devenir officiellement membre de l’AISI. Sans être un génie, Cassie n’était pas idiote ; en outre, les concours permettant d’intégrer l’élite des services de renseignements italiens n’étaient pas inaccessibles. Ç’aurait été pratique lorsqu’il se serait agi de recueillir certaines de ces informations que le gouvernement ne lâchait pas en pâture aux journaux, tels les résultats des analyses d’ADN pratiquées sur les victimes de Mario Abatucci. Le problème était que ce job aurait constitué une attache gênante, à la longue, plutôt qu’autre chose, en plus de lever le voile sur son existence. Et en fin de compte, Cassidi trouvait tout aussi bien de se contenter d’usurper une plaque. Plus simple.
Nerilla, de son côté, fit tout pour que Luce Laslos ne trouve pas handicapante la présence des policiers, même s’il n’eut pas à se forcer pour que cela lui paraisse agréable. Il se montra bien plus prévenant avec la jeune femme que la plupart des flics qu’elle avait déjà rencontrés. Cassidi se doutait que cela avait à voir avec l’attaque qu’elle avait subie dans sa ville, mais il ne fut pas pesant pour autant. Il lui offrit même, discrètement, de se faire examiner en duty free à l’hôpital de la ville voisine, afin d’assurer la guérison de son épaule. Ce à quoi elle répondit par la négative, en lui enjoignant de ne pas s’inquiéter pour sa santé. Elle ne précisa pas que, à peu de choses près, elle avait déjà dû vivre pire, mais le ton y était. Nerilla accueillit cette réponse avec un sourire tout paternel, et si Cassie n’aimait pas plus que cela être maternée, elle n’allait pas cracher sur l’humanité du commissaire. Quant aux autres officiers, ils observèrent une distance polie. Ils se présentèrent à l’agent Laslos lorsqu’ils eurent quitté le réfectoire ; elle ne retint pas leurs noms, en sachant qu’ils ne lui en tiendraient pas rigueur. Elle avait compris depuis longtemps qu’il suffisait d’accorder un semblant d’attention aux flics des petits patelins pour que ceux-ci s’en contentent. Les spécimens actuels n’échappaient pas à cette règle. Aussi Cassidi ne fit-elle pas de manières et se contenta-t-elle de leur serrer la main en acquiesçant lorsqu’ils lâchèrent leur nom.
Comme prévu, ils commencèrent par se rendre à ce qui aurait dû être à la chambre de Cassie. En chemin, Matteo Nerilla fit signe à quelques experts et un officier supplémentaire de les suivre ; l’agent Laslos leur ouvrit la voie – et la porte. Cassidi n’eut pas grand-chose à faire au cours de l’examen minutieux qui s’ensuivit. Les officiers laissèrent aux experts le soin de recueillir ce qu’ils pouvaient recueillir, et pendant ce temps, Nerilla et un flic recueillirent de façon plus officielle le témoignage de leur demi-victime. Cette dernière n’eut aucun mal à étayer son histoire de quelques uns de ces petits détails contextuels et autres illustrations gestuelles communément compris comme des manifestations de la vérité. Elle aurait pu leur expliquer qu’un dragon l’avait attaquée, pressentait-elle, qu’ils auraient de toute façon bu ses paroles. Elle se contenta donc de rester assise dans un coin, sagement, en se fendant d’un commentaire lorsqu’elle le jugeait nécessaire, ou répondant aux questions des experts.
Quelques échantillons de sang furent recueillis. Dans la poubelle, la police scientifique s’intéressa aux compresses utilisées par Chuck Profete, la veille, pour nettoyer les blessures de Cassidi ; histoire de vérifier que l’ADN du meurtrier n’avait pas changé. Ils s’attardèrent également sur les empreintes qu’ils purent relever sur le rebord de la fenêtre et le balcon adjacent, alors que deux policiers étaient chargés d’examiner le parc. Si ces derniers ne confirmèrent pas grand-chose d’autre que des traces de pas semblables à celles recueillies sur les autres lieux de crime, bien que cela ne prouve rien, les premiers trouvèrent quelque chose. Ou plutôt, plusieurs types d’empreintes. Bien sûr, il ne fallait pas s’étonner de trouver des empreintes dans un hôtel. Les femmes de ménage avaient beau faire un travail correct, il aurait été ridicule d’imaginer qu’elles poussaient le zèle à l’effacement des traces de doigt sur un cadre de fenêtre. Les experts relevèrent donc une foule d’empreintes, dont la plupart se révèleraient sans doute appartenir à des clients de membres du personnel du motel. Ils demandèrent les siennes à la jeune femme.
Cassidi fronça les sourcils – pour deux raisons. La première, c’était que, dans une affaire comme celle-ci, certaines des empreintes risquaient d’être conservées. Les siennes, en l’occurrence. Et ce n’était pas l’idéal pour une chasseuse cherchant à se fondre dans le décor. Si le gouvernement mettait la main sur ses empreintes, et qu’il apprenait, par la suite, que la détentrice de ces dernières s’était fait passer pour un agent de l’AISI, ça risquait de poser souci. Elle ne se faisait pas d’illusions : un portrait-robot de Milo et elle devait déjà circuler en Italie, car, sans s’être fait prendre la main dans le sac, les autorités devaient avoir compris depuis longtemps que de fausses plaques circulaient. Mais si, au portrait-robot, le gouvernement pouvait joindre des empreintes, en cas d’arrestation, les Wincessero risquaient gros. Adieu l’alibi et la présomption d’innocence. Il serait donc utile que Cassidi fasse disparaître ces preuves. Encore fallait-il qu’elle en ait l’opportunité ; elle décida de profiter de la moindre occasion. La seconde raison concernait les empreintes du rugaru. L’attaque avait permis à Cassie de retenir que les doigts de la bête étaient griffus ; mais qu’était-il de ses signatures digitales ? Avaient-elles changé ou, au contraire, restaient-elles les mêmes ? S’il en possédait toujours, qu’il en avait laissées sur la fenêtre ou le balcon et que les flics les identifiaient, ils ne tarderaient pas à faire le rapprochement avec Mario Abatucci. L’homme était considéré comme disparu et faisait partie d’éventuels suspects. Il était donc à parier que les flics s’étaient débrouillés pour prélever des empreintes de l’homme en question. Ils auraient tôt fait de remonter jusqu’au concerné, ADN correspondant ou pas. Et ça, c’était mauvais pour tout le monde. Si Milo parvenait à établir une piste pour retrouver Mario, la police ne serait pas longue à faire de même, ne leur laissant que peu de temps pour intervenir.
Par conséquent, Luce Laslos prêta une attention toute particulière au trajet suivi par le matériel des experts. En interrogeant l’un d’eux, elle apprit que tout ce beau monde atterrirait au commissariat, où un labo avait été établi tout spécialement pour le cas des meurtres en série. Parfait.
Le motel, lui, comme l’avait craint Cassidi, était doté de caméras de surveillance. Le dispositif prévoyait que les images soient conservées dans la base de données durant les vingt-quatre heures suivant leur enregistrement ; Nerilla et ses hommes purent les visionner. Elles montrèrent que, aux alentours de 23h, un homme corpulent, revêtu de ce qui ressemblait à un trenchcoat, avait approché la façade de l’hôtel, avant de s’introduire par la fenêtre correspondant à la chambre de Cassie. On l’en voyait ressortir peu de temps après. Milo apparaissait alors dans l’encadrement et s’y figeait quelques secondes avant de disparaître dans la pièce. Après quoi, l’interrupteur était poussé à l’intérieur ; la fenêtre s’illuminait et la scène cessait d’être intéressante. La vidéo, hélas – ou heureusement ? – était de mauvaise qualité. Et puis, l’image était trop sombre pour que l’on puisse en faire quoi que ce soit. Nerilla se débrouilla pour obtenir une copie du fichier, qu’il confia à un flic : celui-ci devait l’envoyer à des types capables de la trafiquer, afin d’établir, le cas échéant, une image plus nette et, par là, utile. Cassidi ajouta la vidéo à la liste des trucs craignos dans cette histoire.
Les heures qui suivirent furent encore moins palpitantes. Ce fut en s’inquiétant pour Milo que Cassie passa le temps ; il n’y avait rien qu’elle puisse faire, techniquement, pour accélérer le processus. D’autant qu’elle ne souhaitait pas accélérer quoi que ce soit, et qu’il était tout aussi complexe de mettre des bâtons dans les roues de l’enquête. Le groupe finit par quitter le motel. Cassidi les suivit au commissariat, où les experts, d’après Nerilla, s’attelèrent immédiatement à la tâche que constituaient les empreintes digitales. Celles-ci pouvaient être rattachées à d’éventuels suspects dans la journée ; l’ADN, en revanche, prendrait au moins trois jours, et les officiers ne nourrissaient pas de grands espoirs de ce côté-là. Cassie, désœuvrée, réclama à Nerilla de se pencher de nouveau sur les fichiers consultés la veille. Ce fut sans plaisir qu’elle retrouva la pile de dossiers, mais cette fois-ci, elle savait quoi chercher. S’isolant dans une pièce, Cassidi se dirigea immédiatement vers les notes consacrées à Mario Abatucci, qu’elle parcourut avec bien plus d’attention que le jour précédent.
Sur l’homme, elle n’apprit pas grand-chose de nouveau. Né d’une famille moyenne, parents décédés. Un frère et une sœur, sachant que le frère s’était tué dans un accident de voiture quatre ans auparavant. Pas de casier judiciaire – tout juste quelques PVs pour stationnement gênant. Un homme décrit comme ouvert, voire jovial, par ses connaissances ; pas le genre à péter une durite et devenir son propre boucher. Des études qui n’avaient rien de brillant mais correctes, une femme qu’il avait épousée une vingtaine d’années plus tôt. Pas d’enfant. Bref, un couple de commerçants tout ce qu’il y avait de plus normal, lorsque l’on oubliait que l’un d’eux n’avait jamais été qu’une bombe à retardement … Cassie regarda de plus près les possessions de Mario, et notamment ses biens fonciers. Il apparut que si son enseigne ne lui rapportait pas des fortunes, le boucher n’en était pas moins riche lorsque l’on s’attardait sur le plan de l’immobilier. L’appart dans lequel les Abatucci vivaient était relativement grand, situé au-dessus de la boutique ; celle-ci possédait une arrière-salle de dimensions respectables, ainsi qu’une cave toute aussi spacieuse. La jeune femme nota cette information dans un coin de sa tête. A cela, il fallait ajouter l’héritage de Mario : de son frère, il avait reçu un studio T4 dans une grande ville à proximité et, de ses parents, une villa restée invendue en périphérie du patelin.
La relecture des rapports apprit à Cassidi que studio et villa avaient été examinés de fond en comble par les policiers. L’appart était de toute façon trop loin d’ici, et localisé au beau milieu du centre-ville ; on pouvait d’ores et déjà le rayer des possibilités. Lorsque l’on ne ressemblait plus à un être humain, il était déconseillé de se balader dans une cité de plus de cinquante-mille habitants. Restait la villa, déjà plus intéressante stratégiquement parlant. Les flics l’avaient peut-être visitée, mais s’il était bien une chose que Cassie avait apprise ces vingt dernières années, c’était qu’une ville aussi ancienne que celle-ci comportait des cachettes dont les plans ne parlaient pas. Le patelin datant d’avant la seconde guerre mondiale, tout portait à croire que les leçons de la première avaient été apprises. On ne comptait plus les vieilles baraques que les proprios, effrayés par l’éventualité d’une attaque aérienne, avaient munies de caves secrètes, un peu à l’écart du domicile lui-même. La World War II leur avait donné raison et, au cours de celle-ci, des milliers de planques avaient rejoint les invisibles bataillons des premières à avoir été construites. Le grand terrain adjacent à la villa Abatucci était susceptible de comporter un abri de ce type. Cassidi prit en photo avec son téléphone les lignes concernant la villa, et les envoya à son frère.
Puis elle referma les dossiers, et déambula dans le commissariat. Elle attendait. L’heure de se sustenter approchant, Nerilla l’interpella dans un couloir et lui proposa de venir déjeuner avec lui au réfectoire du commissariat. La cadette Wincessero accepta, faute de mieux. Ce fut donc au cours du repas qu’elle partageait avec l’officier qu’un policier vint les trouver, l’air inquiet. Il les informa qu’une mère de famille avait passé un coup de fil au poste ; le matin même, elle avait laissé sa fille de dix ans, Olivia, se rendre seule à l’école. Lorsque la mère de la petite s’était pointée à la sortie de l’établissement pour l’emmener manger, elle ne l’y avait pas trouvée. Elle s’était inquiétée et, quittant la voiture, avait parlé aux professeurs encore sur place. La maîtresse de la gamine lui avait appris qu’Olivia ne s’était jamais présentée en classe ce matin-là, et la maman, paniquée, avait appelé les flics. Ce qui était déjà inquiétant en temps normal l’était d’autant plus lorsque l’on savait ce qui se tramait actuellement. Impossible de ne pas faire le lien.
Cassie s’excusa auprès de Nerilla, annonçant qu’elle devait consulter ses supérieurs. Une fois seule, elle composa le numéro de Milo, et fut soulagée de l’entendre décrocher :
« Allô, Milo ? Oui, on a un problème, là … Une gamine de dix ans n’est jamais arrivée à l’école primaire ce matin, alors qu’elle fait ce trajet à pied tous les jours. Sa mère s’en est rendue compte uniquement parce qu’elle ne la laisse pas manger à la cantine et était venue la chercher à la sortie. Comme ce sont des circonstances exceptionnelles, Nerilla va lancer l’avis de recherche, c’est l’alerte générale par ici. Je crois qu’on ferait bien de retrouver Mario très rapidement. Tu as reçu ce que je t’ai envoyé ? »
Dernière édition par Cassidi Natale [Othello] le Sam 4 Juin - 10:53, édité 1 fois
Milo Vasco
Admin-human
MESSAGES : 861
AGE : 32
LOCALISATION : Milan
HOBBIES : Râler.
HUMEUR : Je suis MECHANT.
Sujet: Re: Metamorphosis [PV Cassie Wincessero] Dim 29 Mai - 20:44
Milo mâchonnait des olives vertes trempées dans leur huile pimentée avant de recracher des noyaux par la fenêtre ouverte de l’Impala. Méthodiquement. A intervalles réguliers. Il aurait même pu mettre ses talons de part et d’autre du volant s’il n’avait pas été horrifié par l’idée de salir le précieux cuir du tableau de bord. Cela faisait presque deux heures qu’il moisissait là, pas loin de la boucherie qu’il avait visité –prudemment- en début de matinée. Il avait eu le temps de faire le tour des lieux inscrits sur sa liste de repaires potentiels à rugaru affamé, mais n’avait rien trouvé de concluant. En fait, il avait surtout deux gros doutes ; cette maison, là, et la villa héritée des parents de Mario, en périphérie. Les autres étaient situées à des endroits que même le premier des imbéciles n’aurait pas choisis. Trop près du commissariat, ou d’un gros croisement, exposés à la vue de tous, à louer ou il ne savait plus quoi encore. Pour chacun, Milo était descendu de voiture et avait rôdé autour. Parfois, il était entré dans le bâtiment, le plus silencieusement possible, avait examiné quelques salles, ainsi que les alentours. Pas de traces, pas de poussière déplacée, pas de plumes de poulet impitoyablement dévoré. Rien. Pour la villa, il avait reçu des photos de Cassie par le biais de son téléphone portable avant de se rendre sur les lieux. Au sein même de l’élégante demeure, rien de suspect. Milo était descendu à la cave, sans succès ; mais il avait bien remarqué qu’il s’agissait d’une ancienne maison et s’était demandé si le rugaru ne vivait pas dans les fondations ; seulement, il avait promis à Cassie d’être prudent et de ce fait, ne se voyait pas ramper dans les boyaux muraux pour descendre plus profondément encore. Alors, il était ressortit.
C’était stupide de dire ça, mais lorsqu’il avait garé l’Impala devant le trottoir et était descendu, lorsqu’il avait posé son regard sur la façade blanche, il s’était senti un frisson remonter tout le long de sa nuque. Ou une étrange sensation dans le dos. Bref, quelque chose d’indéterminé, mais qui visiblement l’alertait. Appelons ça un instinct de chasseur, conféré par une longue habitude des fantômes, des lieux glauques et des dangers mortels. Milo aurait mis ses os au feu qu’il aurait trouvé dans l’héritage de Mario ce que les Wincessero cherchaient ; mais aucun indice n’était venu confirmer sa puce à l’oreille. Dépité –il lui semblait pourtant n’avoir rien négligé-, Milo était repartit pour finir ses « visites ».
Et puis, finalement, il avait échoué derrière la boucherie, garé dans une ruelle, à fixer la porte de derrière si terne qu’on la remarquait à peine de feu les Abatucci. Et depuis, il bouffait des olives en s’ennuyant à mourir, guettant par intermittence un signe divin –un signe de sa sœur sur son portable-. Après tout, il était treize heures quarante-sept, pour être précis. Et ses toasts du matin remontaient. Un jeune homme en pleine croissance et dépense physique comme Milo nécessitait une nourriture saine et abondante, voilà tout. Il ne pouvait pas aller se chercher un repas plus conséquent sans manquer, peut-être, le moment où Mario ferait de même. Alors, il se contentait de ce qui se trouvait dans le sac sur la banquette arrière. D’ailleurs, il avait déniché un vieux paquet de chips –pommes de terres sélectionnées à la main, puis coupées finement en tranches avant d’être salées délicatement et passées au four, croustillant garanti, connaissez vous nos chips saveur fromage, blablabla-. Dédaignant sa barquette d’olives marinées qui diminuaient à vu d’œil, Milo s’empara de sa trouvaille, déchira l’emballage entre ses dents et prit entre son index et son majeur la plus grosse chips qu’il pu trouver dans le paquet. Il aurait apprécié faire passer le tout avec une bonne rasade de bière, mais il était contraint de se contenter de la bouteille d’eau minérale abandonnée par Cassie dans la portière. On faisait ce qu’on pouvait. Nouveau balayage de la rue, coup d’œil au portable.
Là non plus, ce n’était pas un moment très palpitant de la chasse. Néanmoins, Milo ne pouvait rien faire d’autres ; il avait exécuté ses tâches benoîtement et à moins de se payer la sorcière vaudou du coin ou la diseuse de bonne aventure, il ne localiserait pas mieux Mario. Il se devait juste d’attendre qu’un mouvement furtif derrière les barreaux du soupirail vienne confirmer sa théorie –ou l’infirmer s’il persistait à ne pas se montrer-. Ah, encore une fois, ce fameux et gratifiant job de chasseur ! Riche en relations sociales, en fric et en mode de vie sain. Mais, trêve de plaisanteries, Milo n’était pas du genre à cracher dans cette soupe. Tout ça, finalement, ça lui plaisait. C’était en adéquation avec son caractère. Cassie, elle, avait toujours eu plus de mal. Parce qu’il s’agissait d’une jeune fille aimable qui ne méprisait pas l’ensemble de la race humaine, ou moins que Milo. Lui, il avait toujours été un solitaire, à la fois contraint par Giovanni, mais aussi par son ADN. Les gens, il les aimait de passage, futilement. Il n’était pas doué pour se faire des amis, ni pour les garder. En fait, Milo se soupçonnait de ne pas en avoir envie. D’apprécier de se refermer sur Cassidi, sur Tazzo, et de faire son autiste bienheureux derrière eux. Il ne cherchait pas à aller vers les autres ; il s’en foutait. Cinq minutes, le temps d’un verre, quelques jours, le temps d’une chasse. Oh, il ne dédaignait pas la compagnie de personnes à son goût. Mais il finissait systématiquement par ressentir une lassitude, un manque d’intérêt qui se traduisait par un cessez-le-feu sur les efforts fournis pour être aimable et ouvert. Tel un pokémon humain –Oui, oui-, il mutait pour redevenir Milo le taciturne. Et contrairement à ce qu’un naïf innocent pourrait croire, ce n’était pas franchement reposant. Chaque remarque était ponctuée d’une réponse acerbe, prononcée d’un ton grognon qui clamait le dérangement causé par l’inutilité de l’affirmation de son interlocuteur. Son visage renfrogné se tournait ostensiblement vers des choses plus intéressantes ; la vitre, le portable, ses lacets, sa montre. Il levait les yeux au ciel, croisait les bras, se renfermait dès qu’il le pouvait. Une sorte de tempête concentrée, en fait, comme le coulis de tomates. Et seules les personnes qui résistaient à ces démonstrations d’humeur finissaient par avoir vraiment grâce à ses yeux. Comme Cassie, par exemple. Cependant, il était vrai que le frère et la sœur se connaissaient depuis très longtemps et qu’ils avaient menés une existence toute particulière ; de ce fait, Milo adoptait en sa compagnie des comportements un peu différents de ceux de l’ordinaire. Cela n’empêchait pas les crises de « grumpyttude » de se déclencher, mais Cassie était totalement immunisée et s’en moquait royalement. Et elle, elle bénéficiait des petites plaisanteries, des gestes anodins qu’elle savait décrypter comme des marques d’affection et de tendresse. Robertazzo, comme Giovanni d’ailleurs, n’avait jamais été de dupes des grands airs furieux de Milo, comme de son fameux « j’ai avalé trois citrons et ils sont restés dans ma gorge histoire de bien imprégner le palais ». Somme toute, les gens possédant cette capacité étant rares, Milo était heureux dans sa vie actuelle. Pas de responsabilité sociale, pas de « Bonjour madame Michu » en sortant les poubelles le soir, pas de fêtes entre collègues ou de barbecues dominicaux. Juste lui et le silence de l’habitacle, comme en ce comment, ou lui et Cassie. Qu’aurait-il fait sans sa petite sœur ? Sans doute serait-il devenu le plus affreux misanthrope que la terre est porté, aigri au dernier degré, une âme de vieillard dans un corps de zombi. Cassie, son interface avec la société. Qu’aurait-il fait sans elle ?
Il scruta dans un accès de vigilance rageuse la façade de la boucherie. Sur le siège passager, à côté de lui, Milo avait déposé les petits sprays au liquide hautement inflammable qu’il avait concocté l’heure précédente. Si Mario se ramenait, l’aîné des Wincessero –et accessoirement son briquet- ne le manquerait pas. Soudain, la sonnerie de son téléphone retentit. Habitué au silence de ce midi italien, Milo sursauta et décrocha. Cassidi. Un problème ?
- Allô, Milo ? Oui, on a un problème, là … Une gamine de dix ans n’est jamais arrivée à l’école primaire ce matin, alors qu’elle fait ce trajet à pied tous les jours. Sa mère s’en est rendue compte uniquement parce qu’elle ne la laisse pas manger à la cantine et était venue la chercher à la sortie. Comme ce sont des circonstances exceptionnelles, Nerilla va lancer l’avis de recherche, c’est l’alerte générale par ici. Je crois qu’on ferait bien de retrouver Mario très rapidement. Tu as reçu ce que je t’ai envoyé ?
Ah oui, problème. Une bouffée d’adrénaline s’empara de son cerveau. L’organe cherchait à mettre le doigt sur un détail.
- Je crois que tu as raison, ouais – Mais si ça remonte à ce matin, elle est déjà morte, pensa-t-il sinistrement-. Tu parles des infos sur la villa ? Oui, j’ai reçu, je suis allé v…
Milo s’interrompit. Une minute. Voilà l’élément qui le titillait. Il y avait une école pas loin de la villa. En outre, pour avoir bien exploré la boucherie, il était presque certain que Milo n’avait pas emmené sa victime ici dès potron-minet. Il aurait au moins entendu des… bruits de mastication si le rugaru s’était caché dans les fondations, lorsque Milo se trouvait à la cave. C’était la première demeure qu’il avait fouillé. Il tourna la clé et démarra.
- Tu as le nom de l’école ? Il y en a une à quelques pas de la villa, une de ses fenêtres donne sur la cour de récré. Il est sûrement resté dans les parages, il n’aurait pas pu se balader en centre-ville avec la fillette sur l’épaule ou sous son trench-coat… Je viens te chercher, ne bouge pas. Tu es au commissariat ?
Sans attendre la réponse, qui ne tarda pas à venir, Milo appuya sur l’accélérateur et se hâta de rejoindre sa sœur en un temps record. Pas le temps d’acheter des paninis, aujourd’hui. Il grilla un ou deux feux. Ca ne le gênait pas spécialement, au point où il en était dans le respect des lois et vu le peu de circulation qui agitait le centre-ville à l’heure où tout le monde croûtait sagement chez soi.
Cette pensée le glaça. Ou plutôt, la vision qui apparu dans son esprit lui coupa toute envie pour les olives et les chips délaissées. Milo n’avait aucun espoir de retrouver la gamine vivante. Mario les avait plutôt habitués à déguster sur place ses victimes, sans cuisson et sans assaisonnement. A la rigueur, il avait peut-être transporté le corps jusqu’à une cachette proche afin de se nourrir en toute tranquillité d’esprit. Et maintenant, alors que le pire craint par Milo et sa sœur était survenu, le monstre devait se reposer à l’ombre, un cure-dent dans la bouche, digérant paisiblement. C’était répugnant. Milo ressentait cette fameuse envie d’éliminer de la surface de la Terre ces erreurs de la nature, ces créatures inutiles, ces nuisibles qui lui conférait aucun remord lorsqu’il appuyait sur la gâchette pour commettre un meurtre de sang-froid. Face à ce genre de choses, il n’avait aucun scrupule. Cassie –toujours elle, toujours ce fameux yin dans le groupe qu’ils formaient- en éprouvait sûrement plus, allez savoir pourquoi. Lui, il était intransigeant, de la même façon qu’il l’était sur le sujet fâcheux. Le truc. C’était peut-être une vision un brin primaire, voir binaire des choses mais jusqu’ici, cela avait été un comportement efficace qui l’avait sauvé à maintes reprises. Pas de « Oh, mais comme il est mign…. » devant un fantôme de gamin aux grands yeux tristes –celui qui sortait ensuite un hachoir pour vous trancher la tête-. Et combien de fois avait-il fallu qu’il vienne tirer Cassie d’un mauvais pas où l’amenait son excès d’optimisme en… l’humanité ? la Création ? Que ce soit pour se coltiner avec des vampires ou des loups-garous, elle était toujours partante, ou presque.
Cela ne signifiait pas que Milo était insensible et qu’il ne pouvait pas revenir sur son jugement, non. Parfois, ils étaient tombés sur des vampires assagis, et il leur avait laissé la vie sauce –après beaucoup d’insistances, certes-. Il ne voulait pas se transformer en chasseur fou extrémiste au dernier de gré. Non. Il espérait garder toujours une étincelle de jugement et de retenue. En ce sens, Cass, c’était son Jiminy Cricket perso. Dans le cas présent, de toute façon, il n’y avait pas de doute à avoir ; Mario, bien que ce ne fût pas sa faute, n’avait plus rien d’un être humain et il était dangereux. Milo préférait lui donner le repos que de le laisser faire de même avec des fillettes à l’aube de leur vie.
Milo ne s’arrêta que quelques secondes pour permettre à sa sœur de monter à bord, avant de poursuivre sa route jusqu’à la villa. Elle était comme ce matin ; blanche, proprette, pas trop entretenue mais respirant la maison de retraités.
- Prend les trucs qu’il y avait sur ton siège, ordonna-t-il en stoppant la voiture sur le trottoir. Mais je suis presque sûr qu’il n’est pas dans la maison. Est-ce qu’on se sépare et qu’on fait le tour du pâté de maisons jusqu’à ce qu’on le trouve, ou est-ce que tu as une idée de génie quant à une éventuelle cachette ?
Spoiler:
J'aurais pu ajouter deux cents mots mais il se faisait tard et mon lit m'appelait ;w; Comme ça tu l'auras pour demain, au pire je rajouterais ensuite!
Bon, c'est pas fameux, mais depuis le temps que tu l'attends, et pour un retour au rp ... Enfin disons que je me rattraperai, promis promis 8D. /ce retard inscrit en lettres d'or sur son CV, s'en va postuler à la SNCF/
Dire que Cassidi Wincessero se découvrait de nouvelles angoisses existentielles n’avait rien d’abusif. A toutes les questions de Milo, elle répondit par la positive, brièvement, laconiquement. Oui, oui et oui. Sans doute était-ce pour éviter à son frère de l’entendre aussi paniquée, voire dans le but de s’aveugler sur sa propre inquiétude. Parce que la chasseuse ne voulait pas savoir ; elle ne voulait sentir ni l’adrénaline pulser dans ses veines, ni le cube glacé que la peur creusait au cœur de ses entrailles. Certes, son job ne la protégeait pas de la trouille sacro-sainte que l’on ressentait une fois dans le champ de vision d’une bestiole à la dentition évoluée. Ce n’était pas parce que l’on avait la licence de ce club fermé que l’on était assuré des risques qu’il impliquait. Mais c’était la première fois que ce que Cassie ressentait la paralysait – la première fois, aussi, qu’elle échouait à juguler le côté étouffant de la situation. D’ordinaire, lorsqu’elle ne parvenait pas à mettre la peur de côté, cette dernière finissait par jouer le rôle d’un moteur. C’était presque une exigence physiologique. Et voilà qu’aujourd’hui, cette belle mécanique foutait le camp. Avec quoi était-elle censée continuer, dans cette affaire ? Avec la peur au ventre ? Et surtout, qu’est-ce qu’elle pourrait faire, concrètement, lorsqu’elle croiserait mister rugaru, alors qu’elle n’avait pas besoin de le voir pour se figer ainsi ?
Mais il n’y avait pas que ça ; il n’y avait pas que ces petites questions venues gambader dans la tête de la jeune femme. Il y avait aussi le problème de la gamine – Olivia de son prénom. La Cassidi rationnelle n’ignorait pas que, repas pris la veille ou non, le rugaru n’aurait pas tardé à focaliser sur une nouvelle victime. Dans le fond, c’était très clair. Les photos de Mario prises avant sa transformation suggéraient qu’il n’était pas de ces obsessionnels du décompte des calories lorsqu’il s’attaquait à un repas. L’altération de sa nature ne pouvait en rien arranger les choses. Vivre pour manger, et non pas manger pour vivre – gastronomiquement parlant, chez un humain, ça pouvait être là un adorable dicton. Dicton qui perdait de son charme lorsqu’il s’agissait de l’appliquer à un rugaru. Ce dernier, hélas, était l’un des plus fervents pratiquants de cette religion. Olivia, de ce fait, avait plus de la fatalité que de l’accident, et il n’y avait pas à s’étonner de cette suite logique. C’était un peu comme de déduire du produit de cinq par quatre qu’il menait à vingt-cinq lorsque l’on ajoutait un au multiplicateur. En l’occurrence, Olivia était le fois cinq. Et jusque-là, c’était clair. Restait que, dans le cas de Cassidi, l’on pouvait corréler la perte d’un bout de chair à celle d’un bon pourcentage de rationalité. Cette déficience faisait que Cassie entendait à peine ce que lui racontait son frère. Elle s’en foutait, d’une certaine façon. L’emploi du temps de Mario Abatucci, diligemment fourni par son lobe frontal, dressait un tableau limpide : Olivia kidnappée, Olivia bouffée. Avec, en guise d’annotation en bas de page, à l’attention de Cassidi, une certitude aux relents d’accusation. C’est de ta faute. Au point où, pour un peu, elle en serait venue à regretter de ne pas y avoir laissé un peu plus de plumes – ou de viande – la veille.
Et puis, franchement, quelles étaient les chances de retrouver la gosse en vie, dans le fond ? Est-ce que ce n’était pas une façon de plus de se matraquer que d’imaginer qu’ils pouvaient toujours mettre la main sur une gamine en bon état ? Valait-il encore le coup d’envisager le happy ending ? Parce qu’elle avait envie de le garder en tête, celui-là, Cassidi. Elle ne voulait pas le lâcher. Elle préférait y croire tout en sachant que la peau de l’ours était déjà vendue plutôt que d’affronter cette culpabilité dérangeante. Elle avait besoin de cet espoir qui mettrait l’infraction entre parenthèses, le temps d’un sauvetage. Et c’était moche à dire, mais elle aurait préféré que le rugaru en reste aux pétasses comme Silvia. Parce que certes, cinquante kilogrammes de chair dépecées, une cage thoracique transformée en lumignon prêt à servir, ce n’était pas plaisant, mais ce spectacle était toujours mieux que sa version miniature. Les poids-plume du massacre avaient cette force d’impact dont les plus belles pièces montées du milieu n’oseraient rêver. C’était cette scène que Cassie ne voulait pas découvrir. Ce Pollock bâclé, grinçant, sanglant et crissant. Et c’était cette scène, encore, qu’une main habile jetait sur la toile de son cerveau ; cette scène, toujours, dont elle achevait de fignoler les détails lorsque l’Impala pila devant elle. La jeune femme, en ouvrant la portière, fit l’effort de se composer une autre expression que celle de l’angoisse existentielle. Si c’était possible, elle était encore moins fanatique que son frère de ce type d’expansions. En outre, ils avaient des sujets plus urgents à gérer que ses états d’âme de gonzesse mal dégrossie.
Cassidi salua Milo d’un signe de tête quelque peu pincé ; lui-même démarra immédiatement, en trombe, avec l’empressement de celui qui souhaite arriver à l’heure à une fête. La chasseuse eut presque envie de lui signaler qu’il n’y avait pas lieu de se dépêcher ainsi. De lui dire, pince sans rire, que le kebab serait un peu froid, mais qu’il en resterait sûrement. Elle n’en fit rien, pourtant. Elle se contenta d’attacher sa ceinture — aussi serrée qu’elle le pouvait — et de serrer les dents. Elle avait beau vouer une confiance absolue à son aîné, elle aurait payé cher, autrement plus cher qu’un lambeau de chair, pour que Tazzo soit à leurs côtés aujourd’hui. Il saurait quoi faire. Mieux, il aurait les mots pour la recadrer. Et l’habitude de ces situations dont l’issue ne s’annonçait pas heureuse.
Secouant la tête afin de s’éclaircir les idées, Cassie comprit que Milo tentait de communiquer.
« … je suis presque sûr qu’il n’est pas dans la maison. Est-ce qu’on se sépare et qu’on fait le tour du pâté de maisons jusqu’à ce qu’on le trouve, ou est-ce que tu as une idée de génie quant à une éventuelle cachette ? »
La jeune femme haussa les épaules.
« De génie, je ne sais pas, mais une idée, oui, dit-elle, et sa voix lui parut éraillée. Ces maisons sont vieilles. Elles datent d’avant la seconde guerre mondiale et n’ont pas été rénovées depuis, ou presque pas. Après la première guerre, les gens se sont mis à construire des abris dans leurs jardins — des abris souterrains, des caveaux, à l’écart des jardins … Et évidemment, ils ne figurent pas sur les plans. Alors … »
Elle acheva sa tirade avec un signe de menton en direction de la route. Alors on y va. Elle n’était pas sûre de ses assertions, mais c’était la solution la plus logique. Ou tout du moins, la plus logique avant de passer aux solutions embêtantes, qui prévoyaient que le rugaru ait élu domicile dans la campagne environnante. Et l’idée de partir à la recherche du grand méchant loup dans les bois, en plus de ne pas être exaltante, était trop gourmande en temps. Temps que les Wincessero n’avaient pas. Cela signerait l’arrêt de mort d’Olivia. Il était déjà à craindre qu’ils doivent faire le ménage derrière Mario Abatucci ; s’il avait choisi de se réfugier dans la cambrousse, il leur faudrait plutôt faire de la dératisation qu’autre chose.
Et la petite ville de défiler sous ses yeux, déroutante de quiétude. Le plus curieux, dans ce cadre, résidait sûrement dans le fait qu’il était l’archétype même du lieu dans lequel la jeune femme aurait apprécié de passer des vacances. Ou tout du moins, quelques jours de break. D’ailleurs, plus elle y pensait, et plus elle songeait à faire une pause dans sa vie de chasseuse. Elle ne s’était pour ainsi dire jamais offerte cette dernière. Il y avait toujours quelque chose à faire. On trouvait toujours une énigme à résoudre. Ou alors, l’énigme les trouvait. Et, souvent, ladite énigme était dotée de griffes et de crocs. A croire que la seule connaissance de l’existence des monstres sous le lit établissait un lien entre ceux-ci et vous-même ; un peu comme si, en reconnaissant leur présence à la surface du globe, vous leur allouiez une vie propre. Cassidi était curieuse de savoir si elle pouvait, de façon effective, se retirer de cette vie, même une journée, sans que celle-ci ne lui retourne ses paillettes en pleine figure. La question du sort qui serait alors le sien se posait, bien sûr. Cassie ne s’imaginait pas retourner aux études — pas après les loups-garous, pas après les changelings, pas après les polymorphes. Pas après tout ça. Non, en fait, la véritable question n’était pas de savoir ce qu’elle ferait de sa vie si elle arrêtait la chasse, mais bien de comprendre ce que cette vie lui ferait si elle continuait. Finirait-elle comme ces chasseurs, amis de son père, qu’il lui était arrivé de croiser à la maison — aigris et vides, indifférents à tout ? Comme Robertazzo, seule, dépressive et passablement alcoolique ? Comme Giovanni, son cadavre abandonné à la caresse des flammes ? Ou peut-être que mon corps n’aura même pas cette chance. Elle jeta un coup d’œil à Milo. L’ours était concentré sur sa conduite, à son habitude. Et si elle ne le connaissait pas si bien, elle n’aurait pas décelé la moindre tension chez lui. Si elle n’avait été qu’une observatrice lambda, ou cette petite sœur qu’il n’aurait pas dû avoir, elle aurait pu croire qu’il avait fini par s’en foutre. Que ces histoires de gamines dépecées ne l’atteignaient plus. Elle savait, au contraire, qu’il était loin de tout cela … Et pourtant, elle n’en supportait pas mieux le détachement que l’on pouvait décalquer sur son profil. Car, un jour ou l’autre, il s’installerait ; et pour de bon.
Cassidi tripotait les bombes de liquide inflammable, nerveuse. Elle les laissa jouer un moment entre ses doigts et, finalement, du bout de l’ongle, elle se mit à tapoter le métal, selon un rythme régulier — tap-tap, tap-tap. Elle finit par se tourner vers Milo, et agita l’un des contenants sous son nez :
« Tu penses que ça suffira, ces trucs-là ? Et puis, mettons qu’on le retrouve dans un caveau, c’est quoi, le plan ? Ce mec a plus de force que nous deux réunis, même si je sais bien que je ne pèse pas bien lourd dans la balance … C’est pas comme s’il allait se laisser faire … Donc si tu as une idée. »
En outre, si Olivia était encore en vie lorsqu’il la retrouverait, ça compliquait encore la situation. Ça voulait dire qu’ils ne pourraient pas recourir à une astuce toute bête, à savoir enfermer la bête dans sa cave et y balancer le Nessie des cocktails Molotov, avant de lancer le minuteur du temps de cuisson. Cassie savait que la balance bénéfice-risque, le cas échéant, désignait comme préférable la mort d’une gosse lorsque l’on savait que le rugaru risquait de poursuivre sa série de meurtres … Mais cette solution ne figurait pas dans son répertoire. Ou tout du moins, pas encore.
A la réponse de Cassidi, Milo retint une soudaine envie de se cogner contre le volant. Geste qui n’aurait fait qu’accroitre son sentiment de stupidité, mais bon. Ce n’était pas comme si c’était lui, d’habitude, qui trouvait – ou devinait- les informations essentielles à leurs enquêtes. C’était juste que ça paraissait tellement évident qu’il se demanda pourquoi il n’avait pas eu une illumination plus tôt, lorsqu’il inspectait la demeure. Ils auraient gagnés du temps. Tel un apprenti moine bouddhiste ou un cadre en stage feng-shui, Milo s’efforça de passer au-dessus de son échec pour se concentrer sur l’essentiel.
- Et je suppose que tu n’as pas la moindre idée de l’endroit où se trouve précisément l’abri ?
Génial, on va chercher. Comme si on avait toute la journée pour ça ! Dans le petit jardin désolé, il ne lui avait pas semblé voir une plaque de béton recouvrant l’entrée d’une éventuelle cachette. Il était vrai qu’il n’y avait pas vraiment fait attention, et il se doutait bien qu’il n’y aurait pas un écriteau sur l’herbe avec la mention « Coucou, c’est ici, vous êtes arrivés ! » et une flèche pointée vers le sol. D’un autre côté, il supposait que si on avait construit des planques, c’était avec l’objectif de s’y glisser facilement et qu’il n’y avait pas de raison pour que l’accès qui y mène soit soigneusement dissimulé derrière un buisson d’if ou sous la poubelle.
Peut-être auraient-ils du mettre au courant Nerilla, d’une façon ou d’une autre, et lui demander de rappliquer avec sa brigade. Ils auraient quadrillés le jardin, trouvés la cachette en moins de temps qu’il faut pour dire « rugaru » et tout le monde aurait été content, à commencer par la gamine disparue. Le hic… Comment expliquer à quinze types rationnels un machin à dents pointues vaguement humain ? Milo aurait parié sur une tactique toute simple ; faire le plus surpris de tous. Pourquoi un agent de l’AISI ne pourrait-il pas tomber, une fois l’an, sur une chose que la science ne pouvait expliquer et devoir l’affronter malgré tout ? Ils buteraient la bestiole, se gratteraient la tête en chœur et abandonneraient le cadavre aux scientifiques de l’AISI qui concluraient sûrement à une mutation génétique bizarroïde. On étoufferait l’affaire et basta. Néanmoins, ceci attirerait une attention indésirable sur deux points ; d’abord, l’existence de créatures ignobles et deuxièmement, sur Almeida et Laslos, les agents-bidons-de-l’AISI. La conclusion de tout ça, c’était qu’à moins d’avoir un très beau sourire, le gouvernement alerté ne les remercierait pas et au contraire, les enverrait finir leurs jours dans une prison de qualité douteuse.
Aussi Milo et Cassidi devraient-ils se contenter, malgré l’urgence de la situation, de chercher par eux-mêmes un foutu abri antiatomique alors qu’une mioche connaissait le sort d’un steak-frites à une heure de pointe et à la brasserie du coin. Les gens n’avaient vraiment pas le sens des priorités.
A ses côtés, la présence de Cassidi dans l’Impala n’avait pas éclairé cette journée d’un rayon d’optimisme. C’était largement compréhensible, mais pas spécialement encourageant, loin de là. Et surtout, l’entendre manipuler et tapoter leurs lance-flammes improvisés dans le rythme classique de la nervosité, c’était agaçant. Si Milo n’avait pas eu les deux mains occupées par le volant, il lui aurait arraché les machins des mains avant de lui jeter un regard courroucé, celui que Papa adresse à sa fillette excitée. Avant même que Milo envisage d’effectuer cette action malgré tout, sa sœur le coupa en demandant :
« Tu penses que ça suffira, ces trucs-là ? Et puis, mettons qu’on le retrouve dans un caveau, c’est quoi, le plan ? Ce mec a plus de force que nous deux réunis, même si je sais bien que je ne pèse pas bien lourd dans la balance … C’est pas comme s’il allait se laisser faire … Donc si tu as une idée. »
- J’ai une tête de spécialiste en explosifs et autres flammes ? rétorqua-t-il. Aucune idée. Il y a quand même pas mal de liquide inflammable dans chacune d’elles, j’ose donc espérer que c’est suffisant pour le rugaru. Après tout, Tazzo ne nous a pas dit si la bestiole était facile à faire cramer. C’est pas exactement du sapin, donc je suppose que juste souffler sur des braises ce n’est pas suffisant, mais deux litres de produits… D’autant que j’ai pris le liquide qui brûle le plus fort. Même s’il n’y aura pas énormément de flammes, ça chauffera dur –et longtemps-.
Ca, au moins, il pouvait le dire. Il ne disait pas vraiment que ça allait marcher –Il n’en savait strictement rien-, mais vu le degré de stress de Cassidi, lui assurer que dans le pire des cas, ils connaitraient une fin rapide ne serait pas pour remonter le moral des troupes. De plus, Milo, comme il venait de l’expliquer, avait fait en sorte de sélectionner le produit qui serait le plus à même de tuer le rugaru. Après, si ça se trouvait, la créature était équipée d’une tenue de pompier à même la peau. Milo touchait du bois en se disant que Tazzo le lui aurait sûrement dit au téléphone. Il ne laisserait pas ses protégés foncer tête baissée dans un danger sans les avoir avertis de chaque détail. Combien de fois s’était-il lui-même déplacé pour leur venir en aide in extremis alors que la fratrie s’était mise dans le pétrin ? Cette tendance à foncer tête baissée –et oui, on n’avait pas tous l’occasion de consulter une immense bibliothèque ésotérique dans sa maison surprotégée- leur avait valu le surnom tendre et affectueux d’ « imbéciles » ou d’ « abrutis », prononcé à chaque fois d’un ton ou exaspéré, ou affligé. Le privilège de la jeunesse. Et encore, la présence féminine de Cassidi tempérait bien les ardeurs de leur duo, bien qu’elle soit aussi championne des gestes inconsidérés comme « je pars sans te prévenir » ou « je complote derrière ton dos avec mes nouveaux pouvoirs bien que tu m’ais interdis de les utiliser » ou « je ramasse une patte de lapin douteuse sans réfléchir ». Et qu’on ne parle pas à Milo d’intuition féminine, s’il vous plait. Oh, c’était sûrement un raisonnement injuste pour Cassidi. Milo était sûrement celui des deux qui était le plus imprudent. Mais lui au moins n’avait pas la sale manie de faire bande à part. Bref, ce n’était ni le lieu, ni les moments de commencer à s’auto-apitoyer sur ses relations avec sa sœur depuis qu’elle avait son « truc ».
Quant au plan, heu… Il pouvait toujours demander à Cassie de le bombarder avec les olives restantes et de la tapenade pour attirer son attention. Mais le rugaru risquait fort de se contenter de bénir le Ciel pour cette manne inattendue et agrémenter son repas du délicieux condiment mariné. Ou alors, ils auraient pu acheter une côte de bœuf et le lui agiter sous le nez. Ah oui, c’est vrai, il n’y avait plus de boucher. Que c’est bête.
- J’ai envie de dire qu’on avisera sur place mais si la fille est toujours vivante, on risque de la tuer en même temps. Ceci dit, les embouts de nos bombes sont assez précis. Si l’on asperge uniquement Mario et qu’on lance une allumette ensuite, il n’y aura que lui qui en pâtira. La hauteur des flammes peut éventuellement blesser sa victime. On peut toujours se partager la tâche ; j’asperge, tu lances l’allumette, et je la plaque au sol pour éviter qu’elle soit touchée.
Moyen, moyen. Très hasardeux, tout ça. L’autre idée, eh bien…
- Je ne suis pas sûr que le deuxième plan te plaise, donc…
Et il ne lui plaisait pas vraiment non plus. Il n’avait aucune envie d’utiliser Cassidi comme appât, même si elle était tout à fait capable et assez maligne pour ne pas devenir une victime. Mais compte-tenu de son agression de la veille, Milo en voulait pas l’obliger à faire de nouveau face, désarmée, au rugaru affamé. Pourtant, dans ce cas là, il suffirait que Cassidi pénètre dans l’antre. Mario, dérangé dans son repas, s’occuperait d’abord d’elle plutôt que du contenu de son assiette. Milo pourrait alors se glisser à son tour et utiliser les lance-flammes avant de jeter une allumette sur le dos de l’ex-humain. Tout dépendait de la taille de la cachette, aussi. Si ce n’était qu’une petite pièce circulaire, avec une échelle menant dehors, ils n’auraient pas d’autre choix que de risquer leurs vies et celle de la gamine. S’il y avait deux pièces, ce serait plus facile. Oui, ses stratégies étaient primaires, et alors ? C’était souvent les plus simples qui étaient les plus efficaces. Et vu la situation, Milo avait beau se creuser la cervelle, il voyait mal comment faire un plan plus ingénieux, un plan brillant, digne d’un roman ou d’un fim.
En fait, beaucoup de détails reposaient sur la qualité des bombes maisons. Aïe. Milo expliqua néanmoins la deuxième solution à sa sœur, tout en espérant fortement –il espérait beaucoup, ces temps-ci- qu’elle-même ait une idée de plan plus élaboré que les siens. Après tout, c’était elle le cerveau du groupe, la grosse tête, celle qui avait fait des études –même si elle n’avait sûrement jamais assister à un cours sur les façons de trucider un rugaru dans son antre-. Ce faisant, maintenant qu’ils étaient descendus de l’Impala, le moment était venu de chercher l’entrée de l’abri. Il se tourna vers Cassidi, guettant son approbation ou un nouveau plan d’attaque. Après quoi, ils se sépareraient sûrement pour tenter de trouver la planque et ils n’auraient plus qu’à se jeter dans la gueule du rugaru.